mardi 5 avril 2011

Paco de lucia : Punta del faro


Nino Miguel : Lamento


Nino Miguel : Vinos y caballos (Buleria)


Tomatito (Buleria)


Dénégation


Procédé par lequel, tout en formulant un de ses désirs, pensées, sentiments jusqu'ici refoulé, le sujet continue à s'en défendre en niant qu'il lui appartienne.

En 1925, Freud publia un court texte consacré à un phénomène assez particulier d'un point de vue psychanalytique: la négation. Ce procédé, parfois nommé dans les diverses traductions dénégation ou (dé)négation, consiste à permettre l'expression d'un matériel refoulé sans avoir à le prendre en compte puisqu'il est du même coup nié. L'exemple classique du patient parlant d'un personnage d'un de ses rêves en disant "ce n'est pas ma mère", montre bien comment un contenu refoulé (c'est ma mère) peut s'exprimer pour peu qu'il prenne la forme négative.
   Le texte sur la négation a pris une importance considérable en raison des débats qui ont mené à la distinction entre ce concept et celui de déni, hérité de la psychiatrie classique, qui, lui, fut théorisé par Freud surtout dans son texte de 1927 consacré au fétichisme et qui implique le refus de la prise en compte d'une perception.
   Pour le public francophone, le texte de 1925 sur La négation est aussi lié aux travaux de Lacan qui l'a utilisé dans sa réflexion menant à l'élaboration du concept de forclusion, une des clefs essentielle de sa théorie des psychoses.
Référence: En général, nous conseillons au lecteur de se référer à l'édition française des oeuvres psychanalytiques complètes de Freud qui constitue la traduction la plus récente de ce texte. Les textes étant présentés par ordre chronologique, il sera facile de le trouver s'il est dans un des volumes déjà parus. Ce texte se trouve aussi dans une autre édition dans le livre Résultats, idées, problèmes tome 2 publié aux Presses Universitaires de France dans la collection Psychanalyse. 
Concept créé par Freud pour désigner, au cours d'une cure analytique, un processus défensif qui consiste à énoncer des désirs, des pensées, des sentiments tout en ne les reconnaissant pas. Par exemple, un sujet qui dit : « il n'y a pas de rapport entre le désir de tuer mon père et la réussite avec cette jeune fille » opère une dénégation ; il perçoit quelque chose puisqu'il fait ce rapprochement, mais il formule un jugement négatif à l'égard de cette réalité. Seul le contexte de la cure permet au psychanalyste de dire qu'il s'agit bien là d'une dénégation et non d'un mode d'approche de la réalité par une négation logique.


Sigmund Freud, La Dénégation

1
"La façon dont nos patients présentent les idées qui leur viennent à l'esprit pendant le travail analytique nous donne l'occasion de faire quelques observations intéressantes. "Vous allez penser maintenant que je veux dire quelque chose d'offensant, mais je n'ai vraiment pas cette intention." Nous comprenons que c'est là le refus, par projection, d'une idée qui vient de surgir. Ou bien : "Vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve. Ce n'est certes pas ma mère." Nous rectifions : c'est donc bien sa mère. Nous prenons la liberté, lors de l'interprétation, de faire abstraction de la négation et d'extraire le pur contenu de l'idée. C'est comme si le patient avait dit : "C'est certes ma mère qui m'est venue à l'esprit à propos de cette personne, mais je n'ai pas envie d'admettre cette idée."


  [ 2 ]
A l'occasion, on peut se procurer très aisément un éclaircissement que l'on recherche sur le refoulé inconscient. On demande : "Qu'est-ce que vous tenez, en toute probabilité, pour le plus invraisemblable dans cette situation-là ? Qu'est-ce qui, pensez-vous, était alors le plus éloigné de votre esprit ?" Si le patient tombe dans le piège et qu'il nomme ce à quoi il peut le moins croire, il a, par là, presque toujours révélé l'exact. Une jolie contrepartie de cet essai se produit assez souvent chez le névrotique obsessionnel qui a déjà été introduit à la compréhension de ses symptômes : "J'ai eu une nouvelle obsession. En relation avec elle, il m'est tout de suite venu à l'esprit qu'elle pouvait signifier telle chose précise. Mais non, ce ne peut évidemment être vrai, sinon cela n'aurait pas pu me venir à l'esprit." Ce qu'il rejette, en se fondant sur ce qu'il a entendu de la cure, est naturellement le sens exact de la nouvelle obsession.


[ 3 ]
Un contenu de représentation ou de pensée refoulé peut donc se frayer un passage à la conscience, à condition qu'il puisse être dénié. La dénégation est une façon de prendre connaissance du refoulé, c'est en fait déjà une levée du refoulement, mais bien sûr, ce n'est pas l'acceptation du refoulé. On voit comment la fonction intellectuelle se sépare ici du processus affectif. À l'aide de la dénégation, seule l'une des conséquences du processus de refoulement est annulée, à savoir que son contenu de représentation n'arrive pas à la conscience. Il en résulte une sorte d'acceptation intellectuelle du refoulé, avec persistance de l'essentiel quant au refoulement (1).
Au cours du travail analytique, nous créons souvent une autre modification très importante et assez déconcertante de la même situation. Nous réussissons à vaincre également la dénégation et à imposer l'acceptation intellectuelle complète du refoulé, mais le processus de refoulement lui-même n'est, par là, pas encore levé.

[ 4 ]
Étant donné que c'est la tâche de la fonction intellectuelle de jugement d'affirmer ou de nier des contenus de pensée, les remarques précédentes nous ont conduit à l'origine psychologique de cette fonction. Nier quelque chose dans le jugement signifie en fait : voici quelque chose que je préférerais refouler. La condamnation est le substitut intellectuel du refoulement, son "non" en est une marque, un certificat d'origine, à peu près comme le "made in Germany". Au moyen du symbole de négation, le penser se libère des limitations du refoulement et s'enrichit de contenus dont il ne peut se passer pour son accomplissement. [ 5 ]
La fonction de jugement a essentiellement deux décisions à prendre. Elle doit attribuer ou refuser une propriété à une chose et elle doit reconnaître ou contester à une représentation l'existence dans la réalité. La propriété dont il doit être décidé, pourrait, à l'origine, avoir été bonne ou mauvaise, utile ou nocive. Exprimé dans le langage des plus anciennes motions pulsionnelles orales : cela, je veux le manger ou je veux le cracher, et en poursuivant la transposition : cela, je veux l'introduire en moi, et cela, je veux l'exclure de moi. Donc : il faut que ce soit en moi ou hors de moi. Le moi-plaisir originel veut, comme je l'ai exposé ailleurs, s'introjecter tout le bon, rejeter de soi tout le mauvais. Le mauvais, l'étranger au moi, ce qui se trouve au dehors, lui est tout d'abord identique(2). [ 6 ]
L'autre décision de la fonction de jugement, celle qui porte sur l'existence réelle d'une chose représentée, concerne le moi-réalité définitif qui se développe à partir du moi-plaisir initial (épreuve de réalité). Maintenant, il ne s'agit plus de savoir si quelque chose de perçu (une chose) doit être admis ou non dans le moi, mais si quelque chose de présent dans le moi comme représentation peut aussi être retrouvé dans la perception (réalité). C'est, comme on le voit, à nouveau une question du dehors et du dedans. Le non-réel, l'uniquement représenté, le subjectif, n'est présent que dedans ; l'autre, le réel, l'est aussi dans le dehors. Dans ce développement, la considération du principe de plaisir a été mise de côté. L'expérience a enseigné qu'il est important, non seulement de savoir si une chose (objet de satisfaction) possède la "bonne" propriété et donc mérite l'admission dans le moi, mais encore si elle est présente dans le monde du dehors, de telle façon qu'on puisse s'en emparer suivant le besoin. Pour comprendre ce progrès, il faut se rappeler que toutes les représentations sont issues de perceptions, qu'elles en sont des répétitions. A l'origine, l'existence même de la représentation est donc une garantie de la réalité du représenté. L'opposition entre subjectif et objectif n'existe pas dès le début. Elle se produit seulement par le fait que le penser possède la faculté de réactualiser dans la représentation, par reproduction, quelque chose de perçu une fois, alors que l'objet n'a plus besoin d'être présent dehors. Le but premier et immédiat de l'épreuve de réalité n'est donc pas de trouver dans la perception réelle un objet correspondant au représenté, mais bien de le retrouver, de s'assurer qu'il est encore présent. Une contribution supplémentaire à la différenciation entre le subjectif et l'objectif procède d'une autre aptitude de la faculté de penser. La reproduction de la perception dans la représentation n'est pas toujours sa répétition fidèle; elle peut être modifiée par des omissions et par fusions de différents éléments. L'épreuve de réalité doit alors contrôler jusqu'où s'étendent ces déformations. Mais on reconnaît comme condition de l'intervention de l'épreuve de réalité que des objets se soient perdus qui avaient procuré autrefois de la satisfaction réelle.
[ 7 ]
Le juger est l'action intellectuelle qui décide du choix de l'action motrice, met fin à l'ajournement du penser et fait passer du penser à l'agir. J'ai déjà traité ailleurs de l'ajournement du penser. Il est à considérer comme une action d'essai, comme un tâtonnement moteur effectué avec une faible dépense de décharge. Réfléchissons : où le moi avait-il auparavant exercé un tel tâtonnement, à quel endroit avait-il acquis la technique qu'il applique maintenant lors des processus de penser? Ceci eut lieu à l'extrémité sensorielle de l'appareil psychique, au point des perceptions sensitives. Selon notre hypothèse, la perception, en effet, n'est pas un processus purement passif, mais au contraire, le moi envoie périodiquement de petites quantités d'investissement dans le système de perception, au moyen desquels il goûte les excitations extérieures pour se retirer à nouveau après chacune de ces avancées tâtonnantes.


