vendredi 11 mars 2011

Quelques additifs à l'ensemble de l'interprétation des rêves (1925)


Peut-on donner de chaque produit de la vie onirique une traduction exhaustive et fiable dans le mode d'expression de la vie éveillée (interprétation) ? La question ne doit pas être traitée dans l'abstrait, mais par référence aux conditions dans lesquelles on travaille à l'interprétation des rêves.
Nos activités intellectuelles tendent soit vers un but utilitaire, soit vers un gain immédiat de plaisir. Dans le premier cas, il s'agit de prendre des décisions d'ordre intellectuel, de se préparer à agir ou de communiquer avec autrui; dans l'autre cas, nous appelons ces activités jouer ou fantasmer. L'utile, on le sait, n'est lui-même qu'une voie détournée pour atteindre une satisfaction porteuse de plaisir.
Or, rêver est une activité du second type qui, vue sous l'angle de l'histoire du développement, est bien la plus originelle des deux. Il est fallacieux de dire que l'activité onirique applique ses efforts aux tâches imminentes de l'existence ou cherche à mener à bien les problèmes du travail diurne.
Ce sont là les préoccupations de la pensée préconsciente. quant au rêve, une telle intention utilitaire lui est tout aussi étrangère que celle de s'apprêter à communiquer avec autrui. Lorsque le rêve s'emploie à une tâche de l'existence, il la résout comme il convient à un désir irrationnel et non à une réflexion sensée. Une seule intention utilitaire, une seule fonction, ne peut être contestée au rêve : il doit prévenir les perturbations du sommeil. Le rêve peut être décrit comme un morceau d'activité fantasmatique au service de la sauvegarde du sommeil.
Il s'ensuit que ce qui est rêvé pendant la nuit est globalement indifférent au moi qui dort pourvu que le rêve s'acquitte de ce qui lui est assigné et que les rêves qui ont le mieux rempli leur fonction sont ceux-là mêmes dont on ne sait que dire au réveil.
S'il en va si souvent autrement, si nous nous souvenons de rêves même des années, voire des décennies plus tard -, cela signifie chaque fois une irruption dans le moi normal de l'inconscient refoulé. Ce n'est qu'au prix d'une telle réparation que le refoulé a bien voulu prêter son concours pour éliminer ce qui menaçait de perturber le sommeil. Nous savons que c'est effectivement cette irruption qui confère au rêve son importance pour la psychopathologie.
Si nous pouvons dégager le motif qui l'anime, nous recueillons des informations insoupçonnées sur les motions refoulées dans l'inconscient; si, d'autre part, nous annulons rétroactivement ses déformations, nous épions la pensée préconsciente dans des états de concentration intérieure qui, dans la journée, auraient échappé à la conscience.
Nul ne peut exercer l'interprétation des rêves comme activité isolée; elle reste une part du travail analytique. Au cours de celui-ci, nous portons notre intérêt, suivant les besoins, tantôt sur le contenu préconscient du rêve, tantôt sur l'apport inconscient à la formation du rêve, en négligeant souvent d'ailleurs l'un des éléments au profit de l'autre. Interpréter les rêves hors de l'analyse ne serait d'aucune utilité non plus à celui qui se proposerait de le faire.
Il n'échapperait sûrement pas aux conditions de la situation analytique, et s'il traite ses propres rêves, il entreprend son auto-analyse. Cette remarque ne vaut pas pour celui qui renonce à la collaboration du rêveur et veut découvrir l'interprétation de rêves par une saisie intuitive. Mais une telle interprétation des rêves qui fait fi des associations du rêveur reste, même dans le meilleur des cas, un morceau de bravoure qui n'a rien de scientifique et dont la valeur est fort douteuse.
Si l'on pratique l'interprétation des rêves suivant le seul procédé technique qui se justifie, on ne tarde pas à remarquer que le succès dépend entièrement de la tension de résistance qui existe entre le moi éveillé et l'inconscient refoulé. Le travail sous " pression de résistance élevée " exige même du psychanalyste, comme j'en ai débattu ailleurs, un autre comportement que pour une pression faible.
Dans l'analyse, on a affaire sur de longues périodes à de fortes résistances qui ne sont pas encore connues et qui, en tout cas, sont insurmontables tant qu'elles restent inconnues. Il n'est donc pas étonnant que l'on ne puisse traduire et exploiter qu'une certaine part des productions oniriques du patient, et ce, la plupart du temps, bien incomplètement. Même si, par sa dextérité propre, on est à même de comprendre de nombreux rêves à l'interprétation desquels le rêveur a peu contribué, on doit rester prévenu que la certitude d'une telle interprétation est contestable, et l'on se fera scrupule d'imposer ses présomptions au patient.
Ici, des objections critiques seront formulées : si l'on ne mène pas tous les rêves que l'on traite à une interprétation, alors on ne doit pas affirmer davantage qu'on ne peut soutenir; on doit se contenter d'énoncer : quelques rêves s'avèrent, à l'épreuve de l'interprétation, riches de sens, pour d'autres, on ne sait pas. Le fait même que le succès de J 'interprétation dépende de la résistance suffit à dispenser l'analyste d'une telle modestie. Il peut faire l'expérience d'un rêve qui, initialement incompréhensible, deviendra transparent dans la séance même, après qu'une explication heureuse est parvenue à écarter une résistance du rêveur.
Tout à coup, un fragment de rêve jusqu'alors oublié lui vient à l'esprit, apportant la clef de l'interprétation, ou bien une nouvelle association se met en place, aidant l'obscurité à se dissiper. Il arrive aussi qu'après des mois et des années d'efforts analytiques, on reprenne un rêve qui, au début du traitement, apparaissait absurde et incompréhensible, et qui se voit désormais complètement élucidé grâce aux acquisitions cognitives intervenues depuis.
Si, de plus, on emprunte à la théorie du rêve l'argument selon lequel les productions oniriques exemplaires des enfants sont de bout en bout porteuses de sens et facilement interprétables, on se trouvera fondé à affirmer que le rêve est très généralement une formation psychique interprétable, même si la situation ne permet pas toujours de donner l'interprétation.
Lorsqu'on a trouvé l'interprétation d'un rêve, il n'est pas toujours facile de décider si elle est bien " exhaustive ", c'est-à-dire si d'autres pensées préconscientes encore ne sont pas parvenues à s'exprimer par le biais de ce même rêve. Doit alors être tenu pour établi le sens qui peut se réclamer des idées qui viennent au rêveur, et de l'appréciation de la situation, sans que l'on puisse pour autant écarter chaque fois l'autre sens.
Ce dernier reste possible, même s'il n'est pas établi; on doit se familiariser avec la réalité d'une telle polysémie des rêves. Elle n'est pas, du reste, imputable dans tous les cas à une imperfection du travail d'interprétation, elle peut tout autant tenir aux pensées latentes du rêve elles-mêmes. Il nous arrive bien aussi dans la vie éveillée et hors de la situation d'interprétation du rêve de rester sans savoir si une manifestation que nous avons perçue, une information que nous avons reçue admettent telle ou telle exégèse, suggèrent outre leur sens patent encore autre chose.
On examine trop peu les occurrences intéressantes où le même contenu manifeste du rêve permet l'expression simultanée d'une série de représentations concrètes et d'une suite de pensées abstraites s'étayant sur la première. Trouver les moyens de représenter les pensées abstraites, voilà qui pose naturellement des problèmes au travail du rêve.
b) La responsabilité morale du contenu des rêves

