mardi 22 mars 2011

Somnambulisme et manque de sommeil

Le somnambulisme favorisé par le manque de sommeil

 
une somnambule, dans sa cuisine, cherche de la nourriture dans son réfrigerateur apres avoir coupe un pamplemousse. Longtemps resté mystérieux, le somnambulisme touche environ 2 % des adultes, mais plus de 20 % des enfants y sont sujets à un moment donné.
une somnambule, dans sa cuisine, cherche de la nourriture dans son réfrigerateur apres avoir coupe un pamplemousse. Longtemps resté mystérieux, le somnambulisme touche environ 2 % des adultes, mais plus de 20 % des enfants y sont sujets à un moment donné. Crédits photo : Eros HOAGLAND/REDUX-REA

 

Ce trouble peut être désormais diagnostiqué avec certitude en laboratoire par des privations de sommeil.

Le somnambulisme est un trouble d'autant plus fascinant qu'il reste mystérieux. Alors qu'il est en plein sommeil, le dormeur atteint de somnambulisme se lève, déambule sans en avoir conscience, réalise quelques actes simples et se laisse ensuite calmement reconduire dans son lit, sans garder le lendemain le moindre souvenir de ce qui s'est passé.
Jusqu'à présent, il était très difficile pour les médecins de confirmer ce trouble, parfois handicapant, dont le diagnostic ne reposait que sur les affirmations des proches. Des chercheurs canadiens du Centre du sommeil de l'université de Montréal viennent de montrer que le manque de sommeil était un facteur favorisant les crises de somnambulisme. Ils se sont en effet rendu compte que l'on pouvait induire ce trouble en laboratoire pour mieux l'étudier, en faisant passer une nuit blanche à des volontaires. Leurs travaux viennent d'être publiés dans les Annals of Neurology du 19 mars 2008.
L'équipe de Jacques Montplaisir a sélectionné 40 personnes atteintes de somnambulisme et les a gardées éveillées 25 heures d'affilée en laboratoire puis les a filmées lors de leur sommeil réparateur. Cette privation de sommeil a eu un effet spectaculaire sur le nombre des somnambules qui ont pu être pris sur le fait : de 20 au cours de la nuit précédant la privation de sommeil, il est passé à 36 lors du sommeil de récupération. De plus, le nombre des épisodes d'activité nocturne chez l'ensemble de ces personnes a presque triplé.

Composante génétique

«  Cette étude est précieuse à plus d'un titre, estime le Dr Damien Léger, du Centre du sommeil de l'Hôtel-Dieu à Paris. D'abord elle porte sur un nombre élevé de patients, ce qui est difficile à mettre en œuvre, car le somnambulisme est très rare chez l'adulte. Ensuite, elle va rendre plus accessible l'analyse de ce trouble du sommeil que l'on avait beaucoup de mal à provoquer en laboratoire. Nous savons maintenant qu'il faut une privation de sommeil prolongée et non de quelques heures, comme on le pratiquait avant, pour amplifier le phénomène. Cela nous aidera, par exemple, à mieux le distinguer des crises d'épilepsie. »
La stratégie des chercheurs a été d'accentuer les phases dites de sommeil lent profond en provoquant un retard de sommeil. « En effet, précise Antonio Zadra, premier auteur de l'étude, les crises de somnambulisme se produisent principalement durant ces phases du sommeil qui sont les plus récupératrices. Chez les somnambules, elles semblent instables et s'interrompre plus facilement : ils peuvent alors se retrouver dans un état intermédiaire, partiellement éveillés et partiellement endormis. »
Outre une probable composante génétique, le somnambulisme peut être facilité par un trouble du sommeil, dû par exemple à une gêne respiratoire, ainsi que le stress ou la consommation d'alcool. S'il ne touche qu'environ 2 % des adultes, il est en revanche nettement plus fréquent chez les enfants et plus de 20 % d'entre eux y sont sujets à un moment donné. « Le somnambulisme est alors différent », précise Damien Léger. Lié à la maturation du cerveau, il disparaît à l'adolescence. Mais il est très rare qu'il soit régulier. La prise de médicaments est alors inutile. Il faut surtout veiller à ce que la chambre de l'enfant ne présente pas d'objets susceptibles de le blesser et qu'il puisse dormir au moins 10 heures par nuit.
Le manque de sommeil chez l'enfant renforce-t-il son somnambulisme ? Cela paraît peu probable à Antonio Zadra : « Chez l'adulte, il s'agit d'un trouble inhérent dans le sommeil à ondes lentes, dit-il, que l'on peut chercher à mettre en évidence dans de bonnes conditions. Chez l'enfant, il se résorbe naturellement. Et du point de vue éthique, nous ne pouvons pas, pour l'étudier, priver de sommeil des enfants pendant 25 heures. Notre méthode va plutôt nous servir à mieux poser le diagnostic chez l'adulte. Elle pourrait aussi, dans le contexte médico-légal, aider à évaluer des personnes qui prétendraient avoir commis leurs actes au cours d'une crise de somnambulisme. »
Ce travail permet aussi de conseiller aux personnes atteintes d'un tel trouble de veiller à garder une durée de sommeil suffisante, pour éviter la recrudescence des crises.

Que faites-vous en dormant ?


