mardi 4 janvier 2011

Vision : Des pommes et des poires



Vision
Des pommes et des poires
Je le quittai très faible (comme un homme qui n’avait pas mangé depuis que le diable lui était entré dans le corps) pour dire sans retard mes heures et chanter la messe. Quand l’office eut pris fin, je revins à l’endroit où j’avais laissé cet homme de bien : je le trouvai endormi. Et moi, qui n’avais pas fermé l’œil de la nuit, je m’assoupis un peu. À peine étais-je endormi qu’il me vint une vision : j’étais près d’une source au pied du tertre, et voyais un homme qui me donnait des pommes et des poires. Je m’éveillai de ce somme, et me dirigeai vers le tertre où je trouvai l’homme auprès de la source. Quand il me vit, il m’apporta des pommes et les mit dans le pan de ma robe. Il me précisa que chaque jour, désormais, nous devrions venir chercher notre nourriture à cette source : ainsi l’ordonnait le Grand-Maître.

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Après avoir exorcisé un homme, le narrateur célèbre une messe, s’assoupit et fait un rêve prémonitoire qui lui indique où se nourrir à son réveil.
Notes
«Estoire del Saint Graal. Première partie de l’immense cycle de la Vulgate, mais le roman a été écrit vers 1230-1235, donc après le Lancelot-Graal proprement dit, pour lui servir d’ouverture. L’œuvre, une sorte d’Ancien Testament arthurien, relate la préhistoire du Graal depuis la Passion, où Joseph d’Arimathie recueille le sang du Christ dans le vase précieux, jusqu’à la mort de Lancelot, grand-père maternel de Lancelot du Lac et descendant de Nascien, contemporain de ce même Joseph. L’auteur prend comme point de départ le Joseph d’Arimathie de Robert de Boron et procède à une extension du processus généalogique et à une dilatation de la chronologie : alors que chez Robert de Boron, Perceval était le petit-fils de Bron, le beau-frère de Joseph d’Arimathie, l’écart entre Joseph et l’élu du Graal, Galaad, est ici étendu à dix générations. De plus, à l’histoire de la lignée des rois gardiens du Graal, l’auteur associe le récit de l’évangélisation de la Grande-Bretagne par cette même lignée. Pour réaliser cette double histoire, l’auteur anonyme (il refuse mystérieusement de dire son nom au début de l’œuvre), mais vraisemblablement ecclésiastique, fait appel à des textes très divers : outre Robert de Boron, sont mis à contribution des écrits apocryphes, la Navigatio Sancti Brendani, l’hagiographie bretonne, la légende de Tristan et surtout la Queste du Saint Graal dont il reprend les passages rétrospectifs (histoire de la nef de Salomon, combat de Nascien contre le géant, combat du roi Varlan et du roi Lambar…). Le texte n’a pas la qualité de la Queste : prose plate, tendance à la répétition et au poncif, abus des développements généalogiques, puisque tous les chevaliers de la Table Ronde et non plus les seuls élus ont une ascendance biblique. L’Estoire a été traduite en portugais en 1313.» [Article de Jean-Marie Fritz, in Georges Grente (dir.), Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen âge. Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zink, Paris : Fayard, 1992, p. 415.]
Texte original Atant le laissai molt vain conme celui qui n’avoit mengié puis que li diables li avoit entré dedens le cors ; si dis erranment mes eures et chantai la messe. Et quant li services fu finés, je reving la ou je avoie laissié le prodome ; si le trouvai dormant. Et si come je fui endormis, si m’avint une avisions, que je estoie emprés d’une fontainne au pié del tertre, et veoie un home qui me donnoit pomes et poires ; et je m’esveillai en cel somme, et me tournai au tertre, et trouvai l’ome a la fontainne. Et quant il me vit, si m’aporta des pomes et les me mist en mon giron ; et me dist que chascun jour des ore mais venissiens querre nostre viande a cele fontainne : ce conmandoit li Grans Maistres.

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