dimanche 17 juillet 2011

Le rêve dans le De divinatione, de Cicéron



1. Qu'est-ce que le de divinatione ?
Le de divinatione est un des derniers ouvrages philosophiques de Cicéron; on situe sa rédaction au début de 44. Il se présente comme une suite au de natura deorum et aura lui-même une suite dans le de fato où l'on retrouve des préoccupations similaires, mais qui, à cause de son état lacunaire et de sa difficulté, ne se prête guère à une lecture en classe. 
Le de divinatione comporte deux livres qui sont censés contenir une conversation entre Cicéron et son frère Quintus. En fait, il s'agit plutôt de deux monologues : Quintus expose ses raisons de croire en la divination (livre I), Marcus défend la thèse inverse (livre II). De ce fait, la structure est un peu rigide : les éléments du débat sont en effet dispersés au lieu de s'affronter pied à pied. 

Les arguments en faveur de l'une et l'autre thèse proviennent d'ouvrages grecs sur la question (Quintus défend l'opinion des stoïciens, Cicéron celle de l'Académie). Mais les exemples sont tirés le plus souvent de l'histoire romaine et même de la biographie personnelle des intervenants.

2. Pourquoi choisir le de divinatione ?


Le de divinatione a pour sujet des croyances de type archaïque, mais dont la survie actuelle ne fait aucun doute, l'astrologie de nos quotidiens en est la manifestation la plus commune. Elles témoignent d'une préoccupation intemporelle (qu'est-ce que je (nous) vais (allons) devenir ?) et d'une volonté de déchiffrement du réel qui n'a eu que le tort de reposer sur des prémisses fausses (1). Par ailleurs, la croyance en la divination entretient des rapports étroits avec les conceptions religieuses et entraîne des considérations sur le rêve et le délire qui ne peuvent manquer de nous renvoyer à la psychanalyse, bien que les perspectives soient radicalement différentes (2).
Le second livre du de divinatione est sans doute le plus intéressant : en effet, si le sujet du traité est, ainsi que je le signale ci-dessus, une croyance de type archaïque, l'ouvrage de Cicéron contient aussi son contraire, c'est-à-dire une critique rigoureuse, "moderniste" de la divination.
La construction de l'ouvrage permet également en exploitant des extraits ad hoc des livres I et II de confronter les opinions sur des faits identiques : il y a donc là des possibilités de constituer des diptyques pro et contra tout à fait stimulants pour l'esprit critique.
Se pose également la problématique du rite et de la croyance personnelle, avec des points de vue pour nous fort étonnants.
Enfin, on peut signaler que par la force des choses, le de divinatione constitue un réservoir d'anecdotes curieuses dont certaines sont assez divertissantes.

(1) voir à ce sujet P. THUILLIER, Le temps des astrologues dans l'Histoire nE 55 (avr. 83), p. 47 : "Si l'astrologie a contribué à préparer la science moderne, (...) c'est parce qu'elle substituait à un univers gouverné par l'arbitraire un univers structuré, où tout se tenait et qu'il était possible d'étudier méthodiquement (...)
L'astrologie était donc une "fausse science" - tant qu'on voudra. Mais le mot science lui-même ici est important : il désigne le projet d'une connaissance efficace, mettant en oeuvre des lois générales et permettant aux hommes de "contrôler" leur destinée."
(2) La divination cherche dans le rêve un message concernant l'avenir; la psychanalyse est à la recherche du passé de l'individu.
3. Le résumé

Cela va de soi, tout commence par la lecture (ou la relecture) du texte. Il est avantageux, dans un premier temps de procéder à une lecture "plane", c'est-à-dire sans chercher immédiatement les points forts et les passages "exploitables". A cette occasion, un inventaire détaillé du contenu de l'ouvrage a été établi, sans écarter les passages dont, à première vue, l'intérêt est faible.
Ce document permet :
1) des relectures rapides;
2) des mises en rapport multiples entre des passages non contigus (c'est d'autant plus efficace dans le cas du de divinatione que les arguments avancés au livre I sont combattus au livre II);
3) le repérage d'un nombre limité d'extraits privilégiés;
4) le repérage de passages intéressants à soumettre à la classe en traduction;
5) la possibilité de repenser le choix des extraits au gré des circonstances en faisant l'économie d'une relecture intégrale.
CICERON, de divinatione, livre I (résumé)

1. la divination est une pratique universelle - son nom grec (mantiké) et latin (divinatio) - supériorité du mot latin - astrologues assyriens et égyptiens - en Asie, observation des oiseaux - oracles
2. Romulus - art augural - haruspicine - le délire et le rêve permettent de lire l'avenir - les livres sibyllins
3. les Romains ont adopté la divination par empirisme - les philosophes l'ont théorisée - opinions diverses (de l'acceptation totale au rejet total) - les Stoïciens acceptent la divination (mais, Panétius la considère comme douteuse)
4. Cicéron décide d'examiner la question
5. entretien de Marcus et Quintus sur la question - Quintus estime qu'il y a une lacune dans le de natura deorum - si la divination existe, il y a des dieux; s'il y a des dieux, il y a des devins
6. pour Marcus, ces deux propositions ne sont pas nécessairement vraies - Quintus s'apprête à donner son avis - deux sortes de divination :
         1) technique : auspices, haruspicine;
         2) naturelle (rêves)
7. validité des constatations d'expérience (comparaison avec la médecine et la météorologie)
8. les oiseaux annoncent le temps qu'il va faire
9. il y a des signes dans la nature - il est vain d'en chercher le comment, mais cela est
10. il en va de même pour la divination (consultation des entrailles des victimes)
11. extrait du de consultatu suo : présages sinistres sous le consulat de Cicéron
12. suite - allusion à la louve du Capitole frappée par la foudre
13. suite et fin - le hasard peut jouer un rôle, mais la divination est trop précise pour être due au hasard
14. les événements prédits n'arrivent pas toujours, mais toutes les sciences sont faillibles
15. Deiotarus, respectueux des auspices - valeur morale des auspices - mauvais usage du tripudium
16. désaffection des auspices
17. le lituus - Attus Navius : la plus belle grappe du vignoble; la pierre coupée à la demande de Tarquin - Tib. Gracchus néglige la prise des auspices
18. reprise de la distinction divination technique / divination naturelle - oracles par inspiration et par sortes - la divination par les rêves est obscure : "la divinité n'a pas voulu que je fusse instruit des moyens qu'elle emploie, mais seulement que je misse à profit ses avertissements" - Tib. Gracchus et les deux serpents
19. Quintus feint de rejeter les divinations "barbares" pour mieux exalter la divination grecque (oracle de Delphes)
20. rêves divers (Denys de Syracuse; Rhea Silvia)
21. suite (Hécube, Enée), mais Quintus reconnaît que ce sont là des légendes
22. suite (Tarquin)
23. suite (Phalaris, Cyrus) - prophétie de la mort d'Alexandre par un sage indien - annonce par les mages de la naissance d'un conquérant (Alexandre)
24. Hannibal détourné d'un vol par un rêve - rêve d'Hannibal au début de la 2e guerre Punique - Hamilcar rêve que le lendemain, il dînera dans Syracuse assiégée, mais ce sera en prisonnier - rêve d'une mort glorieuse
25. rêves de Socrate, de Xénophon; Eudème de Chypre rêve de sa propre guérison et de la mort du tyran de Phères (qui se réalisent) et de son retour futur dans sa patrie (en fait, sa mort = retour de l'âme dans sa patrie céleste); Sophocle a en rêve la révélation du nom d'un voleur
26. un paysan rêve que les jeux n'ont pas été correctement accomplis
27. Simonide averti du danger d'un voyage en mer; les deux voyageurs de Mégare
28. songe personnel de Quintus et évocation d'un songe de Marcus (lors de son départ pour l'exil)
29. les songes mentent parfois - peut-être est-ce nous qui ne savons pas les interpréter - même si certains mentent, le fait que beaucoup disent la vérité suffit - les trois âmes et le rêve (formulation d'une théorie de l'inconscient d'origine platonicienne)
30. lucidité des mourants - théorie de la lucidité des rêveurs
31. les délire divinatoire (Cassandre)
32. prophétie d'un rameur concernant les événements de Dyrrachium après Pharsale (M. Cicéron témoin) - un seul cas sûr de divination permet d'établir que la divination existe
33. forme scientifique et raisonnée de la divination - traités - interprétation de signes fortuits (Calchas, Sylla, Denys)
34. armes qui s'entrechoquent dans un temple, statue suante, portes qui s'ouvrent seules, chant de coq, statue couronnée d'herbes épineuses, disparition d'étoiles, oracle perturbé par un singe: présages de la défaite de Leuctres
35. C. Flaminius ne tient pas compte des signes défavorables
36. présage concernant des enfants (Midas, Platon, Roscius)
37. présence chez l'homme d'une force "divine" (délire poétique, émotion) - hallucination envoyée par les dieux (les Gaulois à Delphes)
38. certains malades ont dans l'âme quelque chose de divin qui leur permet de voir l'avenir - position des Stoïciens sur la divination : si les dieux existent et s'ils ne révèlent pas l'avenir, cela implique que ...; or, c'est en contradiction avec la nature des dieux; donc, s'il y a des dieux, ils annoncent l'avenir; s'ils annoncent l'avenir, c'est pour être compris; donc, il y a une divination
39. nous ne savons pas comment fonctionne la divination, mais elle existe
40. de nombreux personnages éminents pratiquent la divination
41. exemples étrangers (Gaule, Perse, Asie Mineure, Grèce, Syrie, Etrurie)
42. chaque milieu détermine la forme de divination qui lui convient (astres, lecture des entrailles, ...)
43. la divination et l'Etat : exemples grecs et romains - accord entre les haruspices et les livres sibyllins
44. présages sinistres pendant la guerre contre les Marses - la prise de Véies liée au niveau du lac d'Albe
45. avertissements envoyés par les dieux - importance des formules, des noms, ...
46. Paul Emile et sa petite fille - une femme cède la place à sa nièce; celle-ci épouse peu après son oncle devenu veuf
47. annonce des troubles civils sous le consulat de Cicéron - scepticisme que suscitent les auspices - dans son poème sur Marius, Cicéron accorde foi aux prodiges
48. Romulus et Rémus prennent les auspices
49. la divination scientifique repose sur l'expérience - l'âme humaine est de nature divine, elle peut donc pressentir l'avenir - certains prévoient l'avenir par la force de leur raisonnement (mais ce ne sont pas des devins) : scientifiques, Solon, Thalès
50. autres exemples de prédictions "raisonnées", mais il y a divination quand l'âme est détachée du corps (délire,rêve)
51. le rêve, source de connaissance de l'avenir - existence d'une providence divine
52. les Stoïciens ne pensent pas que la sollicitude divine se manifeste dans les entrailles des victimes; mais l'âme divine qui guide le monde peut modifier l'organisme de la victime au moment de l'immolation (ex. : victimes aux organes manquants ou incomplets, annonçant la mort de César)
53. la même intervention peut jouer à propos des oiseaux - la pureté de l'âme peut mener à la voyance
54. exemple de Socrate
55. sources d'erreurs - l'avenir est connaissable, puisque le devenir est régi par des lois
56. mais seul un dieu peut prévoir l'avenir sans jamais se tromper - les devins voient à l'aide de signes présents ce qui est dans un autre temps
57. l'âme détachée du corps peut voir l'avenir - l'observation des faits peut mener à la prédiction
58. Quintus se méfie des charlatans