Dans la section introductive de ce livre (La littérature scientifique que des problèmes du rêve), j'ai exposé de quelle manière les auteurs réagissent à cette réalité qui suscite un sentiment de gêne le contenu débridé des rêves contredit bien souvent la sensibilité morale du rêveur. (J'évite intentionnellement de parler de rêves " criminels " car je tiens pour totalement superflue cette qualification qui sort du champ de l'intérêt psychologique.)
De la nature immorale des rêves a résulté - on le comprendra un nouveau motif pour nier l'évaluation psychique du rêve. Si le rêve est le produit dépourvu de sens d'une activité psychique perturbée, alors évidemment toute raison d'assumer la responsabilité du contenu apparent du rêve disparaît.
Assumer la responsabilité du contenu manifeste du rêve est un problème qui a été fondamentalement déplacé, en fait éliminé par les élucidations de L'interprétation des rêves.

Nous savons maintenant que le contenu manifeste est un trompe-l’œil, une façade. Le soumettre à un examen éthique, prendre ses manquements à la morale plus au sérieux que ses atteintes à la logique et aux mathématiques ne nous apporte rien. quand on parle du " contenu " du rêve, on ne peut entendre, par là, que le contenu des pensées préconscientes et celui de la motion refoulée du désir qui sont mis à jour derrière la façade du rêve par le travail d'interprétation. quoi qu'il en soit, cette façade immorale a une question à nous poser.
N'avons-nous pas entendu dire que les pensées latentes du rêve ont à subir une sévère censure avant que ne leur soit accordée l'admission dans le contenu manifeste? Comment peut-il donc se faire que cette censure, d'ordinaire si vétilleuse sur des productions plus anodines, fasse si parfaitement défaut devant les rêves manifestement immoraux?
La réponse n'est pas à portée de la main et ne pourra peut-être pas être entièrement satisfaisante. On soumettra d'abord ces rêves à l'interprétation, pour ensuite trouver que certains d'entre eux n'ont pas heurté la censure car au fond ils ne signifient rien de mal. Ce sont d'inoffensives vantardises, des identifications qui visent à interposer un masque fallacieux; ces rêves n'ont pas été censurés parce que ce n'était pas la vérité qu'ils disaient.
D'autres cependant - le plus grand nombre, concédons-le - veulent vraiment dire ce qu'ils annoncent : ils n'ont subi aucune déformation par la censure. Ils sont l'expression de motions immorales, incestueuses et perverses, ou bien d'appétits meurtriers et sadiques. A maints rêves de ce type, le rêveur réagit par un réveil angoissé; dans ce cas, la situation nous est parfaitement claire.
La censure a failli à sa fonction, on le remarque trop tard, et le développement d'angoisse se substitue alors à la déformation qui n'a pas eu lieu. Dans d'autres cas encore de rêves similaires, cette manifestation d'affect fait également défaut. Le contenu choquant est supporté par le niveau d'excitation sexuelle atteint durant le sommeil, ou bien il bénéficie de l'indulgence que le sujet éveillé peut montrer aussi pour un accès de rage, une humeur coléreuse, une débauche de fantasmes cruels.
Notre intérêt pour la genèse de ces rêves manifestement immoraux se voit cependant grandement déprécié lorsque l'analyse nous apprend que la majorité des rêves - rêves innocents, rêves dépourvus d'affect et rêves d'angoisse -, une fois annulées les déformations dues à la censure, se révèlent être l'accomplissement de motions immorales du désir, qu'elles soient égoïstes, sadiques, perverses ou incestueuses. Ces criminels masqués sont, tout comme dans le monde de la vie éveillée, incomparablement plus fréquents que ceux qui vont à visage découvert. Le rêve sans détour des rapports sexuels avec la mère, qu'évoque Jocaste dans œdipe roi, est une occurrence rare au regard des rêves divers que la psychanalyse doit interpréter dans le même sens.
Dans ce livre, j'ai traité avec tant de précision de Cette caractéristique des rêves qui fournit en effet le motif de leur déformation que je peux désormais, sans plus m'attarder sur cette question, m'empresser d'aborder le problème qui se pose à nous devons-nous assumer la responsabilité du contenu de nos rêves? Par souci d'exhaustivité, ajoutons simplement que le rêve ne fournit pas toujours des accomplissements de désirs immoraux, mais souvent aussi des réactions énergiques à leur encontre, sous la forme de " rêves de punition ".
En d'autres termes, la censure du rêve peut se manifester non seulement par les déformations et le développement d'angoisse, mais elle peut, en rassemblant ses forces, aller jusqu'à extirper complètement le contenu immoral pour le remplacer par un autre, destiné à l'expiation, à partir duquel le contenu immoral est reconnaissable. quant à assumer la responsabilité du contenu immoral du rêve, c'est là un problème qui n'existe plus pour nous comme il se posait jadis aux auteurs qui ignoraient tout des pensées latentes du rêve et du refoulé dans notre vie psychique.
Il va de soi que l'on doit se tenir pour responsable des motions malignes de ses rêves. qu'en faire autrement? Si le contenu du rêve - bien compris - n'est pas le fait de l'inspiration d'esprits étrangers, il est alors une partie de mon être.
Si j'entends classer selon des critères sociaux les aspirations présentes en moi en bonnes et en mauvaises, je dois assumer la responsabilité de ces deux catégories, et si j'avance pour ma défense que ce qui, en moi, est inconnu, inconscient, refoulé n'est pas mon " moi ", alors je ne suis pas sur le terrain de la psychanalyse, je n'ai pas accepté les perspectives qu'elle ouvre et je peux être mis en défaut par la critique de mon entourage, par le désordre de mes actions et la confusion de mes sentiments. L'expérience peut m'apprendre que ce que j'ai renié en moi non seulement " est " en moi, mais également " agit " à l'occasion à travers moi.
Au sens métapsychologique, ce refoulé maléfique ne fait pas partie, il est vrai, de mon " moi " - si tant est que je sois un homme irréprochable - mais d'un " ça " soumis à mon moi. Cependant, ce moi s'est développé à partir du ça, il forme avec lui une unité biologique, il n'en est qu'une partie périphérique singulièrement modifiée, il subit ses influences, obéit aux incitations qui viennent du ça. Dans toute recherche de but vital, ce serait s'engager dans une voie sans issue que de séparer le moi du ça.
Du reste, même si je voulais céder à ma vanité morale et décréter que, pour toute évaluation éthique, je peux me permettre de négliger le mal contenu dans le ça et qu'il n'est nul besoin d'en rendre mon moi responsable, en quoi serais-je avancé? L'expérience me montre que je le fais tout de même, que je suis contraint de le faire d une manière ou d'une autre. La psychanalyse nous a fait découvrir un état morbide, la névrose obsessionnelle, dans lequel le pauvre moi se sent coupable de toutes sortes de motions mauvaises dont il ignore tout, auxquelles il est certes confronté dans sa conscience, mais qu'il lui est impossible de reconnaître comme siennes.
Un peu de cela se retrouve en tout être normal. Chose curieuse, plus il est moral, plus sa "conscience "est sensible. qu'on se représente en revanche que, plus quelqu'un est " fragile " et souffre à ce titre davantage des infections et des effets de traumatismes, plus il est en bonne santé. Cela vient assurément du fait que la conscience morale elle-même est une formation réactionnelle contre le mal qui est perçu dans le ça. Plus forte est la répression du ça, plus vivace est la conscience morale.
Le narcissisme éthique de l'être humain devrait se contenter de recueillir dans la réalité de la déformation du rêve, dans les rêves d'angoisse et de punition, des preuves patentes de son essence morale, tout comme il trouve par l'interprétation des rêves des justificatifs de l'existence et de la force de son essence maléfique. Celui qui, insatisfait de tout cela, veut être " meilleur "que sa nature ne l'y dispose peut toujours essayer de voir si, dans la vie, il réussit à produire autre chose qu'hypocrisie ou inhibition.
Le médecin laissera au juriste le soin d'établir à des fins sociales une capacité à assumer des responsabilités, artificiellement limitée au moi métapsychologique. Tout le monde connaît les difficultés auxquelles on se heurte en déduisant de cette construction des conséquences pratiques qui ne contrarient pas les sentiments des hommes.
c) La signification occulte du rêve

Que les problèmes posés par la vie onirique se succèdent à perte de vue ne surprendra que celui qui oublie précisément que tous les problèmes de la vie psychique reviennent aussi sous la forme du rêve, accrus de quelques autres qui relèvent de la nature particulière des rêves. Bien des choses que nous étudions sous le rapport du rêve - parce que c'est là qu'elles se révèlent à nous - n'ont pourtant rien - ou peu - à faire avec la spécificité psychique du rêve.
C'est ainsi que, par exemple, la symbolique n'est pas un problème du rêve mais un thème de notre pensée archaïque - de notre " langue fondamentale ", pour reprendre l'excellente formule du paranoïaque Schreber - et elle domine le mythe et le rituel religieux tout autant que le rêve; c'est à peine s'il reste à la symbolique du rêve la caractéristique de voiler essentiellement le matériel qui a une signification sexuelle! Le rêve d'angoisse non plus ne doit pas attendre son élucidation de la théorie des rêves, l'angoisse est bien plutôt un problème concernant les névroses, et il ne reste plus qu'à examiner comment l'angoisse peut naître dans les conditions de l'activité onirique.
Je pense qu'il n'en va pas autrement du rapport du rêve avec les prétendues réalités du monde occulte. Mais comme le rêve lui-même a toujours été quelque chose de mystérieux, on l'a étroitement associé à ces autres mystères inexpliqués. Historiquement, il pouvait certes y prétendre à juste titre car, dans les temps originels, lorsque notre mythologie se formait, les images du rêve ont pu avoir leur part dans la genèse des représentations de l'âme.
Il y aurait deux catégories de rêves qui sont à mettre au nombre des phénomènes occultes : les rêves prophétiques et les rêves télépathiques. En faveur de ces deux catégories plaide une masse incommensurable de témoignages, et contre elles l'aversion tenace, le préjugé de la science, si l'on veut.
Qu'il y ait des rêves prophétiques, en ce sens que leur contenu représente quelque mise en forme de l'avenir, cela ne fait pas l'ombre d'un doute; il reste seulement à se demander si ces prédictions vont coïncider de manière significative avec ce qui se produira effectivement par la suite. J'avoue qu'en l'espèce mon parti pris d'objectivité m'abandonne. qu'un travail psychique quelconque autre qu'un calcul perspicace soit en mesure de prévoir dans le détail le cours des événements à venir, voilà qui, d'une part, contredit trop toutes les espérances et tous les points de vue de la science et qui, d'autre part, correspond trop fidèlement à des désirs ancestraux et bien connus de l'humanité que la critique se doit de rejeter comme autant de prétentions injustifiées.
Je veux donc dire par là que, si l'on met en regard les récits le plus souvent précaires, naïfs et peu crédibles, les illusions mnésiques toujours possibles facilitées par l'affectivité et les quelques heureux hasards qui se présentent nécessairement, on peut s'attendre à ce que le fantôme des rêves prophétiques s'anéantisse. Personnellement, je n'ai jamais fait l'expérience ni entendu parler de quoi que ce soit qui puisse susciter un jugement plus favorable.
Il en est autrement des rêves télépathiques. Ici cependant, remarquons avant toute chose que nul n'a encore prétendu que le phénomène télépathique - l'enregistrement d'un processus psychique chez une personne par une autre par une voie différente de celle de la perception sensorielle - était exclusivement lié au rêve. La télépathie, encore une fois, n'est donc pas le problème du rêve; nul besoin d'étudier les rêves télépathiques pour y puiser un jugement quant à son existence.
Si l'on soumet les récits ayant trait à des phénomènes télépathiques (inexactement : transfert de pensée) à la même critique que celle qui nous avait servi à nous défendre d'autres affirmations occultes, il nous reste cependant un matériel considérable que l'on ne peut négliger si aisément.
De même, dans ce domaine, on réussit bien plus à collecter observations et expériences personnelles qui viennent justifier une attitude bienveillante à l'égard du problème de la télépathie, encore qu'elles ne puissent suffire pour établir une conviction assise sur des certitudes. On se forme provisoirement l'opinion selon laquelle il se pourrait bien que la télépathie existe effectivement et qu'elle constitue le noyau de vérité de beaucoup d'autres assertions qui, sans elle, seraient incroyables.
On fait certainement bien de défendre avec obstination, en matière de télépathie comme ailleurs, toute position de scepticisme et de ne céder qu'avec réticence à la force des preuves. Je crois avoir trouvé un matériel qui échappe à la plupart des réserves par ailleurs admissibles des prophéties non accomplies de diseurs de bonne aventure professionnels. Malheureusement, seules quelques observations de ce type sont à ma disposition; deux d'entre elles cependant m'ont laissé une forte impression. Il ne m est pas donné d'en faire part de façon assez détaillée pour qu'elles puissent agir aussi sur autrui. Je dois me borner à mettre en évidence quelques points essentiels.
Les personnes concernées s'étaient donc - en un lieu étranger et par un diseur de bonne aventure étranger qui, ce faisant, se livrait à quelque pratique probablement indifférente - entendu prédire pour une date déterminée quelque chose qui ne s'était pas vérifié. Le terme de la réalisation de la prophétie était passé depuis longtemps. Il était frappant de voir que les personnes, loin d'être railleuses ou déçues, répondaient de leur aventure avec une satisfaction non dissimulée.
Dans le contenu de la prédiction qui leur avait été faite se trouvaient des détails très précis qui paraissaient arbitraires et incompréhensibles et qui n'auraient été justement légitimés que par leur vérification. C'est ainsi, par exemple, que le chiromancien dit à une femme âgée de vingt-sept ans - mais d'apparence beaucoup plus jeune - qui avait retiré son alliance, qu'elle finirait par se marier et qu'elle aurait deux enfants à trente-deux ans. Cette femme avait quarante-trois ans lorsque, devenue gravement malade, elle me raconta ce fait dans son analyse; elle était restée sans enfants.
A condition de connaître son histoire intime, qui était certainement restée ignorée du " Professeur " dans le hall de l'hôtel parisien, on pouvait comprendre les deux chiffres de la prophétie. Après avoir porté à son père un attachement d'une intensité peu commune, la jeune fille s'était mariée et avait alors ardemment désiré avoir des enfants pour pouvoir substituer son mari à son père. Après de longues années de déception, au seuil de la névrose, elle sollicita la prophétie qui lui promettait le destin de sa mère.
Pour cette dernière, il était exact qu'elle avait eu deux enfants, à trente-deux ans. Ainsi, ce n'est qu'avec l'aide de la psychanalyse qu'il fut possible d'interpréter dans toute leur signification les particularités de l'heureuse nouvelle qui émanait d'une source prétendument extérieure. Mais alors, on ne pouvait mieux élucider la totalité des faits précisés sans aucune équivoque que par l'hypothèse qu'un fort désir inconscient de la consultante - en réalité, le désir inconscient le plus fort de sa vie affective et le moteur de sa névrose en éclosion - s'était manifesté par un transfert direct au diseur de bonne aventure absorbé par des manipulations de diversion.
J'ai également eu l'impression, au fil des essais pratiqués dans le cercle de mes intimes, que le transfert de souvenirs à tonalité fortement affective réussit sans difficulté. Si l'on se risque à soumettre à un travail analytique les idées de la personne sur laquelle le transfert doit se porter, des concordances souvent se feront jour qui, sinon, seraient restées méconnues. Fort de plus d'une expérience, je suis enclin à tirer la conclusion que de tels transferts se réalisent particulièrement bien au moment où une représentation émerge de l'inconscient - ou bien, pour m'exprimer en termes théoriques, dès qu'elle passe du " processus primaire "au " processus secondaire ".
Malgré toute la prudence requise par la portée, la nouveauté et l'obscurité du sujet, j'ai considéré qu'il n'était plus du tout justifié de garder pour moi ces propos relatifs au problème de la télépathie. Tout ceci ne concerne le rêve que dans cette mesure s'il y a des messages télépathiques, il est indéniable qu'ils peuvent aussi atteindre le dormeur et être appréhendés par lui dans le rêve. En effet, si l'on procède par analogie avec du matériel perceptif et idéationnel autre, on ne peut non plus écarter l'idée que des messages télépathiques qui ont été enregistrés durant la journée ne soient soumis à élaboration que dans le rêve de la nuit suivante.
Il n'y aurait pas même à redire si le matériel parvenu par télépathie était, dans le rêve, altéré et transformé au même titre qu'un autre. On aimerait bien, à l'aide de la psychanalyse, augmenter ses connaissances en matière de télépathie et les assurer plus solidement.

S. Freud

Association libre


La libre association est une des règles fondamentales de la psychanalyse qui, posée dès le début de la relation analytique, va donner à celle-ci son intention de libre communication. La mise au point de cette méthode permis à Sigmund Freud d’abandonner la technique de l’hypnose*.
La libre association invite le sujet à dire spontanément tout ce qui lui vient à l’esprit sans aucune autocensure, sans retenue, sans honte ni préjugé. Le patient doit oser verbaliser toutes ses idées et émotions sans exception, quand bien même et surtout si elles lui apparaissent repoussantes, inintéressantes, voire culpabilisantes. Les pensées ainsi associées et verbalisées constituent l’essentiel du matériel de travail durant les séances psychanalytiques. L’absence de concentration dont fera preuve l’individu permettra un abaissement des résistances. Freud a exploité cette technique pour la première fois avec ses patientes hystériques qui lui ont indiqué clairement  cette voie en 1895.
Le choix des associations, le fait qu’elles apparaissent à la conscience, est un processus défensif propre à chaque individu, il est donc lourd de significations et de symboles, d’éléments inconscients et de résistances utiles au thérapeute.
Partant du principe que, dans le cadre analytique, la pensée de l’individu conduit vers ce qui est représentatif du refoulé, la libre association devient une chaîne significative d’éléments qui laisse percevoir à l’analyste la nature de la demande du sujet. En effet, malgré une apparente incohérence, les associations effectuées ne sont pas le fruit du hasard, elles expriment de façon plus ou moins allusive (selon l’intensité de la résistance* mise en place), la nature du refoulé* et permettent aux défenses inconscientes de se dévoiler.
Comme pour le rêve, plusieurs chaînes de contextes différents peuvent apparaître dans le discours associatif de l’individu, elles forment alors un complexe* et les endroits où elles se recoupent sont des points nodaux.

Expression utilisée en psychanalyse pour désigner l'objet de la règle fondamentale, laquelle consiste pour le patient à exprimer toutes les pensées (idées ; images ; Einfall, dit Freud, « ce qui tombe » dans l'esprit) sans discrimination aucune et de manière spontanée. L'école de Zurich et Jung utilisèrent des « mots inducteurs » (images, idées, nombres, etc.), qu'ils proposaient aux malades. Par une telle règle, on tend à éliminer les choix volontaires des pensées (c'est-à-dire la censure, dite seconde, entre le conscient et le préconscient) ; ainsi se révèlent des défenses inconscientes, soumises à la première censure, entre le préconscient et l'inconscient. Dans la mesure où cette règle est en quelque sorte inapplicable dans toute sa rigueur (la pensée allant plus vite que sa traduction dans le langage, mais surtout en raison des réticences acceptées ou incon […]

La libre association d’idées est la base de tout travail psychanalytique. Pendant les séances, le patient évoque tous les mots, les événements, les expressions, les personnes qui lui viennent à l’esprit. Dans cette perspective, cette « libre expression » permet au patient de faire le point, lui même, sur les origines de son mal être. La libre association d’idées est une invitation au voyage dans son inconscient. Le psychanalyste n’intervient que très rarement pendant la séance.
Dans la psychanalyse on peut considérer trois engrenages, comme des mouvements enchevêtrés qui eux mêmes auraient des ramifications:
  • la métapsychologie (dont les trois principes organisent le fonctionnement psychique : la perspective topique, dynamique, économique)
  • La recherche de significations inconscientes de la parole, du comportement ou des productions de l'imagination (lapsus...)
  • La cure psychanalytique par la méthode de la libre association. En général, elle est effectuée à la demande du patient qui souhaite s'aventurer dans son inconscient et se découvrir pour mieux se comprendre et se connaître ou se reconnaître. Aussi, l'approche est souvent pour soigner les petites ou grandes névroses qui résonnent au quotidien et qui gène le devenir gracieux. C'est pourquoi Freud, insistait sur le fait que si la psychanalyse est "une méthode de traitement des désordres névrotiques", son primordial but n'est pas de guérir en éradiquant le symptôme, mais bel et bien en aboutissant à « la récupération de ses facultés d'agir et de jouir de l'existence». C'est à partir de là, qu'il n'est plus possible de comparer la psychanalyse à toute autre thérapie visant à soigner un malade, la psychanalyse ne soigne pas les psychoses, elles visent à découvrir ses névroses et à les transformer en autre chose de positif.


Les différents courants psychanalytiques et les différentes théories se rejoignent pour mieux se compléter. Elles apportent aujourd'hui à l'étude comportementale et à la psychologie clinique un atout majeur dans l'approfondissement de la vie mentale des patients. Elles ont permis d'envisager le symptôme sans l'isoler, mais bel et bien en fonction de l'histoire passée, des accidents de parcours du patient, tout en prenant en considération leur potentiel renouvellement et leur possibilité de formuler des désirs refoulés.

Deux méthodes sont utilisées à l'époque :

La méthode cathartique, qui doit beaucoup à Joseph Breuer, et qui consiste à mettre le patient sous hypnose afin de découvrir l'origine des symptômes hystériques. Symptômes qui semblent - ils, doivent disparaitre lorsqu'on répète au malade une fois réveillé ce qu'il a révélé sous hypnose. La remémoration et la ré-actualisation émotionnelle des scènes traumatiques conduisent alors à la guérison. C'est cette méthode qu'Anna O. appelait aussi « talking cure ».

l'association libre, qui vise à favoriser la remémoration en invitant le patient à dire librement ce qui lui vient à l'esprit, et en travaillant sur les chaînes associatives. Ceci permet de mieux comprendre les diverses appréciations de Freud lui-même quant à la naissance de la psychanalyse :
Freud se démarqua de Breuer, en acceptant l'importance de la dynamique sexuelle dans le développement de la psychopathologie. L'hystérie est alors conçue comme conséquence d'un trauma sexuel. Cette approche permis ensuite de comprendre la névrose obsessionnelle, ainsi que la phobie, également nommée hystérie d'angoisse. Carl Gustav Jung, entre autres fait évoluer Freud car, il accepte des points de vue qu'il intègre ensuite dans le corps de sa théorie comme, par exemple, le passage de la première topique à la seconde topique qui fait davantage de place aux pulsions agressives et de mort. Ainsi, plus particulièrement vers 1920, la théorie freudienne connaît d'importants remaniements, qui sans dénoncer comme erronée la théorie antérieure, en montrent à la fois les limites et en proposent un élargissement considérable.

Metapsychologie, pourquoi ce nom ?

Freud ne trouvant pas d'explication satisfaisante aux troubles psychologiques sans lésions anatomo-physiologiques, se tournera vers une conception proprement psychologique de ces phénomènes psychopathologiques. C'est la raison pour laquelle Freud nommera son approche «métapsychologie » pour bien marquer la différence aussi bien avec la conception spiritualiste et philosophique de la psychologie de son temps, qu'avec la psychologie caractérologique et psychophysiologique qui s'appuyait sur des mesures de temps de réaction, par exemple, et les réflexes.
La psychanalyse n'est pas qu'un ensemble théorique, une métapsychologie, c'est également une méthode d'exploration du psychisme humain.
- L'interprétation des rêves qui sont, selon Freud, « la voie royale à la connaissance de l'inconscient ». L'analyse du rêve permet de découvrir les mécanismes de symbolisation du psychisme.

- L'analyse des actes du quotidien

- Les lapsus, les oublis, les négligences : ces actes manqués traduisent un conflit psychique qui met en jeu une tendance consciente et une autre, pré-consciente ou inconsciente, qui vient troubler le déroulement normal de la première. L'observation de ces tendances contradictoires permet de rendre vraisemblable l'hypothèse de l'inconscient

Une dernière grande ligne:
Principe du déterminisme psychique
L'hypnose qu'utilisaient Joseph Breuer et Jean-Martin Charcot est une méthode qui ne put satisfaire Freud qu'un temps, ne convenant pas à tous les patients et n'allant pas de pair avec un travail au long terme sur le transfert. Pour la remplacer, Sigmund Freud utilisera un principe qu'il attribue à Jung, principe suivant lequel une idée qui se présente à l'esprit ne peut être arbitraire et doit donc avoir un antécédent déterminé. Dans les Cinq leçons sur la psychanalyse, il précise ainsi sa pensée :

« Vous remarquerez déjà que le psychanalyste se distingue par sa foi dans le déterminisme de la vie psychique. Celle-ci n'a, à ses yeux, rien d'arbitraire ni de fortuit ; il imagine une cause particulière là où, d'habitude, on n'a pas l'idée d'en supposer. »
 

Historique

La technique de l'association libre s'appuyait sur la découverte du transfert et de sa valeur de répétition quant à ce qui est soumis au refoulement. L'interprétation était conçue comme un moyen d'élargir les limites du conscient. La méthode a cherché son équivalent dans la rencontre avec l'enfant à partir de 1920.
S. Freud a démontré, à partir du fonctionnement névrotique adulte, la complexité du développement psychique de l'enfant. Ainsi la levée du refoulement s'avérait comme révélant du psychique jusque là inaccessible mais préservé. La sexualité infantile et les théories sexuelles infantiles qui découlent de cette découverte, dévoilent, avec les phases du développement libidinal humain, l'influence de la génitalité sur le développement psychique de l'enfant. Cette découverte représente aujourd'hui encore l'une des plus fortes raisons de résistance à la psychanalyse. S. Freud découvre que les liens aux premiers objets de dépendance jouent un rôle central. Les relations objectales, la réalisation hallucinatoire du désir, l'ambivalence des sentiments, le développement libidinal et ses phases : orale, anale, phallique et génitale, les identifications et la construction du Moi, de l'idéal du Moi et du Surmoi établissent l'identité du sujet au cur d'un triangle oedipien : père-mère-enfant, marqué par l'interdit de l'inceste et dont la conséquence est le complexe d'dipe. Celui-ci fonde universellement l'humain, sa pensée, ses cultures, ses religions et sa vie en société. En outre, chez l'humain et d'une manière qui lui est spécifique, la pression de la pulsion est constante cependant que le complexe oedipien évolue et se constitue en deux phases (biphasisme), séparées par une phase de latence. De celle-ci résulte une capacité à la sublimation. La plupart des évènements et tendances psychiques, antérieurs à la période de latence, sont frappés d'amnésie infantile. Pour Freud, le complexe d'dipe résulte de la longue dépendance infantile et de la période d'inhibition sexuelle que représente la phase de latence. La floraison sexuelle précoce succombe au refoulement. Les formations réactionnelles de la période de latence, physiologique, forment les bases de la morale, de la pudeur et du dégoût. En 1905, les Trois essais sur la théorie de la sexualité proposent d'un certain point de vue une méthodologie pour connaître le développement et l'organisation psychodynamique de l'enfant et de l'adolescent. En 1909, Freud écrit L'analyse d'une phobie chez un garçon de cinq ans (Le petit Hans). Même si nous ne pouvons considérer qu'il s'agit du récit d'une cure telle qu'elle serait pratiquée aujourd'hui, Freud confirme, ici chez l'enfant, ses vues sur le développement libidinal, l'importance du complexe de castration et du complexe d'dipe tels qu'il a appris à les considérer à partir de la cure psychanalytique des adultes névrosés. En 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, S. Freud décrit l'importance de la recherche de plaisir par rapport au déplaisir dans le jeu d'un enfant. Ce Jeu de la bobine a pour fonction de corriger les angoisses de perte d'objet et d'assurer les tendances dépressives. La tendance à la répétition du refoulé et le désir de maîtrise sont les moteurs essentiels de l'activité ludique.
Les pionnières et initiatrices de la psychanalyse de l'enfant sont Hermine von Hug-Hellmuth et Anna Freud à Vienne, Melanie Klein à Budapest et Berlin et Eugénie Sokolnicka à Paris. La naissance de la psychanalyse des enfants se fera, dès 1922, dans une violente confrontation entre deux tendances, représentées bientôt par ce qu'on pourrait appeler « l'école d'Anna Freud » et « l'école de Melanie Klein. » Les termes les plus approfondis de ces débats s'épanouiront dans ce que l'on a nommé Les Controverses à Londres à partir de 1941.
On a pu sommairement opposer une psychanalyse de l'enfant qui se voulait une application des principes de la psychanalyse à l'environnement et à l'éducation de l'enfant, c'est la tendance d'Anna Freud, à ses débuts, et une psychanalyse d'enfant qui défend l'idée d'un transfert par l'enfant sur le psychanalyste, transfert qui est alors analysable, c'est la conviction de Melanie Klein et des analystes qui l'entourent.
Melanie Klein a mis au point la technique de la psychanalyse par le jeu. Elle défend d'emblée l'idée d'un transfert au sens complet du terme et analyse les aspects négatifs du transfert toujours présents dès le début de la cure et qu'il faut savoir reconnaître et interpréter pour abaisser le seuil d'angoisse. Ce fait suppose de considérer l'existence précoce d'un Surmoi sévère chez l'enfant.
Anna Freud concevra, comme elle le définira, « quelque chose entre une crèche et un jardin d'enfants » qui prodigue aux enfants les plus pauvres des soins physiques et psychologiques. C'est à partir de cette expérience qu'elle créera avec Dorothy Burlingham, en 1940, les Hampstead War Nurseries à Londres. Ces crèches de guerre s'enrichiront d'une fondation, The Hampstead Child Therapy Course and Clinic, où se pratique et s'enseigne la psychanalyse des enfants. Cette influence a enrichi la conception, au sein de l'institution, de la rencontre psychanalytique avec l'enfant. Anna Freud a apporté une contribution irremplaçable à la psychanalyse d'enfant par ses travaux sur le moi et ses mécanismes de défenses.
C'est au cours des Controverses que Melanie Klein décrira un concept particulièrement fécond pour la compréhension de la vie psychique et de la fonction analytique. Il s'agit d' un ensemble mécanisme-fantasme : l'identification projective. Avec le clivage, le déni et l'idéalisation, l'identification projective organise la base de la santé mentale. Corrélativement, leur pathologie peut laisser le sujet dans un état de fragmentation. L'intégration du Moi dépend donc des relations d'objet. Avec l'identification projective, ce n'est plus la pulsion seule qui est projetée dans l'objet mais bien des parties du self. Ce mécanisme-fantasme permet d'expulser une partie de soi que l'on ressent comme dangereuse ou en danger à l'intérieur de soi. Il est aussi à l'origine de la perception d'une avidité de l'objet dans lequel a été projeté l'avidité de l'enfant.
Wilfred Bion développera l'idée de l'identification projective comme mécanisme normal et comme une contribution centrale à la naissance de la capacité de penser dont le prototype est la capacité de rêverie de la mère et dont l'équivalent dans la cure analytique est l'attention flottante de l'analyste. Ainsi concevra-t-il que des affects très primitifs puissent trouver au sein de la séance le contenant qui permet la naissance de la pensée. Les fonctions de la psyché de l'analyste deviennent primordiales pour l'accession à la capacité de penser les états primitifs d'affects et d'excitations. Les champs des deux psychés sont réciproques et croisés à partir de l'identification projective normale. Le travail ne se situe plus seulement sur le refoulement (Freud) ou sur le clivage (Klein) mais sur l'appareil pour penser les pensées. L'idée de contenant prend là tout son sens. La pensée de W. Bion est primordiale pour la compréhension de la symbolisation, du contre-transfert, du langage interprétatif et de la pensée et ses troubles. On doit à W. Bion d'avoir souligné l'importance de la groupalité comme organisation venant s'opposer au développement oedipien de la vie psychique individuelle. La mentalité de groupe influence le moi. De même, à côté des pulsions d'amour et de haine, W. Bion développe l'idée selon laquelle la curiosité, le désir de connaître est une pulsion à part entière : la pulsion épistémophilique.
D. W. Winnicott, pédiatre et psychanalyste a travaillé toute sa vie avec les enfants. Ses travaux, issus de Melanie Klein s'en éloigneront et reconnaîtront la fonction de l'objet externe et l'influence de l'environnement primaire. Il insistera sur le « tenir » : le holding et le handling. Il développera la conception originale d'un espace de création, l'espace transitionnel, qui se situe comme intermédiaire dans le champ de la relation précoce et est à la base de la culture. La mère est le premier miroir de l'enfant et la représentation du vécu corporel de l'enfant passe par l'image du corps de la mère. La relation objectale la plus ancienne contient aussi la menace d'annihilation. La présence excessive ou empiètement double l'angoisse d'abandon liée à l'absence de l'angoisse d'intrusion, source de désorganisation. La capacité anticipatrice de la mère ne doit pas excéder les besoins de l'enfant sauf à éteindre son dynamisme propre. D.W. Winnicott a placé la haine nécessaire du côté d'un suffisamment bon chez la mère en élaborant la conception d'une haine qu'il placera aussi dans le fonctionnement psychique de l'analyste au travail en parlant d'une haine dans le contre transfert. D. W Winnicott dont les travaux ont inspiré fortement les recherches des psychanalystes, en particulier sur les états limites, concevra la relation précoce mère-bébé comme étant à l'origine d'une maladie normale, la préoccupation maternelle primaire. Pour D. W. Winnicott, le jeu deviendra le lieu de l'expérience de la réalité, l'espace où se déroulent les contacts, les transitions entre l'intérieur et l'extérieur. Le jeu est un exercice de création d'objets. Le symbole est dans la distance entre l'objet subjectif et l'objet qui est perdu objectivement.

