samedi 30 juillet 2011

Hystérie de rétention


L’hystérie de rétention est une forme d’hystérie introduite par Breuer et Freud dans les années 1894-95. Cette hystérie, que Freud distinguait de  l’hystérie hypnoïde et l’hystérie de défense, se caractérise par le fait que des affects n’ont pas pu être abréagis.
L'hystérie de rétention découle donc de l'accumulation prolongée d'une quantité d'affects, d'excitation qui n'a pu être abréagie (libérée) normalement.
Dans l’hystérie de rétention, le rôle du clivage de conscience est minime, ou peut‑être tout à fait nul. Il s’agit des cas dans lesquels la réaction à l’excitation traumatique ne s’est simplement pas produite, et qui peuvent donc être aussi liquidés et guéris par abréaction ( voir Abréaction )

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Le champ clinique des phénomènes inconscients : L’hystérie 1886-1893



(Paul Bercherie)
(5ème partie)

La moisson cathartique: 1892-1893

A. La communication préliminaire
Dès l'article de 1890 sur le « Traitement psychique », Freud commence à relever les faiblesses du traitement suggestif et à exprimer une certaine déception : « Les patients névrotiques sont précisément pour la plupart de mauvais sujets hypnotiques, de sorte que les puissantes forces par lesquelles la maladie s'enracine dans l'esprit du malade doivent être contrebalancées non par une complète influence hypnotique mais seulement par un fragment de celle-ci. [...] Un traitement hypnotique unique, en conséquence, ne changera rien à des désordres sévères d'origine mentale.
Cependant, si l'hypnose est répétée, elle perd une partie de l'effet miraculeux que le patient avait peut-être espéré. Une succession d'hypnoses peut éventuellement amener par degrés [...] un résultat satisfaisant. [...] Mais un traitement hypnotique de ce genre peut être tout aussi fastidieux et fatigant que n'importe quel autre. » Freud relève en outre un autre type de difficulté : un bon succès initial mais de durée précaire ; « si cela se répète assez souvent, cela épuise en général la patience du patient comme du médecin et se termine par l'abandon du traitement hypnotique. Ce sont aussi les cas où le patient devient dépendant du médecin et où une sorte de besoin de l'hypnose s'installe ».
Aussi Freud termine-t-il l'article par le vœu de disposer bientôt d'une meilleure méthode: « une meilleure compréhension des processus de la vie mentale, dont l'amorce se base précisément sur l'expérience hypnotique, désignera les chemins et les moyens de cette fin ». On retrouve dans l'article de 1891 ces réflexions désabusées : Si le traitement se prolonge, « le médecin comme le patient se fatigue très vite, ce qui résulte du contraste entre la coloration délibérément optimiste des suggestions et la triste vérité.
[...] Dans tout traitement hypnotique prolongé, il faut soigneusement éviter une procédure monotone. Le médecin doit constamment être à la recherche d'un nouveau point de départ pour ses suggestions, d'une nouvelle preuve de son pouvoir, d'une nouvelle modification dans sa procédure d'hypnotisation. Pour lui aussi qui a peut être des doutes à propos du succès final, cela représente un grand et à la fin un épuisant effort ». En 1892 (« Notes à la traduction des Leçons du mardi de Charcot »), Freud sera encore plus net : « A la longue, ni le médecin m le patient ne peuvent tolérer la contradiction entre la dénégation décidée de la maladie dans la suggestion et sa nécessaire reconnaissance hors de celle-ci. »
Rien d'étonnant dans ces conditions à ce que dans sa quête d'un moyen thérapeutique plus satisfaisant, il se soit dès 1889 tourné vers ce qui lui apparaît comme un procédé plus réaliste, un véritable traitement causal, le procédé cathartique qu'Anna O. a suggéré à Breuer huit ans plus tôt. Ainsi peut-il préciser ses vues sur l'hystérie et y réintéresser Breuer : les deux amis arrivent alors à une position commune qu'ils exposent ensemble dans la « Communication préliminaire » de 1892. Analysons-en rapidement le contenu, paragraphe par paragraphe :
1) C'est de réminiscences surtout que souffre l'hystérique ». Toute hystérie se révèle de structure identique à l'hystérie traumatique de Charcot : les symptômes renvoient à des souvenirs par expression directe, partielle, symbolique ou déplacée (événements simultanés). Inconscients ou partiellement conscients seulement, ces événements à forte charge affective (traumatismes psychiques) agissent ainsi non simplement comme des « agents provocateurs » (Charcot) mais comme des causes pathogènes permanentes, véritables « corps étrangers internes ».