livre II
1. Cicéron fait l'inventaire de ses ouvrages philosophiques
2. éloge des ouvrages philosophiques - Cicéron a été "contraint" à la philosophie par les circonstances - pour lui, la philosophie est un moyen de continuer à servir l'Etat
3. reprise du fil de l'entretien - Cicéron dit qu'il va combattre les idées de son frère, mais que ses doutes sont importants - la divination ne s'applique à rien qui soit connu par les sens, à rien qui fasse l'objet d'une science ou d'une technique
4. la divination ne porte pas sur la morale - la divination n'est d'aucun secours pour les problèmes de logique, de physique ou de théorie politique - à quoi s'applique la divination? il faut qu'elle ait un usage universel ou un objet particulier - ce n'est pas le cas, donc la divination n'existe pas
5. la divination est la connaissance anticipée des événements qui sont du domaine du pur hasard
6. comment peut-on faire confiance aux devins, alors que les techniciens se trompent parfois? - comment peut-on prévoir un événement sans cause et sans signe annonciateur ?
7. ex. : découverte d'un trésor, héritage, ... - et si de tels événements ont une cause, c'est qu'il n'y a pas de hasard - mais, alors, la définition de la divination n'est pas bonne
8. si tout est prévu par le destin, la divination ne sert à rien; s'il y a destin, les avertissements sont inutiles
9. la connaissance de l'avenir est inutile (elle nous empoisonnerait l'existence) : exemples de Crassus, Pompée, César
10. il est illogique que des actes de piété puissent empêcher des catastrophes arrêtées par le destin
11. Marcus reprend la distinction divination technique / divination naturelle - rappel des arguments de Quintus - Marcus met en doute les faits avancés par Quintus
12. il faut maintenir l'usage de l'haruspicine pour des raisons socio-politiques, mais Marcus n'y croit pas - sur quoi reposent les observations des haruspices ? - arbitraire des principes de l'haruspicine - divergences dans les démarches de divination selon les peuples - quels sont les liens qui existent entre la marche du monde et l'organe d'un animal ?
13. si les organes des animaux annoncent l'avenir, il faudrait qu'au même moment, ils soient pareils chez tous les individus - critique de l'annonce d'un tremblement de terre par l'eau d'un puits
14. rien dans les règles des haruspices ne peut être le fruit de l'observation - il existe une harmonie naturelle, mais il faudrait démontrer que la fissure d'un foie d'animal et la découverte d'un trésor en fassent partie
15. admettons que ce rapport existe, il faudrait encore qu'on immole la bonne victime - réponse des partisans de la divination : la providence nous guide vers la victime qui convient ou le changement intervient au moment du sacrifice - réfutation de ces objections - un second sacrifice contredit parfois le premier
16. critique de l'anecdote du taureau sans coeur immolé par César
17. comment expliquer qu'un sacrifice offert par un dieu soit refusé par un autre ? - l'existence des dieux n'est pas liée à la divination
18. prodiges et fulgurations - un éclair à gauche est un signe favorable sauf pour les comices
19. théorie stoïcienne du tonnerre - pourquoi le tonnerre serait-il un signe de l'avenir ? - pourquoi tous ces tonnerres qui se produisent sur des terres désertes ou dans des pays où les hommes n'y attachent aucune importance
20. rappel de faits évoqués par Quintus : la tête dans le Tibre, présages de 63 (Marcus glisse sur l'exploitation qu'il fait des prodiges dans le de consultatu suo - critique de l'idée de Quintus selon laquelle les faits suffisent, même s'il n'y a pas d'explication
21. la vertu curative des plantes a été contrôlée - les prodiges par leur caractère unique empêchent toute explication de ce genre - le hasard peut ressembler à la vérité
22. tout ce qui arrive (même rarement) est possible - un fait insolite n'apparaît comme un prodige que parce que nous ne le comprenons pas
23. origine de l'haruspicine : légende de Tagès - absurdité de la tradition
24. Caton et les haruspices - leurs prédictions sont parfois démenties par les faits - quand elles concordent, n'est-ce pas le fruit du hasard ? - Hannibal et Prusias (excellente anecdote) - César a passé outre aux recommandations des haruspices et a réussi - exemples de prédictions erronées lors des événements récents
25. les avertissements divins servent-ils à quelque chose ? - pourquoi les dieux nous donnent-ils des avertissements que nous comprenons si difficilement ? - pourquoi nous avertissent-ils de catastrophes inévitables?
26. critique de l'anecdote des coqs de Lebadia (1, 34)
27. fleuves de sang et statues suantes : phénomènes naturels auxquels on est plus sensible en période troublée - Cicéron aurait pu tirer des prévisions du fait que des souris ont rongé ses livres
28. la naissance d'un monstre est naturelle, puisqu'elle est - id. pour d'autres phénomènes - le verrou et le serpent (excellent !)
29. critique de l'anecdote des serpents de Gracchus
30. caractère arbitraire de l'interprétation des prodiges
31. les "prodiges" ne sont pas toujours "prodigieux" - explication rationnelle de certains d'entre eux - le prodige fait souvent l'objet d'une interprétation après coup
32. explication rationnelle de prodiges - silence étonnant depuis leur première et unique manifestation d'Aïus Loquens et Junon Moneta
33. auspices et sorts - Cicéron est augure, mais ne croit pas à la divination de l'avenir - Romulus y croyait, donc, il est normal que la pratique continue; quant à la croyance, ... - P. Claudius et L. Junius n'auraient pas dû passer outre aux auspices pour des raisons sociales - mais Paul Emile a été battu à Cannes, après avoir respecté les auspices
34. description d'une prise d'auspices par les poulets sacrés
35. critique de l'usage du tripudium - "je crois que le droit augural s'est constitué à l'origine parce qu'on avait foi dans la divination et qu'il s'est maintenu, conservé ensuite par la raison d'Etat"
36. divergences entre les auspices romains et étrangers - les auspices sont tombés en désuétude en cas de guerre lointaine (les promagistrats n'avaient pas le ius auspiciorum) - M. Marcellus néglige les présages fournis par les fers de lance - comment contourner l'auspice d'attelage (deux bêtes qui défèquent en même temps) : les atteler séparément - mais c'est là refuser l'avertissement divin
37. Deiotarus choisissant Pompée : il a eu raison, mais ça n'a rien à voir avec les auspices
38. rejet des fables - d'où vient le savoir augural ?
39. le fait que la divination est très répandue ne prouve rien : l'ignorance l'est aussi - les lectures de présages se contredisent (la gauche et la droite n'ont pas la même signification pour tout le monde)
40. comment guider sa vie si tout peut être signe ?
41. la divination par les sorts - origine du sanctuaire de la Fortune à Préneste - rejet des superstitions qui y sont liées
42. l'astrologie
43. pourquoi les astres commanderaient-ils à la vie humaine ? - des jumeaux n'ont pas la même vie
44. les Chaldéens considèrent que ceux qui sont nés au même moment connaissent le même destin, mais ils ne tiennent pas compte de la latitude
45. les conditions météorologiques au moment de la naissance et l'hérédité influencent plus que les astres - tous les enfants nés au même moment n'ont pas le même destin
46. certains se débarrassent de défauts physiques avec le temps; ce serait impossible si c'était les astres qui les avaient rendus tels
47. il faudrait supposer que ceux qui connaissent le même sort sont nés en même temps (ex.: ceux qui sont morts à Cannes, ceux qui manifestent les mêmes dons, ...)
48. Quintus reprend brièvement la parole pour reconnaître qu'il est d'accord avec Marcus dans sa critique du stoïcisme - il réaffirme qu'il croit à la divination naturelle
49. rappel des arguments des stoïciens sur les dieux et la divination
50. reprise des prémisses du raisonnement qui permet aux stoïciens de conclure que la divination existe - toutes sont sujettes à discussions
51. suite
52. position de Cratippe : une seule prédiction peut établir l'existence de la divination
53. Cratippe compare la vue au songe (si les yeux ont vu une fois, c'est que la vue existe; si le songe dit vrai une fois, ...) - mais la vérité d'un songe peut être due au hasard - beaucoup se sont vérifiés, mais beaucoup sont faux ; donc, c'est le hasard qui règne en maître - pourquoi appliquer ce raisonnement uniquement aux songes ? il pourrait justifier aussi l'haruspicine, ...
54. pourquoi des gens privés de raison verraient-ils plus clair que les sages ? - les livres sibyllins (allusion à l'oracle qui disait qu'un roi serait le vainqueur des Parthes) - tricherie des oracles (pas de précision de date, obscurité, ...) - la forme indique qu'il ne s'agit pas d'un délire
55. rejet de la légende (Cassandre) - refus d'interpréter les paroles "prophétiques" du rameur de Dyrrachium comme autre chose que l'expression d'une peur
56. l'oracle de Delphes - la valeur des prédictions est très diverse (fausses, vraies, obscures, ambiguës) - Cicéron met en doute la vérité historique de ces oracles - amphibologie d'un oracle formulé à la prop. inf. - qui aurait été assez sot pour ne pas voir le piège ?
57. l'oracle de Delphes ne donne plus de réponses satisfaisantes - critique de l'opinion des Stoïciens à ce sujet - l'oracle de Delphes complice de Philippe
58. les songes - critique des idées de Quintus sur l'âme - Cicéron feint d'accepter ces idées, mais ne voit pas pourquoi les visions oniriques seraient vraies
59. les rêves peuvent dire vrai par hasard - les rêves ne permettent pas de résoudre des problèmes logiques, scientifiques, littéraires; donc, il n' y a pas de raison qu'ils apportent des lumières dans d'autres domaines - critique de l'incubatio
60. les songes n'ont pas d'origine divine - les dieux n'utiliseraient pas un pareil moyen, puisque beaucoup d'hommes n'en tiennent pas compte ou ne s'en souviennent pas
61. pourquoi les dieux ne nous envoient-il pas des visions pendant la veille ? - pourquoi les dieux utilisent-ils un langage obscur ?
62. tous les rêves ne sont pas vrais - Ennius prétend qu'il suffit que certains le soient - mais comment distinguer les vrais des faux ? - d'où viennent les faux ? - les dieux nous trompent-ils ? - les rêves viennent de l'homme
63. reprise des deux conceptions des rêves (humaine / divine) - les interprètes des songes ne sont pas des gens compétents
64. pourquoi les dieux ont-ils besoin d'un interprète ? - pourquoi des conseils obscurs ?
65. anecdote : un homme rêve d'un oeuf suspendu à son lit; un devin lui dit qu'un trésor est caché sous son lit - critique
66. rappel des rêves cités par Quintus - Marcus en ajoute un autre (Alexandre guérit Ptolémée) - sommes-nous assurés que les faits sont vrais ? - occupons-nous des rêves que nous avons faits personnellement
67. explication rationnelle du rêve fait par Cicéron à Atina
68. les rêves qu'a cités Quintus (ceux que son frère et lui-même ont faits) ne sont remarquables que parce qu'il y a eu coïncidence entre les faits et la réalité - il y a beaucoup de sommeils sans rêves (même dans des circonstances graves où on attendrait le conseil des dieux)
69. les médecins peuvent utiliser certains songes parce qu'il y a un lien entre la vision et la nature (le corps), mais il en va tout autrement pour la plupart des rêves
7O. interprétations contradictoires des rêves
71. une longue observation a-t-elle pu nous apporter des connaissances ? - on ne peut observer les rêves : ils sont trop nombreux et trop confus - s'ils mentent parfois, comment leur faire confiance ? rejet de la croyance en une divination par les rêves.

72. Cicéron se défend de vouloir abolir la religion - elle doit être maintenue pour des raisons sociales - l'ordre du monde implique qu'il y ait des dieux
4. Les extraits choisis


1. 1, 15 (26) : Prévenu par un signe, Dejotarus échappe à la mort en ne logeant pas à l'endroit prévu (voir 7).
2. 1, 22 (68 - 69) : Pendant la guerre civile, un rameur annonce des événements qui se réaliseront (voir 12).
3. 1, 35 (77) : En négligeant les présages défavorables, Flaminius a couru au désastre. (Ce texte comporte trois présages; il est parfaitement possible d'en éliminer un, sans nuire à la cohésion ou à l'intérêt.)
4. 1, 38 (82 - 83) : La divination existe (argumentation stoïcienne).
5. 1, 39 (85 - 86) : La divination est un fait confirmé par l'expérience, même si nous ne parvenons pas à en comprendre le fonctionnement.
6. 1, 46 (103 - 104) : Deux présages en paroles. (Les deux anecdotes peuvent être lues séparément.)
7. 2, 8 (20) : Le destin et la divination s'excluent (voir 1 et 3).
8. 2, 12 (28): La divination repose sur des bases incertaines; l'interprétation des mêmes signes varie d'un peuple à l'autre.
9. 2, 28 (61 - 62) : Il n'y a pas de prodiges.
10. 2, 33 (70 - 71) : L'art augural est une survivance d'un temps d'ignorance, mais la pratique doit en être maintenue.
11. 2, 40 (83 - 84) : Nous ne pouvons pas vivre en considérant que tout peut être signe (voir 6).
12. 2, 55 (114) : Explication rationnelle de la prophétie du rameur (voir 2).
13. 2, 56 (115 - 116) : Critique d'histoires d'oracles.
14. 2, 62 (127 - 128) : Comment savoir quels sont les rêves signifiants ? Explication du mécanisme des rêves.
15. 2, 65 (134) : Interprétation d'un rêve; incohérence de l'anecdote.
Remarque :
L'exploitation des "diptyques" pose un problème méthodologique.
Risquons une définition : un diptyque est constitué (dans le cas qui nous occupe) de deux extraits qui ont en commun leur contenu informatif et qui se distinguent par l'argumentation qui en est tirée.
En présence des diptyques ici suggérés, le professeur peut faire une série de choix; chacun d'entre eux entraîne une démarche spécifique dans la présentation et l'exploitation du ou des texte(s).
a) Il opte pour la lecture d'un des extraits sans faire référence à l'autre; l'extrait choisi est exploité comme une entité se suffisant à elle-même.
b) Il opte pour la lecture des deux extraits; les élèves découvrent donc tous les éléments du "dossier"; l'information acquise lors de la découverte du premier "panneau" est exploitée tout naturellement lors de la lecture du second; les arguments pour et contre sont débattus et critiqués.
c) Il opte pour la lecture d'un des deux extraits (appelons-le A), mais il souhaite exploiter l'autre (B) dans le commentaire. La question essentielle est de savoir dans quelle mesure le contenu informatif de B est indispensable à la compréhension de A. Si oui, B (en traduction) est communiqué aux élèves avant le travail sur A pour son contenu informatif; quand A aura été compris, B sera à nouveau mis à contribution pour son argumentation.
On peut également envisager, si les circonstances s'y prêtent, de communiquer en début de travail les informations de B sous forme synthétique (et non littérale) et de ne fournir B dans sa version originale qu'au moment de son exploitation dans le commentaire.

Les fiches de travail ci-après sont organisées en vue de l'option c). Il ne faudrait pas en déduire qu'elle est préférable aux autres. Les professeurs qui envisageraient l'utilisation de ces documents les réorganiseront en fonction de leurs choix personnels.
Le choix des extraits ci-dessus mérite d'être explicité. Il est articulé autour de deux axes principaux : l'un de l'ordre de la réflexion, l'autre de celui de l'anecdote (étant entendu que les deux domaines ne sont pas étanches; voir tableau ci-dessous).
Certains extraits présentent des réflexions serrées, abstraites, sur la question; l'argumentation est solidement charpentée, l' enchaînement rigoureux.
Les anecdotes sont peu connues ou concernent souvent des personnages de second plan, voire anonymes. Cela permet de sortir quelque peu de la galerie des héros habituels, sans pour autant devoir dispenser une information érudite surabondante (au fond, il n'est pas très important de savoir exactement qui est Déjotarus). Le recours à de telles anecdotes permet aussi de concentrer l'attention sur les faits, sans effet de brouillage provoqué par des connaissances ou des références extérieures : une anecdote concernant César, par ex., implique presque inévitablement des considérations historiques (est-ce vrai ? quelle est notre source ?) et idéologiques (dans quelle perspective doit-elle être située ?). Cependant, il est clair que ces "historiettes" entraînent automatiquement des réflexions, soit qu'elles figurent explicitement dans l'extrait choisi, soit qu'elles doivent être élaborées par le lecteur.



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Songe de Scipion

Le récit du songe de Scipion se trouve à l’origine dans La République (54-51 av. J.-C.) de Cicéron (106-43 av. J.-C.). Le rêveur, Scipion l’Africain le Jeune (185-129 av. J.-C.) y reçoit une leçon de sagesse de son grand-père adoptif Scipion l’Africain (235-183 av. J.-C.).
Par son commentaire, Macrobe, produit un traité néoplatonicien au Ve siècle ap. J.-C.
Dans le Livre VI de La République, Cicéron raconte, à la première personne, l'histoire de Scipion l'Africain le Jeune, reçu par le roi Masinissa qui ne tarit pas d'éloges sur le vieux Scipion. Le narrateur va ainsi se coucher, « après un repas d'une magnificence royale » puis un entretien qui « continua fort avant dans la nuit » au cours duquel « le vieux roi ne parlait que de Scipion l'Africain », de « toutes ses actions et même ses paroles ».
Alors, explique le narrateur, je le suppose, par une impression qui me restait de notre entretien (car il arrive souvent que les sujets habituels de nos pensées et de nos discours produisent, dans le sommeil, un effet semblable à ce que raconte Ennius touchant Homère, dont vous concevez bien qu'il était sans cesse occupé, durant le jour), l'Africain m'apparut en rêve.
Notons au passage que, Cicéron, quelque deux mille ans avant Freud, établit un lien entre les événements de la journée et les rêves, s'appuyant sur l'apparition d'Homère à Ennius qui renvoie deux cents ans plus tôt encore.
Scipion l'Ancien donne une leçon à Scipion le Jeune, leçon d'initiation plus que de morale. Remarquons ici une autre façon d'interpréter le songe : comme dans l'hermétisme, le maître enseigne à son disciple, graduellement ; ici, le maître, dans l'au-delà, choisit ce non espace-temps qu'est le rêve pour rencontrer le disciple vivant... mais endormi.
Enfin, le rêve est prémonitoire puisqu'il annonce à Scipion le Jeune qu'il va renverser Carthage. En cela il rappelle le Songe de midi, ou même les prophéties de Daniel.
Scipion, qui sera en cela suivi par Macrobe, avance déjà des thèses platoniciennes :
« Dis plutôt, répondit-il ; ceux-là vivent, qui sont échappés des liens du corps et de cette prison. Ce que vous appelez la vie, dans votre langage, c'est la mort [...]  ».
... et plus loin :
«  [...] L'âme développée, exercée par ce noble travail, s'envolera plus vite vers cette demeure, sa maison natale. Sa course en sera plus libre et plus légère si, du temps même qu'elle est enfermée dans le corps, elle s'élance au dehors, et par la contemplation s'arrache à la matière. Car les âmes de ceux qui se livrèrent aux plaisirs des sens, qui s'en tirent comme les esclaves et, par l'entraînement des désirs que donne la volupté, violèrent les lois des dieux et des hommes, ces âmes une fois sorties du corps, sont retenues errantes autour de la terre, et ne rentrent dans ce lieu, qu'après le tourment d'une agitation de plusieurs siècles ».
Cette mise en scène de Scipion, passant par l'apparition, dans le rêve du narrateur, d'un Ancien, alors décédé, indique l'importance, la foi, que le lecteur est supposé accorder au rêve.

