mardi 4 janvier 2011



3e songe du roi Label
Le Jugement dernier
Cette nuit-là, ils parlèrent ensemble de maintes choses, et les hommes de bien enseignèrent au roi Label nombre de points du christianisme et de la loi, et lui énoncèrent les commandements de la sainte Église. Et finalement le roi les supplia : «Seigneurs, pour Dieu, je vous prie de me dire la vérité, si vous en êtes certains, sur une vision qui m’est arrivée récemment.
— Racontez donc votre vision, dit l’ermite, et je vous expliquerai ce que Notre-Seigneur m’en aura enseigné. — Seigneur, il me semblait être assigné en justice devant un homme important, auprès de qui je devais être accusé par je ne sais quelles gens. Au moment d’aller au procès, j’invitai tous mes amis et ceux que j’avais servis à venir m’aider. Mais tous manquèrent à l’appel excepté trois, dont l’un me prêtait un manteau pour m’habiller, pour m’éviter d’être éconduit. L’autre me conduisait jusqu’à une maison que je n’avais jamais vue, et me laissa à l’intérieur. Le troisième m’accompagnait chez l’homme important ; il me montra un écrit, une charte par laquelle il m’acquittait de toutes les affaires constituant la demande du seigneur par qui j’étais accusé. Seigneur, continua le roi, telle fut la vision que j’ai eue voilà peu de temps : aussi je vous prie de m’en donner à entendre la vérité si vous la savez. – Certes, dit l’ermite, volontiers. Écoute donc, roi Label : le manteau qu’on te prêtait signifie la pauvre vêture qu’on donne pour habiller l’homme quand on le met en terre. C’est le dernier manteau ; cet équipement, on l’appelle suaire : on doit l’appeler le costume mortuaire – et maintes fois cet équipement est donné plus pour ceux qui demeurent que pour ceux qui s’en vont. Le deuxième ami, qui te convoyait jusqu’à la maison, symbolise les parents du mort, qui conduisent le corps du défunt jusqu’à la fosse. La fosse, il est bien normal de l’appeler maison inconnue : nous qui sommes dans cette vie mortelle, nous ignorons ce que nous y trouverons, et nous ne la connaissons en rien jusqu’à présent. Y entrons-nous, nous ne savons encore que dire : par conséquent on doit bien appeler cette maison inconnue, et maison à nos yeux à nulle autre pareille.
«Le troisième ami, qui dans la pire détresse te faisait compagnie et te montrait une charte par laquelle il t’acquittait de toutes les affaires formant la demande de l’homme important, signifie les bonnes œuvres que l’homme de bien fait en sa vie ; il est pareil au bon légiste qui hardiment défend la cause de son ami pour la mener à bonne fin. Les fils, les filles et les autres parents laissent dans la fosse celui qu’ils convoient en personne aimée, cessant de l’accompagner au-delà. Qui répondra pour lui de tout ce qu’il aura eu dans ce monde, de tout ce qu’il savait, de tout ce qu’il pouvait? Il n’emportera rien, devant l’homme important, de toute sa richesse, si ce n’est seulement une charte, où seront consignées ses bonnes et ses mauvaises actions ; si le bien excède le mal, il le disculpera et le délivrera de tout ce qu’on lui demandera ; et si les maux sont plus nombreux que les biens, le mal, qui toujours pesant tire l’homme vers le bas, l’entraînera de sorte qu’il trébuche jusque dans la ténébreuse maison d’enfer.
«Roi Label, je t’ai donc exposé ce que je crois être la signification de ton songe. À toi de me répondre s’il te semble que j’aie dit la vérité. – Certes, estima le roi, personne en ce monde ne me l’aurait mieux expliquée, je pense, si Celui même qu’on appelle Jésus-Christ ne l’avait instruit.»