[ 8 ]
L'étude du jugement nous ouvre peut-être pour la première fois la compréhension de la naissance d'une fonction intellectuelle à partir du jeu des motions pulsionnelles primaires. Le juger est l'évolution finalisée de l'intégration au moi ou de l'expulsion hors du moi, qui résultent à l'origine du principe de plaisir. Sa polarité semble correspondre au caractère d'opposition des deux groupes de pulsions que nous avons supposés. L'affirmation - en tant que substitut de l'unification - fait partie de l'Éros, la dénégation - conséquence de l'expulsion - de la pulsion de destruction. Le plaisir général de nier, le négativisme de plus d'un psychotique, est vraisemblablement à entendre comme indice du démêlement des pulsions par retrait des composantes libidinales. Mais l'accomplissement de la fonction de jugement n'est rendue possible que par le fait que la création du symbole de négation a permis au penser un premier degré d'indépendance à l'égard des succès du refoulement, et par là aussi à l'égard de la contrainte du principe de plaisir.


[ 9 ]
Avec cette conception de la dénégation s'accorde très bien le fait que l'on ne trouve pas dans l'analyse un "non" provenant de l'inconscient et que la reconnaissance de l'inconscient par le moi s'exprime dans une formule négative. Il n'y a pas de preuve plus forte de la découverte réussie de l'inconscient que lorsque l'analysé y réagit avec la phrase: Je n'ai certes pas pensé cela, ou bien : je n'ai certes pas (jamais) pensé à cel a."

Notes

(1) Le même processus est à la base du processus bien connu de la "conjuration". "Comme c'est bien que je n'aie pas eu ma migraine depuis si longtemps!" Mais il s'agit là de la première annonce de l'accès dont on sent déjà l'approche, mais auquel on ne veut pas encore croire. [Image]
(2) Voir à ce sujet les développements dans "Pulsions et destin des pulsions". (Oeuvres complètes, V.)

------------------------------------------------------------------------------------------------------