Le commentaire par Macrobe

L'auteur néoplatonicien du Ve siècle ap. J.-C. développera, dans un Commentaire du songe de Scipion, sa vision de l'âme immortelle et de nature divine.
[Dieu] a engendré de lui-même, par la fécondité surabondante de sa majesté, l’Intelligence, appelée Noũs chez les Grecs. En tant que le Noũs regarde son père, il garde une entière ressemblance avec lui ; mais il produit à son tour l’âme en regardant en arrière. L’âme à son tour, en tant qu’elle regarde le Noũs, réfléchit tous ses traits ; mais lorsqu’elle détourne ses regards, elle dégénère insensiblement, et, bien qu’incorporelle, c’est d’elle qu’émanent les corps. [...]
[L’]éclat lumineux [de l’âme] brille partout, [...] il est réfléchi par tous les êtres, de même qu’un seul visage semble se multiplier mille fois dans une foule de miroirs rangés exprès pour en répéter l’image [...]
Cette image de reproduction par le miroir apparaît dans de nombreux écrits gnostiques :
  • Plusieurs textes ont été rapprochés dans Autoanalyse et ateliers d'écriture (p.83-91).
Macrobe produit du même coup un traité sur le rêve.
Notamment, il classe celui-ci en cinq catégories :
  • 1. somnium : rêve véritable (s’exprimant par symboles à interpréter) ;
  • 2. visio : vision  (d’un événement à venir) ;
  • 3. oraculum : oracle (visite d’une personne vénérable nous dictant une conduite ou nous annonçant un événement à venir) ;
  • 4. insomnium : songe, insomnie ;
  • 5. visium : phantasme, spectre.


Jung : Commentaire du commentaire 
Au cours d'un séminaire sur Les rêves d'enfants qui s'est déroulé entre 1936 et 1941, plusieurs interventions portèrent sur les grands systèmes d'interprétation des rêves. Celles-ci ont été rassemblées en un volume intitulé Sur l'interprétation des rêves (Albin Michel, 1998).
W. Bächtold, au cours d'une session de ce séminaire, présenta le traité de Macrobe (p.231-244).
Jung conclut :
Il est ressorti très clairement de votre exposé que l'Antiquité interprétait le rêve de la même façon que nous le faisons.
Notons que, à l'opposé, Freud avait l'impression que « le mystère du rêve se dévoilait à lui » pour la première fois. Ne reprenant pas les vieilles croyances des Anciens, il pensait créer de rien « la science du rêve ».
Jung ajoute :
En ce qui concerne la métaphysique particulière que Macrobe associe au rêve, on peut encore dire ceci : l'âme présentée sous une forme sphérique peut nous paraître grotesque, mais c'est bien ainsi qu'elle apparaît dans le rêve.
Il cite le rêve d'une de ses patientes pour l'illustrer.

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LIVRE SIXIEME.

I. ..... Bien que, pour les sages, la conscience des belles actions soit la plus magnifique récompense de la vertu, cependant celte divine vertu, sans ambitionner ces statues qu'un plomb vil retient sur leurs bases, ou ces triomphes ornés de lauriers qui sèchent si vite, aspire à des couronnes plus vertes et plus durables. Quelles sont ces couronnes? dit Lælius. Souffrez, reprit Scipion, puisque nous sommes libres encore pendant ce troisième jour de fête, que je vous fasse un dernier récit.....................
II. Lorsque j'arrivai en Afrique, où j'étais, comme vous le savez, tribun dans la quatrième légion, sous le consul Manilius, mon premier empressement fut de voir le roi Masinissa, que de justes motifs liaient à notre famille par une étroite amitié. Quand je fus devant lui, ce vieillard m'embrassant, versa des larmes ; puis, il leva les yeux au ciel : « Je te rends grâces, dit-il, souverain soleil, et vous tous dieux de l'Olympe ! Avant de sortir de la vie, je vois dans mon royaume, et dans cette demeure, Publius Cornélius Scipion ; et ce nom seul m'a ranimé : tant mon âme conserve toujours le souvenir du vertueux et invincible Scipion ! » Alors, je lui fis des questions sur son royaume ; il m'interrogea sur notre République; et, dans la longueur de ces mutuelles confidences, le jour se consuma pour nous.
III. Après un repas d'une magnificence royale, notre entretien continua fort avant dans la nuit. Le vieux roi ne parlait que de Scipion l'Africain ; et il avait présentes à la mémoire toutes ses actions et même ses paroles. Ensuite, lorsque nous fûmes retirés, pour prendre du repos, fatigué du voyage et d'une veille prolongée si tard, un sommeil plus profond que de coutume enveloppa tous mes sens. Alors, je le suppose, par une impression qui me restait de notre entretien (car il arrive souvent que les sujets habituels de nos pensées et de nos discours produisent, dans le sommeil, un effet semblable à ce que raconte Ennius touchant Homère, dont vous concevez bien qu'il était sans cesse occupé, durant le jour), l'Africain m'apparut, avec ces traits, que je connaissais plutôt, pour avoir contemplé ses images que pour l'avoir vu lui-même. A peine l'eussé-je reconnu que je frissonnai; mais, lui : « Reste calme, Scipion, me dit-il, bannis la crainte ; et grave mes paroles dans ton souvenir.
IV. « Vois-tu cette ville qui, forcée par moi d'obéir au peuple romain, renouvelle d'anciennes guerres, et ne peut se tenir paisible ? » En même temps, du haut d'un lieu rempli d'étoiles, et tout éclatant de lumières, il me montrait Carthage. « Aujourd'hui, tu viens l'assiéger, presque soldat encore; dans le cours de ces deux années, tu seras consul, pour la détruire; et tu auras conquis par toi-même ce surnom, que maintenant tu tiens de moi par héritage. Lorsque tu auras renversé Carthage, que tu auras été censeur, et que tu auras visité, comme envoyé de Rome, l'Egypte, la Syrie, l'Asie, la Grèce, tu seras de nouveau choisi consul, en ton absence ; tu finiras la plus grande de nos guerres ; tu ruineras Numance. Mais, après que, sur un char de triomphe, tu auras monté au Capitole, tu retomberas au milieu du désordre de la République troublée par les projets de mon petit-fils.
V. « Là, Scipion l'Africain, il te faudra faire briller pour la patrie le flambeau de ton âme, de ton génie, de ta prudence. Je vois, à cette époque, la destinée incertaine, pour ainsi dire, de sa route : car, lorsque ta vie mortelle aura vu passer huit fois sept révolutions de soleil, et que ces deux nombres, qui, l'un et l'autre, par des raisons différentes, sont également parfaits, auront, par le cours de la nature, complété pour toi le nombre fatal, Rome entière se tournera vers ton nom et vers toi. C'est toi, que le sénat, toi, que les bons citoyens, toi, que les alliés chercheront de leurs regards ; tu seras l'homme sur qui reposera le salut de la patrie. Enfin, Dictateur, il te faudra de nouveau constituer la République, si tu peux échapper aux mains parricides de tes proches. » Au cri d'effroi que fit alors Lælius, au soudain gémissement de tous les autres, Scipion reprenant avec un sourire gracieux : « Je vous en prie, dit-il, ne me réveillez pas, que tout demeure en paix ; écoutez le reste :
VI. « Pour te donner, ô vainqueur de l'Afrique, plus d'ardeur à défendre l'État, sache bien que tous ceux qui auront sauvé, défendu, agrandi leur patrie, ont dans le ciel une place certaine et fixée d'avance, où ils doivent jouir d'une éternité de bonheur : car, il n'est rien, sur la terre, de plus agréable aux regards de ce dieu suprême qui régit l'univers, que ces réunions, ces sociétés d'hommes formées sous l'empire du droit, et que l'on nomme cités. Ceux qui les gouvernent, ceux qui les conservent, sont partis de ce lieu ; c'est dans ce lieu qu'ils reviennent. »
VII. A ces mots, malgré le trouble qui m'avait saisi, moins par la crainte de la mort que par l'idée de la trahison des miens, je lui demandai si lui-même, si mon père Paulus vivait encore, ainsi que tous les autres, qui, à nos yeux, ne sont plus. « Dis plutôt, répondit-il ; ceux-là vivent, qui sont échappés des liens du corps et de cette prison. Ce que vous appelez la vie, dans votre langage, c'est la mort. Regarde : Paulus, ton père, vient vers toi. » Quand je l'aperçus, je répandis une grande abondance de larmes ; mais lui, m'embrassant avec tendresse, me défendait de pleurer.
VIII. Et moi, sitôt que, retenant mes larmes, j'eus la force de parler : « Je vous en prie, lui dis-je, ô mon «divin et excellent père! puisque c'est ici la vie, comme je l'apprends de Scipion, pourquoi languirais-je sur la terre? pourquoi ne pas me hâter de revenir à vous ? Il n'en est pas ainsi, répondit-il : à moins que le dieu, dont tout ce que tu vois est le temple, ne t'ait délivré des chaînes du corps, l'entrée de ces lieux ne peut s'ouvrir pour toi ; car les hommes sont nés sous la condition d'être les gardiens fidèles du globe que tu vois, au milieu de cet horizon céleste, et qu'on appelle la terre : leur âme est tirée de ces feux éternels, que vous nommez constellations, étoiles, et qui, substances mobiles et sphériques, animées par des esprits divins, fournissent, avec une incroyable célérité, leur course circulaire. Ainsi, Publius, toi, et tous les hommes religieux, vous devez retenir votre âme dans la prison du corps ; et vous ne devez pas quitter la vie, sans l'ordre de celui qui vous l'a donnée, de peur d'avoir l'air de fuir la tâche d'homme, que Dieu vous avait départie. Mais plutôt, comme ce héros, ton aïeul, comme moi qui t'ai donné le jour, cultive la justice et la piété, cette piété, grand et noble devoir envers nos parents et nos proches, mais devoir le plus sacré de tous envers la patrie. Une telle vie est le chemin pour arriver au ciel et dans la réunion de ceux qui ont déjà vécu, et qui, délivrés du corps, habitent le lieu que tu vois. »
IX. Il désignait ce cercle lumineux de blancheur qui brille, au milieu des flammes du ciel, et que, d'après une tradition venue des Grecs, vous nommez la Voie lactée. Ensuite, portant de tous côtés mes regards, je voyais dans le reste du monde des choses grandes et merveilleuses : c'étaient des étoiles que, de la terre où nous sommes, nos yeux n'aperçurent jamais; c'étaient partout des distances et des grandeurs, que nous n'avions point soupçonnées. La plus petite de ces étoiles était celle qui, située sur le point le plus extrême des cieux, et le plus rabaissé vers la terre, brillait d'une lumière empruntée : d'ailleurs les globes étoiles surpassaient de beaucoup la grandeur de la terre ; et cette terre elle-même se montrait alors à moi si petite, que j'avais honte de notre empire, qui ne couvre qu'un point de sa surface.
X. Comme je la regardais avec plus d'attention : « Jusques à quand, dis-moi, reprit Scipion, ton âme restera-t-elle attachée à la terre? Ne vois-tu pas au milieu de quels temples tu es parvenu? Devant toi, neuf cercles, ou plutôt neuf globes enlacés composent la chaîne universelle : le plus élevé, le plus lointain, celui qui enveloppe tout le reste, est le Souverain Dieu lui-même, qui dirige et qui contient tous les autres. A lui sont attachés ces astres qui roulent, avec lui, d'un mouvement éternel : plus bas, paraissent sept étoiles qui sont emportées d'une course rétrograde, en opposition à celle des cieux. Une d'elles est le globe lumineux que, sur la terre, on appelle Saturne ; ensuite vient cet astre propice et salutaire au genre humain, qu'on nomme Jupiter ; puis cette étoile rougeâtre et redoutée de la terre, que vous appelez Mars; ensuite, presque au centre de cette région domine le soleil, chef, roi, modérateur des autres flambeaux célestes, intelligence et principe régulateur du monde, qui, par son immensité, éclaire et remplit tout de sa lumière. Après lui, et comme à sa suite, Vénus et Mercure. Dans le cercle inférieur, marche la lune enflammée des rayons du soleil. Au-dessous, il n'y a plus rien que de mortel et de corruptible, à l'exception des âmes données à la race humaine par le bienfait des dieux : au-dessus de la lune, toutes les existences sont éternelles : quant à cette terre, qui, placée au centre, forme le neuvième globe, elle est immobile et abaissée; et tous les corps gravitent vers elle par leur propre poids. »
XI. Dans la stupeur, où m'avait jeté ce spectacle, lorsque je repris possession de moi-même : « Quel est, dis-je, quel est ce son qui remplit mes oreilles, avec tant de puissance et de douceur ? Vous entendez, me répondit-il, l'harmonie qui, par des intervalles inégaux, mais calculés dans leur différence, résulte de l'impulsion et du mouvement des sphères, et qui, mêlant les tons aigus et les tons graves, produit régulièrement des accents variés : car, de si grands mouvements ne peuvent s'accomplir en silence ; et la nature veut que, si les sons aigus retentissent à l'un des deux extrêmes, les sons graves sortent de l'autre. Ainsi, ce premier monde stellaire, dont la révolution est plus rapide, se meut avec un son aigu et précipité, tandis que le cours inférieur de la lune ne rend qu'un son très grave : car, pour la terre, neuvième globe, dans son immuable station, elle reste toujours fixe au point le plus abaissé, occupant le centre de l'univers. Les huit sphères mobiles, parmi lesquelles deux ont la même portée, Mercure et Vénus, produisent sept tons distincts et séparés ; et il n'est presque aucune chose dont ce nombre ne soit le nœud. Les hommes, qui ont imité cette harmonie par le son des cordes, ou de la voix, se sont ouvert une entrée dans ces lieux, ainsi que tous les autres qui, .par la supériorité de leur génie, ont, dans une vie mortelle, cultivé les sciences divines, mais, les oreilles des hommes sont assourdies par le retentissement de ce bruit ceci leste. Et en effet, le sens de l'ouïe est le plus imparti fait chez vous autres mortels. C'est ainsi qu'aux lieux, où le Nil se précipite du haut des monts vers ceci qu'on nomme les cataractes, la grandeur du bruit a rendu sourds les habitants voisins. Cette harmonie de tout l'univers, dans la rapidité du mouvement qui l'emporte, est telle que l'oreille de l'homme ne ce peut la supporter, de même que vous ne pouvez regarder en face le soleil, et que la force, la sensibilité de vos regards est vaincue par ses rayons. Dans mon admiration de ces merveilles, je reportais cependant quelquefois mes yeux vers la terre.
XII. L'Africain me dit alors : « Je vois que, même en ce moment, tu contemples la demeure et la patrie du genre humain. Si elle se montre à toi, dans toute sa petitesse, ramène donc toujours tes regards vers le ciel ; méprise les choses humaines. Quelle étendue de renommée, quelle gloire désirable peux-tu obtenir parmi les hommes ? Tu vois sur la terre leurs habitations disséminées, rares, et n'occupant qu'un étroit espace; tu vois même entre ces petites taches, que forment les points habités, de vastes déserts interposés; tu vois enfin ces peuples divers tellement séparés que rien ne peut se transmettre de l'un à l'autre: tu les vois jetés çà et là, sous d'autres latitudes, dans un autre hémisphère, trop éloignés de vous, pour que vous puissiez attendre d'eux aucune gloire. »
XIII. « Tu vois ces espèces de ceintures qui semblent environner et revêtir la terre : les deux d'entre elles qui sont les plus distantes, et dont chacune s'appuie sur un pôle du ciel, tu les vois glacées d'un éternel hiver, tandis que celle qui les sépare, et la plus grande, est brûlée par l'ardeur du soleil. Deux zones sont habitables ; la zone australe, dont les peuples sont vos antipodes, race étrangère à la vôtre; enfin, cette zone septentrionale que vous habitez, vois dans quelle faible proportion elle vous appartient. Toute cette partie de la terre, en effet occupée par vous, resserrée vers les pôles, plus large vers le centre, n'est qu'une petite île, de toutes parts baignée par une mer, qui s'appelle l'Atlantique, la grande mer, l'Océan, comme vous dites sur la terre, et pourtant, avec tous ces grands noms, tu vois quelle est sa petitesse. Mais enfin, partant du point qu'occupent ces terres cultivées et connues, ta gloire, ou celle de quelqu'un des nôtres, a-t-elle pu franchir ce Caucase que tu vois, ou traverser les flots du Gange? Qui jamais, dans le reste de l'orient ou de l'occident, aux bornes du septentrion ou du midi, entendra ton nom? et, tout cela retranché, tu vois dans quelles étroites limites votre gloire cherche une carrière pour s'étendre : « ceux mêmes qui parlent de vous, combien de temps en parleront-ils ?
XIV. « Et, quand même les races futures, recevant de leurs aïeux la renommée de chacun d'entre vous, seraient jalouses de la transmettre à la .postérité, ces inondations, ces embrasements de la terre, dont le retour est inévitable, à certaines époques marquées, ne permettraient pas que nous puissions obtenir, je ne dis pas l'éternité, mais seulement la longue durée de la gloire. Et de plus, que t'importe d'être nommé dans les discours des hommes qui naîtront à l'avenir, lorsque tu ne l'as pas été dans ceux des hommes qui sont nés, avant toi; générations non moins nombreuses, et certainement meilleures ?
XV. « Surtout enfin, s'il est vrai que, parmi ceux auxquels peut arriver ton nom, nul ne saurait embrasser les souvenirs d'une seule année : car, les hommes calculent vulgairement l'année sur la révolution du soleil, c'est-à-dire d'un seul astre : mais, lorsque tous les astres seront revenus au point, d'où ils étaient partis une première fois, et qu'ils auront, après de longs intervalles, ramené la première position de toutes les parties du ciel, alors seulement, on peut véritablement dire l'année accomplie; et j'ose à peine dire combien une telle année renferme de générations humaines. Le soleil parut jadis s'éclipser et s'éteindre, au moment que l'âme de Romulus entra dans le sanctuaire des cieux : quand le soleil, au même point, éprouvera une seconde éclipse, tous les astres, toutes les planètes étant replacées au même lieu, alors seulement vous aurez une année complète; mais sachez que, d'une telle année, la vingtième partie n'est pas encore révolue.
XVI. « Si donc tu avais perdu l'espoir d'être rappelé dans ces lieux, le terme unique des grandes âmes, de quel prix serait enfin cette gloire des hommes, qui peut à peine s'étendre à une faible partie d'une seule année? Donc, si tu veux élever tes regards et les fixer sur cette patrie éternelle, ne dépends plus des discours du vulgaire, ne place plus dans des récompenses humaines le but de tes grandes actions. Que, par son charme puissant, la vertu seule t'entraîne à la véritable gloire ! Laisse aux autres à juger ce qu'ils diront de toi : ils en parleront sans doute ; mais, tout le bruit de leurs entretiens ne retentit pas au delà des régions que tu vois ; il ne se renouvelle éternellement pour personne, il tombe, avec les générations « qui meurent ; il disparaît dans l'oubli de la postérité. »
XVII. Lorsqu'il eut ainsi parlé : « O Scipion ! lui dis-je, si les hommes qui ont bien mérité de la patrie trouvent un sentier ouvert, pour les conduire aux cieux, moi qui, dès l'enfance, marchant sur les traces de mon père et sur les tiennes, n'avais point déshonoré votre gloire, je veux cependant aujourd'hui, dans la vue d'un, prix si beau, travailler avec plus de zèle encore. » Il dit : « Travaille en effet ; et sache bien que tu n'es pas mortel, mais ce corps seulement : car, tu n'es pas ce que manifeste cette forme extérieure. « L'individu est tout entier dans l'âme, et non dans cette figure, qu'on peut désigner du doigt, apprends donc que tu es dieu ; car il est dieu celui qui vit, qui sent, qui se souvient, qui prévoit, qui exerce sur ce corps, dont il est le maître, le même empire, le même pouvoir, la même impulsion que Dieu sur l'univers, celui enfin qui fait mouvoir, intelligence immortelle, un corps périssable, comme le Dieu éternel anime lui-même un corps corruptible.
XVIII. « En effet, le mouvement éternel, c'est l'éternelle vie. Mais l'être qui communique le mouvement, et qui le reçoit d'ailleurs, doit nécessairement, sitôt qu'il s'arrête, cesser de vivre. Il n'y a donc que l'être doué d'un mouvement spontané, qui ne cesse jamais d'être mû, parce qu'il ne saurait être délaissé par lui-même : bien plus, c'est en lui que tous les autres corps trouvent une cause, un principe d'impulsion. Or, ce qui est principe n'a point d'origine. Car, du principe sort tout le reste ; et lui-même ne peut tenir son être d'aucune chose ; il ne serait pas principe, comme nous l'entendons, s'il émanait du dehors. Si donc il n'a pas d'origine, il n'a pas non plus de fin : car un principe anéanti ne pourrait ni renaître d'un autre principe, ni en créer lui-même un nouveau, puisqu'un principe est nécessairement le premier point de départ de toutes choses. »
 « Ainsi, le principe du mouvement réside dans l'être qui se meut par lui-même : il ne peut donc ni commencer, ni finir : autrement, le ciel s'écroulerait, la nature resterait en suspens, et ne trouverait aucune force qui lui rendît l'impulsion primitive.
XIX. « Or, maintenant qu'il est manifeste que l'immortalité appartient à l'être qui se meut de soi-même, peut-on nier que telle ne soit la nature départie à nos âmes? En effet, tout ce qui reçoit le mouvement d'ailleurs est inanimé. Ce qui est vivant agit par une impulsion intérieure et personnelle : et, telle est la propre nature de l'âme et sa puissance. Si, parmi tous les êtres, seule elle porte en soi le mouvement, dès lors elle n'a pas pris naissance ; dès lors elle est éternelle. Occupe-la, Scipion, des choses les meilleures; il n'en est pas de meilleures que les veilles pour le salut de la patrie. L'âme développée, exercée par ce noble travail, s'envolera plus vite vers cette demeure, sa maison natale. Sa course en sera plus libre et plus légère si, du temps même qu'elle est enfermée dans le corps, elle s'élance au dehors, et par la contemplation s'arrache à la matière. Car les âmes de ceux qui se livrèrent aux plaisirs des sens, qui s'en tirent comme les esclaves et, par l'entraînement des désirs que donne la volupté, violèrent les lois des dieux et des hommes, ces âmes une fois sorties du corps, sont retenues errantes « autour de la terre, et ne rentrent dans ce lieu, qu'après le tourment d'une agitation de plusieurs siècles. » Alors, il disparut; et je m'éveillai.
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Cicéron 


