mardi 4 janvier 2011

Rêve du narrateur



Rêve du narrateur
L'exorcisme de Libertine

Alex me recevait chez lui. Au bord d’un littoral surgi du terreau de nos songes. Un turban rouge autour de la tête.
«Je te l’avais dit qu’elle a commencé avec un Mami, murmurait-il dans sa barbe. Suis-moi !»
Debout sur la grève, Libertine, au milieu d’un tas d’algues séchées et des débris d’étoiles de mer.
«Tu vois, jubilait Alex. Je vais l’exorciser. Elle est la proie de Chat’yan, la crème des diables d’amour. Un esprit jaloux et matois, originaire des confins de l’Inde. Tous les dix ans, l’enfoiré prend une apparence humaine et part à la recherche d’un utérus où déposer sa semence. On va l’exorciser».
— Baisse-toi !
Libertine s’accroupit
— Relève-toi et avance !
Elle se remit debout, et s’enfonça dans les vagues. Les instruments d’exorcisme du prêtre Alex ? Juste un flacon de parfum, ainsi qu’une éponge végétale. Et des paroles simples, à la limite banales, d’où tu viens tu dois repartir répétées plusieurs fois, pendant qu’il lui frotte le ventre et le pubis.
— Baisse-toi et pisse dans l’eau !
La divinité s’invita. On pouvait l’entendre souffler de rage. Le vent rugissait autour de nous. Libertine se recroquevilla pour éviter d’être emportée dans les airs et, soudain, le souffle du diable d’amour la renversa sur le dos.
Le prêtre l’encourageait ne crie pas, laisse-toi faire, et sans prévenir, lui enfonça l’éponge d’algue dans le vagin. Le vent tourbillonna plus fort, creusant violemment les eaux. Comme pour forcer le passage vers l’intimité de la femme. Un bruit de ventouse, soudain. L’éponge sauta violemment. Le vent mugit comme s’il célébrait une victoire. Mais Alex, rapide et sûr de lui, a vite fait d’enduire la vulve de Libertine de la morve de son crachat et lui a ordonné de crier détritus, détritus.
Le vent changea nettement de direction, s’en alla vers les cocotiers de la plage et ploya les régimes de noix, qui s’abattirent en chandelle sur le sol. Et puis soudain, rien.
L’œil était au-dessus du hamac et me regardait dormir. «Dis donc, tu parles tout seul dans ton sommeil ? En plus, on ne sait même pas quelle langue tu parles. Tu t’es bien reposé ? (…)»

Kangni Alem
Un rêve d’Albatros
Togo   2006 Genre de texte
nouvelle
Contexte
Le personnage a eu une liaison avec Libertine, une femme qu’il n’a jamais réussi à oublier. De retour au pays pour enterrer son père, il la retrouve et elle l’invite à passer le reste de ses jours au pays avec elle. Cependant, il devait trouver la dernière lettre qu’il lui avait écrite. Au cours de cette recherche, il découvre des vêtements dont on dit souvent qu’ils sont portés par des gens possédés par des esprits.
Ne trouvant pas la lettre, le personnage abandonne la recherche et mange. C’est après le repas qu’il s’endort et fait ce rêve.Notes
Ce rêve se trouve dans la nouvelle éponyme «Un rêve d’albatros».
Dans le rêve, Libertine est possédée par la divinité Mami-Ata, une divinité aquatique féminine ou masculine.Texte témoin
Un rêve d’albatros, Paris : Gallimard, coll. Continents noirs, 2006, p. 71-72.

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