mardi 4 janvier 2011

Rêve de Salomon



Rêve de Salomon
La nef
Autour de minuit, comme ils étaient tous endormis, il arriva que Salomon dans son sommeil vit descendre du ciel un homme avec une grande compagnie d’anges portant en leurs mains divers instruments qu’il était incapable de distinguer. Il vit néanmoins que celui que les anges accompagnaient se dirigeait vers la nef, prenait de l’eau pour l’arroser de toutes parts, et disait : «Cette nef figure ma nouvelle maison.» S’approchant ensuite du bord de la nef, il y faisait inscrire des lettres par l’un de ceux qui l’accompagnaient. L’inscription terminée, il disait : «On sera bien fou de transgresser cette recommandation.» Salomon vit en songe celui qui prononçait ces commandements ; il était d’une beauté indescriptible, ineffable. De saisissement, il s’éveilla ; ouvrant les yeux, regardant vers la nef, maintenant éveillé, il vit clairement la compagnie comme il l’avait vue dans son sommeil. Il voulut parler et appeler ceux qui l’entouraient : impossible d’émettre le moindre son, de faire le moindre mouvement. Aussitôt il entendit une voix : «Salomon, ton désir est accompli : le chevalier qui marquera la fin de ta lignée sur terre entrera dans cette nef ; il aura cette épée que tu lui as préparée, et saura la vérité sur toi. Personne n’y entrera s’il n’est tel qu’il doit être.»

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Après son séjour sur l’Île Tournoyante, le roi Nascien est rescapé par le navire du roi Salomon, son ancêtre. Le narrateur interrompt alors son récit et raconte comment Salomon, désireux de communiquer avec sa descendance, demande à Dieu de lui faire construire une nef qui porterait une épée destinée uniquement au chevalier qui marquerait la fin de sa lignée. Par le biais d’un rêve, Salomon voit son désir se réaliser ; à son réveil, il aperçoit une compagnie d’anges qui complète la construction du navire qu’il avait vu en rêve.
Texte original Entour mienuit avint, ensi com il dormoient tout, que Salemons vit en son dormant que devers le ciel venoit un home o grant compaignie d’angles, qui portoient divers estrumens en lor mains, mais il ne savoit deviser quels. Et nonpourquant il vit que cil a qui li angle faisoient compaingnie descendoit en la nef, et prendoit aigue, et arousoit la nef de toutes pars, et disoit : «Ceste nef est senefiance de ma nouvele maison.» Après venoit au bort de la nef et faisoit a un de ciaus de sa compaingnie lettres escrire. Et quant eles estoient escrites, il disoit : «Molt sera fols qui cest conmandement trespassera.» Salemons vit, en son songe, celui qui ces conmandemens disoit, garni de si grant biauté que cuers mortels ne le porroit deviser ne bouche dire : si en avoit tel merveille que il s’en esveilla et ouvri les ex ; et garda vers la nef et vit tout apertement la compaingnie tout en veillant ensi com il l’avoit veüe en son dormant ; et il vaut parler et apeler ciaus qui entour lui estoient, mais il ne pot parler ne remouvoir soi. Maintenant ot une vois qui li dist : «Salemon, tes voloirs est acomplis. Car li chevaliers qui ert fins de ton lignage en terre enterra en cele nef, et avera cele espee que tu li as apareillie, et savra vérité de toi. Ne ja nus n’i enterra se il n’est très com il doit estre.»

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