jeudi 17 mars 2011

Charles-Marie LECONTE DE LISLE : Le rêve du jaguar


Charles-Marie LECONTE DE LISLE   (1818-1894)

Le rêve du jaguar

Sous les noirs acajous, les lianes en fleur,
Dans l'air lourd, immobile et saturé de mouches,
Pendent, et, s'enroulant en bas parmi les souches,
Bercent le perroquet splendide et querelleur,
L'araignée au dos jaune et les singes farouches.
C'est là que le tueur de boeufs et de chevaux,
Le long des vieux troncs morts à l'écorce moussue,
Sinistre et fatigué, revient à pas égaux.
Il va, frottant ses reins musculeux qu'il bossue ;
Et, du mufle béant par la soif alourdi,
Un souffle rauque et bref, d'une brusque secousse,
Trouble les grands lézards, chauds des feux de midi,
Dont la fuite étincelle à travers l'herbe rousse.
En un creux du bois sombre interdit au soleil
Il s'affaisse, allongé sur quelque roche plate ;
D'un large coup de langue il se lustre la patte ;
Il cligne ses yeux d'or hébétés de sommeil ;
Et, dans l'illusion de ses forces inertes,
Faisant mouvoir sa queue et frissonner ses flancs,
Il rêve qu'au milieu des plantations vertes,
Il enfonce d'un bond ses ongles ruisselants
Dans la chair des taureaux effarés et beuglants.

Aurélien Ohayon : Le rêve du peintre


Le rêve du peintre

J'exhumerai tout l'or de ta riche crinière,
Source de mon déclin,
Noyant ma brosse usée, cette amie la plus fière,
Dans mon huile de lin.

Avant que tes doux yeux ne se révèlent austères,
J'accorderai les lois
D'un palais enchanté dont les profonds mystères
Se plieront à ta voix.

Puis je te quitterai, sous une nuit profonde,
Marchant vers un massif
Surplombant les forêts, l'aigle planant sur l'onde
Qui frappe le récif,

La lune illuminant les tons de ma palette
Et l'oiseau égaré,
Son blanc reflet vibrant dans l'oeil las de la bête
Tel un spectre effaré,

Et verrai mes tableaux se muer en prières,
Mon art voler en mot,
Et mon vieux chevalet, se confondant aux pierres,
Devenir un hameau.

Charles Baudelaire : Le rêve d'un curieux

 
Charles Baudelaire (1821-1867)

Le rêve d'un curieux

Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! "
- J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;

Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
Plus allait se vidant le fatal sablier,
Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
Tout mon coeur s'arrachait au monde familier.

J'étais comme l'enfant avide du spectacle,
Haïssant le rideau comme on hait un obstacle...
Enfin la vérité froide se révéla :

J'étais mort sans surprise, et la terrible aurore
M'enveloppait. - Eh quoi ! n'est-ce donc que cela ?
La toile était levée et j'attendais encore.

François Coppée, Le rêve du poète


Le Rêve du Poète

Ce serait sur les bords de la Seine. Je vois
Notre chalet, voilé par un bouquet de bois.
Un hamac au jardin, un bateau sur le fleuve.
Pas d'autre compagnon qu'un chien de Terre-Neuve
Qu'elle aimerait et dont je serais bien jaloux.
Des faïences à fleurs pendraient après des clous ;
Puis beaucoup de chapeaux de paille et des ombrelles.
Sous leurs papiers chinois les murs seraient si frêles
Que même, en travaillant à travers la cloison
Je l'entendrais toujours errer par la maison
Et traîner dans l'étroit escalier sa pantoufle.
Les miroirs de ma chambre auraient senti son souffle
Et souvent réfléchi son visage, charmés.
Elle aurait effleuré tout de ses doigts aimés.
Et ces bruits, ces reflets, ces parfums, venant d'elle,
Ne me permettraient pas d'être une heure infidèle.
Enfin, quand, poursuivant un vers capricieux,
Je serais là, pensif et la main sur les yeux,
Elle viendrait, sachant pourtant que c'est un crime,
Pour lire mon poème et me souffler ma rime,
Derrière moi, sans bruit, sur la pointe des pieds.
Moi, qui ne veux pas voir mes secrets épiés,
Je me retournerais avec un air farouche ;
Mais son gentil baiser me fermerait la bouche.
- Et dans les bois voisins, inondés de rayons,
Précédés du gros chien, nous nous promènerions,
Moi, vêtu de coutil, elle, en toilette blanche,
Et j'envelopperais sa taille, et sous sa manche
Ma main caresserait la rondeur de son bras.
On ferait des bouquets, et, quand nous serions las
On rejoindrait, toujours suivis du chien qui jappe,
La table mise, avec des roses sur la nappe,
Près du bosquet criblé par le soleil couchant ;
Et, tout en s'envoyant des baisers en mangeant,
Tout en s'interrompant pour se dire : Je t'aime !
On assaisonnerait des fraises à la crème,
Et l'on bavarderait comme des étourdis
Jusqu'à ce que la nuit descende...

- O Paradis !

Recueil : Promenades et Intérieurs.

Pablo Picasso : Le rêve

 
Picasso, Pablo
Le rêve 1932
130 X 97 cm - Huile
$48,402,500 (Enchère)
Christie's, New York - 1997

Le milliardaire de Las Vegas Steve Wynn qui a dû renoncer récemment à la vente de ce Picasso, après l'avoir perforé de son coude.  L'entente qu'il venait de conclure aurait faite de cette toile la plus dispendieuse au monde. Le prix convenu aurait été de $139M US. Le record du tableau le plus cher date de cet été avec le portrait d'Adele Bloch-Bauer I de Klimt pour $135M US.

Le blogue du Huffington Post raconte que l'incident est survenu alors que Wynn montrait la toile datant de 1932, à ses invités dans son bureau de Las Vegas. La scénariste américaine Nora Ephron aurait été la témoin de la scène.
Selon la rumeur, le milliardaire souffre de la maladie de rétinopathie pigmentaire, une maladie dégénérative de la rétine qui affecte la vision périphérique.
Le rêve a été acquis par Steve Wynn en 1997.

Note:
Le Rêve représente le portrait de la maîtresse du peintre, Marie-Thérèse Walter.