Cicéron (en latin Marcus Tullius Cicero), né le 3 janvier 106 av. J.-C. à Arpinum en Italie et assassiné le 7 décembre 43 av. J.-C. à Formia, est un homme d’État romain et un auteur latin.
Orateur remarquable, il publia une abondante production considérée comme un modèle de l’expression latine classique, et dont la plus grande partie nous est parvenue. S’il s’enorgueillit d’avoir sauvé la République romaine de Catilina, sa vie politique fut diversement appréciée et commentée : intellectuel égaré au milieu d’une foire d’empoigne, parvenu italien monté à Rome, opportuniste versatile, « instrument passif de la monarchie » rampante de Pompée puis de César selon Theodor Mommsen et Jérôme Carcopino mais aussi, pour Pierre Grimal, l’intermédiaire qui nous transmit une partie de la philosophie grecque.

Les années de formation

Il naît en 106 av. J.-C. dans le municipe d’Arpinum (à 110 km au sud-est de Rome), d’une famille d'origine plébéienne élevée au rang équestre. Son cognomen, Cicero, peut être traduit par « pois chiche, verrue ». Ce cognomen lui viendrait d’un de ses ancêtres dont le bout du nez aurait eu la forme du pois chiche ou qui aurait été marchand de pois chiche.
Cicéron est envoyé à Rome pour étudier le droit ; il a notamment pour professeurs les plus célèbres jurisconsultes de l’époque, les Scævola. Ces études de droit s’accompagnent d’une solide formation philosophique, auprès de l’académicien Philon de Larissa (à une époque où la Nouvelle Académie était encore marquée par le scepticisme et le probabilisme de Carnéade) et auprès du stoïcien Diodote. Comme tous les jeunes citoyens romains, Cicéron fait son service militaire à 17 ans : il se trouve sous les ordres de Pompeius Strabo, père du Grand Pompée, pendant la guerre sociale ; c’est vraisemblablement à cette époque qu’il fait la connaissance de Pompée. Démobilisé à la fin du conflit en 81 av. J.-C., il revient à ses études de droit.
Cicéron fait un début remarqué comme avocat en 81 av. J.-C. avec le Pro Quinctio (problème de succession). En 79 av. J.-C., il prononce le Pro Roscio Amerino ; il s’attaque à un affranchi du dictateur romain Sylla, se sentant soutenu par la nobilitas. Il gagne le procès mais juge plus prudent de s'éloigner quelque temps de Rome. C'est pourquoi il part parfaire sa formation en Grèce, de 79 à 77 av. J.-C. : il y suit notamment l’enseignement d’Antiochos d'Ascalon (académicien éclectique, successeur de Philon de Larissa, marqué également par les doctrines aristotélicienne et stoïcienne), de Zénon et de Phèdre (épicuriens) à Athènes, du savant stoïcien Posidonius d'Apamée (Poseidonios) en 78-77 av. J.-C. et du rhéteur Molon à Rhodes. C’est également à Athènes qu’il se lie d’amitié avec Atticus, qui restera un de ses principaux correspondants épistolaires. À la fin de cette période de formation, tant oratoire qu’intellectuelle et philosophique, Cicéron revient à Rome, où il épouse Terentia, qui lui donne une fille, Tullia, et un fils, Marcus peu avant son consulat. Cicéron reprend son activité d'avocat d'affaires, ce qui entretient sa réputation et développe ses relations.

Les débuts en politique

Ayant atteint l'âge minimum légal de 30 ans pour postuler aux magistratures, Cicéron se lance dans la carrière politique : en 75 av.J.-C. il entame le cursus honorum en étant élu questeur, fonction qu'il exerce à Lilybée en Sicile occidentale, et qui lui ouvre l'admission au Sénat. Il acquiert sa célébrité en août 70 av.J.-C. en défendant les Siciliens dans leur procès contre Verres, ancien propréteur de Sicile qui est impliqué dans des affaires de corruption, et qui a mis en place un système de pillage d’œuvres d’art : Tandis que Verres tente en achetant les électeurs de faire échouer la candidature de Cicéron à l'édilité, ce dernier recueille de nombreuses preuves en Sicile tout en se faisant élire édile : en août 70, l’accusation portée par Cicéron est si vigoureuse et soutenue par un imposant défilé de témoins à charge que Verrès, qui va pourtant être défendu par le plus grand orateur de l’époque (le célèbre Hortensius), s’exile à Marseille immédiatement après le premier discours (l'actio prima) ; Cicéron fait malgré tout publier l’ensemble des discours qu’il a prévus (les Verrines), afin d’établir sa réputation d’avocat engagé contre la corruption.
Après cet événement qui marque véritablement son entrée dans la vie judiciaire et politique, Cicéron suit les étapes du cursus honorum comme édile en 69 av.J.-C.. Les Siciliens le remercient par des dons en nature, qu'il emploie au ravitaillement de Rome, faisant ainsi baisser le prix du blé, et augmentant sa popularité. Il devient préteur en 66 av.J.-C. : il défend cette année-là le projet de loi du tribun de la plèbe Manilius, qui propose de nommer Pompée commandant en chef des opérations d’Orient, contre Mithridate VI ; son discours De lege Manilia marque ainsi une prise de distance par rapport au parti conservateur des optimates, qui sont opposés à ce projet. Dès cette époque, Cicéron songe à incarner une troisième voie en politique, celle des «hommes de bien» (viri boni), entre le conservatisme des optimates et le «réformisme» de plus en plus radical des populares ; pourtant, de 66 av.J.-C. à 63 av.J.-C., l’émergence de personnalités comme César ou Catilina dans le camp des populares, qui prônent des réformes radicales, conduit Cicéron à se rapprocher des optimates.

La glorieuse année 63 av. J.-C.

Désormais proche du parti conservateur, Cicéron est élu consul contre Catilina, démagogue très controversé et suscitant pour tous une grande énigme, pour l'année 63 av. J.-C. grâce aux conseils de son frère Quintus Tullius Cicero - il est le premier consul homo novus depuis plus de trente ans (élu n’ayant pas de consul parmi ses ancêtres), ce qui déplaît à certains : « Les nobles […] estimaient que le consulat serait souillé si un homme nouveau, quelque illustre qu’il fût, réussissait à l’obtenir ».
Durant son consulat, il s'oppose au projet révolutionnaire du tribun Rullus pour la constitution d'une commission de dix membres aux pouvoirs étendus, et le lotissement massif de l'ager publicus. Cicéron gagne la neutralité de son collègue le consul Antonius Hybrida, ami de Catilina et favorable au projet, en lui cédant la charge de proconsul de Macédoine qu'il doit occuper l'année suivante. Son discours De lege agraria contra Rullum obtient le rejet de cette proposition.
Pour protéger l'approvisonnement de Rome et sécuriser son port Ostie des menaces des pirates, Cicéron lance les travaux de réfection des murailles et des portes d'Ostie, qui seront achevés par Clodius Pulcher en 58 av. J.-C.

Catilina, ayant de nouveau échoué aux élections consulaires en octobre 63 av. J.-C., prépare un coup d'État, dont Cicéron est informé par des fuites. Le 8 novembre, il apostrophe violemment Catilina en pleine session du Sénat : on cite souvent la première phrase de l’exorde de la première Catilinaire: Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? (« Jusqu'à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? »), et c’est dans ce même passage - même si ce n’est pas le seul endroit dans l'œuvre de Cicéron - que l’on trouve l’expression proverbiale O tempora! O mores! (Quelle époque ! Quelles mœurs !). Découvert, Catilina quitte Rome, pour fomenter une insurrection en Étrurie, confiant à ses complices l'exécution du coup d'État à Rome. Le lendemain, Cicéron informe et rassure la foule romaine en prononçant son deuxième Catilinaire, et promet l’amnistie aux factieux qui abandonneront leurs projets criminels. Puis il parvient à faire voter par le Sénat romain un senatus consultum ultimum (procédure exceptionnelle votée lors de crises graves, et qui donne notamment à son(ses) bénéficiaire(s) le droit de lever une armée, de faire la guerre, de contenir par tous les moyens alliés et concitoyens, d'avoir au-dedans et au-dehors l'autorité suprême, militaire et civile).
Mais un scandale politique vient soudain compliquer la crise : le consul désigné pour 62 av. J.-C., Lucius Licinius Murena est accusé par son concurrent malheureux Servius Sulpicius Rufus d’avoir acheté les électeurs, une accusation est soutenue par Caton d'Utique. Pour Cicéron, il est hors de question dans un tel contexte d’annuler l’élection et d’en organiser de nouvelles. Il assure donc la défense de Murena (pro Murena) et le fait relaxer, malgré une probable culpabilité, en ironisant sur la rigueur stoïcienne qui mène Caton sur des positions disproportionnées et malvenues : Car si « Toutes les fautes sont égales, tout délit est un crime; étrangler son père n'est pas plus coupable que de tuer un poulet sans nécessité ».
Dans l’intervalle, les conjurés restés à Rome s’organisent, et recrutent des complicités. Par hasard, ils contactent des délégués Allobroges, promettant de faire droit à leurs plaintes fiscales s’ils suscitent une révolte en Gaule narbonnaise. Les délégués, méfiants, avertissent les sénateurs. Cicéron leur suggère d’exiger des conjurés des engagements écrits, qu’ils obtiennent. Ayant récupéré ces preuves matérielles indiscutables, Cicéron confond publiquement cinq conjurés (troisième Catilinaire, du 3 décembre), dont l’ancien consul et préteur Publius Cornelius Lentulus Sura. Après débat au Sénat (quatrième Catilinaire), il les fait exécuter sans jugement public, approuvé par Caton mais contre l’avis de Jules César, qui a proposé la prison à vie. Catilina est tué peu après avec ses partisans dans une vaine bataille à Pistoia.
Dès lors, Cicéron s’efforce de se présenter comme le sauveur de la patrie (il fut d’ailleurs qualifié de Pater patriae, « Père de la patrie », par Caton d'Utique) et, non sans vanité, fait en sorte que personne n’oublie cette glorieuse année 63. Pierre Grimal estime toutefois que ce trait de vanité est dû à un manque de confiance en soi et tient plus de l'inquiétude que de l'arrogance.