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Désormais converti au christianisme, le roi Label demande aux chrétiens qui ont assisté à son baptême de lui expliquer la signification d’un rêve qu’il a fait récemment dans lequel il était convoqué à un procès où il aura à se défendre des accusations de gens inconnus. C’est l’ermite Séraphé qui révèle au roi que ce rêve symbolise la mort et le dernier jugement.
Texte original
Cele nuit parlerent ensamble de maintes choses, et ont li prodome moustré au roi Labial mout de poins de crestienté et de la loy, et li ont dit et apris les conmandemens de Sainte Eglyse. Et tant que li rois lor dist : «Signour, pour Dieu, d’une avision qui m’avint n’a pas lonc tans, vous proi je que vous m’en dites la vérité, se vous en estes certains. – Or dites vostre avision, fait li prodom, et je vous en dirai ce que Nostre Sires m’en ara enseignié. – Sire, fait li rois, il m’estoit avis que je estoie semons a plait devant un riche home, a qui je devoie estre acusés je ne sai de quels gens. Et quant je dui aller au plait, je semonoie tous mes amis et ciaus que je avoie servi, que il me venissent aïdier. Et tout m’en faillirent fors que .III. ; mais li uns de ces .III. me prestoit un mantel pour afubler, pour ce que il ne m’escondesist. Et li autres me conduisoit tresques a une maison que je n’avoie onques tele veüe, et me laissa dedens. Et li ters venoit avoques moi ciés le riche home ; et me moustra un escrit et une chartre dont il m’aquitoit de toutes les choses que li sires me demandoit, a qui je estoie acusés. Sire, fait li rois, tele fu m’avisions, que je vi n’a pas encore lonc tans : si vous proi que vous m’en faciés a entendre la verité se vous le savés. – Certes, fait li prodom, volentiers. Ore enten, rois Labiaus : car li mantiaus que on te prestoit senefie la povre vesteüre que on donne a vestir l’ome quant on le met en tere. C’est li daerrains mantiaux, et celui garniment apele on suaire ; celui doit on apeler le mortel afublement, et maintes fois est cis garnimens donnés plus pour ciaus qui remaignent que pour ciaus qui s’en vont. Li secons amis, qui te convoioit tresques a la maison, senefie les parens a celui qui est trespassés, qui conduient le cors del mort jusques a la fosse. La fosse doit bien estre par droit apelee maisons desconneüe : quar nous qui en ceste mortel vie somes, ne savons que nous i trouverons, ne ne le connoissons encore de riens. Et quant nous i entrons ne savons nous encore que dire : donques doit on bien apeler cele maisons maisons desconneüe, et maisons dont on ne voit nule autretele.
«Li tiers amis qui te faisoit au par destroit compaingnie et qui te mostroit une chartre par laquelle il t’aquitoit de toutes les choses que liriches hom te demandoit, senefie les bones œuvres que li prodom fait en sa vie ; et est aussi conme li bons clers legistres qui hardiement desfent la caus son ami et le mainne a bone fin. Li fil et les filles, et li autre parent laissent en la fosse qui li convoient a ami, et en avant d’iloc ne li font il compaingnie. Qui respondera pour lui de quanques il avra eüe en cest siecle, de quanques il sot de quanques il pot? Il n’en portera riens devant lui de toute sa richoise fors solement une chartre ; et en cele chartre sera escrit quanques il avera ja fait de mal ne de bien : et s’il i a plus del bien que del mal, li biens l’alegera et le deliverra de quanques on li demandera ; et s’il i a plus des maus que des biens, li maus qui tous jours apoise, et traïst l’ome a terre le traira aval si que cil trebusche jusques en la tenebrouse maison d’infer.
«Rois Label, ore t’ai je devisé si com je croi de ton songe la senefiance. Ore me respont s’il te samble que je en aie voir dit. – Certes, fait li rois, il n’i a home en cest siecle qui mix le m’eüst devisé, au mien quidier, se cil meïsmes ne l’enseignast qui on apele Jhesu Crist.»

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire