Songe d’un messager
Nascien est sur une nef
La nuit, quand l’hôte les eut fait coucher dans une chambre réservée à eux seuls et qu’ils se furent endormis, il sembla au plus jeune que Joseph d’Arimathie s’avançait vers lui pour lui dire : «Que cherches-tu?» Il lui répondait qu’il était en quête de Nascien, son seigneur, perdu par la plus prodigieuse aventure du monde ; il lui contait comment. Alors Joseph lui demandait : «Comment penses-tu le trouver ici, dans ce pays? — Seigneur, répondait-il, j’ignore où il est : voilà pourquoi je le cherche par tous les territoires habités.— Ce n’est pas sur ce territoire, dit Joseph, que tu le trouveras : il n’y est pas ; mais suis-moi, je vais te le montrer.» Alors le jeune homme emboîtait le pas à Joseph, et finalement ils parvenaient à une montagne, la plus imposante qu’il eût jamais vue. Il y découvrit un endroit si prodigieusement haut qu’il pouvait aisément observer tous les territoires habités, et toutes les eaux que des barges avaient coutume de parcourir. Joseph lui demandait : «Vois-tu cette nef? — Seigneur, oui : je la vois clairement. — Sache donc, disait Joseph, que ton seigneur s’y trouve, avec toute la compagnie qu’il aime bien.»
Alors ils se quittaient, et Joseph s’en allait si discrètement que l’autre pouvait toujours se demander ce qu’il était devenu. Au matin, quand ils furent levés, le jeune homme s’adressa, avant de partir, à ses compagnons : «Il m’est cette nuit arrivé une vision très belle dans mon sommeil. — Quelle était-elle?» demandèrent-ils. Il la leur conta de bout en bout, fidèle à l’impression qu’il avait eue. Il y avait là, dirent-ils, une fort belle aventure ; ils ajoutèrent que Notre-Seigneur ne les avait pas oubliés, puisque Joseph son pasteur était venu leur enseigner de quel côté trouver leur maître et seigneur. «Et quel est votre avis?» demanda le jeune homme. Il n’y avait qu’à se hâter d’aller vers la mer, louer une nef, monter à bord ; puis naviguer jour et nuit, jusqu’à ce que Dieu leur donnât de rencontrer la nef où trouver leur seigneur.
Anonyme
Le livre du Graal
France 1230 Genre de texte roman en prose
Contexte
À la recherche de leur maître, le roi Nascien, un groupe de messagers se trouve un gîte où dormir une nuit. Lorsque tous sont endormis, le plus jeune messager rêve que Joseph d’Arimathie lui révèle comment Nascien se trouve à bord d’un navire en compagnie de ses proches.À son réveil, le jeune messager raconte son rêve à ses collègues. Ensemble, ils décident de se rendre au bord de la mer, de se louer une embarcation et de voguer jusqu’à ce que Dieu leur fasse rencontrer le navire du roi Nascien.
Texte original
La nuit, quant li ostes les ot couchiés en une chambre a pas aus et il furent endormi, a celui d’aus qui estoit li plus jouenes estoit il avis en son dormant que Joseph de Barimachie venoit devant lui, et li disoit : «Que vas tu querrant?» Et cil li disoit qu’il aloit querant Nascien son signour qui estoit perdus par la plus merveillose aventure del monde ; et li contoit conment. Lors li respondoit Joseph : «Conment le quides tu dont ci trouver en cest païs? – Sire, fait cil, je ne le sai ou trouver : et por ce le vois je querant par toutes les terres ou gent habitent. – En ceste terre, fait Joseph, ne le troveras tu mie, car il n’i est pas ; ne mais vien après moi et je le te mousterrai.» Lors s’en aloit Joseph devant, et li vallés après, tant qu’il venoient en une montaingne la plus haute et la plus grande qu’il onques mais eüst veüe. Et quant il vint la, il vit un lieu si merveillous et si haut qu’il pooit bien remirer toutes les terres ou gent habitoient, et toutes les aigues ou barges soloient courre. Et Joseph li demandoit : «Que vois tu? – Sire, fait cil, je voi toutes les terres ou gens conversent, et toutes les aigues qui portent barges.» Et Joseph li mostroit une nef loing de lui, qui estoit en la mer de Gresse, et disoit : «Vois tu cele nef? – Sire, fait cil, oïl : je le voi bien. – Or saces tu, fait Joseph, qu’il est en cele nef, tes sires que tu quiers ; et est o toute le compaingnie qu’il bien aimme.»
Atant s’empartoit li uns de l’autre, et Joseph s’en aloit si durement que il ne pot onques savoir qu’il devint. Au matin, quant il furent levé, ains qu’il fuissent parti de laiens, dist li vallés a ses compaingnons : «Il m’est une avision anuit avenue en mon dormant mout bele. – Quele fu ele?» font cil. Et cil lor dist tote de chief en chief si com il li ot esté avis. Et quant il l’orent oï, si dient que mout ot ci bele aventure ; et dient que Nostres Sires nes a pas oubliés, quant Joseph ses menistres lor est venus enseignier quel part il porront lor maistre trover, et lor signour. «Et qu’en loés vous?» fait li vallés qui l’avision avoit veüe. Et il dient qu’il n’i a fors que de l’aller au plus tost qu’il porront vers la mer, et luier une nef et entrer ens ; et puis tant errer par la mer et de jour et de nuit, que Dix lor doinst encontrer la nef ou il porront trover lor signour.
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