2).L'usure normale des souvenirs à forte charge émotive se fait par réaction volontaire, expression émotive ou verbale, intégration associative enfin - la représentation en est intégrée au réseau d'associations mentales, et donc ainsi tamponnée, contrebalancée par des idées contraires (ainsi du souvenir d'une humiliation par ceux de petits succès). Dans le cas de l'hystérie, « les représentations devenues pathogènes se maintiennent [...] dans toute leur fraîcheur et toujours aussi chargés d'émotion [...] parce que l'usure normale [...] leur est interdit » du fait de leur caractère inconscient.
Deux groupes de causes engendrent ces représentations inconscientes pathogènes : d'abord les situations où le sujet n'a pas pu ou voulu réagir impossibilité intrinsèque de réaction (par exemple, perte irréparable d'un être aimé), répression de la réaction pour des raisons sociales, refoulement intentionnel hors de la conscience de l'ensemble du contenu représentatif traumatique enfin. Ensuite, des états de sidération, d’obnubilation psychique qui paralysent toute possibilité de réaction affects paralysants (frayeur : cf. les cas traumatiques de Charcot), autohypnose spontanée (« états hypnoïdes »). Les deux séries de causes peuvent bien sûr se mêler (série complémentaire).
3).  « La dissociation du conscient [...] existe rudimentairement dans toutes les hystéries ». Phénomène fondamental de la névrose, homologue aux états hypnoïdes, cette dissociation relève soit d'une prédisposition innée, soit d'un trauma grave ou d'une répression difficile (hystérie acquise). Les auteurs insistent en revanche sur le fait « qu'on trouve parfois, parmi les hystériques, des personnes possédant une grande clarté de vues, une très forte volonté, un caractère des plus fermes, un esprit des plus critiques ».
4). L'accès hystérique et les états d'hystérie aiguë (psychoses hystériques au sens de Charcot) représentent un envahissement de la conscience par l'état de conscience dissociée hypnoïde qui « se rend maître [...] de l'innervation corporelle du malade et gouverne toute l'existence de celui-ci ». La conscience normale demeure cependant présente, de même que l'état hypnoïde quand la première reprend le dessus - il commande alors une partie de l'innervation corporelle, donnant naissance aux symptômes permanents de l'hystérie chronique.
5). Le procédé cathartique supprime les effets de la représentation pathogène en rétablissant grâce à l'hypnose ses liens avec le conscient, « en permettant à l'affect étouffé de se déverser verbalement » et de subir l'usure normale. Mais ce procédé symptomatique n'a guère d'action sur les états aigus comme sur la prédisposition: « la cause interne de l'hystérie reste à découvrir ».
Dans son ensemble, cet exposé est d'un esprit très proche du Janet de L'Automatisme psychologique. Dans L'Etat mental des hystériques, Janet désignera la « Communication préliminaire » comme « le travail le plus important qui soit venu confirmer nos anciennes études », tandis que Breuer et Freud citent un cas de Janet, « histoire d'une guérison obtenue, chez une jeune fille hystérique, par un procédé analogue au nôtre ». Il est justement d'autant plus important de relever les points de divergence des deux conceptions, qui portent sur la théorie de la personnalité hystérique chez Janet et expliquent le faible intérêt porté par ce dernier au procédé cathartique (il ne l'a d'ailleurs en fait encore jamais employé : il opère assez différemment).
Comme je l'ai déjà signalé au paragraphe précédent, Janet est sensible à la dissociabilité du psychisme hystérique qu'il considère comme une faiblesse dégénérative, une « insuffisance psychologique »; Breuer et Freud voient dans la dissociation la conséquence de la constitution d'une sorte d'excroissance psychique, un surplus énergétique que la catharsis réduit (abréaction), soulageant ainsi le psychisme par ailleurs normal des hystériques (cf. le paragraphe 3 de la « Communication préliminaire ».
C'est sur l'origine de cette « hernie » mentale que Breuer et Freud vont bientôt diverger; dans cette quête où Freud s'engage sans réserve gît le ressort de son originalité : il y découvrira la psychanalyse. Mais nous comprendrons mieux les enjeux de tout cela en examinant de près les conceptions théoriques de Breuer, tel qu'il les expose en 1895 dans le chapitre 3 des Etudes sur l'hystérie.