La négation comme sortie de l’ontologie


L’objet de cet exposé est double : il s’agit d’abord de définir l’enjeu du texte de Freud sur La négation (Die Verneinung, 1925) au regard des élaborations philosophiques de la question qui datent de la même période. Il s’agit ensuite de caractériser la réflexion sur la négation comme partie intégrante d’une critique de l’ontologie et d’une réflexion sur les croyances, et cela en philosophie même. À ce titre, on remarquera une convergence entre Freud et Kant, ou, plus exactement, une manière intéressante de relire Kant grâce à Freud.
2 Frege s’intéressait aux « pensées sans porteur ». Freud, lui, s’intéresse à la négation parce que cet opérateur grammatical et logique lui paraît caractériser sur un mode particulier la manière dont un sujet « porte ses pensées ». Nier un contenu de pensée dans un jugement, c’est se mettre à distance d’un mouvement pulsionnel qui nous habite, grâce au fait que celui qui s’exprime se constitue en sujet de la connaissance qu’il prend de ce mouvement. Se mettre à distance, c’est refuser, dira-t-on. Mais les choses sont plus complexes. Car ce refus de quelque chose en soi-même qui prend la forme de la connaissance qu’on en prend n’est pas un refus absolu. Il y a pire, dans la vie de l’âme, que la négation. Il y a plus destructeur, pour soi et pour l’autre : il s’agit alors d’exclure radicalement ce qui nous fait mal dans ce qui, du coup, devient le dehors, hostile par constitution, qu’on n’admettra plus du tout en soi. Dont il ne saurait être question qu’il nous concerne. Ce que Freud appelle, à la fin de son texte, « le négativisme de tant de psychotiques » est cette conduite d’apparence linguistique incapable d’inventer le compromis avec le « mauvais » qu’invente au contraire la négation. Exclure, dire non à tout, c’est s’enfermer dans un refus absolu du monde, qui peut prendre la forme du mutisme ou d’un délire paranoïaque, dans lesquels les ressources de ces deux petits mots « ne... pas » ne sont pas trouvées. Au contraire, nier ou dénier – selon les premières traductions françaises de la Verneinung –, c’est aller faire une reconnaissance dans ce qu’on avait aboli en le rejetant sans parole dans les ténèbres extérieures. « Vous allez penser que je veux vous dire quelque chose d’offensant, avec cette idée qui me vient, mais non ce n’est pas le cas ». Telle est la structure de l’exemple dont part Freud, qui insiste sur l’aspect créateur du recours au langage, qui forme vraiment le sujet lorsqu’il sait employer les mots « ne... pas » de telle manière qu’ils enveloppent et fassent surgir de façon déterminée ce qui était rejeté. Les psychotiques au contraire, ceux qui disent « non » à tout bout de champ, ne parviennent pas à ce jeu avec ce qu’ils récusent que permet la négation.
3 C’est à dessein qu’en présentant comme il vient d’être fait la négation, en faisant se rejoindre dans un court-circuit le début et la fin du texte freudien, j’ai fait pour le moment l’économie de la rencontre avec la problématique logique du jugement. Freud, en effet, rencontre cette dernière puisqu’il est élève de Brentano. Mais en même temps, ce qu’il a à dire sur la négation vient d’ailleurs : d’une réflexion sur la proximité et la différence entre le réel extérieur entendu comme ce qui a été exclu de soi, et le pouvoir qu’a le langage, grâce à la négation, de revenir par le savoir sur l’exclu. Ce n’est pas une acceptation de ce qui a été exclu, mais c’est une possibilité de ne pas en rester à un « ne rien vouloir en savoir » si radical qu’il ne peut même se dire.
4 Pour que ce dispositif de la négation puisse s’effectuer, il faut que le sujet puisse méconnaître un contenu en l’attribuant à un autre : « Vous allez penser que [...], mais non, ce n’est pas le cas ! »; et, d’autre part, c’est le mauvais que détient l’autre. La réflexion freudienne ouvre donc sur une problématique de l’altérité et non pas sur une ontologie. La négation n’a pas rapport à la question du non-être, mais à celle de la violence exercée contre soi et contre l’autre. Si elle rencontre la logique du jugement, sur laquelle Husserl et Frege débattent, c’est que la liaison et la déliaison qu’effectue la copule dans les jugements respectivement affirmatifs et négatifs sont l’un des actes par lesquels les pulsions se structurent. C’est aussi que l’idée freudienne selon laquelle le réel est ce qu’on exclut de soi comme tellement mauvais qu’on n’en peut rien savoir fait paraître sous un nouveau jour la question du pli entre être et discours, que la logique élabore en distinguant le jugement d’attribution du jugement d’existence : ce n’est jamais qu’à son corps défendant qu’on saisit un élément de réel. Et ce corps qui se défend en pensant, c’est celui qu’organise la Verneinung. La négation n’a pas rapport au non-être, elle a rapport à la différence entre être exclu et exister. On se demandera s’il existe encore un dénominateur commun entre l’abord philosophique de la question de l’être, l’abord logique de celle de l’existence, et l’abord psychanalytique du réel. Pourtant, ces divergences se définissent dans l’examen de ce qu’est un jugement.
5 Mais venons-en d’abord au texte de Freud, qui a fait l’objet, en France, de nombreuses traductions et de non moins nombreuses lectures : la première traduction date de 1934; elle est due à H. Hoesli et parut dans la Revue française de psychanalyse (7,2). Mais c’est Jacques Lacan qui, en 1954, donna une impulsion aux réflexions sur ce texte qui pose la question des rapports de la psychanalyse à la philosophie, lorsqu’il invita Jean Hyppolite à le lire en même temps que lui-même. Les Écrits de Jacques Lacan, parus en 1966, rendent compte de cet échange, et l’apport d’Hyppolite a paru séparément dans les Figures de la pensée philosophique, tome I (PUF, 1971). La revue Le Coq Héron publia plusieurs commentaires et traductions en 1975 et 1976, Jean Laplanche fixa le texte ensuite dans l’édition des PUF en 1985. Par la suite, François Roustang, Monique Schneider sont revenus sur les enjeux du texte.
6 Freud part de trois énoncés qui accentuent plusieurs caractères de la négation : le premier met en valeur la violence, agie et récusée, d’une idée qui vient à un patient : « Vous allez maintenant penser que je vais dire quelque chose d’offensant, mais je n’ai pas effectivement cette intention ». Le second exemple précise que cette forme de méconnaissance suppose l’attribution à un autre, l’analyste, du contenu récusé qui surgit. « Vous demandez qui peut être cette personne dans le rêve. Ma mère, ce n’est pas elle ». Cette dimension d’altérité était déjà présente dans le premier exemple, mais là, l’attention explicite de l’analyste portait sur la violence du mouvement pulsionnel qui accédait au langage.
7 Le troisième exemple explicite le fait que la négation est comme l’emblème, la marque de fabrique de la connaissance comme mise à distance de soi, que les petits mots « ne... pas » soient ou non présents dans l’énoncé : « Que pou-vez-vous bien tenir pour le plus invraisemblable de tout dans cette situation ? Qu’est-ce qui, à votre avis, était le plus loin de vous ? Si le patient donne dans le piège et nomme ce à quoi il peut le moins croire, il a ainsi presque toujours avoué ce qui tombe juste ».
8 À partir de là, Freud fait la théorie des rapports entre connaissance consciente et refoulement par négation. Il s’exprime d’une manière paradoxale en disant que la négation montre comment « l’intellectuel se sépare de l’affectif ». Cette formulation a l’air d’une genèse abstraite et générale de l’intelligence, mais elle correspond plutôt à l’attention clinique au conflit interne d’un patient en analyse, et non pas à la contemplation d’une naissance de l’intellect... Connaître un contenu intellectuellement, c’est laisser persister l’essentiel du refoulement, c’est-à-dire le mouvement violent par lequel on récuse quelque chose qui vous traverse. L’important est ici de comprendre que la négation est une formation à double face, radicalement ambiguë : connaître, c’est refouler. Mais ce refoulement qui fige le sujet dans la méconnaissance est en même temps une conquête, et cela de deux points de vue : d’une part si on le compare, comme le dit la fin du texte, au négativisme, qui, s’appliquant à tout, ne permet pas de constituer un contenu déterminé autour duquel se forme le sujet; et, d’autre part, parce qu’il y a quelque chose de créateur dans ce refus. C’est ce point-là que Jean Hyppolite retiendra particulièrement en insistant sur le fait que la négation n’est pas un simple équivalent (Ersatz) de l’exclusion, mais qu’elle en est une suite (Nachfolge), qu’elle crée « la marge de la pensée ». Cette remarque d’Hyppolite aurait dû permettre de poser une question nouvelle : toute pensée conceptuelle est-elle soutenue par la négation ? Telle est l’une des voies d’accès à une interrogation psychanalytique sur le statut de la philosophie, c’est celle que j’ai mise en œuvre dans mon premier ouvrage sur Kant : La folie dans la raison pure (Vrin, 1990).
9 C’est pour préciser le statut ambigu mais créateur de la négation comme emblème du travail de la pensée qui transforme les enjeux pulsionnels de la vie de l’âme que Freud en vient ensuite à une théorie du jugement sous ses deux formes : jugement attributif et jugement d’existence. Du point de vue de la manière dont le sujet porte ses pensées, qui est celui de la psychanalyse, la liaison et la déliaison qu’effectuent les jugements attributifs respectivement positif et négatif concernent justement le destin de ce qui est exclu : dire « S n’est pas P », c’est séparer un sujet logique d’un prédicat, ce qui veut dire, par le truchement d’un énoncé qui porte sur le monde, séparer de soi quelque chose, alors que dire « S est P », c’est admettre en soi quelque chose, acte par lequel le soi comme espace interne est constitué. Freud joue ici explicitement sur l’étymologie du terme Urteilen, juger, qui veut dire séparation originaire. S’il peut être question d’un jugement affirmatif, c’est sur la base de cette activité judicatoire qui est d’abord une séparation. Du point de vue de la vie pulsionnelle qui s’élabore dans la pensée logique, il n’y a de réunion d’un sujet à un prédicat que comme une variation sur un pouvoir originaire de distinguer, c’est-à-dire de séparer celui-ci de celui-là. Or la négation est un destin de cette déliaison originaire, une possibilité d’en limiter les effets.
10 La construction logique du texte de Freud est complexe : on passe de la question de la négation à celle du jugement par deux raisons conjuguées : la première est que la négation est la « marque de fabrique » du refoulement qui s’instaure par l’entrée en action de l’intelligence. Freud s’autorise donc à passer de la question de la Verneinung à sa théorie du jugement en général, avec négation ou sans.
11 Le second fil logique qui relie les paragraphes sur la négation aux paragraphes sur le jugement est ce rapport entre déliaison et négation (qui en est un destin ultérieur). Le troisième fil concerne l’enjeu de la négation dans le jugement d’existence, et non plus dans le jugement d’attribution : du point de vue du jeu des pulsions, prononcer des jugements d’existence, c’est, non pas parler tout simplement du monde ou se prononcer sur la référence d’un énoncé, c’est tenter de retrouver dans la réalité extérieure l’objet de satisfaction dont la trace s’est inscrite en nous et a véritablement constitué nos désirs – par le réinvestissement de cette trace – dans leur spécificité. La négation est requise pour mettre en forme d’une part l’espoir de retrouvailles avec l’objet et d’autre part la désillusion par laquelle nous sortons de l’espoir halluciné de retrouver l’objet que nous décrétions nôtre avant toute mise en jeu de questions sur sa disponibilité. Le problème que Freud explicite mal concernant la négation dans son rapport au jugement est celui-ci : est-ce la même négation, celle qui nous fait faire la différence entre l’objet désiré que nous portons en nous et celui qui se trouve là – cet objet qui m’attire n’est pas exactement celui que j’aspirais à retrouver –, et celle qui nous permet de revenir, par l’invention d’une « marge de la pensée », sur ce que nous avions exclu, retranché de nous-mêmes, en le rejetant dans ce qui était devenu, par là même, l’extérieur ? Freud ne dit pas que la négation intervient dans cette épreuve par laquelle l’appareil de l’âme sort du régime hallucinatoire des pensées en élaborant une déception : pour que s’instaure le principe de réalité, il faut que cet appareil prenne acte du fait qu’« ont été perdus des objets qui avaient autrefois procuré une réelle satisfaction ». On peut néanmoins se poser la question.
