mardi 4 janvier 2011

Songe de Mordrain



Songe de Mordrain
Venge-moi de Crudel
Cette nuit-là, alors qu’il était endormi auprès de sa femme, il lui sembla que devant lui venait Notre-Seigneur aussi angoissé, aussi oppressé qu’il avait été sur la croix, les mains et les pieds troués par des clous. Le voyant apparaître dans une telle détresse, le roi lui dit en pleurant : «Ah! Seigneur, qui vous a fait cela?» Il répondait tout de suite : «C’est le roi Crudel qui m’a ainsi crucifié. Il ne se souvient pas que je l’ai déjà été, et il aura tôt fait de me remettre en croix. Lève-toi maintenant, prends avec toi ta femme, tes enfants, la fille du roi Label et la femme de Nascien, et va-t’en à la mer, traverse et accoste en Grande-Bretagne ; là, tu me vengeras du roi Crudel qui m’a ainsi torturé.» Il le ferait, dit-il, de tout cœur. Au matin, s’éveillant avec le souvenir de ce qu’il avait vu en songe, il fut tout heureux que Notre-Seigneur l’eût choisi pour venger l’outrage. Alors il s’en alla à l’église, raconter sa vision au prêtre. Le prêtre, à ce récit, dit au roi : «Sire, il ne faut pas attendre. Faites rassembler vos hommes, et allez venger la honte de Notre-Seigneur. Et sachez qu’une plus belle aventure que celle que vous m’avez décrite vous arrivera.» Le roi se fia à son conseil, il eut raison.

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Une nuit alors qu’il dort auprès de sa femme, le roi Mordrain rêve que le Christ lui demande de rassembler ses proches et d’aller rejoindre son beau-frère, le roi Nascien, en Grande-Bretagne.
À son réveil, Mordrain demande conseil à un prêtre qui lui recommande d’appareiller sans tarder pour la Grande-Bretagne.

Texte original Cele nuit meïsmes, quant il fu endormis avoc sa femme, si li fu avis que devant lui venoit Nostres Sires si angoissous et si destrois com il ot esté mis en la crois, et avoit les mains et les piés clofichiés. Et quant li rois le vit si destrois devant lui, si li dist em plourant : «Ha! Sire, qui vous a ce fait?» Et il respondoit tout maintenant : «Ce m’a fait li rois Crudens de Norgales, qui m’a ci crucefiié. Il ne li souvient mie que je i fuisse mis une fois, mais tost m’i avra remis tout derechief. Ore lieve sus et pren ta feme et tes enfans et la fille au roi Label et la feme Nascien, et t’en va a la mer et passe outre et arrive en la Grant Bretaigne ; et la me vengeras tu del roi Crudens qui ensi m’a tourmenté.» Et il dist que ce feroit il mout volentiers. Au matin, quant il fu esveilliés et il li souvint de ce qu’il avoit veü en son dormant, il en fu molt liés de ce que Nostre Sires voloit qu’il fust vengiés par lui de son courous. Lors s’en ala au moustier et dist a son prouvoire sa vision. Et quant il l’oï, si dist au roi : «Sire, vous n’avés que atendre. Semonnés vos homes et assamblés, et alés vengier la honte Nostre Signour. Et saciés que plus bele aventure que cele que vous m’avés devisee vous avenra.» Et li rois crut bien son conseil, si ot droit.

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