mardi 23 août 2011

Le rêve dans la peinture



L'homme se retrouve inadapté dans cette société du XIXème qui a perdu ses repères. Il adopte une atttitude incertaine, souvent pessimiste et même désespérée, une tristesse sans cause précise et sans remède qu'on appellera le "mal du siècle". L'homme se réfugie dans les larmes, dans le rêve avec une fascination pour le macabre, l'hallucination, le fantastique. C'est un voyage pour les mondes irréels et imaginaires. L'homme est aspiré vers l'infini, vers l'ailleurs.
En rupture avec les siècles classiques ayant pour valeurs la logique, la clarté, la raison , les romantiques explorent les forces de la nuit et de l'imaginaire : rêveries, fantastique, hallucinations, folie.
L'homme est brumeux, le monde est noir, le ciel est sombre ;
Les formes de la nuit vont et viennent dans l'ombre ;
Et nous, pâles, nous contemplons.
Nous contemplons l'obscur, l'inconnu, l'invisible.
Nous sondons le réel, l'idéal, le possible,
L'être, spectre toujours présent.
Nous regardons trembler l'ombre indéterminée.
Nous sommes accoudés sur notre destinée,
L'œil fixe et l'esprit frémissant.
Nous épions des bruits dans ces vides funèbres ;
Nous écoutons le souffle, errant dans les ténèbres,
Dont frissonne l'obscurité...
Victor Hugo. – Les Contemplations – 1856
Heinrich Fussli artiste d’origine Suisse est peut-être le peintre le plus significatif du sublime, mouvement préromantique. De retour en Angleterre, devenue sa patrie définitive il y développe une importance activité littéraire et picturale, dans le cadre d’une inspiration préromantique, visionnaire et hallucinée, qui influence William Blake et la culture romantique anglaise.
L'œuvre de Fussli, où l’esthétique du sublime trouve une de ses expressions les plus intenses est chargée d’une inquiétude palpitante (cauchemar 1781, Francfort, musée Goethe). Une certaine ambiguïté et un léger érotisme caractérisent la période la plus tardive de l’artiste (la débutante, londres, tate gall). Son penchant pour les sujets pathétiques ou terrifiants, il s'approprie l'oeuvre de Michel Ange, et la fantaisie équivoque des maniéristes du XVI° siècle. Il prend pour sujet aussi bien Homère que Shakespeare,Milton, et Thomas Gray. Il réalisera surtout des dessins énergiques, animés de corps hypertrophiés et d'une sensualité vénéneuse. Rentré en Angleterre il reste fidèle à cette psychologie des ténèbres et réalise des chef d'oeuvres comme son Cauchemar de 1781. Au contraire de David il cherche des perspectives ouverte, et recherche chez le héros l'action violente et la musculature athlétique et chez la femme un surcroit de féminité. Il peint les moments violents traverssés par l'action des poètes tragiques et des grandes épopées. Il met en place au file de ses toiles un univers bizarre à l'imagination éffrénée. En 1778-1779 il réalise Le serment des trois suisses, cette oeuvre commémore l'émancipation helvétique. Guillaume Tell remplace Titedive et Plutarque et l'Histoire romaine devient l'histoire Suisse. L'imagination et la sensibilité l'emportent sur la raison. On estime que la sensibilité est un fluide plus sûr que la raison, car l'esprit humain se modifie avec le temps, tandis que le cœur ne change pas. Ces deux qualités toutes personnelles – l'imagination et la sensibilité – tournent naturellement l'homme vers lui-même d'où un certain égocentrisme.

cauchemar, les incubes de Fussli
" Cauchemar, les incubes"
1781, Francfort, musée Goethe


le cauchemar de Fussli
" Le Cauchemar "
1792, Collection privée
Fussli, avant la publication des eaux-fortes de Goya ouvre la voie du rêve avec le Cauchemar dont il existe plusieurs versions : la première est peinte en 1781 et exposée à l'Institut des arts de Detroit et les deux autres versions sont ultérieures (1790). Comment définir le cauchemar sinon comme un rêve qui tourne mal ? Le mot vient du vieil allemand mahra qui signifie étalon et se confond avec le radical mar, mourrir. On en trouve la trace dans les traditions populaires germaniques et anglo-saxonnes, où rêver d'un cheval est un présage de mort prochaine. Le fait est, en tout cas, qu'il place une tête de cheval fantômatique au centre de Cauchemar, son tableau le plus célèbre, dont il donne six réplique entre 1781 et 1792. Elle apparaît au dessus d'une femme endormie, couchée sur le dos et sur la poitrine de laquelle est assis un kobold (génie familier de la mythologie germanique). Cette œuvre picturale plonge le spectateur dans le monde des rêves les plus sombres. Il assiste à une scène onirique effrayante vécue par la dormeuse qui apparaît au centre du tableau. Le thème du cauchemar offre une double lecture : il désigne le type de rêve que le personnage féminin est en train de subir et il fait référence aux deux créatures nocturnes qui l'assaillent et qui, selon les légendes populaires, sont une incarnation du cauchemar. Cette œuvre démontre l'intérêt du peintre pour les notions philosophiques, car le tableau révèle une véritable esthétique du sublime dont les fondements théoriques sont ceux d'Edmund Burke exposés dans le traité A Philosophical Enquiry (1751). Dans le Cauchemar, la spécificité du sublime de Burke se lit dans trois champs qui dépendent à la fois du visuel et de l'émotionnel : l'obscurité, la gamme de couleurs sombres et l'impression de terreur chez la dormeuse. Chez Füssli comme chez Burke, le sublime est rattaché au sentiment d'effroi et donc à l'expérience de l'homme. Il n'est plus considéré comme dépendant de Dieu ni comme l'égal du superlatif du beau. Dans le tableau, c'est bien le sujet humain qui se soumet à la terrible vision. Deux sortes de sublime se distinguent dans le Cauchemar : un sublime du bien et un sublime du mal qui dépendent étroitement de la dychotomie angoisse-désir propre à l'onirisme du tableau. Le sublime du mal permet de mettre en lumière la dimension immorale de l'œuvre, tandis que le sublime du bien est lié à l'idée que l'irréel est source de plaisir terrible -- ce que Burke nomme « delightful horror. Le Cauchemar est un lieu où cohabitent des notions opposées : le visible et l'imperceptible, le sujet humain et le sujet animal, la représentation du réel et de l'irréel s'y côtoient. Le tableau aurait pour origine la passion amoureuse de Füssli pour la belle Anna Landolt, dont il fait le portrait et que son père refuse de lui donner en mariage. Et afin d'exorciser son cauchemar, il peindra en 1793 un tableau dans lequel figurent deux jeunes filles endormies avec, à l'arrière plan, le cheval qui fuit par une fenêtre ouverte, emportant au loin le cauchemar d'autres dormeurs.