12 Quoi qu’il en soit de cette question, ce qui caractérise cet abord freudien de la négation et son étude du jugement, c’est que Freud ne fait jamais porter la négation directement sur un non-être. C’est à l’intérieur des illusions propres aux fantasmes, c’est-à-dire aux traces en nous des premières satisfactions qui ignorent la différence entre le désir et la réalité, que la négation a à s’instaurer.
13 C’est donc, comme il le soulignait à propos de l’un des exemples cités, dans le cadre d’une problématique des hallucinations, des illusions et des croyances qui s’élaborent dans la pensée, et même dans la logique de la pensée, que Freud considère la fonction des mots « ne... pas ». C’est en ce point précis que son étude des croyances rejoint, sans le chercher, l’étude, par Kant, des illusions ou délires de la pensée en métaphysique, et particulièrement dans les raisonnements concernant le monde. C’est en ce point aussi, celui des croyances de la pensée que Kant, en 1781, s’avance assez loin dans l’idée que toute thèse métaphysique sur la réalité des objets extérieurs à nous est une croyance que règle la négation.
14 Commençons par le premier point : ce qui rapproche Freud de Kant, c’est que l’un et l’autre saisissent la fonction de la négation dans des jugements bien qu’ils s’intéressent à autre chose qu’à la simple forme judicatoire de la pensée prise en elle-même. Freud, on l’a vu, s’intéresse à la manière dont un sujet porte ses pensées, et, plus précisément, dont le sujet de la connaissance se forme en inventant un compromis sur ce qu’il récuse de lui-même, ce qui suppose le champ expérimental du transfert qui fait paraître la négation comme un certain aménagement de l’altérité, en l’autre et en soi-même. Kant, en soumettant à un nouvel examen la logique formelle, se demande dans quel cas la négation permet de former l’objet réel (conflit réel), et dans quel cas la négation rate la formation d’un réel (conflit dialectique). Dans aucun des deux cas la négation n’a de fonction ontologique : le conflit réel, introduit dès 1763, représente la manière dont s’énonce dans le discours une opération algébrique qui invente, dans le conflit des forces, une nouvelle forme de négation : cette dernière ne déchire pas l’être, comme dirait Frege, mais détermine un réel comme le corrélat objectif d’une opération qui écrit, dans la pensée :=0. Le mouvement d’un navire d’est en ouest est de 20 miles ; puis d’ouest en est sur la même trajectoire de 20 miles. Le résultat est nul, mais la détermination de cette nullité constitue le déplacement comme réel. C’est à cela que s’oppose, dans la « Dialectique transcendantale », ce que Kant nomme le conflit dialectique (Critique de la raison pure, dialectique transcendantale, septième section. Œuvres philosophiques, p. 1145 sq., PUF, Werkausgabe IV, p. 468 sq., Surkamp). Contrairement à ce qui se passait dans le cas des grandeurs négatives, le jeu de la négation ne constitue plus aucun réel, elle ne fait qu’en aménager le mirage, l’hallucination (Blendwerk).
15 Il s’agit pour Kant de montrer que lorsque deux jugements sont opposés l’un à l’autre et qu’ils ont l’air contradictoires du point de vue de la logique formelle, ils peuvent néanmoins être faux tous deux parce que leur opposition ne constitue rien de réel, ne parvient pas, contrairement à ce qui se passe dans le « conflit réel », nommé réel à cause de cette ressource même, à prendre un quelque chose dans le filet d’une opération intellectuelle.
16 Kant commence par un exemple dans lequel la « condition irrecevable » qui rend vaine l’opposition de deux jugements est banale, et pas encore transcendantale : « Si quelqu’un dit : tout corps ou sent bon ou sent mauvais, il se trouve alors un troisième cas, c’est qu’il ne sente rien du tout (qu’il n’exhale aucune odeur), et alors les deux propositions en conflit peuvent être fausses ». Il ne s’agit donc pas d’une véritable contradiction. Mais lorsqu’il s’agit d’une véritable contradiction, cette dernière n’a aucun pouvoir ontologique ou, au sens transcendantal, déterminant : « Mais si je dis : tout corps est parfumé ou n’est pas parfumé (vel suaveolens vel non suaveolens), alors les deux jugements sont opposés contradictoirement, et le premier seul est faux tandis que son opposé contradictoire, à savoir que quelques corps ne sont pas parfumés, comprend aussi les corps qui ne sentent rien du tout ». L’exemple suivant, qui concerne les raisonnements sur l’Idée de monde, explicite l’enjeu transcendantal : quand est-ce qu’un jugement négatif – ou la négation d’un terme d’une proposition car, pour ce qui intéresse Kant, ce n’est pas là le point décisif – détermine-t-il quelque chose et comment rate-t-il le « quelque chose » ? « Quand donc je dis : ou le monde est infini quant à l’espace ou il n’est pas infini (non est infinitus), alors, si la première proposition est fausse, son opposé contradictoire, à savoir que le monde n’est pas infini doit être vrai ». Seulement, Kant ajoute que cette dichotomie formellement bien formée n’a aucun pouvoir référentiel ou ontologique : « Je ne ferais par là que supprimer un monde infini sans en poser un autre, à savoir le monde fini ».
17 Dans le second exemple, l’opposition n’est pas une contradiction, mais l’enjeu de constitution d’un réel est décisif, et paradoxalement, c’est dans le cas où l’enjeu du réel est raté (comporte un effet d’illusion ou d’hallucination) que le philosophe fait apparaître cet enjeu : « Mais si je dis : le monde est ou infini ou fini (non infini), alors ces deux propositions pourraient être fausses. En effet, j’envisage alors le monde comme déterminé en soi quant à sa grandeur, puisque dans la proposition opposée je ne supprime pas seulement l’infinité, et peut-être avec elle toute son existence séparée, mais que j’ajoute une détermination au monde comme à une chose effectivement réelle en soi. Ce qui peut être tout aussi faux si, en effet, le monde ne devait pas être donné comme une chose en soi, ni par conséquent non plus comme infini ou comme fini quant à sa grandeur ». C’est donc lorsque dans une opposition de deux jugements, l’un ne se borne pas à contredire l’autre, mais qu’il dit quelque chose de plus qu’il n’est requis pour la contradiction, c’est-à-dire lorsqu’il se risque, fût-ce à contretemps, à décider de l’existence, que la négation est intéressante. Dans la critique que fait Kant du formalisme de la logique, sa théorie de la négation est un instrument essentiel. C’est autour d’elle, de l’étude de son pouvoir et des illusions dont elle est capable que se définit cet éloignement de l’ontologie qui a nom philosophie transcendantale. D’une autre manière que chez Freud, la négation et le jugement d’existence ont partie liée, chez Kant, mais dans les deux cas la question de l’existence suppose une traversée critique du régime hallucinatoire de la pensée.
18 D’une autre manière encore, la pensée de Freud et celle de Kant se croisent sur la négation, ou plutôt sur les négations. Ce pluriel est là à présent, pour rappeler que la Verneinung n’est pas la seule manière, en psychanalyse, d’inventer un compromis avec ce qui attaque ou menace l’âme, la Seele. Freud différenciait, comme on sait, la psychose, la névrose et la perversion comme trois manières de nier la différence des sexes : autrement dit, l’acceptation, par notre pensée et notre perception, de la différence des sexes nous oblige à sortir de la toute-puissance hallucinatoire de nos désirs. La psychose est un rejet absolu, une Verwerfung de ce qui est inassimilable – Jacques Lacan a traduit ce terme par le vocable de forclusion –, la perversion est un déni ou un désaveu de l’inassimilable, ce qui se dit en allemand Verleugnung, et la névrose nie ce qui dérange, au sens longuement développé précédemment de la Verneinung. Dans toutes ces formes d’expériences, la manière de nier produit des formes de certitude, de croyance, et, par là, de rapport à la réalité différentes.
19 Or il convient de s’étonner de trouver chez Kant, lorsqu’il réfléchit sur les illusions ou les délires (Wahn) qui habitent la pensée humaine lorsqu’elle raisonne sur le rapport de la pensée au réel extérieur, le même type de distinction que celle que Freud travaille pour caractériser les diverses formes de négation de ce qu’on appelle la castration. Lisons le texte de la première édition de la Critique de la raison pure, intitulée « Paralogisme de l’idéalité ». Dans ce texte, Kant établit la réalité des objets dans l’espace. Mais il ne procède pas par démonstration, il critique de l’intérieur les diverses positions métaphysiques qui nient la réalité des objets dans l’espace. Pour distinguer l’idéalisme dogmatique – Berkeley, par exemple – de l’idéalisme problématique – Descartes –, il emploie deux termes distincts : « L’idéaliste dogmatique serait celui qui nie (leugnet) l’existence de la matière, le sceptique celui qui en doute (bezweifelt), parce qu’il la tient pour non démontrée » ( Suhrkamp Taschenbuch, tome IV, p. 381; PUF, Œuvres complètes, tome I, p. 1449). Les deux thèses métaphysiques sont explicitement présentées comme des croyances (Glauben), dont il s’agit de sortir autrement que par une démonstration ; le tort de ces thèses, en effet, est de penser que le rapport de la pensée au réel pourrait faire l’objet d’une démonstration. Il s’agit donc de sortir de ces croyances par une « mise hors de doute » de la réalité des objets dans l’espace, dès lors que la réalité de ces objets est extérieure pour notre représentation et non pas en soi. Ces textes sont d’une grande portée puisqu’ils accomplissent deux actes décisifs à la fois : ils caractérisent des thèses métaphysiques comme des croyances forgées par des négations, et, parce que le philosophe accepte de cheminer à l’intérieur des illusions pour trouver le chemin qui permet d’en sortir, ils définissent la position métaphysique de Kant lui-même comme un certain type de croyance, d’évidence recevable parce qu’elle a su trouver le ressort des illusions précédentes. C’est la critique des illusions qui fait la vérité de l’idéalisme transcendantal joint au réalisme empirique.
20 L’idéalisme dogmatique et l’idéalisme problématique ou sceptique ont le tort d’opposer la certitude de l’intuition du sujet pensant par lui-même à l’incertitude des assertions sur la réalité des choses extérieures. Si le sujet n’est présent intuitivement à lui-même qu’à travers le temps, cette soi-disant disparité de la perception de soi et de la perception des choses extérieures tombe. Le sophisme commun à Descartes et à Berkeley, c’est de supposer qu’il y aurait un privilège du rapport à soi comme noumène sur le rapport aux choses extérieures. Mais puisque le temps est la forme du sens interne et l’espace celle du sens interne, la certitude de la réalité de soi-même et celle des objets dans l’espace sont du même ordre; elles sont toutes deux immédiatement certaines dès lors que l’espace et le temps sont en nous et pas dans les choses. Le texte multiplie les termes qui décrivent ce que la pensée peut admettre en elle comme réel (annehmen), laisser valoir (gelten lassen), accorder (gestehen), et il s’agit de laisser valoir le témoignage (Zeugnis) de la perception en comprenant dans quelles conditions transcendantales il se produit, au lieu d’extravaguer sur une supposée nécessité de démontrer l’existence des choses extérieures. Ce cheminement à travers les mauvaises et les bonnes formes de négation de l’existence de la réalité extérieure, cette idée qu’on ne va pas directement par des preuves à l’établissement de ce qu’est la réalité mais qu’il faut cheminer à travers les tentations d’illusions qui sont autant de négations mal placées pour trouver le juste jeu du négatif qui, en revenant sur les premières exclusions, met hors de doute la réalité des objets dans l’espace laisse à penser sur ce que pourrait être, dans le croisement entre la pensée de Kant et celle de Freud, une nouvelle pensée du rapport indirect des hommes à la réalité qu’aménagent les négations dont ils disposent.

Monique David-ménard

-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Logiques de la négation: l'Autre de la littérature

Bénédicte Coste
 
Ginette Michaux & Pierre Piret (éds.), Logiques et écritures de la négation, Paris, Kimé, 2000.
" Nous voyons ainsi le complexe d'Œdipe du héros pour ainsi dire dans une lumière réfléchie, en apprenant l'effet sur lui du crime de l'autre " (1) : commentant Hamlet et Œdipe en 1927, Freud fonde la psychanalyse en référence à la littérature tragique, dans une relation quasi-gémellaire où se définissent simultanément l'Autre et le Même. La psychanalyse est l'Autre de la tragédie, qui naît d'un déchirement lui-même tragique, se descelle de la tragédie pour se penser comme son Autre.
Les rapports entre psychanalyse et littérature ont donné lieu à de multiples écoles et méthodes qui, bien souvent, instrumentalisent l'une au profit de l'autre. Il est vrai qu'il n'est pas facile de maintenir la mise en tension qui fut celle de Freud, sans verser dans une dialectisation où la psychanalyse est sommée de délivrer la vérité du texte et parfois de l'auteur, à moins que la littérature ne vienne au secours d'une psychanalyse qui manquerait de matériel clinique… L'ouvrage dirigé par P. Piret et G. Michaux s'inscrit dans le cadre d'un dialogue avec la psychanalyse qui vise à ouvrir le champ littéraire sur son Autre et stimuler la réflexion dans les deux disciplines. Partant de la réflexion analytique sur la négation telle qu'elle s'est donnée dans les textes freudiens et lacaniens, l'ouvrage, qui rassemble des contributions de chercheurs belges, propose des analyses littéraires en regard de l'élaboration analytique.
Rappelons avec les éditeurs que Lacan définit trois grandes figures logiques de la négation : la dénégation, le rejet et le déni (ou désaveu) qui définissent chacune un rapport précis du sujet au langage. Ce rapport est à l'oeuvre dans les textes envisagés sous l'angle d'une " énonciation singulière ", où le lecteur peut " reconstituer les logiques de la négation sur le fond desquels elles s'enlèvent " (8). Il ne s'agit donc pas de recenser les marques de la négation dans une perspective grammaticale ou linguistique mais plutôt de repérer la façon à chaque fois unique à travers laquelle chaque sujet de l'énonciation donne à lire, nachträglich, l'effectuation de l'opération constitutive de son advenue au langage.
C'est dans cette perspective que s'ouvre l'ouvrage avec un chapitre sur " La négation comme principe fondateur de la structuration psychique dans la théorie psychanalytique " par C. van Vaerenbergh qui examine les textes freudiens et lacaniens consacrés à l'opération par laquelle le sujet reçoit et nie sa finitude. Examinant une dénégation clinique fort courante (" Ma mère, ce n'est pas elle. Nous rectifions : donc c'est sa mère […]. C'est comme si le patient avait dit : Certes c'est bien ma mère dont l'idée m'est venue à propos de cette personne, mais je n'ai aucun plaisir à donner crédit à cette idée " (2)), qui conserve ce qu'elle nie, Freud est conduit à poser l'existence d'une négation primordiale (la Verneinung), par laquelle le sujet opère la " négation de ce manque dont le poids ne peut être porté par la conscience " (11). La négation originaire est le fondement logique de trois structures psychiques qui sont, quant à elles, les formes d'une négation de cette castration. Il existe en effet " trois niveaux logiques où peut se réaliser la "négation de la castration", donnant lieu à trois logiques spécifiques de structuration psychique qui correspondent à trois modes de structuration de la réalité psychique et du savoir désignés par les termes névrose, psychose et perversion " (11). Dans les névroses, " la représentation séparée de l'affect est refoulée [verdrängt] tandis que l'affect se fraie un chemin d'expression dans une reconnexion non traumatique, dans les psychoses, représentation et affect sont conjointement rejetés, […] dans la perversion la représentation séparée de l'affect qui est refoulé est elle-même désavouée " (23).
Lacan parlera quant à lui de forclusion (Verwerfung) et de déni (Verleugnung) portant sur la représentation de la castration qui constitue dans tous les cas l'objet visé de la négation en tant que procédure de mise à l'écart. Le refoulement (Verdrängung) est la mise à l'écart de la castration sous l'aspect du signifiant phallique, (en tant que représentation de l'incomplétude et du manque), à travers la substitution métaphorique de cette représentation par un représentant (le signifiant du Nom-du-Père). Le rejet psychotique consiste à " ne vouloir rien savoir de la castration au sens du refoulement ", à une exclusion de l'ordre symbolique. Il marque un défaut au niveau de l'affirmation primordiale (Bejahung) et concerne le Nom-du-Père, c'est-à-dire le signifiant qui signifie la loi spécifique du langage et qui instaure le lieu du langage et l'ordre symbolique. Quant à la Verleugnung perverse, elle apparaît comme un " coup de force contre le langage " au point où s'établit sa garantie et à la production " en lieu et place du signe arbitraire, d'un signe motivé soumis à la volonté " (3) du pervers. Ce signifiant a été repéré par Lacan comme signifiant du manque dans l'Autre, répondant à la formule selon laquelle " il n'y a pas d'Autre de l'Autre ", c'est-à-dire qu'il existe une vacance au niveau du fondement de l'ordre du langage. Le Nom-du-Père représente la loi mais ne la fonde pas et c'est cette place vide d'un Autre de l'Autre que désavoue le pervers.
Pour les éditeurs, " la distinction freudo-lacanienne entre ces trois figures constitue un outil théorique remarquable pour l'analyse du texte littéraire " (8) comme le soulignent les trois études sur Claudel, Ponge et Baillon qui sont des " mises à l'épreuve d'écritures singulières relevant de genres différents " (9) et qui montrent que l'énonciation singulière à chaque auteur peut être mise en relief grâce à la " logique de la négation " (9).
Ainsi chez Baillon, le problème apparent d'une folie déniée et reconnue par les narrateurs successifs laisse place à une problématique où il s'agit de se dégager du " jugement aliénant porté par l'autre, afin de revendiquer le droit à une énonciation inventive, libérée des significations imposées " (9). Pour G. Hauzeur, " l'écriture de la folie chez Baillon relève d'une véritable stratégie qui consiste à feindre, en la niant, la folie pour finalement la faire reconnaître " (132). On est loin d'une " conception thérapeutique de l'écriture " car Baillon conquiert le droit de se faire reconnaître comme sujet par l'écriture de la folie. Il est le sujet d'un " consentement à la folie par l'écriture " (132).
Chez Francis Ponge, la stratégie tente de " contourner les effets énonciatifs de la négation primordiale : la phrase pongienne n'interdit pas son énoncé, elle le contredit (l'énonce et le dénonce dans le même moment) " (9). Ponge tente de " lever le processus de refoulement, déterrer le refoulé, qu'il qualifie de "représentation de l'oubli" " (141), écrit C. Hayez.
Quant à Claudel, l'affirmation qui signe son oeuvre est sous-tendue par une négation radicale. " La préférence négative de Paul Claudel " par P. Piret montre que Claudel, présenté comme l'homme d'une adhésion totale, s'interroge sur un " non ! " auquel il n'a cessé de se confronter : " cette affirmation est tendue vers une forme de négativité nodale qui en est la condition de possibilité " (84). La question de la négation permet ainsi de cerner " l'un des ressorts essentiels de cette oeuvre. […] Cette dénégation fondamentale se traduit dans l'écriture claudélienne par la coexistence deux "logiques de la négation différentes" " (80) illustrées dans le Soulier de satin par les deux figures de la négation que sont Dona Prouhèze et Rodrigue. Dona Prouhèze est la figure d'un consentement au manque dont elle comprend d'emblée la nature. Elle incarne le " non " qui la sépare de Rodrigue, s'identifie au désir de l'Autre, et s'abandonne au " dieu obscur " (Lacan) alors que Rodrigue doit quant à lui " consentir au manque et reconnaître que le salut n'existe qu'en Dieu ". Leurs trajets sont donc asymétriques puisqu'elle part d'où il va. Le " non " qui les sépare et qui (dés)articule l'oeuvre de Claudel n'est pas une " injonction surmoïque " référée à la figure d'un dieu imaginaire et tout-puissant, mais une dimension structurelle subjective que l'hypothèse de la dénégation originaire permet d'expliciter.
Exemplaire, la lecture de P. Piret vise à en finir avec l'image du poète de l'affirmation glorieuse qui présuppose une intentionnalité du sujet, que celui-ci ait affirmé ou qu'il ait masqué la dénégation sous le voile de l'affirmation : " [Claudel] aurait crypté son oeuvre, recouvrant d'un vernis imaginaire […] l'appel ultime qui en est le principe " (107). La " préférence négative " claudélienne " rend caduque l'idée même d'une signification véritable gisant derrière les écrans successifs — que le critique aurait pour tâche de lever, afin de dire le dernier mot du texte " (108). Elle a en outre des implications dramaturgiques comme le montre la dynamique dramatique articulée autour de la figure du paradoxe. Le Soulier de satin est une pièce baroque où le principe de finalité qui régit le drame est à la fois suspendu et affirmé. Rhapsode au sens de J-P. Sarrazac, Claudel emprunte la forme du drame moderne mais la soumet à sa discordance, " la brise et la réinvente " (110). L'étude de négation permet alors de comprendre le théâtre claudélien dans sa singularité absolue.

Au regard de la problématique de la négation de la castration par voie de refoulement, désaveu et rejet, l'ouvrage peut sembler ne pas couvrir le champ qu'il a ouvert. Les auteurs ont en fait évité le piège de la théorie confirmée par la littérature réduite alors au rang de soutien. L'ouvrage balise plus qu'il ne circonscrit et ouvre le champ d'une exploration de la dimension de la négation au sein du littéraire. On est dans le domaine de " l'exemplarité " plutôt que dans celui de " l'exhaustivité " (10).
Il fait également place à des pensées qui ont repris le concept de négation et se le sont approprié, qui " l'ont intégré dans leur propre discours et l'ont transformé " (9), comme celles de Derrida et Blanchot qui, à l'intérieur d'un ouvrage informé par la théorie psychanalytique, font entendre une " autre logique de la négation qui a trait à la négation originelle ". M. Lisse examine ainsi les textes de Derrida et montre qu'ils tentent d'échapper à la dialectique par la redéfinition du " concept troué de dénégation ". Concevant la dénégation comme trace antérieure à toute parole, Derrida " recherche une autre logique pour la dénégation, une logique du X sans X [" mort sans mort, parole sans parole, être sans être, nom sans nom, moi sans moi "] trouvée […] dans les textes de M. Blanchot " (66). En effet le " pas " des textes et titres de M. Blanchot ne relève ni de l'identité stable ni de la propriété sémantique ou syntaxique puisqu'il est à la fois nom et adverbe, qu'il " disloque l'identité de la chose ou du nom régie par le comme tel " (69). Si la dénégation freudienne " préserve le comme tel ou l'en tant que tel ", la dénégation dérridéenne possède un pouvoir de dislocation dû à la logique du X sans X, elle est " dissémination ", " oscillation infinie entre les possibles " (69).
L'ouvrage ne se résume donc pas à une démonstration univoque du bien-fondé de la psychanalyse mais, comme un coin, il inscrit la question de l'Autre (pensée) au coeur de la psychanalyse, reprenant la mise en tension originelle freudienne. Le lecteur de Claudel, Ponge et Baillon y trouvera ce que Lacan, dans le Séminaire XX, appelait son " miel ", le néophyte une excellente formalisation des concepts freudo-lacaniens, et le chercheur ne peut que profiter de l'exemplarité d'une recherche qui fait dialoguer psychanalyse et littérature sur le mode paradoxal d'une mise en tension où les discours s'opposent et se renvoient sans cesse l'un à l'autre.

Bénédicte Coste
Université Paul Valéry - Montpellier III

Notes

(1) Freud, " Dostoievski et la question du parricide ", Résultats, idées, problèmes, Paris, PUF, 1988, vol. II, p. 173.

(2) Freud, " La Négation ", Œuvres complètes, vol. XVII, Paris, PUF, pp 167-71.

(3) Henri Rey-Flaud, Comment Freud inventa le fétichisme … et réinventa la psychanalyse, Paris, Payot, 1994, p. 298, auquel C. van Vaerenbergh rend un hommage justifié pour ses travaux sur la perversion.

------------------------------------------------------------------------------------------------

Une anomie : la négation

Auteur : Michèle Dokhan 04/11/2007

Selon la définition de Pieron en 1951, l'anomie est un trouble de l'évocation des mots. C'est de ce trouble que parfois nous sommes saisis lorsque nous avons à penser l'articulation de notre clinique avec les concepts dégagés par Freud et Lacan.

C'est le langage qui instaure le sujet de l'inconscient ($), constitue le symbole et permet la pensée. L'illustration nous en est donnée par Lacan à partir du conte d'E. Poe : La lettre volée, lettre -en tant que signifiant- qui détermine la place du sujet et ses orientations. Lettre qui frappe le sujet d'une compulsion de répétition selon les termes de Freud ou d'un Réel qui "revient toujours à la même place", sauf à repérer les lois symboliques qui organisent les réseaux de lalangue aux travers du travail analytique : faire que du Réel puisse être symbolisé... Tel est l'un des enjeux de la cure qui viendra de surcroît alléger le symptôme. Mais dans l'actualité de nos prises en charge, le symptôme ne se décline plus tout à fait selon les modalités repérées jusqu'alors et avec Ch. Melman nous abordons ce qu'il en serait d'une nouvelle économie psychique.