Entre-temps, Freud a poursuivi sa progression, laissant sur place son ami dont l'expérience se résume presque entièrement à son premier cas. Aussi faut-il lire l'exposé de Breuer en gardant à l'esprit qu'il s'agit là de la position initialement commune, comme nous le vérifierons ensuite par l'examen des textes de Freud des années 1892-1893.
B. La théorie de Breuer
Mais pour commencer tentons d'éclaircir un point intrigant : d'où provient l'idée du procédé cathartique ? Breuer s'en explique lui-même « J'affirme [...] que je n'ai nullement cherché à suggérer ma découverte à ma patiente; au contraire, ma stupéfaction a été immense et ce n'est qu'après toute une série de liquidations spontanées que je pus en tirer une technique thérapeutique. » C'est là un fait bien connu : la talking cure est l'invention d'Anna O... Mais qu'est-ce qui a pu donner à Breuer l'idée de suivre les indications de sa malade et d'imiter docilement par l'hypnose son comportement dans ses états hypnoïdes ?
C'est là qu'intervient le poids de la tradition magnétique : on n'a pas assez souligné en effet que Breuer ne tient la pratique de l'hypnose ni de Charcot, qui n'a à l'époque pas encore fait sa célèbre communication à l'Académie des sciences, ni de Bernheim, qui ne fera connaître sa pratique et celle de Liébault que plusieurs années plus tard. Comme l'a indiqué Ellenberger, c'est directement par le magnétiseur public Hansen que les médecins allemands de cette époque prennent connaissance de l'hypnose : Freud, Breuer, Benedikt ont assisté à ses présentations de même qu'Heidenhaim qui publiera en 1380 la première étude positive en langue allemande des phénomènes hypnotiques.
Or, je l'ai signalé, c'est un des thèmes fondamentaux du magnétisme animal que le somnambule peut indiquer grâce à sa « lucidité » particulière l'origine de son mal et les moyens de le guérir (il peut aussi en faire autant pour d'autres d'ailleurs) ; depuis des décades, les magnétiseurs suivaient ainsi scrupuleusement les indications de leurs médiums.
Revenons maintenant aux conceptions théoriques que Breuer déduit à l'évidence du cas d'Anna O... Son point de départ est dans la critique de la définition de Möbius : certes, il admet qu' « un grand nombre de phénomènes hystériques, plus peut-être que nous ne l'imaginons aujourd'hui, sont idéogènes » et reposent donc sur des représentations. Mais ce phénomène même de l'action pathogène de certaines représentations ne se comprend qu'à l'intérieur de l'état psychique particulier qui l'engendre et qui caractérise l'hystérie.
Il va donc lui falloir se lancer dans « l'exposé physiologique de processus psychiques complexes ». Nous retrouvons là une critique très homologue à celles que Freud adresse à Bernheim : lorsque les phénomènes se situent dans la sphère psychique mais ne se réduisent pas au jeu des idées dans la conscience, une interprétation psychophysiologique est nécessaire. Breuer va donc proposer l'idée d'un « appareil nerveux cérébral » dont il emprunte le modèle au fonctionnement d'une « installation électrique montée avec de nombreuses dérivations et destinée à assurer l'éclairage et la transmission d'une force motrice.
[...] Pour que la machine soit toujours prête à travailler, il faut que, même au cours des périodes de repos fonctionnel, une certaine tension persiste dans tout le réseau conducteur et, dans ce but, la dynamo doit utiliser une certaine quantité d'énergie. C'est de la même façon qu'un certain degré d'excitation doit aussi se maintenir dans les voies de transmission du cerveau au repos ». La tension tonique, « excitation nerveuse intracérébrale », doit donc demeurer à un certain niveau constant pour un fonctionnement normal à l'optimum, toutes les voies associatives sont perméabilisées, toutes les associations frayées, et le jeu des activités mentales se déroule sans défectuosité.
Au-delà d'un certain seuil, la diminution de la tension tonique entraîne une sensation de fatigue et un mauvais fonctionnement (modèle de la confusion mentale Meynert), voire une suppression (sommeil) des liens associatifs ; dans le cas du sommeil, la réparation par le repos des réserves énergétiques permet ensuite une reprise du tonus et de l'activité physiologique. A l'inverse, une augmentation excessive de l'énergie tonique amène un sentiment de déplaisir, une sensation de tension, de surexcitation nerveuse et une propension à la décharge par une activité motrice ou une expression émotive adéquates ; en cas d'impossibilité, on observe du nervosisme, de l'agitation.