Aspects pratiques

La capacité de jouer ou de dessiner de l'enfant, qui fournit ainsi un texte aussi analysable que les associations libres de l'adulte, vont permettre de préciser le cadre de la cure psychanalytique de l'enfant et celui des psychothérapies psychanalytiques adaptées en fonction des troubles.
Le jeu. En introduisant le jouet et le matériel du jeu avec l'enfant, M. Klein va à la rencontre des fantasmes sous-jacents comme s'il s'agissait d'un récit de rêve. Elle découvre ainsi que l'enfant est dans une activité constante de personnification et donc qu'on peut considérer son activité de jeu comme assimilable aux associations libres. Cette personnification ouvre au théatre du monde interne et à ses espaces complexes. Toute la vie psychique apparaît dominée par le jeu des fantasmes inconscients et les défenses qui y sont liées. L'analyste devient le lieu de projection des fantasmes inconscients les plus archaïques du patient. Le fantasme inconscient est l'expression psychique des pulsions. Rappelons que S. Morgenstern en France, dès 1937, et Rambert en Suisse, dès 1938, vont toutes deux utiliser le jeu pour écouter les enfants. Par la suite, en France, l'une de ces techniques de jeu prendra un essor considérable : il s'agit du psychodrame psychanalytique dont les conditions seront définies pour être adaptées aux enfants.
Le dessin. Avec le petit Hans qui dessine le fait-pipi de la girafe, nous avons la première expression psychanalytique par le dessin du questionnement psychique chez un enfant. Viendront ensuite les dessins de Richard dont Melanie Klein donne les interprétations dans La psychanalyse d'un enfant, puis le livre de D. W. Winnicott sur le Squiggle. Le dessin en séance d'analyse est l'expression du fantasme inconscient avec sa référence corporelle. L'extériorisation du monde intérieur de l'enfant qu'il traduit est aussi une projection dans le transfert. Le dessin peut être aussi utilisé comme un rêve qui permet que des associations libres s'expriment. A. Ferro insiste sur la conception du dessin comme photogramme onirique du fonctionnement mental du couple analytique à ce moment-là.
Cadre. L'aménagement de la thérapie psychanalytique d'un enfant se fait avec l'aide des parents. Pour autant, sans que les parents aient à être soumis à une extra-territorialité humiliante et frustrante, le secret est une règle qui s'applique tout autant en psychanalyse d'enfant qu'en psychanalyse d'adulte. A cette condition, il est possible de créer un espace où la règle de libre association adaptée à l'enfant se déploie. Le cadre est le support du transfert. Ce cadre nécessite une continuité pour permettre au processus psychanalytique de se développer. C'est à partir de cette conception du cadre comme enveloppe et du processus comme contenu que s'expriment les aspects négatifs du transfert si importants en psychanalyse de l'enfant. Le cadre est en effet le contenant de représentations excitantes pour le moi. Dans certains cas difficiles, des indications particulières sont possibles. Il s'agit autant des thérapies psychanalytiques mère-nourrisson que des thérapies familiales psychanalytiques qui requièrent des techniques propres.
L'analyste et la famille. Une particularité de l'analyse d'enfant réside dans le fait que l'analyste est l'interlocuteur d'un enfant et donc de ses parents. C'est une pression non négligeable pour l'analyste que l'attente des parents à son égard alors qu'il est l'analyste de l'enfant. Cette pression concerne tout autant des attentes conscientes - exigences de résultats éducatifs ou scolaires - qu'inconscientes en ce que l'analyste devient un objet de transfert pour les parents eux-mêmes dans leur part infantile. L'analyste d'enfant doit s'attendre à représenter une figure parentale pour les parents de l'enfant dont il assure la cure. Ceci n'est pas une donnée mineure pour le contre-transfert.