1er point - Affect et percept : pour interroger le champ de la représentation

Nous savons avec Freud que toutes les représentations sont issues de perceptions dont elles sont les répétitions. Or, comme le remarque Gunther Anders dans "Nous, fils d'Eichmann", "l'homme apparaît comme le détenteur d'une capacité de fabrication infiniment supérieure à sa capacité de représentation limitée de par sa nature", notre champ de représentation et de perception sont confrontés à une démesure techno-scientifique telle que "nous devenons des analphabètes de l'émotion"... Plus l'appareil dans lequel nous sommes intégrés se complique, moins nous y voyons ; notre monde se soustrayant aussi bien à notre représentation qu'à notre perception devient obscur, notre sentir est devenu inopérant du fait de nos actions, car elles rejettent dans l'ombre le passé.
Quelques années plus tard, Lacan nous dit : "c'est que la caractéristique de notre science n'est pas d'avoir introduit une meilleure connaissance du monde mais d'avoir fait surgir au monde des choses qui n'y existaient d'aucune façon au niveau de notre perception." (leçon du 20.05.70 in "l'Envers")
Ainsi, "le refoulement opère avant même l'action", avance Anders, "et cela du temps de Freud personne n'aurait pu le déceler"... Pour le reprendre avec nos mots, la chose n'a de réalité pour l'homme que si elle est associée au langage. Ou encore, "l'affect est produit par la prise de l'être parlant dans le discours", cela suppose l'articulation du percept au langage. (l'Envers de la psychanalyse). Cependant que c'est la trace mnésique liée au principe plaisir/déplaisir qui permet la représentation (Vorstellung) dont le représentant sera refoulé. (in Entwurf).
Le jeu de la représentation s'appuie sur des objets déjà constitués et la perception ne prend son caractère de réalité que par l'opérateur symbolique qui prend appui sur la béance d'un vide pour amorcer le premier pas de tout son mouvement dialectique. C'est le "pas" ; pas de quelque chose sans une autre chose que l'on identifie sous la forme du Vel aliénant...
Dans le discours social, nous pouvons relever que le jugement qualitatif ne prend plus appui sur des élaborations mais sur des affects se résumant à un non pas "j'aime/j'aime pas", mais un "c'est nul", sans que le sujet puisse en dire quoique ce soit. S'agit-il alors d'affect ? Peut-on dire que, dans ce type d'énoncé, seul le percept serait engagé ? Une nouvelle économie psychique s'annonce, qui semble tenir d'une qualité particulière du refoulement ou en tous cas d'une topologie inédite, car si le refoulement opère la séparation entre représentation et affect, comment penser cette séparation si l'affect était en quelque sorte...quoi ? Irreprésentable ? Méconnu ? Récusé ? Dénié ? Et c'est peut-être cela qui viendrait affecter l'opération de refoulement, puisque, si nous reprenons la définition donnée par Freud dans Métapsychologie reprise par Lacan dans la Logique du Fantasme (leçon du 14.12.66), dans le refoulement il y a substitution d'une représentation à une autre et refus de traduction des premières sensations sexuelles ("Lettre 52"). (Versagung 24.05.61, Le transfert).
A titre d'illustration, un jeune cadre cravaté et costumé se trouvait récemment sur le quai à La Défense. Une jeune fille fume, il lui demande de cesser, elle l'envoie promener... il la pousse sur le train qui entre en gare. Elle en réchappe, on ne sait comment, en état de choc. Le jeune homme entouré par la foule n'a pas tenté de fuir. Que dit-il ? : "Ce n'est pas la peine d'en faire une histoire, elle n'a rien". Comment nommer cela... défaut de percept/d'affect ? Où est le sujet ici ? Quelle division ? Anders le définit comme "l'insuffisance de notre sentir, carence qui permet la répétition des pires choses" et annule le sentiment de responsabilité.
La science a déjà trouvé un antidote à ce "défaut". Un article de BBC News daté du 23.02.07 nous apprend qu'une équipe de recherche associant les Ecoles polytechniques et CNRS de la Suisse, la Françe, la GB, du Danemark travaille sur un projet : "Felix growing". Il s'agit de construire un robot qui, sur le modèle des oies de Lorenz, pourra s'attacher dés sa naissance au premier humain qu'il voit. La proximité physique et le contact avec cet humain lui permettra de déceler les états émotifs qui ont un impact sur la façon dont les robots doivent se comporter (peur, colère, bonheur, solitude) afin de pouvoir aider en "inter-action" les humains dans leur quotidien. Ils sont munis de capteurs auditifs et visuels qui leur permettront de déceler les expressions du visage et les schémas des mouvements. Un code de déontologie est déjà prévu pour régler les rapports des humains avec les robots (BBC News 07.03.07)
Si l'affect est le produit de la langue, par quoi le parlêtre se trouve déterminé comme objet, cet objet (a) du désir, si le percept prend cette modulation : "c'est nul" sans autre représentation, que pouvons-nous dire dès lors de la qualité du refoulement ? De son statut, de ses incidences ? N'avons-nous pas à interroger cet avertissement de Lacan : "Et, nous ne savons pas, pour la raison que nous n'avons jamais su, que nous étions chacun et d'abord déterminé par l'objet a, à mesure que le champ de la science s'étend dans ce foisonnement d'objets faits pour causer nos désirs, pour autant que c'est la science qui nous gouverne, ces objets pensez-les comme lathouses... ça rime avec ventouses". (leçon 20.05.70 L'Envers)

2me point - Pour interroger quelques signifiants majeurs du discours social

Transparence. Si le signifiant représente un sujet pour un autre signifiant, cela marque la division du sujet. Division qui va l'affronter au savoir du sexuel et produire du refoulement. Comment se représenter notre humanité façonnée par un parti pris de non-différenciation, d'équivalence, où A=A. Notamment les tentatives de forclusion sexuelle telles qu'elles sont induites par les théories du "sex-gender" qui font le jeu du discours dominant en privilégiant le contingent sur l'impossible, et produisent une culpabilité articulée plus sur l'impératif de jouissance (qui mène le sujet à l'impuissance) que sur l'interdit à jouir (qui éjecte le sujet selon les modalités du passage à l'acte ou de l'acting out).
Ainsi en est-il d'un couple marié depuis 10 ans, que je reçois en consultation. Chacun des deux autres partenaires se dit "perdu". Des voisins plus âgés d'une dizaine d'années leur proposent un jour une pratique échangiste. Pourquoi pas, une fois ? Mais cette demande se renouvelle et s'assortit d'un contrat de transparence posée comme absolue. Il n'est pas question de se rencontrer sans que chacun des partenaires en soit averti. Las, le contrat se déjoue, des liens se créent avec le nouveau partenaire. Des lapsus, actes manqués viennent l'indiquer et surviennent les conflits entre les deux couples et au sein du jeune couple que je reçois... l'égarement est majeur. Aucun fléau ne peut venir orienter cet acte ? Pas même un enfant né pour chacun de ces deux couples.
Qu'est-ce qui peut se faire, ou pas ? Faut-il continuer, former un nouveau couple ? L'un est-il équivalent à l'autre ? Que reste-t-il ? A quoi cela répond-il ? C.Melman parle de "pulsions expérimentales"... Le plus de jouir est expérimenté sous toutes ses variations. Aucun effet de vérité ne se dégageait pour ces sujets même dans l'après-coup de l'acte. Seul le fait que le contrat de transparence n'ait pas été soutenu est significatif du malaise. Je l'ai entendu comme une résistance du sujet à l'injonction de transparence à laquelle chacun s'était soumis, le signe du sujet de l'énonciation en tant que le sujet a bien été affecté. La dimension du mensonge ne permettait-elle pas en quelque sorte de rétablir un lieu de recel ? En tous cas, c'est à partir de ce point qu'un travail d'élaboration a pu s'engager.
L'autonomie. Autre vignette clinique.
Une jeune étudiante accompagne, très tôt le matin, une amie qui doit prendre l'avion. Elle revient à l'auberge de jeunesse où la nuit avait été agitée... une jeune en état d'ébriété avait cassé une vitre, elle en voit un autre se scarifier avec des éclats de verre et inviter à la mort quiconque veut se joindre à lui... sans qu'aucun responsable de l'auberge dans l'une ou l'autre de ces situations vienne border ces dérèglements. Dérèglements qui font penser au défaut de refoulement tel qu'il peut s'exposer dans la manie.
Enfin pour parachever cet horizon, elle voit dans le jardin, à peine à l'écart, un troisième se saisir de la main d'un camarade pour se faire masturber. Inquiète mais ne pouvant faire autrement, elle reste à l'auberge pour passer sa dernière nuit et va visiter quelques musées. De retour à l'auberge pour le soir, elle voit de nouveau le jeune scarifié tenir des propos confus. Elle en appelle au responsable qui lui suggère "d'appeler la police si elle le veut mais que lui n'a pas à s'en occuper."
Récusation ? Dénégation ? Il y a un "je sais bien mais... je m'en fiche !"... "Je m'en fiche du règlement, et de porter/représenter quelconque autorité, débrouillez vous, je m'en lave les mains." Est-ce cela "l'autonomus ego" dont Lacan parle, à savoir "cet ego à l'abri des conflits" ? (Leçon du 08.04.70 / L'Envers).
Voilà bien un des rejetons du principe "d'autonomie du sujet" qui laisse ce dernier désemparé, chacun peut donner libre cours à ses pulsions. L'autorité est un gros mot qui ne fait plus Loi, il n'y a plus personne pour la soutenir, sauf pour celui qui prend l'uniforme, mais alors sous la forme du bâton qui a mené quelques jeunes à se faire électrocuter !
Voilà un des écueils de notre modernité, aggravé pour l'infans. Ce dernier est d'emblée projeté dans cette autonomie qui le prive d'un temps de construction subjective, celui peut être d'être objet de l'autre avant de devenir individu : "c'est parce que l'enfant est objet partiel qu'il peut être introduit à la question du "che Vuoi"" (leçon du 15.01.58 Formations de l'inconscient). O. Rey a attiré notre attention, dans un essai : "Le fantasme de l'homme auto-construit", sur l'orientation des poussettes toujours tournée vers l'avant, privant l'infans du regard de sa mère, de ce Nebenmensch. (Une folle solitude. Seuil Sept 2006)
L'identité. Nous observons la prévalence de l'image ; l'image qui sous tend le consumérisme fait fonction de bord. Elle vient produire un rapport forcené à l'objet et accuse le trait identitaire communautaire.
Ce besoin identitaire ne serait-il pas l'effet de l'entame portée par le droit civil à l'autorité des père et mère à laquelle le sujet de droit enfant a été substitué. Comment peut-il ne pas désinvestir l'effet naturel de l'autorité si celle ci est placée sous le signe du danger ou de l'autoritarisme et si cette autorité est relayée par différents ayants-droit ?
Nous avons indiqué ailleurs les questions posées par la pluriparentalité et les incidences subjectives des lois réformant l'autorité parentale. Quand les parents sont désavoués, privés d'assise symbolique, le sujet est en quelque sorte privé d'un centre, d'un point de gravité, en déshérence et il suffira d'un trait pour le fixer à un maître.
Nous le savons avec Massenpsychologie, le trait identitaire peut prendre appui sur toute forme de communautarisme. Et, ici nous pouvons nous reporter au témoignage de E. Mann. (10 millions d'enfants nazis).
Quoi qu'il en soit, constatons une fois de plus combien cette bascule du discours vient porter atteinte au Symbolique. Le droit, en favorisant les droits subjectifs (versant Imaginaire), ne laisse plus de place à la dimension du Vide, il prétend répondre à toutes les plaintes, réparer toutes les souffrances, au prix d'une forclusion du Symbolique qui fait retour dans le Réel illustré par ces nouvelles lois qui, par ailleurs, prônent l'égalité en tout.
Signes que notre clinique nous renvoie, ce que d'autres nomment hyper activité ou TOC ou encore TOP, chargeant le juge, le gendarme ou le comportementaliste de mettre fin à ce désordre.