Sa fortune

 

Cicéron est devenu membre du Sénat romain, sommet de la hiérarchie sociale, milieu aristocratique et fortuné. Sa richesse est essentiellement basée sur un patrimoine foncier comme pour tout sénateur. Cicéron possède à Rome même quatre immeubles, et une somptueuse domus sur le Palatin, vieux quartier patricien, qu’il a achetée en 62 av. J.-C. à Crassus pour 3,5 millions de sesterces. S’y ajoutent dans la campagne italienne dix exploitations agricoles (villae rusticae), sources de revenus, plus six deversoria, petits pied-à-terre. Après son achat de 62, il plaisante avec son ami Sestius sur sa situation financière : « Apprenez que je suis maintenant si chargé de dettes que j’aurais envie d’entrer dans une conjuration, si l’on consentait à m’y recevoir ».
Quoique sa fortune soit très loin des richissimes Lucullus ou Crassus, Cicéron peut et veut vivre luxueusement. Dans sa villa de Tusculum, il fait aménager un gymnase et d'agréables promenades sur deux terrasses, qu’il nomme Académie et Lycée, évocations de Platon et d’Aristote. Il décore sa villa d’Arpinum par une grotte artificielle, son Amalthéum, évoquant Amalthée qui allaita Jupiter enfant.
Son activité d’avocat est la seule activité honorable pour un sénateur, interdit de pratique commerciale ou financière. Cela ne l’empêche pas de fréquenter les milieux d’affaires, plaçant ses surplus de trésorerie ou empruntant chez son ami le banquier M. Pomponius Atticus. Il investit parfois par l’intermédiaire de ses banquiers, plaçant par exemple 2,2 millions de sesterces dans une société de publicains. Parmi ces relations intéressées, Cicéron nous parle aussi de Vestorius « spécialiste du prêt, qui n’a de culture qu’arithmétique, et dont la fréquentation pour cette raison ne lui est pas toujours agréable.  » et de Cluvius, financier qui lui léguera en 45 av. J.-C. une partie de ses propriétés, dont des boutiques à Pompéi, en fort mauvais état, mais Cicéron est un investisseur philosophe :
« … deux de mes boutiques sont tombées; les autres menacent ruine, à tel point que, non seulement les locataires ne veulent plus y demeurer, mais que les rats eux-mêmes les ont abandonnées. D’autres appelleraient cela un malheur, je ne le qualifie même pas de souci, ô Socrate et vous philosophes socratiques, je ne vous remercierai jamais assez ! … En suivant l'idée que Vestorius m'a suggérée pour les rebâtir, je pourrai tirer par la suite de l'avantage de cette perte momentanée»

Vicissitudes dans une République à la dérive

Après le coup d’éclat de l’affaire Catilina, la carrière politique de Cicéron se poursuit en demi-teinte, en retrait d’une vie politique dominée par les ambitieux et les démagogues. Après la formation en 60 av. J.-C. d’une association secrète entre Pompée, César et Crassus (le premier triumvirat), César, consul en 59 av. J;-C., propose d’associer Cicéron comme commissaire chargé de l'attribution aux vétérans de terres en Campanie, ce que ce dernier croit bon de refuser.
En mars 58 av. J.-C., ses ennemis politiques, menés par les consuls Pison et Gabinius et le tribun de la plèbe Clodius Pulcher qui lui voue une haine tenace depuis qu’il l’a confondu en 62 av. J.-C. dans l’affaire du culte de Bona Dea, le font exiler sous prétexte de procédés illégaux contre les partisans de Catilina, exécutés sans avoir pu faire appel. Isolé, lâché par Pompée, Cicéron quitte Rome le 11 mars, veille du vote de la loi qui le frappe. Désigné liquidateur de ses biens, Clodius fait détruire sa maison sur le Palatin, et consacrer à la place un portique à la Liberté, dans le même temps, Gabinius pille la villa de Cicéron à Tusculum. Quant à Cicéron, il déprime dans cette retraite forcée à Dyrrachium, puis à Thessalonique.
À Rome, ses amis tentent d'organiser un vote annulant la loi de Clodius. Son frère sollicite Pompée, qui s'est brouillé avec Clodius, tandis que Publius Sestius obtient la neutralité de César. Mais Clodius s'oppose à toutes les tentatives légales par les vetos des tribuns, puis avec ses bandes armées. Le nouveau tribun de la plèbe Titus Annius Milon partisan de Cicéron forme à son tour des bandes, les affrontements se multiplient. Pour avoir l'avantage du nombre, Pompée fait venir à Rome en masse des citoyens de villes italiennes, et obtient le 4 août 57 av. J.-C. un vote annulant l'exil de Cicéron.
Cicéron peut revenir triomphalement à Rome début septembre 57 av. J.-C.. Il reprend aussitôt l’activité judiciaire et défend avec succès Publius Sestius (Pro Sestio), puis Caelius (pro Caelio), impliqués dans les émeutes qui opposent désormais les bandes armées de Milon à celles de Clodius. Par son discours de retour au Sénat (Post Reditum in Senatu), il obtient que l’État l’indemnise de 2 millions de sesterces pour la destruction de sa maison du Palatin, 500 000 pour sa villa de Tusculum, 250 000 pour celle de Formies, ce qu'il trouve trop peu d'ailleurs, écrit-il à Atticus reprochant leur « jalousie » aux sénateurs. Obstiné, Cicéron veut la reconstruire, mais récupérer son terrain est problématique, il lui faudra détruire un espace consacré. Cicéron parvient à faire casser la consécration par les pontifes pour vice de forme (discours Pro domo sua), mais Clodius, élu édile, l’accuse de sacrilège devant l'assemblée des comices, ses bandes harcèlent les ouvriers qui ont commencé les travaux, incendient la maison du frère de Cicéron, attaquent celle de Milon. Pompée doit intervenir pour ramener l’ordre et permettre la reconstruction de la maison de Cicéron.
En contrepartie de cette protection d’un des triumvirs, Cicéron prononce au Sénat le de Provinciis Consularibus obtenant la prolongation du pouvoir proconsulaire de César sur la Gaule, qui lui permet de poursuivre la Guerre des Gaules.
Les luttes politiques dégénèrent en affrontements violents entre groupes partisans des populares et des optimates, empêchant la tenue normale des élections. Clodius est tué début 52 av. J.-C. dans une de ces rencontres ; Cicéron prend naturellement la défense de son meurtrier Milon. Mais la tension est telle lors du procès que Cicéron, apeuré, ne peut plaider efficacement et perd la cause. Milon anticipe une probable condamnation en s'exilant à Marseille. Cicéron publiera néanmoins la défense prévue dans son fameux Pro Milone.

Proconsulat en Cilicie (51-50)

En 53 av. J.-C., le Sénat impose un intervalle de cinq ans entre l'exercice d'une magistrature et celui de la promagistrature correspondante en province, afin de mettre un frein aux endettements lors des campagnes électorales, ensuite remboursés en détroussant les provinces. La mesure contraint en 51 av. J.-C. à trouver des remplaçants pour les consuls sortants, qui doivent attendre pour rejoindre leur province. Le Sénat y pallie en attribuant ces provinces aux anciens magistrats qui n'ont pu exercer leur promagistrature. Cicéron qui avait renoncé à la Macédoine lors de son consulat obtient donc un mandat de proconsul en Cilicie, petite province romaine d’Asie mineure, charge qu'il prend sans enthousiasme. À l'époque, cette province couvre un territoire plus large que celui qu'elle aura sous l'empire, et comprend aussi la Lycie, la Pamphylie, la Pisidie, la Lycaonie et aussi Chypre que Rome vient d'annexer.
Selon Plutarque, Cicéron gouverne avec intégrité . Pour Levert, c'est l'occasion pour Cicéron de mettre en pratique sa philosophie de gouvernement des provinces, basée sur la paix et la justice, essentiellement fiscale : il rencontre les élites locales des villes qu'il traverse, supprime les charges fiscales injustifiées, modère les taux d'intérêt usuraires, noue alliance avec Dejotarus, roi de Galatie et Ariobarzane de Cappadoce. De surcroit, Cicéron doit mater une révolte dans les Monts Amanus proches de la Syrie, où Antioche est sous la menace des raids parthes. Il lève des troupes et nomme légat son frère, qui a acquis l'expérience de l'action militaire lors de la guerre des Gaules. Après deux mois de siège de la cité de Pindenissus, foyer de l'insurrection, les insurgés capitulent. Pour ce fait d'armes, Cicéron est salué imperator par ses soldats, et songe à demander à son retour la célébration du triomphe, par vanité ou pour se hisser au niveau d'importance des Pompée et César.

La tourmente de la guerre civile

A son retour en 50 av. J.-C., une crise politique aiguë oppose César à Pompée et aux conservateurs du Sénat. Cicéron prend le parti de Pompée, tout en essayant d'élaborer un compromis acceptable par César, sans succès.
Lorsque ce dernier envahit l’Italie en 49 av. J.-C., Cicéron fuit Rome comme la plupart des sénateurs, et se réfugie dans une de ses maisons de campagnes. Sa correspondance avec Atticus exprime son désarroi et ses hésitations sur la conduite à tenir. Il considère la guerre civile qui commence comme une calamité, quel qu’en sera le vainqueur. César, qui souhaite regrouper les neutres et les modérés, lui écrit puis lui rend visite, et lui propose de regagner Rome comme médiateur. Cicéron refuse et se déclare du parti de Pompée. César le laisse réfléchir, mais Cicéron finit par rejoindre Pompée en Épire.
Selon Plutarque, Cicéron, mal accueilli par Caton qui lui dit qu’il aurait été plus utile pour la République qu’il reste en Italie, se comporta en poids mort et ne prit part à aucune action militaire menée par les pompéiens; après la victoire de César à Pharsale en 48 av. J.-C., il abandonne le parti pompéien et regagne Rome, où il est bien accueilli par César. Il en profite pour obtenir de César la grâce de plusieurs de ses amis (discours Pro Marcello, Pro Q. Ligario, Pro Rege Deiotarus). Dans une lettre à Varron du 20 avril 46 av. J.-C., il donne ainsi sa vision de son rôle sous la dictature de César :
« Je vous conseille de faire ce que je me propose de faire moi-même - éviter d’être vu, même si nous ne pouvons éviter que l’on en parle… Si nos voix ne sont plus entendues au Sénat et dans le Forum, que nous suivions l’exemple des sages anciens et servions notre pays au travers de nos écrits, en se concentrant sur les questions d’éthique et de loi constitutionnelle »
Cicéron met ce conseil en pratique, réside le plus souvent dans sa résidence de Tusculum et se consacre à ses écrits, à la traduction des philosophes grecs, voire à la rédaction de poésies. Sa vie privée est néanmoins perturbée : il divorce de Terentia en -46, et épouse peu après la jeune Publilia. En février 45 av. J.-C., sa fille Tullia meurt, lui causant une peine profonde exprimée dans son traité sur la douleur : les Tusculanes. Il divorce de Publilia après ce décès, car elle s'était réjouie du décès de Tullia.
Ses relations avec César sont devenues assez distantes. Si César n’est pas le modèle de dirigeant éclairé que Cicéron théorisait dans son De Republica, il n’est pas non plus le tyran sanguinaire qu’on avait craint, et de toute façon, il est désormais maître absolu de Rome, donc Cicéron s’en accommode. Il rédige un panégyrique de Caton, qu’il qualifie de « dernier républicain », petite manifestation d’indépendance d’esprit à laquelle César répond en publiant un Anticaton, recueil de ce que l’on peut reprocher à Caton. Cicéron conclut ce duel rédactionnel en complimentant « d’égal à égal » César pour la qualité littéraire de son écrit.
En décembre 45 av. J.-C., César et sa suite s’invitent à dîner dans la villa de Cicéron à Pouzzoles. Au grand soulagement de Cicéron, César ne cherchait qu'une soirée de détente, la conversation fut agréable et cultivée, n’abordant que des sujets littéraires :
« Services magnifiques et somptueux. Propos de bon goût et d’un sel exquis. Enfin, si vous voulez tout savoir, la plus aimable humeur du monde. [ ] L’hôte que je recevais n’est pourtant pas de ces gens à qui l’on dit : au revoir cher ami, et ne m’oubliez pas à votre retour. C’est assez d’une fois. Pas un mot d’affaires sérieuses. Conversation toute littéraire. [ ]. Telle a été cette journée d’hospitalité ou d’auberge si vous l’aimez mieux, cette journée qui m’effrayait tant, vous le savez, et qui n’a rien eu de fâcheux »
Trois mois plus tard, Cicéron est surpris par l’assassinat de César, aux Ides de Mars, le 15 mars 44 av. J.-C., car les conjurés l'avaient laissé hors de la confidence en raison de son anxiété excessive. Dans le flottement politique qui suit, Cicéron tente de se rallier le Sénat romain, et fait approuver une amnistie générale qui désarme les tensions tandis que Marc Antoine, consul et exécuteur testamentaire de César, reprend le pouvoir un instant vacillant. Mais les deux hommes ne parvinrent pas à s’accorder.
Lorsque le jeune Octave, héritier de César, arrive en Italie, en avril, Cicéron songe à l’utiliser contre Marc-Antoine, sans succès. En septembre il commence à attaquer Marc-Antoine dans une série de discours de plus en plus violents, les Philippiques. Cicéron décrit ainsi sa position dans une lettre à Cassius, l’un des assassins de César, le même mois :
Je suis content que vous aimiez ma proposition au Sénat et le discours qui l’accompagne… Antoine est un fou, corrompu et bien pire que César – que vous avez déclaré l’homme le plus abject quand vous l’avez tué. Antoine veut commencer un bain de sang…
Mais la situation politique n’est plus celle qui prévalait en 63 av. J.-C., Cicéron ne peut reproduire avec ses Philippiques l’effet de ses Catilinaires. Le Sénat, décimé par la guerre civile et reconstitué par César de nombreux nouveaux venus, est indécis et se refuse à déclarer Marc Antoine ennemi public. L’année suivante, après un bref affrontement à Modène, Octave et Marc-Antoine se réconcilient et constituent avec Lépide le Second triumvirat, qui reçoit les pleins pouvoirs.
Les trois hommes ne tardent pas à s’accorder à l’encontre de leurs ennemis personnels. Malgré l’attachement d’Octave à son ancien allié, il laisse Marc-Antoine proscrire Cicéron. Celui-ci est assassiné le 7 décembre 43 av. J.-C. ; sa tête et ses mains sont exposées sur les Rostres, au forum sur ordre de Marc-Antoine. Son frère Quintus et son neveu sont exécutés peu après dans leur ville natale d'Arpinum. Seul son fils échappe à cette répression.

La mort de Cicéron

Le culte de la mort honorable et héroïque était très fort dans la Rome antique et tout homme savait qu'il serait aussi jugé sur son attitude, ses poses ou ses propos lors des derniers moments de sa vie. En fonction de leurs intérêts politiques ou de leur admiration envers Cicéron, ses biographes ont parfois considéré sa mort comme exemple de lâcheté (Cicéron a été assassiné alors qu'il était en fuite) ou plus souvent, au contraire, comme un modèle d'héroïsme stoïque (il tend son cou à son bourreau, qui ne peut supporter son regard).
La version de l'événement que donne Plutarque combine habilement ces deux visions:
« À ce moment, survinrent les meurtriers; c'étaient le centurion Herennius et le tribun militaire Popilius que Cicéron avait autrefois défendu dans une accusation de parricide. […] Le tribun, prenant quelques hommes avec lui, se précipita […] Cicéron l'entendit arriver et ordonna à ses serviteurs de déposer là sa litière. Lui-même portant, d'un geste qui lui était familier, la main gauche à son menton, regarda fixement ses meurtriers. Il était couvert de poussière, avait les cheveux en désordre et le visage contracté par l'angoisse. […] Il tendit le cou à l'assassin hors de la litière. Il était âgé de soixante-quatre ans. Suivant l'ordre d'Antoine, on lui coupa la tête et les mains, ces mains avec lesquelles il avait écrit les Philippiques. Après sa mort, son fils, Marcus Tullius deuxième du nom, n'eut qu'une vie assez effacée. Ami de Brutus, le fils de Cicéron sera à maintes reprises officier, mais cependant resta presque inconnu dans la sphère politique, contrairement à son père. »

L'art oratoire de Cicéron

Cicéron jouit d’une réputation d’excellent orateur, de son vivant et plus encore après sa disparition. Selon Pierre Grimal, nul autre que lui n’était capable d’élaborer une théorie romaine de l’éloquence, comme mode d’expression et moyen politique.
Cicéron rédige sur ce sujet de nombreux ouvrages, didactiques ou théoriques, et même historique avec le Brutus (sive dialogus de claris oratoribus), brève histoire des orateurs romains célèbres jusqu'à César, dont il apprécie la qualité d'expression, et à qui il fait prononcer un éloge de Cicéron.

Son style d'éloquence

A partir du IIe siècle av. J.-C., la maîtrise du discours devient une nécessité pour les hommes politiques qui se font une concurrence, lors des procès qui se multiplient, dans les débats au Sénat, et les prises de paroles pour séduire une opinion publique de plus en plus présente. Les Romains se mettent à l'école des rhéteurs grecs, véritables professionnels de la parole. A l'époque de Cicéron, plusieurs styles sont en vogue, tous d'origine hellénique : l'asianisme, forme de discours brillante et efficace originaire d'Asie, mais tendant à l'enflure et au pathos, à l'exagération, aux effets faciles, usant de tournures maniérées et recherchées ; l'Atticisme, plus concentré et précis, attaché à la pureté du langage, et enfin l'école de Rhodes, à l'éloquence sobre et au débit calme, dont Démosthène était le modèle.
Selon Cicéron, les excès d'émotion de l'asianisme ne convenaient pas à la gravitas, le sérieux et la mesure du caractère romain. Il se range dans l'école de Rhodes, dont il suivit les enseignements de Molon, et voua une grande admiration pour Démosthène.
Cicéron fait valoir son avis sur les styles d'éloquence dans le Orator ad Brutum (Sur l’Orateur), où il fait l'éloge d'un style abondant et soigné qu'il fait sien contre l'atticisme étriqué. Selon lui, cet atticisme que certains rendent aride est plus propre à plaire à un grammairien qu'à séduire et convaincre la foule. Il complète et étaye son argumentation par des exemples présentés dans le De optimo genere oratorum (Du meilleur style d'orateur), traduction depuis le grec de deux plaidoyers d'Eschine et Démosthène qu'il pose en exemple de ce qu'il juge le bon atticisme, abondant, expressif et harmonieux. De cette œuvre, il ne nous reste que la préface introductive de Cicéron, les traductions proprement dites sont perdues.
Son style personnel d'éloquence a néanmoins des détracteurs : on l'a trouvé surabondant, se complaisant trop aux digressions agréables mais non nécessaires, aux développements de lieux communs, sacrifiant parfois la simplicité et la précision aux effets de figures et au balancement des périodes.

Techniques oratoires

Les Romains ont consacré peu d'ouvrages aux techniques oratoires avant l'époque de Cicéron, on ne connaît que celui que Caton l'Ancien rédigea pour son fils. Un autre manuel de rhétorique, également en forme de guide pratique, La Rhétorique à Herennius fut longtemps attribuée à Cicéron, et comme tel publiée à la suite du De Inventione. Quoique ce traité puisse être daté de l'époque de Cicéron d'après les personnages qu'il évoque, cette paternité n'est plus retenue de nos jours en raison des opinions exprimées dans l'ouvrage qui sont fort différentes de celles de Cicéron.
Cicéron consigne des règles de l'art oratoire dans une œuvre de jeunesse datée de 84 av. J.-C., le De inventione, sur la composition de l’argumentation en rhétorique, dont deux des quatre livres qui le composaient nous sont parvenus. Se positionnant par rapport aux maîtres grecs, Aristote qu'il suit et Hermagoras de Temnos qu'il réfute, Cicéron consacre une longue suite de préceptes à la première étape de l'élaboration d'un discours, l'inventio ou recherche d'éléments et d'arguments, pour chacune des parties du plan type d'un discours : l'exorde, la narration, la division, la confirmation, la réfutation et la conclusion. Pour les autres étapes, Cicéron renvoie à des livres suivants, perdus ou peut-être jamais écrits. Toutefois, lorsqu'il atteint sa maturité, il semble regretter cette publication précoce et quelque peu scolaire, qu'il critique dans le De Oratore.
En 54 soit presque trente ans plus tard, et fort de son expérience, Cicéron reprend son exposé sur les techniques oratoires avec le célèbre Dialogi tres de Oratore (Les trois dialogues sur l'orateur). Il prend de la distance avec les maitres grecs, et de façon plus vivante, présente son ouvrage sous forme de dialogue entre les grands orateurs de la génération précédente : Antoine, Crassus et Scævola, ce dernier ensuite remplacé par Catulus et son frère utérin César. Ils s'entretiennent avec Sulpicius et Cotta, jeunes débutants avides de s'instruire auprès d'hommes d'expérience. Leur réunion date de l'année 91 av. J.-C., période agitée qui précède la guerre sociale puis la sanglante rivalité entre Marius et Sylla, ce qui fait volontairement écho selon Levert à la situation politiquement troublée qui prévaut à la publication de cette œuvre. Dans le second dialogue, ils dissertent des différentes étapes définies par la rhétorique pour l'élaboration du discours : l'invention, la disposition, l'élocution, la mémorisation. L'humour manipulateur a même sa place, sous forme de raillerie pour le ton du discours, ou de bons mots pour réveiller l'intérêt du public ou calmer son excitation.
Cicéron revient à des exposés didactiques dans deux ouvrages techniques de portée plus limitée. Le De partitionibus oratoriis, sur les subdivisions du discours, daté de 54, est un abrégé méthodologique destiné à son fils. Le Topica est rédigé en 44 à la demande de son ami Trebatius Testa, qui le prie d'expliquer les règles d'Aristote sur les topoï, éléments de l’argumentation.

Rôle de l'orateur dans la République

Toutefois pour Cicéron, l'exercice oratoire ne se résume pas à l'apprentissage des procédés grecs de rhétorique. Il l'insère dans une vision plus vaste, développe une théorie de l'éloquence, et répond ainsi à la critique de Platon qui n'y voit qu'un exercice qui se réduirait à un art du faux-semblant.
Pour Cicéron, l'orateur doit être la figure centrale de la vie publique romaine, affirmation qui répond à l'ambition des imperators, qui recherchent gloire et pouvoir par leurs succès militaires et leurs triomphes. Dans son Brutus, il affirme à propos de César la supériorité de la gloire de l'éloquence sur celle des armes. L'orateur doit posséder au préalable des qualités fondamentales : une philosophie et une culture. Dans son Orator ad Brutum, Cicéron affirme que la parole repose sur la pensée, et ne saurait donc être parfaite sans l'étude de la philosophie. D'autre part, l'art de bien dire suppose nécessairement que celui qui parle possède une connaissance approfondie de la matière qu'il traite.

La philosophie de Cicéron

La philosophie à Rome avant Cicéron

Cicéron est le premier des auteurs romains qui ait composé en latin des ouvrages de philosophie. Il en est fier, mais il semble s’excuser d’avoir consacré à de telles occupations une partie de ses loisirs. Car selon lui, parmi ses contemporains, les uns ne pouvaient admettre en aucune façon qu’on s’adonnât à la philosophie ; d’autres voulaient qu’on ne le fît qu’avec une certaine mesure, et sans y consacrer trop de temps et d’étude. D’autres enfin, méprisant les lettres latines, préféraient lire les ouvrages des Grecs sur ces matières.
« Aussi jusqu’à nos jours la philosophie a été négligée, et n’a reçu des lettres latines aucune illustration. »
Le goût des spéculations philosophiques pour elles-mêmes était étranger aux Romains. C’étaient avant tout des hommes d’action et des esprits positifs. Rome accueille les idées grecques à partir du IIe siècle av. J.-C. avec une certaine méfiance incarnée par l'anti-hellénisme de Caton l'Ancien, tandis que des aristocrates comme les Scipions manifestent leur intérêt : les sénateurs ne voulaient pas que le peuple et la jeunesse s’adonnassent à des études qui absorbent toute l’activité intellectuelle, font rechercher le loisir, et produisent l'indifférence pour les choses de la vie réelle ; ainsi en 173 av. J.-C. deux philosophes épicuriens Alkios et Philiskos sont chassés de Rome soupçonnés de pervertir la jeunesse avec une doctrine basée sur le plaisir, et en 161 av. J.-C., le préteur est autorisé à expulser philosophes et rhéteurs. Et les trois philosophes députés auprès du sénat par Athènes, Carnéade, Diogène et Critolaüs ne comprennent aucun épicurien.
C'est le stoïcisme qui pénètre d’abord à Rome, avec Panétios de Rhodes, protégé de Scipion Émilien, et qui exerce une profonde influence sur les membres de son cercle Laelius, Furius, Aelius Stilo et les jurisconsultes Q. Ælius Tubéron et Mucius Scévola. Mais les autres doctrines ne tardèrent pas à s’introduire aussi à Rome, et y eurent des disciples. Après la prise d’Athènes par Sylla (87 av. J.-C.), les écrits d’Aristote furent apportés à Rome ; Lucullus réunit une vaste bibliothèque, où étaient déposés les monuments de la philosophie grecque. En même temps, les Romains virent arriver dans leur ville les représentants des principales écoles de la Grèce. Il ne fut plus permis à un Romain lettré d’ignorer une science que tant de maîtres et d’ouvrages mettaient à la portée de tous. Aussi voyons-nous que parmi les contemporains de Cicéron, pas un seul ne resta étranger aux études philosophiques. Chacun d’eux s’attacha, suivant les tendances de son caractère, à telle ou telle secte ; Lucullus à la nouvelle Académie, ainsi que Marcus Junius Brutus et Varron. Lucrèce, Atticus, Cassius, Velléius Torquatus, furent épicuriens. Les jurisconsultes Q. Mucius Scévola, Servius Sulpicius Bufus, Tubéron, Caton, furent stoïciens. Il y eut même une sorte de pythagoricien, Nigidius Figulus, et un péripatéticien, M. Pupius Pison.
Parmi les contemporains de Cicéron, un certain Amafinius composa un ouvrage sur l’Épicurisme. M. Brutus écrivit un traité Sur la vertu et Varron résuma les opinions des philosophes anciens sur le souverain bien. Pour eux, la philosophie était la marque d’une haute culture intellectuelle, une sorte de distinction ou de luxe qu’ils voulaient posséder, mais ils réduisaient souvent toute la philosophie à la morale en faisant prédominer dans l’étude même de la morale le côté pratique, les applications immédiates, en la bornant presque à n’être plus qu’un manuel à l’usage du citoyen et de l’homme.

La formation philosophique de Cicéron

Cicéron ne fit pas autrement que ses contemporains ; dans sa jeunesse, il étudia la philosophie, parce qu’elle lui parut une puissante auxiliaire de l’éloquence ; mais il ne se résolut à composer des ouvrages philosophiques que dans les dernières années de sa vie, c’est-à-dire dans des circonstances où il ne pouvait trouver un autre emploi de ses loisirs. Il vit dans ce travail une consolation ; voilà la première origine des ouvrages philosophiques de Cicéron. Ce sont entre tous des ouvrages de circonstance. Inquiet, abattu, malade d’esprit, il va demander à la sagesse antique les remèdes de l’âme et la force dont il a besoin.
Dans sa jeunesse, il étudia d’abord l’épicurisme : cette doctrine avait alors de fort nombreux représentants, puisque les premiers écrits philosophiques des Romains, ceux d’Amafinius, de Catius, et le poème de Lucrèce, sont des expositions de l’épicurisme. Cicéron fut l’élève de Phèdre et de Zénon, tous deux épicuriens. Plus tard Philon de Larissa l’académicien, Antiochus d’Ascalon, et les stoïciens Diodote et Posidonius furent tour à tour ou simultanément ses instituteurs. À l’exemple de ses compatriotes, il ne s’attacha exclusivement à aucune école, il fut éclectique. Cependant ses préférences furent pour la nouvelle Académie (Carnéade et Clitomaque). La doctrine du probabilisme et du vraisemblable convenait parfaitement à un avocat. D’un autre côté, le stoïcisme, par son élévation morale et son engagement dans la vie de la cité séduisait l'homme politique romain. De ce mélange de doctrines se compose ce qu’on appelle la philosophie de Cicéron.

Philosophie morale

Dans ses derniers traités et plus particulièrement dans le De finibus, Cicéron, comme pour tous les philosophes anciens, aborde la question primordiale en morale, celle du souverain bien, valeur souveraine et but de la vie, qui doit déterminer l'orientation de notre vie et de nos actes.
Pour Cicéron, ce principe, une fois établi, fixe tous les autres. Ignorer le souverain bien, c’est ignorer toute la loi de notre vie. En revanche, quand de la connaissance des fins particulières des choses on parvient à comprendre quel est le bien par excellence ou quel est le comble du mal, notre vie a trouvé sa voie et nos devoirs leur formule précise. Synthétisant les analyses de philosophes grecs qu'il a étudié, Cicéron identifie trois réponses possibles : Pour les uns, le souverain bien, c’est le plaisir ; pour d’autres, c’est l’honnêteté ou la vertu ; pour d’autres enfin, c’est le mélange ou la réunion du plaisir et de la vertu. En d'autres termes, l'épicurisme, le stoïcisme ou le platonisme. Quoique son ami Atticus soit épicurien, Cicéron n'adhère pas à ce courant, car il n'accepte pas que l'on préconise le retrait de la vie publique. Quoiqu'il exprime un certain intérêt pour le stoïcisme, il en refuse l'isolement, car pour lui, l'homme est fait pour agir, et il lui préfère le platonisme.