L'appareil tend ainsi en effet à maintenir constant par ces mécanismes (sommeil, décharge) la quantité totale d'énergie qu'il renferme (Breuer renvoie ici au « principe de constance de Freud »). Des sources permanentes d'excitation, exogènes (stimuli externes) ou endogènes (affects, besoins organiques, en particulier sexuels), sont d'autre part à l’œuvre et sollicitent constamment les capacités d'équilibre de l'appareil mental-cérébral.
Le trauma (ou les traumas : possibilité de sommation) consiste précisément dans une situation où il y a impossibilité de décharger une quantité importante d'énergie : nous en avons vu les conditions. Alors se crée un réflexe psychique anormal, forme primaire de l'hystérie (c'est l'hystérie « de rétention » de Freud) : l'excitation cérébrale anormalement élevée « grille » une des « résistances électriques » de l'appareil et se décharge ainsi à la périphérie sous la forme d'une manifestation anormale, déviante, d'affect.
Le « court-circuit » fait par la même occasion disparaître la quantité, donc la sensation, centrale (consciente). La voie frayée peut ensuite resservir : la conscience n en sera plus informée ; c'est la première raison du caractère inconscient des traumatismes psychiques, ou tout au moins de leur affect.
Certaines conditions pathologiques favorisent le réflexe psychique anormal ou conversion (terme que Breuer attribue à Freud) en diminuant les « résistances » intersystémiques cérébrales : constitution particulière prédisposée, affaiblissement général (épuisement, grandes phases de mutation physiologique comme la puberté), maladie locale jouant le rôle d'un point d'appel.
Ainsi s'explique la constitution du symptôme hystérique; quant a sa pérennisation, elle nécessite la constitution d'un groupe psychique isolé du reste des associations mentales, c'est-à-dire une dissociation psychique. Pour Breuer, cet état de fait ne peut avoir qu'une cause : l'existence préalable d'états de conscience dissociés, d'états hypnoïdes. Il fait certes mention à titre de deuxième entrée étiologique de l'hypothèse freudienne de la défense (refoulement) mais en annule aussitôt la portée: « Les observations et les analyses de Freud montrent que la dissociation du psychisme peut aussi être provoquée par une « défense ».
[...] Néanmoins cela ne se produit que chez certaines personnes, auxquelles nous devons donc attribuer une constitution mentale particulière. [...] Je ne saurais dire qu'elle est la nature de cette constitution particulière. Je m'aventurerai seulement à suggérer que l'assistance de l'état hypnoïde est nécessaire si la défense doit entraîner non pas simplement que des idées converties individuelles deviennent inconscientes, mais une véritable dissociation du psychisme.
L'autohypnose a pour ainsi dire créé l'espace ou la région d'activité mentale inconsciente dans laquelle les idées auxquelles il faut parer sont repoussées ». A ce stade donc, Freud et Breuer sont d'accord avec Janet pour considérer comme nécessairement pathologique l'existence de « ces sortes de représentations actuelles qui demeurent inconscientes non point parce qu'elles manquent de vivacité, mais au contraire en dépit de leur grande intensité », qu'ils appellent des « représentations incapables de devenir conscientes ».
L'inconscient « normal » recouvre donc des représentations trop faibles pour devenir conscientes ou capables de le devenir à un autre moment, en fonction des fluctuations de l'attention (ce que Freud appellera plus tard préconscient). Breuer et Freud ne commencent à diverger que dans l'explication de l'existence de ces représentations, le premier restant très proche de Janet, le second avançant de plus en plus fermement sa thèse personnelle sur la défense.
Il est donc naturel de voir Breuer chercher dans une prédisposition constitutionnelle particulière la cause dernière de l'hystérie. Nous avons déjà vu deux aspects de cette prédisposition complexe : d'abord, la « tendance à l'hypnoïde », phénomène capital de la maladie ; ensuite, la faiblesse des « résistances cérébrales intersystémiques » qui autorise les conversions (« complaisance somatique » freudienne), c'est-à-dire le passage du surplus d'excitation corticale dans les « appareils nerveux sensitifs qui ne sont normalement accessibles qu'aux stimuli périphériques, de même que [dans] les appareils nerveux des organes végétatifs qui sont (normalement) isolés du système nerveux central par de puissantes résistances »).