Un 3eme point - Pour interroger quelques faits de la langue

C'est dans la langue que nous trouvons le moteur de ce qui fait acte pour le sujet. Relevons quelques traits.
  1. Reportons notre attention sur l'étude magistrale de Klemperer- philologue allemand qui a étudié les effets du nazisme sur la langue allemande et ce qui pouvait s'en dégager dans le rapport à soi et aux autres. L'auteur pour définir cette langue du Troisième Reich la nomme LTI (Lingua Tertii Imperii).
    Un premier constat s'impose à lui : "tous, partisans et adversaires, étaient incontestablement guidés par les mêmes modèles... une homogénéité absolue de la langue écrite expliquait l'uniformité de la parole". Cette observation ne manque pas de renvoyer à la question de Ch. Melman lors d'une de ses interventions, en mai 2006, au Collège de l'ALI : qu'en est-il de la nature de ce langage qui se développe sur les courriers d'Internet, les blogs et les SMS ? Est-ce du langage écrit ou parlé ? ...un parlé-écrit.
    Klemperer notait que la LTI était une "langue très pauvre et monotone" qui ne faisait aucune différence entre la langue écrite et la langue parlée.
  2. Il remarquait aussi -dans les années qui suivirent la fin de ce régime- la survivance de la langue LTI dans "ces expressions venant du coeur" ou encore "Du milieu de l'être", reprises sans discrimination par tout un chacun (y compris ceux qui font office de penser) et, "alors même qu'ils voulaient lutter contre" l'état d'esprit fasciste "d'après-guerre."
    Telles expressions renvoient à ce qu'il en serait d'un automatisme mental, tant la langue produit des "phénomènes parasitaires" que nous pouvons retrouver " à travers des tournures, des formes syntaxiques qui furent/sont adoptées de façon mécanique et inconsciente : "cette langue cultivée qui poétise et pense à ta place" : les "pas de souci", ("Je voudrai 1 kg de pommes" - "Pas de souci, répond le vendeur") ; "y'a pas photo", "les victimes de/du... chômage, de l'immigration," (indiquer ici toutes les formes de victimologie qui fleurissent dans les discours ad hoc !) celles de la parité, "les exclus", les "c'est grave", "ça marche, ça l'fait".
    Tous ces clichés sont repris par les mass media qui nous rapportent - tronquant si besoin est - les informations politiques, privilégiant la rhétorique plutôt que la dialectique afin d'imposer un consensus à force de compassionnel.
    La législateur n'est pas en reste avec la loi sur le handicap ou encore la loi sur la prévention de la délinquance qui crée une nouvelle sanction : "la sanction réparation", obligeant l'auteur d'une infraction passible d'un an de prison "à remettre, dans la mesure du possible, la situation dans son état d'origine" et précise que "Les efforts consentis dans ce cadre devront correspondre à la souffrance physique ou morale supportée par la victime. " Le compassionnel est entré dans le droit ! C'est écrit.
    Dans une veine identique, l'affaire du "petit juge" d'abord encensé pour son âpreté à requérir contre les pédophiles désignés par les enfants victimes puis voué aux gémonies pour son manque de discernement et son acharnement par les mêmes. Affaire s'il en est qui illustre bien le système d'apensée qui régit le discours public et agit sur l'individu/sujet prêt à se jeter dans l'action en produisant acting out sur acting out.
  3. "Cette "novolangue" qui change la valeur des mots et les transforme assujettit la langue à son terrible système et gagne son moyen de propagande le plus puissant, le plus public et le plus secret", "cette langue où le domaine privé n'est plus distinct du domaine public" et que nous pouvons associer à notre concept très contemporain de "transparence" qui intervient dans tout domaine (médical, familiale, scolaire et éducatif, judiciaire...), "une vie sans murs", qui réduit ce qu'il en serait d'une possible altérité et engage tout un chacun sur les voies de la normativation.
    Evoquons la loi dite "pour l'égalité des chances", dont le dispositif vise à apporter une aide aux parents qui "éprouvent de graves difficultés dans l'exercice de leur devoir : Le contrat de responsabilité parentale
    Toutes informations relatives au domaine social, scolaire et sanitaire "devront être communiquées au maire afin qu'il puisse adresser les recommandations ad hoc et examiner les mesures d'accompagnement parental dès lors que la situation d'une famille est de nature à compromettre l'éducation des enfants, leur stabilité et qu'elle a des conséquences sur la sécurité et la tranquillité publique".
    Ainsi l'Etat par ses représentants unifie, dans la transparence, les champs des savoirs médicaux et psycho-pédagogiques par des prises en charge dites thérapeutiques ou judiciaires. S2 est en position de commandement par où l'autre n'existe que pour lui confirmer sa toute puissance. Ici il faut noter que S1 et S2 n'appartiennent pas au même espace or il semble que nous sommes en présence d'un collage S1/S2 , "une mise en continuité qui ne respecte plus la faille qu'il y a entre S1/S2 , ce qui entraîne une déliaison Symbolique/Réel propre à la logique paranoïaque" (Melman 19.10.2000 séminaire : Les paranoïas)
    Quand il n'y a plus de secret, plus aucun lieu de recel, les effets de la transparence de la pensée sont radicaux dans la psychose mais nous pouvons penser que si le discours social n'entraîne pas des effets aussi ravageants pour autant, ces effets sont tout autant inquiétants et notre clinique en témoigne.
  4. Un autre fait de lalangue nous réfère aux rêves de nos patients qui nous révèlent les indices d'une société qui se totalitarise autour d'un plus-de-jouir.
    Une patiente de 25 ans, agent artistique, rapporte en séance ce cauchemar qu'elle qualifie d'épouvantable : "Nous sommes réunis sur une place par des hommes souriants mais en même temps menaçants, vêtus de marques, dans une atmosphère qu'ils nous présentent comme festive.
    Des malles, des valises comme celles que nous voyons sur les photos de juifs parqués.
    Ils nous demandent de faire la fête et de nous conformer au concept... nous devons être branchés.
    Je refuse, je veux quitter cette place... C'était grotesque !
    Les gens autour de moi n'ont aucune expression, ils semblent indifférents, certains disent qu'ils n'y peuvent rien, d'autres que c'est excitant... Mon père me rassure... : "ce monde ne pourra pas s'imposer, il ne durera pas" ; cela me donne la force de m'enfuir "
    Sujets sans gravité, sans repère autre que celui de l'objet (marque, fête) que cette jeune fille dénonce dans son rêve en s'appuyant sur celui qui en connaît un bout : son père -qui occupe une place privilégiée dans le Monde des arts- mais ne se laisse pas séduire/fasciner par la rhétorique de ce management qui se met en place : "ça ne durera pas".
    Il est important ici de rendre hommage à une proche de H. Arendt, Ch. Beradt qui, à l'instar de W. Benjamin, a eu dès 1933 l'idée de recueillir 300 rêves pour rendre compte de l'emprise du discours nazi sur le psychisme et publia, "Rêver sous le IIIè Reich".
    Pour M. Leibovici qui en fait la préface, deux axes ont orienté cet écrit : "établir un rapport entre l'intime du sujet et le monde politique, inspiré non par des conflits de leur vie privée mais par ceux dans lesquels les a plongés l'espace public" et retenir "les rêves dans lesquels le sujet n'est pas directement soumis à la violence mais à l'impact de la frayeur diffuse et à l'atteinte des repères familiers du quotidien. "
    Nous pouvons renvoyer ici au relativisme ambiant qui à chaque question de société répond par un pourquoi pas... chacun est libre de faire comme il le sent. Si cet homme pense qu'il est femme pourquoi ne pas lui laisser la possibilité de se transformer ? Pourquoi faudrait il que l'enfant porte absolument le nom de son père, il peut choisir (lit-on dans les débats parlementaires).
    Le consumérisme vaut pour tous et pour tout tandis que l'auto-évaluation vient forclore le Réel. Il y a là surtout une forme de duplicité propre au fonctionnement de l'inconscient qui ne rejette rien, fait tout coexister ; or, note Ch Melman, si notre discours social évite, rejette le dogmatisme i.e un signifiant maître venant mortifier le sujet, du coup il n'y a plus rien à refouler, il n'y a plus de sujet du tout. (Leçon 22.10.99 Les Paranoïas).
    Rappelons que pour H. Arendt, l'atteinte au sens du Réel lui-même a pour effet de mener à la perte du contact avec la réalité , i.e la faculté de penser... tout se passe comme si le fictif devenait plus plausible que le perçu,et ce d'autant plus vivement que le percept du sujet est " traumatisé " par l'impact des images qui défilent sans cesse sous forme de publicité et informations visuelles catastrophiques auxquelles il est difficile de se soustraire sauf à décider que le téléviseur ne doit plus faire partie du champ familial, au moins jusqu'à ce que le jugement ait pu se former.
  5. Nous pouvons également rappeler l'observation de R.D Dufour dans "Télévision, socialisation, subjectivation", parue dans la revue Débat de décembre 2004 : "la télévision dans chaque chambre permet de donner satisfaction à chacun... c'est une démocratie sans discours ni discussion" ; c'est une nouvelle famille qui dans la multitude des programmes d'expression de soi constitue ceux qui la regardent comme une grande famille... en ayant les mêmes oncles raconteurs, une sincérité qui préside à tous les déballages intimes, balayant toute pudeur.
    Un nouveau type d'agrégat qu'il propose de nommer "formation égo-grégaire" afin de penser ce nouveau type de "foules" façonné au travers d'un "miroir audiovisuel" qui pose sa marque dès le plus jeune âge et constitue dès lors le mode majeur d'accès à la symbolisation.
    Le statut de l'image n'est pas celui de la parole, du discours, car l'image n'a pas d'adresse, elle n'interpelle pas et n'oblige pas à répondre, échappant ainsi à la fonction symbolique elle privilégie la rhétorique puisqu'il n'y a pas de voie/voix de retour dans le circuit... Voilà pourquoi les repères symboliques de personne, de temps et d'espace sont devenus problématiques, que fiction et réalité se confondent.
    Mais allons-nous regretter le petit écran qui disparaît au profit des jeux vidéos ?
    Jeux qui imposent dans le virtuel un Imaginaire terrifiant, à moins que nous ayons à parler ici de Réel, auquel enfants et ados sont collés comme des lathouses, et qui semble leur interdire, faire écran à toute représentation subjective tant la perception semble anesthésiée...
    Melman remarque que "les fantasmes mis à l'affiche, vous ne pouvez plus fantasmer", vous êtes dans le Réel. D'ailleurs, plusieurs d'entre nous ont remarqué, dans une cure avec des enfants, la nécessité de faire consister de l'imaginaire, tant celui-ci semble appauvri voire inexistant.
  6. Relevons une autre modalité de la parole : celle qui amène le tutoiement quasi automatiquement dès lors que vous partagez un même espace. Nous nous parlons comme si nous nous étions toujours connus. Il y a injonction à la familiarité, le nivellement réduit tout écart et dès lors que vous maintenez cet écart par le voussoiement, c'est-à- dire la prise en compte d'une altérité, vous devenez suspect ou antipathique. A quoi répond cette injonction ? Melman indique qu'il pourrait s'agir d'une défense, d'un moyen de prévention contre le risque d'agressivité que l'autre est susceptible de vous adresser... toujours cette logique paranoïaque.
Evoquons encore la façon dont la fonctionnalisation du langage permet d'immuniser le sujet, le rendant sourd à ses propres contradictions. Que signifie : "devoir de mémoire" ou "principe de précaution ?" "Fange, mollesse du langage, c'était un tissu mou qui s'effilochait. Une bile de mots" disait Antelme dans l'Espèce humaine, pour définir la langue qui se parlait au camp de concentration.
De même, il n'est plus de bon ton d'être "un intellectuel". Un jeune garçon de 12 ans, intelligent, de famille cultivée me disait à propos d'un camarade de classe : "c'est un intello" ; injure qui lui était réservée du fait de son côté fayot et délateur.
Pour cet enfant en cure, pris dans le travail des mots, il n'a pas été difficile de se représenter et d'associer sur ce que pouvaient signifier de telles torsions ou déplacement de sens, et notamment d'élaborer autour de ces expressions si communément dites qui visent à tuer ou massacrer l'autre.
Il est des lieux où le langage ne produit plus que ce type de mots - encore Antelme : "l'enfer ça doit être ça, le lieu où tout ce qui se dit, tout ce qui s'exprime est vomi à égalité comme dans un dégueulis d'ivrogne" même s'il s'agit de marquer quoi son affection, sa sympathie.
"Le chien n'a pas de langage, mais ce qui lui reste, ce qui est le plus proche du S1, c'est la charogne. La parole fonctionne comme charogne, grâce à quoi ce n'est jamais n'importe quand ou n'importe comment." (L'Envers. Leçon du 10.06.70.)