Son œuvre philosophique

La République

La première en date de ses œuvres est de 54 av. J.-C.. C’est le traité Sur la République, ou Sur le gouvernement, en six livres, adressé à Atticus.
C’est un dialogue dont les interlocuteurs sont le jeune Scipion Émilien, Lélius, Manilius Philus, Tubéron, Mucius Scævola, C. Fannius, conversant ensemble vers 129 av. J.-C. sur la constitution et le gouvernement de la République, quelques années avant la grande révolution essayée par les Gracques. Jusqu’en 1814, on ne connaissait de cet important ouvrage que la conclusion conservée par Macrobe sous le titre de Songe de Scipion, et quelques passages fort courts cités par Saint Augustin, Lactance et des grammairiens. Le philologue italien Angelo Mai (1782-1854) découvrit sur un manuscrit palimpseste des commentaires de saint Augustin sur les psaumes, une partie du texte effacé du traité de la République. Malgré ces restitutions, l’ouvrage est encore défectueux : des livres entiers sont si mutilés qu'on peut à peine reconnaître le plan complet de l’ouvrage. Les contemporains, l’antiquité tout entière, les Pères de l'Église eux-mêmes en faisaient le plus grand cas ; Cicéron n’en parle qu’avec une prédilection marquée ; il n’est pas loin de croire avec ses amis qu’il a enfin réussi à surpasser les Grecs, et que sa République est bien supérieure à celle de Platon et au traité d’Aristote sur la politique.
On retrouve dans Cicéron la fameuse théorie platonicienne de la justice, sur laquelle est fondé tout le traité de la république ; on retrouve aussi le songe d'Er le Pamphilien, cette vision éclatante des merveilles de l’autre vie. Le songe de Scipion, un des morceaux les plus parfaits que Cicéron ait écrit, est un hors-d'œuvre imité du grec et habillé à la romaine. Quant à Aristote, il n’est pas difficile non plus de signaler les nombreux emprunts que Cicéron lui a faits. La description des trois formes de constitutions pures, la démocratie, l’aristocratie, la royauté ; l’analyse des constitutions mélangées, les principes propres à chacune des formes de gouvernement, et enfin la théorie de l’esclavage, ne lui appartiennent pas en propre. Ainsi et la partie dogmatique et la partie technique sont des reprises de la Grèce. Mais ce qui faisait aux yeux des contemporains l’originalité et la supériorité de l’ouvrage, c’est la place considérable qu’y tenait Rome. Cicéron en effet avait pris comme idéal de tout gouvernement la constitution romaine, non point telle qu’elle existait de son temps, déjà altérée dans son principe, et penchant visiblement vers une monarchie militaire, mais telle que l’avaient établie les Catons, les Scipions, les Fabii : elle lui apparaissait comme un heureux mélange des trois formes de gouvernement, l’aristocratique, le démocratique, le monarchique.
Cependant, Cicéron rend également un hommage appuyé à la philosophie stoïcienne du droit : Est quidem vera lex recta ratio naturae congruens, diffusa in omnes, constans, sempiterna, quae vocet ad officium subendo.... À travers cette volonté de ramener le droit à l'expression de la raison, d'une raison accessible à tous (diffusa in omnes), il exprime avec une précision sans égal la doctrine du droit naturel : une loi logique, conforme à la nature, immuable et permanente.
Les consuls représentaient la monarchie, tempérée par la courte durée des fonctions ; le sénat représentait l’aristocratie, et le peuple représentait la démocratie. Les pouvoirs et les attributions des trois ordres étaient si sagement définis ; il y avait un équilibre si heureux entre ces forces différentes et non contraires, que Cicéron s’abstenait de chercher la république idéale qu’avait imaginée Platon, et il avait sur Aristote cette supériorité qu’il pouvait conclure en disant : J’ai trouvé la forme de gouvernement la plus parfaite, ce que le Stagyrite n’eût jamais osé faire. Voilà ce qui constitue l’originalité de ce traité. C’est une œuvre essentiellement romaine ; et il n’est pas étonnant qu’elle ait excité une telle admiration. La légitimité des conquêtes de Rome démontrée à des Romains, l’éloge des institutions nationales, la glorification des traditions de la patrie, tout cela était bien fait pour plaire à des contemporains. Peut-être ne serait-il pas difficile de montrer que, même conçu ainsi, cet ouvrage se rapproche singulièrement de celui de Polybe, esprit philosophique et pratique à la fois, et qui, lui aussi, a pris pour point de départ de son histoire universelle la constitution romaine.

Les Lois


Le Traité sur les Lois, qui parut vraisemblablement en 702 (-52), au moment où Cicéron venait d’être nommé augure, peut être considéré comme le complément du traité sur la République. Il présente les mêmes qualités et les mêmes défauts que ce dernier. Ce n’est ni un ouvrage purement philosophique, ni un ouvrage de pure jurisprudence, mais une sorte de compromis entre la spéculation et la pratique. Dans le premier livre, visiblement inspiré de Platon, et probablement aussi du traité spécial de Chrysippe sur la Loi (Peri nomou), Cicéron démontre avec une grande élévation de pensée et de style l’existence d’une loi universelle, éternelle, immuable, conforme à la raison divine et se confondant avec elle. C’est elle qui constitue le droit naturel, antérieur et supérieur au droit positif ; elle existait avant qu’aucune loi eût été écrite, avant qu’aucune cité eût été fondée. Après cette belle entrée en matière, Cicéron abandonne la métaphysique du droit, et passe à l’examen des lois positives. Mais il s’en faut qu’il recherche dans l’étude des lois les applications aux diverses formes de gouvernement, comme l’a fait Montesquieu. De même qu’il n’y avait à ses yeux d’autre république que la république romaine, il semble qu’il n’y ait d’autres lois que les lois de Rome. Du premier coup il a rencontré la législation la plus parfaite ; il se borne à une énumération des textes, à laquelle on a pu reprocher un manque d’ordre méthodique et rationnel. Les lois qui attirent surtout son attention sont celles qui règlent les détails et l’ordonnance du culte. Ce qui s’explique tout naturellement par sa promotion à l’augurat. Il a peut-être voulu paraître aux yeux de ses contemporains profondément versé dans la connaissance des choses de la religion, et bien digne du dépôt sacré qui lui était confié.
Tout le second livre est consacré à cet inventaire aride. Le troisième livre, défiguré par quelques lacunes, est consacré à la politique. Cicéron y examine la nature et l’organisation du pouvoir, le caractère des diverses fonctions de l’État, l’antagonisme salutaire, qui doit exister entre les forces qui le constituent. Ces questions d’un intérêt général si vif, puisqu’elles touchent directement au problème de la liberté politique, avaient une importance considérable et une sorte d’actualité pour les contemporains de Cicéron. Quelle devait être la part de l’aristocratie ou du sénat, et celle du peuple dans le gouvernement de la république ? Le temps n’était pas éloigné où César devait trancher la question. Tous les esprits avisés prévoyaient une catastrophe ; on s’efforçait de consolider l’autorité du sénat et des lois pour opposer au flot démocratique une barrière plus forte. Quintus, le frère de Cicéron, représente, dans la discussion relative à cette grave question, l’obstination et la morgue patriciennes. Il va même jusqu’à combattre l’institution du tribunat qu’il déclare impolitique et dangereuse. Cicéron, sans accepter entièrement les opinions de son frère, reconnaît cependant les périls qu’une telle magistrature peut offrir pour le maintien de la paix et de la liberté ; mais il montre aussi qu’il n’est pas fort difficile de tromper le peuple, et de briser ainsi entre les mains des tribuns une arme redoutable. Il conseille de le faire ; il croit la chose juste et utile. Que dut-il penser plus tard, quand il vit César mettre en pratique, pour détruire la constitution de l’État, une théorie qu’il croyait faite pour le sauver ?
Nous ne possédons que les trois premiers livres du traité des Lois : il y en avait probablement six. Le quatrième était consacré à l’examen du droit politique, le cinquième au droit criminel, le sixième au droit civil. Ces livres sont perdus. On doit d’autant plus le regretter qu’aucun autre ouvrage de Cicéron sur des matières analogues ne peut les remplacer pour nous.
N’oublions pas que les traités de la République et des Lois furent écrits à une époque où la constitution romaine était encore debout, avant la guerre civile et la ruine de l’antique liberté. Cette circonstance explique le caractère des deux ouvrages : ils sont à la fois théoriques et pratiques, et même techniques. Quand la révolution sera consommée, l’élément spéculatif dominera dans la philosophie de Cicéron, et la réalité de la vie publique lui échappant, il se réfugiera dans la contemplation.

Les Académiques


Le premier en date de ces ouvrages philosophiques de la seconde période de sa vie est celui qu’on désigne sous le titre des Académiques (Academica). On peut le considérer comme l’introduction naturelle aux ouvrages qui suivent. En effet, la philosophie de Cicéron devait emprunter aux principaux systèmes des Grecs les éléments souvent contradictoires qui la constituent. Cicéron n’est ni un péripatéticien ni un académicien ; il appartient plutôt à la nouvelle Académie. C’était la plus récente des doctrines philosophiques, celle qui du temps de Cicéron jouissait, parmi les Romains, de la plus haute considération. Le scepticisme modéré qui la caractérisait, cette théorie du vraisemblable érigée en criterium absolu ; cette tendance des nouveaux académiciens à exposer et à réfuter les unes par les autres les opinions des diverses écoles ; les ressources qu’un tel système offrait à l’art oratoire : voilà ce qui sans doute détermina les préférences de Cicéron.
On juge souvent que Cicéron est bien plus intéressant comme historien de la philosophie que comme philosophe, et en cela il ressemble fort à ses maîtres de la nouvelle Académie. L’ouvrage que nous possédons sous le titre de Academica se compose de deux livres : il y en eut deux éditions, l’une en deux livres, l’autre en quatre ; nous avons conservé le premier livre de la seconde édition, et le second de la première. C’est un résumé de l’histoire de la philosophie grecque depuis Socrate jusqu’aux représentants de l’ancienne Académie, résumé présenté par le docte Varron. Cicéron prend ensuite la parole et expose la doctrine de la nouvelle Académie ; enfin Lucullus établit les différences qui séparent la nouvelle Académie de l’ancienne. C’est dans cet ouvrage que Cicéron se déclare en philosophie ce qu’il sera toujours, un homme qui ne dit jamais : Je suis certain, mais je crois (opinator). On lui reproche d’ailleurs parfois de n’avoir que trop souvent porté la même indécision dans les actes de sa vie politique.

De finibus

L’année même qui suivit la mort de Caton à Utique, Cicéron écrivit et adressa à Brutus, neveu de Caton, le traité qui a pour titre : Des vrais biens et des vrais maux. Il traduisit, par le mot De Finibus, le titre grec de l’ouvrage de Chrysippe sur le même sujet (Πεϱὶ τελέν / Peri telen).
Ce problème du souverain bien, retourné en tous sens par les écoles de l’antiquité, était la pierre de touche de chacune d’elles. En quoi l’homme doit-il faire consister le vrai bien ? Est-ce dans la volupté ? Dans l’absence de la douleur, dans la jouissance de la vie sous le gouvernement de la vertu, dans la vertu seule ? Toutes ces solutions avaient été données et d’autres encore qui, moins radicales, essayaient d’accorder ensemble la volupté et la vertu. Suivant que l’on adoptait telle ou telle doctrine, on était dans la conduite de la vie l’homme du plaisir, l’homme du devoir austère et rigoureux, ou l’homme des tempéraments, qui s’accommode aux circonstances, ne rompt en visière avec personne, et, sans cesser d’être honnête, peut s’entendre jusqu’à un certain point avec ceux qui ne le sont pas.
Il y avait alors à Rome des représentants de chacune de ces opinions, et la plupart d’entre eux se montrèrent dans la pratique fidèles à leurs théories. Le traité de Cicéron, qui est l’exposition complète et la discussion des doctrines d’Épicure, de Zénon, des péripatéticiens et de l’ancienne Académie, devait donc être d’un intérêt bien vif pour ses contemporains. Les personnages mêmes qu’il met en scène, Lucius Manlius Torquatus, Caton, Atticus, Papius Piso, et qui exposent le système de philosophie adopté par chacun d’eux, donnaient la vie pour ainsi dire à ces doctrines. Dans le premier livre, Manlius Torquatus développe les principes de l’épicurisme, c’est-à-dire la théorie de la volupté considérée comme le souverain bien. C’est un plaidoyer ingénieux, mais fort incomplet. Il est réfuté dans le second livre par un autre plaidoyer de Cicéron. L’épicurisme est la seule doctrine que Cicéron n’ait jamais voulu admettre dans son éclectisme universel ; et cependant il fut l’ami du plus remarquable épicurien de ce temps-là, Atticus. Au troisième livre, c’est Caton qui expose la doctrine stoïcienne. Ce livre est souvent considéré comme le plus beau et le plus solide de tout l’ouvrage. Cicéron eut toujours pour le stoïcisme une sympathie secrète dont il ne put se détendre. Il railla plus d’une fois des excès de l’orgueilleuse doctrine ; mais il comprenait bien que seule elle faisait les grands citoyens et les gens véritablement honnêtes. Il la réfute dans le quatrième livre, mais faiblement, en lui contestant l’originalité de ses principes, qu’il prétend empruntés aux socratiques. Le cinquième livre est consacré à l’exposition de la doctrine de l’ancienne Académie.

Les Tusculanes

Les Tusculanes sont de l’année 709 (-45). César est maître de la république, Caton d'Utique vient de se donner la mort ; il n’y a plus de liberté. Le dictateur est humain, clément envers ses ennemis ; mais il sait leur faire comprendre que, lui vivant, ils ne seront rien dans l’État que ce qu’il lui plaira. Cicéron vient de composer l'Éloge de Caton, ouvrage perdu pour nous ; César y a répondu par un Anti-Caton, pamphlet méprisant envers un mort illustre, sorte de leçon donnée à ses adversaires qui voudraient exalter aux dépens du dictateur celui qui n’a pu s’opposer à ses desseins.
Cette année est aussi marquée par la mort de Tullia, fille adorée de Cicéron. Cicéron, dégoûté du spectacle qu’offre Rome, où César ne rencontre plus un seul opposant, s’est retiré dans sa maison de campagne de Tusculum, villa préférée de sa fille, et il essaye d’oublier que la vie publique lui est interdite, en s’adonnant à l’étude de la philosophie. Les sujets de ses méditations sont en rapport avec l’état de son âme. Qu’est-ce que la mort ? qu’est-ce que la douleur ? Y a-t-il un moyen d’alléger les afflictions de l’esprit ? Qu’est-ce que les passions ? Et comment le sage doit-il se conduire avec ces ennemis de son repos ? Enfin qu’est-ce que la vertu ? Et suffit-elle pour vivre heureux ? Il propose aussi une réflexion sur le suicide, moyen pour se libérer de la mort. Voilà les questions qu’il traite dans les Tusculanes. Il le fait avec son abondance et son éloquence ordinaires. Mais on sent la réelle impuissance du citoyen à se contenter de ces entretiens avec soi-même. Évidemment son esprit est à Rome ; et toute la philosophie qu’il expose semble n’être pour lui qu’un pis-aller. Cependant il sent bien que le moment est venu de se préparer à supporter en homme les épreuves qui semblent réservées aux derniers amis de la liberté. Aussi c’est au stoïcisme qu’il va demander ses virils enseignements.