Enjeux théoriques

Concepts. La technique du jeu a permis la cure des enfants. Elle a apporté avec elle la définition de concepts fondamentaux comme l'dipe archaïque, le Surmoi précoce, la phase d'apogée du sadisme, le fantasme des parents combinés, la position schizo-paranoïde, la position dépressive, les mécanismes de clivage du Moi et des objets, l'envie du sein, la défense maniaque comme réparation.
L'introjection des objets d'amour-haine existe dès les premiers mois de la vie. De ce fait, le conflit oedipien, prend la forme d'un conflit oral : dévorer-détruire, être dévoré et être détruit. L'angoisse est donc créée par la connexion entre la haine et la pulsion épistémophilique. Ainsi à l'âge du sevrage, les imagos peuvent être terrifiantes chez l'enfant petit, du fait des frustrations mais aussi des limites à ses capacités verbales que son développement encore incomplet lui impose. C'est là la détresse. Les premiers stades du conflit oedipien sont ainsi dominés par le sadisme. C'est à partir de cette observation que se défend l'idée kleinienne d'un complexe d'dipe précoce.
Omnipotence. L'enfant est donc en grande partie créateur de ses objets en prêtant aux objets extérieurs sa propre agressivité. C'est ainsi que les imagos, ces créations, s'établissent à l'intérieur du Moi mobilisant du même coup les premiers moyens de défense que sont la scotomisation ou négation de la vie psychique.
Clivages et identité. La description du clivage des objets en bons et mauvais objets, le rôle de la projection et de l'introjection précisent les forces en cause dans la construction de l'identité de l'enfant et son intégration. Une part de l'angoisse est la résultante de l'instinct de mort en soi, source de l'instinct agressif primaire non sexualisé.
Inhibition et symbolisation. Toute une clinique de l'inhibition et du détachement chez l'enfant éclaire l'importance de la formation du symbole dans le développement du Moi. Le sadisme attaque toutes les sources du plaisir libidinal. Le développement de l'enfant peut être ainsi dominé par la lutte entre les pulsions de vie et les pulsions de mort. Les fonctions cognitives et le processus de symbolisation visités par la psychanalyse et, particulièrement, par les recherches inspirées de la pensée de Melanie Klein vont s'éclairer et permettre, entre autre, les rééducations des dyslexies, des dysorthographies, des dyscalculies mais aussi des dyspraxies, des dysgnosies et des dysrythmies. La restriction des investissements cognitifs dans certains tableaux de psychoses à expression déficitaire ou dans des états névrotiques ou limites sont ainsi abordables. La capacité de reconnaître les troubles de la fonction symbolique et, par exemple, l'influence persistante d'un fonctionnement psychique dominé par l'équation symbolique (Hanna Segal) est un résultat que nous devons à la psychanalyse. Les formations de l'équation symbolique sont en particulier en relation avec la première relation d'objet. Le symbole n'existe qu'en l'absence de l'objet. En ce sens la symbolisation est processus de défense contre la disparition de l'objet, la dépression et la mort.
Du féminin et de l'envie. Les travaux à partir de la cure des enfants remettent en question le phallocentrisme au cur de la conception de S. Freud. S. Freud défendait en effet l'idée que l'envie du pénis jouait un rôle central dans l'évolution psychique des filles et dans la conception psychanalytique de la différence des sexes. Melanie Klein a décrit une phase féminine primaire propre au garçon comme à la fille. C'est à la période du sevrage que surgit cette phase à l'origine d'un fantasme : le pénis paternel est incorporé au sein de la mère. Ce fantasme représente l'assise archaïque d'une conception de la scène primitive. Pour Melanie Klein la haine chez la petite fille ne vient pas de l'envie du pénis mais de la rivalité avec le pénis. D. W. Winnicott a développé à son tour une conception du féminin pur.

Discussions

Une première vectorisation des travaux, venant des formulations de la psychanalyse de l'enfant, est celle d'une psychanalyse développementale, voire génétique, qui s'attache à rendre compte de la genèse de certaines affections mentales de l'enfant, de certaines issues pathologiques de son développement libidinal. L'autre vectorisation, issue d'une conception plus processuelle et structurelle du fonctionnement de l'appareil psychique, envisage au cur de l'expression fantasmatique et défensive plus ou moins archaïque, des positions plus que des stades, des processus plus que des mécanismes. La notion de noyau signifiant se situe alors dans un registre historique et an-historique. Ici, c'est l'économie pulsionnelle et les conflits qu'elle engendre qui est la base d'une psychopathologie dynamique.
Comment penser, avec le développement, l'intégration des fantasmes qui s'observent si évidemment dans le matériel des cures de l'enfant ? Peut-on devant le caractère brut des fantasmes énoncés au présent distinguer fantasmes, pulsions et imagos ? L'intégration de la vie fantasmatique au développement, la question des fantasmes originaires et celle de l'origine des fantasmes sont inséparables d'une reconstruction et d'une élaboration du passé. Si le jeu témoigne de la liberté fantasmatique et transforme l'angoisse en plaisir, du fait de la maîtrise sur la réalité qu'il permet à l'aide des projections sur le monde extérieur des dangers internes, une discussion s'ensuit sur l'interprétation à en donner. Le travail analytique dégage le fantasme de la réalité et conçoit les fantasmes comme tentatives d'intégration d'expériences antérieures dans un système relationnel nouvellement acquis.
Le rapport de S. Lebovici, au XXXIXe Congrès des psychanalystes de langue française, porte sur les modèles de la névrose infantile et de la névrose de transfert. Ce travail, L'expérience du psychanalyste chez l'enfant et chez l'adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de transfert, a l'avantage d'éclairer d'un jour nouveau la question de la continuité ou de la discontinuité entre l'enfant et l'adulte, tant au niveau du modèle théorique qu'eu égard à la pathologie et aux troubles « réels.» Ainsi, peut-on lire sous la plume de S. Lebovici que si la position de M. Klein ne lui permet pas de s'intéresser à la névrose de l'enfant, en revanche sa conception des positions psychotiques précoces conduit à comprendre la névrose de l'enfant comme leur non-intégration, comme la persistance d'organisations archaïques en contradiction avec le fonctionnement du Moi. La névrose de l'enfant serait la preuve de l'échec de la névrose infantile qui, elle, peut être caractérisée comme névrose de développement et modèle métapsychologique. La névrose infantile est un fait de développement et à la fois un modèle pour sa compréhension. Les conflits de la névrose infantile sont ceux qui viennent se répéter dans la névrose de transfert de la cure des adultes. On voit ici que la question posée est : sachant que si, à tous âges, on peut parler de névrose de transfert, sait-on pour autant si l'enfant est en mesure d'organiser une névrose infantile ?
Un autre élément de discussion est de savoir si, la cure étant réalisable chez l'enfant, elle permet pour autant de penser que nous assisterions in situ à la « naissance de l'inconscient ». En fait pour bien des auteurs, la psychanalyse d'enfant si précoce soit-elle ne nous fait pas connaître un être plus simple mais une autre complexité. Les logiques à l'uvre chez l'enfant sont aussi sophistiquées qu'à l'âge adulte. Les différences tiennent aux opérations et aux objets. Le mirage archaïque tombe ainsi de lui-même. Les lois du fonctionnement primaire et les lois du fonctionnement secondaire coexistent et s'opposent. Le risque serait sinon de tomber en résistance à la psychanalyse devant l'obstacle épistémologique que pourrait représenter une référence à l'infantile trop en résonance avec l'analysant. La névrose infantile demeure la reconstruction de la névrose de transfert. On ne peut rabattre l'originaire sur l'origine, incarnant celle-ci dans la réalité.
Une pensée développementale a longtemps dominé la théorie psychanalytique. Ce fait risquait de nourrir malheureusement certaines conceptions reliant un biologisme naïf à un psychologisme faible. On pouvait dès lors craindre un certain appauvrissement de la psychanalyse. L'histoire ainsi s'inverserait. Là où l'on imaginait, avant la psychanalyse, l'enfant comme un adulte en miniature, mineur, on comprendrait aujourd'hui un adulte selon la norme venu d'un enfant conçu par la psychanalyse. En fait, en plus des recherches propres à la complexité de la vie psychique de l'enfant, celui-ci peut, comme chez certains auteurs ; tels W. Bion s'intéressant aux psychoses et D. Winnicott aux « borderline » représenter une chance de théorie rétrospective de la psychopathologie de l'adulte. Il reste que : « l'enfant est psychologiquement un autre objet que l'adulte. » comme l'écrit S. Freud, en 1933, dans les Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse.

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