Pour conclure :

Le travail avec la langue, voilà ce qui fait le sel du travail analytique... alors même que tout concourt à nous rendre pessimiste sur le devenir du sujet qui est appelé par le discours technico-scientifique à être sujet de... avant d'être rabattu à l'état d'objet, nous pouvons, un par un, entendre s'assouplir ce tressage qui enferme le sujet dans l'objet, identifier l'opérateur symbolique qui peu à peu reprend sa fonction et engage le sujet dans sa division... autrement dit restituer le refoulement en lieux et place de la Verleugnung/récusation.

Dominique Desveaux a illustré dans son travail, La négation ou l'efficace symbolique, la procédure par laquelle un énoncé forclusif tombe avant de laisser place à un énoncé annonciateur/marqueur du refoulement. Il aura fallu passer par l'indexation des percepts avant d'en arriver au jeu des métaphores et c'est peut-être un point de clinique qui ne nous est pas habituel, car nous aurions à faire avec un suspend de nouage pour reprendre l'analyse de P.-C Cathelineau que je me propose d'illustrer pour les journées de décembre au travers de l'examen des lois de la famille.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------

La Négation ou l'efficace symbolique

Auteur : Dominique Désveaux 04/11/2007

La clinique actuelle nous met en face d'enfants pour lesquels la mise en place de la négation s'avère difficile. Qu'est ce qui fait efficace symbolique lorsque le symbolique est là, mais semble aplati par l'imaginaire maternel ? Autrement dit, que la mère n'est pas assez refoulante.
A la suite de Bergès, nous pourrions dire : Que se passe-t-il quand la mère n'anticipe pas pour son enfant ?
Comment, dans ce cas, l'enfant accède-t-il au NON symbolique ?
Il peut s'agir chez la mère d'un trait psychotique ou discordantiel, qui empêche l'enfant d'entrer dans le processus de la lecture et de l'écriture. Par exemple, une mère pour qui sa propre mère se "réincarne" dans sa fille. C'est ce qui a valeur d'impossible pour cette enfant. Les repères de son histoire sont camouflés par le dire maternel.
Mais cette butée du réel, de l'impossible, peut être effractée par le jeu des lettres que les cauchemars, les rêves et le dire de l'enfant sur ses dessins peuvent recombiner, dans une création-élaboration qui va devenir un texte à lire.
Le travail de la cure s'effectue en s'appuyant sur le trait de division du sujet, trait qui apparaît comme collabé, sans effet de coupure signifiant le sujet. La scansion introduite rend à la chaîne signifiante sa portée opérationnelle.
Ce texte, bien sûr, suppose un "bon entendeur", une adresse. Là où personne n'a écouté l'enfant.
Alors que cette mère ne pouvait faire le deuil de sa propre mère, son enfant pourra, elle, inscrire la mort de sa grand-mère maternelle, situant ainsi l'écart des générations, l'écart des places. La dialectique du FORT-DA pourra également être établie.
Car l'enfant instaure sa mère dans une présence nécessaire, et en même temps elle peut l'absenter :

  • Ce travail d'inscription permettra en effet à l'enfant d'être "autre" pour sa mère, celle-ci étant restituée dans sa méconnaissance.
  • "La lettre est ce qui est tombé du corps de la mère, c'est à dire "autre" pour l'enfant." (l'alettre et le signifiant. Bergès et Balbo)
    Cette lettre fait ainsi négation de l'image, effacement pour l'enfant.

La Négation ou l'efficace symbolique

Ainsi la négation, en tant que refoulement, a mis en place une représentation symbolique de l'objet comme manque, et nous dit Thibierge, "cette représentation est désignée comme l'Idéal du Moi, et corrélative des fonctions respectives du trait unaire et du phallus." L'enfant peut alors se saisir de sa pensée.
Le transitivisme massif chez cette mère pourrait réduire l'enfant à n'être que dans le même, figure de l'un totalisant. "L'opération de l'identification", nous enseigne Thibierge, "reste non réfléchie et transitive, alors que dans sa modalité seconde, l'identification est une forme réfléchie et intransitive."
Lorsqu'il s'agit chez la mère d'un trait névrotique, la mise en place de la négation chez l'enfant peut être également difficile. Par exemple, un enfant dont la mère énonce : "Chez nous de mère en fille quand il y a un problème avec un homme, on fait le ménage, du balai !" L'enfant se saisira du signifiant ménage pour demander à sa mère : "C'est quoi un ménage ?" Il pourra pointer le paradoxe maternel consistant à "faire ménage" en voulant exclure l'homme.
Cet enfant qui présentait des symptômes épileptiques, fera ainsi coupure avec la dérive maternelle, dans une lisibilité retrouvée de son histoire.
Les symptômes seront ainsi relayés par "ce qui ne cesse de s'écrire", le corps n'étant plus le lieu du déchaînement de la pulsion de mort, non nouée à l'anticipation maternelle. L'enfant reflète dans ses difficultés les impasses symboliques de ses parents, impasses toujours à interroger dans la logique du langage lui-même, transmis à l'insu des parents
La Verneinung va rendre possible l'énonciation, et initier métaphore et métonymie. Elle est le point de départ obligé de l'efficace symbolique.
Une dernière question malgré tout se pose : Que se passe-t-il, quand la récusation, symptômes de la "nouvelle économie psychique", risque d'abolir ce que la négation a autorisé ?