De la nature des dieux

Le traité de la Nature des Dieux, bien que plus dogmatique, offre le même caractère. Il fut écrit en 710 (-44), fort peu de temps avant la mort de César, et adressé à Brutus. Cicéron met successivement en scène un épicurien, Velleius ; un stoïcien, Balbus, et un académicien, Cotta, qui exposent et discutent les opinions des anciens philosophes sur les dieux et sur la Providence. L’athéisme déguisé d’Épicure est réfuté assez vivement par Cotta, qui semble ici servir de prête-nom à Cicéron. C’est aussi Cotta qui bat en brèche les arguments des stoïciens sur la Providence ; malheureusement une partie de sa dissertation est perdue pour nous. On s’étonnera peut-être que Cicéron n’ait point pris la parole dans le débat. S’il repousse avec Cotta la doctrine d’Épicure, faut-il croire qu’il repousse aussi l’opinion stoïcienne si profondément religieuse ? Sur cette grave question, s’est-il, comme les académiciens, arrêté à un probabilisme vague ? Ses admirateurs déclarés ne le croient pas, et prétendent que sur ce point il était fort éloigné du scepticisme. C’est là en effet une opinion assez probable.
Mais, ce qui importe, c’est de constater l’extrême discrétion de son attitude, qui correspond si bien avec l’incertitude de ses convictions. Cicéron est persuadé que la croyance à l’existence des dieux et à leur action sur le monde doit exercer une profonde influence sur la vie ; qu’elle est d’une importance fondamentale pour le gouvernement de la cité. Donc il faut la maintenir parmi le peuple. C’est le politique et l’augure qui parlent. Il ne trouve pas les arguments des stoïciens bien concluants, et il les réfute par Cotta. C’est l’académicien qui parle. Enfin, il incline fort à croire que les dieux existent, et qu’ils gouvernent le monde ; il le croit, parce que c’est là une opinion commune à tous les peuples ; et que cet accord universel équivaut pour lui à une loi de la nature (consensus omnium populorum lex naturae putanda est). Quant à la pluralité des dieux, bien qu’il ne s’exprime pas catégoriquement sur ce point, il semble qu’il n’y croit pas, ou du moins qu’il réduit comme les stoïciens les dieux à n’être pour ainsi dire que des émanations du Dieu unique. Celui-ci, il le conçoit comme un esprit libre et sans mélange d’élément mortel, percevant et mouvant tout, et doué lui-même d’un éternel mouvement.
Il n’épargne pas les fables du polythéisme gréco-romain ; il raille et condamne les légendes immorales communes à tous les peuples. C’est cette partie du livre de Cicéron (livre III) qui charmait surtout les philosophes du dix-huitième siècle. Il n’était pas difficile de tourner en ridicule la religion populaire ; on peut même dire qu’au temps de Cicéron cela était devenu un lieu commun philosophique. Les uns, en repoussant avec mépris ces fables qu’ils jugeaient grossières, repoussaient aussi toute croyance ; les autres adoptaient la doctrine stoïcienne. Cicéron ne la trouve pas inattaquable ; mais l’existence des dieux est nécessaire ; tous les peuples y croient ; il y croira donc aussi. Il raisonne à peu près de la même manière sur l’immortalité de l’âme, et dirait volontiers avec Platon auquel il emprunte la plupart de ses arguments : « C’est un beau risque à courir et une belle espérance. Il faut s’en enchanter soi-même. »

De la divination

Il est beaucoup plus explicite sur la foi que mérite la divination. L’ouvrage qui porte ce titre est le plus original qu’il ait écrit. Bien qu’il y discute les opinions des stoïciens, on sent qu’il est ici sur son terrain, qu’il a vu fonctionner sous ses yeux la religion romaine, qu’il a été augure, et qu’il sait ce qu’il faut croire des révélations divines. Cet ouvrage, ainsi que le troisième livre de la Nature des Dieux, a été le grand arsenal où les chrétiens puisaient des arguments contre le polythéisme.

Autres œuvres

Il est à peu près impossible de déterminer le caractère et la portée de l’ouvrage incomplet que nous possédons sous le titre de Sur le Destin (De Fato).
Les petits traités, Sur la vieillesse et Sur l’amitié, sont adressés à Atticus. selon Albert Paul, le choix des sujets convenait à la portée philosophique de l’esprit de Cicéron : ce sont deux plaidoyers, dont le premier est fort ingénieux et le second plein d’agrément et même d’éloquence.
Les Paradoxes des stoïciens sont selon Albert Paul un exercice de casuistique oratoire souvent jugé d’une médiocre valeur.

Traité des devoirs

Le dernier en date des écrits philosophiques est un ouvrage politique, le Traité des devoirs (De Officiis), qui parut en 44 av. J.-C., après la mort de César. Il est adressé par Cicéron à son fils Marcus, qui étudiait alors la philosophie à Athènes sous la direction de Cratippe. Le premier livre traite de l’honnête, le second de l’utile, le troisième de la comparaison entre l’honnête et l’utile. Le fond de l’ouvrage et les divisions sont empruntés à Panétios de Rhodes, auteur d’un Traité sur le devoir. Il ne faut pas demander à Cicéron, même dans les questions de morale où il est le plus affirmatif, des recherches profondes sur les premiers principes et une rigueur scientifique. Cicéron est un esprit pratique ; son livre est un recueil de préceptes adressés à son fils. Il veut en faire un bon citoyen romain, le préparer à l’accomplissement des devoirs qui constituent cette vertu de l’homme du monde qui n’a rien d’excessif et d’absolu. De là, les accommodements nécessaires entre l’inflexibilité stoïcienne et le péripatétisme beaucoup plus conciliant.
De 1779 à 1783, le philosophe allemand, Christian Garve (1748-1792), rédigea une traduction commentée du De Officiis à la demande de Frédéric II de Prusse. Considérant que le propos de Cicéron s'adresse essentiellement à une élite amenée à diriger les affaires publiques, il estime dans ses commentaires que celui-ci transforme les prescriptions morales de la philosophie en maximes de politique appliquée, négligeant quelque peu les aspects plus universels des devoirs de l'homme en général. S'il trouve Cicéron relativement clair quoique sans profondeur sur les devoirs qu'impose la société, les règles du bon ton et de la société et de la manière de s’y conduire, les moyens de se faire aimer et respecter, il le juge moins à l'aise dans des notions plus théoriques telles que la vertu parfaite et imparfaite, le double décorum et le bon ordre et dans sa démonstration sur la prééminence de la vertu sociale sur les autres vertus.
Moins critique, Bertrand Borie rappelle le contexte de crise politique aigüe entre Cicéron et Antoine lors de la parution de l'ouvrage. Si Cicéron oppose la morale de l'utile et du convenable, devoirs du citoyen, à celle de l'intérêt, il interpelle indirectement les sénateurs qui ne combattant pas l'injustice (sous-entendu Antoine), et qui par cette attitude, la commettent.

Œuvres philosophiques perdues

Les autres ouvrages philosophiques de Cicéron ne nous sont pas parvenus. Nous ne possédons qu’un fragment du Timée (Timaeus, seu de universo), imitation de Platon. Les traités De la gloire (De gloria libri duo ad Atticum), les traductions de l’Économique de Xénophon et du Protagoras de Platon, l'Éloge de Caton (Laus Catonis), composé après la mort de celui-ci à Utique en 708 (-46) ; un autre éloge de Porcia, fille de Caton ; un livre sur la Philosophie (De philosophia liber ad Hortensium, année 708) ; une Consolation (Consolatio, sive de minuendo luctu) que Cicéron s’adressa à lui-même après la mort de sa fille Tullia, ont disparu pour nous.

Avis sur sa philosophie

Les jugements sur Cicéron philosophe ont souvent été très sévères : Cicéron n’est pas un philosophe ; c’est un Romain qui, d’après les philosophes grecs, compose sur certaines questions des écrits clairs, élégants et même éloquents. Il s’adonne à cette étude dans les loisirs forcés que lui créent les misères du temps ; il y trouve une distraction à ses tristes pensées et une consolation. Il se flattait aussi de disputer aux Grecs la victoire en ce genre, comme il l’avait fait pour l’éloquence, et de donner à sa patrie une littérature philosophique qui lui manquait.
Certains jugent que l’originalité lui faisait défaut, et qu’il s’en souciait d’ailleurs fort peu. On ne peut guère douter qu’il se crût supérieur à la plupart des Grecs qu’il imitait, si l’on en excepte Platon. Et il est fort probable qu’il leur était en effet supérieur sous le rapport du style, de l’élégance et de l’abondance. Peut-être même a-t-il été convaincu que le bon sens pratique, dont il était doué au plus haut point, faisait de lui un philosophe bien plus remarquable et plus utile à ses contemporains que les Zénon et les Épicure. Il semble avouer cette prétention dans le traité des Devoirs, son dernier ouvrage. Et il ne serait pas étonnant que les contemporains pour lesquels il écrivait eussent partagé cette vision. La philosophie de Cicéron devait en effet être à leurs yeux la vraie philosophie, celle qui seule convenait à des Romains.
Malgré toutes ces critiques, il est un mérite bien difficile à refuser à Cicéron : il est pour nous une des sources les plus précieuses pour l’histoire de la philosophie, du fait de la rareté extrême des ouvrages conservés. Ajoutons aussi qu’il a porté dans la composition de ses écrits les admirables qualités de son esprit et de son style. Il n’a point la grâce souveraine de Platon, il ne peut lui être comparé dans la forme du dialogue ; car Cicéron ne peut converser, il faut qu’il plaide : mais chez qui trouverait-on plus de clarté, d’élégance, d’éclat et de mouvement ?
L’expression ’’Cicéron traducteur des Grecs" montre la victoire du grand orateur romain à travers les termes philosophiques qu’il a inventés en latin à partir des mots grecs et qui ont connu une grande fortune en Occident. C’est lui qui a inventé un vocabulaire spécifique pour rendre compte de la philosophie grecque. Il créa ainsi des néologismes latins tels que providencia, qualitas, medietas.

Œuvres

Listes et dates établies sur la base du tableau des œuvres de Cicéron du Guide romain antique de George Hacquard, Jean Dautry, O Maisani, corroborées par les diverses sources biographiques.
Cicéron est considéré comme le plus grand auteur latin classique, tant par son style que par la hauteur morale de ses vues.
Il faut aussi rendre hommage à son esclave et secrétaire Tiron, dont la compétence comme sténographe n'est pas étrangère à la quantité d'ouvrages qui nous sont parvenus. Cicéron l'affranchit en 53 av. J.-C., et Tiron devenu Marcus Tullius Tiro resta son collaborateur. Après la mort de Cicéron, il édita sa correspondance et de nombreux discours, éditions dignes de confiance si l'on en croit Aulu-Gelle qui les lut deux siècles plus tard.
Voir en annexe la liste d'œuvres traduites en français dans l'article Œuvres de Cicéron
  • Répertoires en ligne des œuvres philosophiques antiques traduites en français:
  • Bibliotheca Classica Selecta
  • Cnrs
  • Remacle
  • Site Académique Toulouse

Plaidoiries et discours

Parmi les discours de Cicéron, 88 sont connus, et 58 ont été conservés. Voici une liste des principaux. Ceux qui s'intitulent Pro xxx ou In xxx sont des plaidoiries composées à l'occasion de procès, le nom xxx étant le nom de la partie représentée par Cicéron (Pro) ou de la partie adverse (In).
  • 81 : Pro Quinctio
  • 80 : Pro Roscio Amerino
  • 77 : Pro Roscio Comodeo
  • 70 : In Verrem (Contre Verrès)
  • 69 : Pro Tullio ; Pro Fonteio ; Pro Cæcina
  • 66 : discours Pro lege Manilia, dit aussi De Imperio Cn. Pompei
  • 66 : Pro Cluentio
  • 63 : Discours De Lege agraria contra Rullum ; Pro Rabirio Perduellionis Reo ; In Catilinam I-IV ; Pro Murena
  • 62 : Pro Sulla ; Pro Archia
  • 59 : Pro Flacco
  • 57 (retour d’exil) : Post Reditum in Quirites (Après [son] retour, discours aux citoyens); Post Reditum in Senatu (Après [son] retour, discours au Sénat) ; Pro Domo sua (Pour sa maison); De Haruspicum responsis (Sur la réponse des haruspices)
  • 56 : Pro Sestio ; In Vatinium ; Pro Cælio ; Pro Balbo
discours De Provinciis consularibus (Des pouvoirs consulaires - prolongation de César en Gaule)
  • 55 : In Pisonem
  • 54 : Pro Cn. Plancio ; Pro Rabirio Postumo ; Pro Scauro
  • 52 : Pro Milone : Pour Milon (procès perdu)
  • 46 (discours devant César) : Pro Marcello ; Pro Q. Ligario ; Pro Rege Deiotarus
  • 44 : Philippiques, discours contre Marc Antoine

Traités de rhétorique

Ultérieurement sous Vespasien, le rhéteur Quintilien promut Cicéron au rang de modèle d’éloquence dans son manuel De institutione oratoria (Sur la formation de l’orateur), qui exercera une grande influence sur la pédagogie occidentale.
Six ouvrages de Cicéron nous sont conservés, traitant de l’art de la rhétorique :
  • 84 : De inuentione, sur la composition de l’argumentation en rhétorique
  • 55 : De Oratore, sur l’art oratoire
  • 54 : De partitionibus oratoriis, sur les subdivisions du discours
  • 52 : De optimo genere oratorum, sur le meilleur style d’orateur
  • 46 : Brutus (brève histoire de l’art oratoire romain) ; Orator ad Brutum (Sur l’Orateur), deux ouvrages dédiés à Marcus Junius Brutus
  • 44 : Topica, éléments de l’argumentation

Œuvres philosophiques

  • 54 : De Republica
  • 52 : De legibus (Des lois)
  • 45 : Hortensius (œuvre perdue, qui marqua dans sa jeunesse Augustin d'Hippone ) ; Lucullus ou Academia Priora ; Academia Posteriora
  • 45 : De finibus bonorum et malorum (Sur la fin des bonnes et mauvaises choses); Tusculanæ Disputationes (débats tenus à Tusculum) ; De Natura Deorum (De la nature des dieux) ; De divinatione (De la divination) ; De fato (Du destin)
  • 44 : Cato Maior de senectute (sur Caton l'Ancien) ; Laelius de amicitia (sur l’amitié) ; De officiis (Des devoirs)
  • date inconnue : Paradoxa Stoicorum (Paradoxes stoïciens) ; Commentariolum petitionis (notes sur sa candidature, probablement écrites par son frère Quintus)

Lettres

La correspondance de Cicéron fut abondante tout au long de sa vie. Il nous reste quelque 800 lettres, et une centaine des réponses qui lui ont été adressées. Elles sont regroupées par destinataires :
  • ad Atticum, lettres à Atticus, son ami et banquier
  • ad Familiares, lettres à ses amis et à ses clients, Sulpicius, Ligarius, Marcellus, Trebatius Testa, Cælius Rufus, Caton, etc
  • ad Quintum, lettres à son frère Quintus Tullius Cicero
  • ad Brutum, lettres à Marcus Junius Brutus
Les deux éditions les plus récentes de la Correspondance sont :
  • Cicéron, Correspondance, éd. bilingue en 11 tomes, L.-A. Constans, Paris, Les belles lettres, coll. Budé, , 1969
  • Cicéron, Correspondance, éd. en 6 tomes,M. de Golbery, Clermont-Ferrand, Paleo, coll. Sources de l'histoire antique, 2004

Poésie

Nous n’en possédons que des fragments, dont un seul est de quelque étendue :
  • De consulatu suo (De son consulat) - 78 vers conservés
  • De temporibus suis - 2 vers conservés
La plupart de ses poésies sont des œuvres composées dans sa jeunesse, ou après son ralliement à César. Il rédige alors une épopée sur Marius, son compatriote d’Arpinum et l’oncle de Jules César, œuvre aujourd’hui disparue, et un poème dans lequel il célèbre la gloire de son consulat. C’est dans ce dernier que se trouve le vers célèbre :
« O fortunatam natam me consule Romam ! "
dont Juvénal s’est moqué, et dont on se moque encore.
Mais Voltaire s’interroge sur cette mauvaise réputation :
« Pourquoi donc Cicéron passe-t-il pour un mauvais poète ? Parce qu’il a plu à Juvénal de le dire, parce qu’on lui a imputé un vers ridicule : “O fortunatam natam, me consule, Romam !” C’est un vers si mauvais, que le traducteur, qui a voulu en exprimer les défauts en français, n’a pu même y réussir. “O Rome fortunée, Sous mon consulat née !” ne rend pas à beaucoup près le ridicule du vers latin. Je demande s’il est possible que l’auteur du beau morceau de poésie que je viens de citer ait fait un vers si impertinent ? Il y a des sottises qu'un homme de génie et de sens ne peut jamais dire. »

Citations


  • « O tempora ! O mores ! » - « Quelle époque (vivons-nous) ! Quels mœurs ! » (Catilinaire, I)
  • « Qui échange son labeur contre de l’argent se vend lui-même et se place de lui-même dans les rangs des esclaves. »
  • « Potestas in populo, auctoritas in Senatu » - « Le pouvoir est dans le peuple, l'autorité dans le Sénat » (Les Lois, 3, 12)
  • « Arma togae cedant! » - « Que les armes s'effacent devant la toge » (2e Philippique, VIII)
  • « Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? » - «  Jusqu'à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? » (Catilinaire, I, 1)
  • « Si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu'il vous faut. »