Reste un troisième facteur, capital puisque c'est lui qui fonde la divergence de vue avec Janet c'est la « productivité mentale débordante [des] hystériques. [...] Leur vivacité et leur agitation, leur besoin de sensations et d'activité intellectuelle, leur inaptitude à supporter la monotonie et l'ennui peuvent s'expliquer de la manière suivante : ils appartiennent à une catégorie d'individus dont le système nerveux libère, à l'état de repos, un excédent d'excitation qui exige d'être utilisé ». Bien entendu, « la grande majorité des êtres vifs et agiles ne deviennent pas, pour autant, hystériques » : il y faut aussi l’action conjointe des deux autres facteurs et de circonstances traumatiques.
Mais ce dernier facteur est essentiel; en effet, il explique bien des traits de caractère chez les hystériques, comme leur tempérament passionné ou ce que Janet appellera plus tard recherche de l'excitation: « Leur besoin de sensation les pousse [...] à interrompre le cours monotone de leur existence par toutes sortes d' « incidents » qui constituent [...] surtout des phénomènes pathologiques » ; ainsi Breuer oppose-t-il leur « besoin de maladie » a la peur de la maladie des hypochondriaques.
Il lui semble donc que « Janet a établi ses conceptions principales en étudiant à fond les hystériques débiles mentaux que recueillent les hôpitaux et les asiles » c'est pourquoi son « opinion est inadmissible ». Quand elle existe, la « faiblesse mentale » des hystériques non débiles est une manifestation secondaire de la maladie elle est due à l'énorme perte d'énergie qu'engendrent la dissociation et les conversions d'affects.
De même pour la suggestibilité: « Le psychisme inconscient et dissocié des hystériques est éminemment suggestionnable par suite de la pauvreté et du caractère incomplet de son contenu idéatif »; il s'agit d'un état proche du monoïdéisme hypnotique où la défectuosité du jeu des associations mentales exclut la critique et laisse libre cours à l' « idéodynamisme », pour employer le vocabulaire de Bernheim. Lorsque l'intégrité mentale se rétablit, par exemple à la suite du traitement cathartique, nombre d'hystériques retrouvent leurs éminentes qualités mentales (voir le paragraphe 3 de la « Communication préliminaire »).
La position particulière de Breuer et Freud est ici soutenue par deux facteurs : d'abord, le type de malades auxquelles ils ont affaire et qui diffèrent incontestablement de celles de Janet (milieu social, culture, mais aussi personnalité), tout au moins superficiellement. S'y ajoute l'évident contre-transfert positif que ces patientes aristocratiques engendrent chez les deux médecins : leurs appréciations enthousiastes laissent tout de même un peu rêveur à la lecture du protocole des cas.
Freud soulignera d'ailleurs dans le chapitre sur la « Psychothérapie de l'hystérie » des Etudes sur la nécessité pour l'utilisation du procédé cathartique de « beaucoup de sympathie personnelle pour les malades [et d'] un certain degré d'intelligence au-dessous duquel il reste tout à fait inutilisable »; - ensuite, la position théorique qui leur est commune et qui, nous l'avons déjà noté à plusieurs reprises, repose sur les conceptions de l'école de Helmholtz. L'application de ces principes, Breuer en fournit quelques exemples caricaturaux voire grotesques, du circuit électrique comme modèle du psychisme à l'analyse des phénomènes moraux aussi complexes que le remords ou le besoin de vengeance en terme de « réflexe inaccompli » dont l'énergie intacte continue à se chercher une voie de décharge et qui vient trouver modèle dans l'irritation « essentiellement semblable » de l'inhibition du réflexe sternutatoire.
Nous assistons là à un phénomène épistémologiquement très édifiant un modèle théorique archaïque permet une percée dans un champ pourtant couvert par des modèles beaucoup plus englobants (Janet) ; le scotome que transporte ce modèle sur un point capital (la personnalité comme structure globale) le rend d'une valeur heuristique remarquable sur son envers, c'est-à-dire dans l'examen des symptômes isolés.
La psychanalyse y prend son départ à travers la quête freudienne de l'origine de la « quantité excédentaire" du symptôme. Rien ne peut mieux illustrer le rôle du regard théorique dans la recherche clinique ni l'aspect fortuit, et transcendant souvent ce cadre premier, des découvertes que l'abord théorique autorise parfois.