 

Le sommeil semble être un moment si passif et si tranquille. Pourtant le sommeil peut être rempli d'activités, parfois distrayantes et parfois dangereuses. La parasomnie est un comportement inhabituel durant le sommeil qui va du simple fait de se tenir assis dans le lit ou de marmonner, à préparer un sandwich ou à conduire une auto – tout cela en étant endormi. Mangez-vous durant votre sommeil ? Si vous avez remarqué des signes révélateurs du fait de manger pendant la nuit – comme un manque d'appétit au petit-déjeuner, un désordre inexpliqué dans votre cuisine – il se peut que vous souffriez d'un trouble de parasomnie hyperphagique.
Tout comme le fait de marcher durant le sommeil, manger durant le sommeil, se manifeste durant le sommeil à ondes lentes. Tout comme un somnambule, celui qui mange durant son sommeil va se lever endormi et déambuler, dans le cas présent pour se diriger vers la nourriture. Même s'il continue à dormir les yeux ouverts, le mangeur somnambule peut cuisiner et manger un repas ou un casse-croûte. De toute évidence, cela peut être dangereux ! Les poêles peuvent rester allumés et les couteaux présentent un danger en soi. Mais la prise de poids imprévue et le risque lié à l'alimentation dans le cas de personnes atteintes de diabète de type 2 peuvent poser d'autres risques.
Parlez-vous durant votre sommeil ? Le fait de parler durant son sommeil, ou la somniloquie, est relativement courant. Les paroles peuvent prendre la forme d'énoncés isolés, de grommellements, ou d'un charabia constitué de mots aléatoires et répétitifs. Ce qui est dit est souvent oublié ou mal compris par quiconque pourrait l'entendre. Ces paroles peuvent être entendues durant n'importe quelle période du sommeil et se produisent plus souvent chez les enfants.
On ne sait pas pourquoi on parle durant le sommeil, mais cela pourrait être lié aux rêves. Parfois, ce type de bavardage peut être le symptôme d'un trouble de sommeil plus grave ou d'un trouble mental, mais, dans la plupart des cas, la somniloquie est sans danger.
Hurlez-vous durant votre sommeil ? Une personne en pleines terreurs nocturnes se redresse soudainement dans son lit en hurlant ou en poussant des cris stridents. Son coeur bat à toute allure et ses yeux sont grands ouverts. Mais la personne est toujours endormie et, en fait, il peut être très difficile de réveiller quelqu'un qui est dans un état de terreurs nocturnes. Une fois consciente, la personne est désorientée.
Les terreurs nocturnes font surface à partir du sommeil profond, ce qui les distingue des cauchemars qui sont des rêves qui surviennent durant la période du sommeil paradoxal (sommeil à mouvements oculaires rapides). Parfois, une image effrayante peut apparaître, comme des araignées ou d'horribles personnages. Cependant, contrairement à quelqu'un qui se réveille d'un cauchemar terrifiant, la personne qui souffre de terreurs nocturnes ne se réveille pas durant l'épisode et les souvenirs qu'elle en garde peuvent varier selon la personne.  Les enfants souffrent plus souvent de terreurs nocturnes, bien qu'ils aient tendance à s'en détacher. Les terreurs nocturnes chez les adultes sont souvent associées à un trouble mental, comme le trouble bipolaire ou la dépression.
Simulez-vous vos rêves pendant votre sommeil ? Nos cerveaux travaillent fort pour créer un milieu sûr pour rêver à des choses fantastiques. Quand on dort et qu'on entre progressivement dans la phase de rêves, soit la phase de sommeil à mouvements oculaires rapides ou sommeil paradoxal, les signaux nerveux ferment la plupart de nos fonctions motrices. Cette paralysie temporaire nous empêche de tomber de notre lit quand, par exemple, nous rêvons que nous roulons en bas d'une colline. Toutefois, les personnes qui souffrent d'un trouble du comportement en sommeil paradoxal peuvent bouger leurs membres pendant qu'elles rêvent et donner des coups de poing, des coups de pied, s'agripper ou encore bondir. Contrairement aux terreurs nocturnes, les gens qui éprouvent ce type de trouble peuvent parfois se souvenir de ces rêves pénétrants en se réveillant le lendemain.
L'idée de simuler ses rêves peut à première vue paraître amusante, mais ce type de trouble peut être dangereux (en particulier pour la personne qui dort à côté) et aussi être indicateur d'un problème sous-jacent. En cas de symptômes de trouble du comportement en sommeil paradoxal, il est préférable d'en parler à son médecin, car ce type de symptôme se produit souvent chez les personnes atteintes de maladie neurodégénérative comme la maladie de Parkinson.
Prises isolément, les activités parasomniaques peuvent être relativement sans danger ou tout au plus faire le sujet d'une belle conversation. Toutefois, chacun de ces événements de sommeil peut être suffisant pour nuire à la qualité globale du sommeil et donc à la santé et à la sécurité en général. Si vous êtes dans cette situation, tenez un journal de vos activités durant votre sommeil. Demandez à votre conjoint, à un membre de votre famille ou à votre compagnon de chambre de vous avertir de vos comportements de sommeil inhabituels dont il est témoin. Vérifiez auprès de votre médecin s'il peut vous aider à retrouver un sommeil tranquille.

Trop dormir, est-ce possible ?


 

De nouveaux rapports de recherche ne cessent d'apparaître sur les foules de gens qui sont épuisés et manquent de sommeil. Des somnifères sont présents sur la plupart des tables de chevet ou dans les pharmacies de millions de personnes qui souffrent de problèmes d'insomnie. Mais trop dormir peut-il poser un problème – et à partir de combien de temps est-ce qu'on dort trop ? Pendant des années, le chiffre magique du sommeil a été 8. La période de huit heures de sommeil par nuit a très longtemps été considérée comme la durée optimale d'une nuit de sommeil pour l'adulte.  Mais la recherche a mis cette vieille croyance au repos, et a même révélé que les personnes qui dormaient plus de 8 heures avaient tout autant de problèmes de sommeil que celles qui dormaient moins de 7 heures. Le nouveau chiffre de durée de sommeil magique se situe donc entre 7 et 8 heures.
Il arrive à tout le monde de dormir trop de temps en temps, en général pour compenser une dette de sommeil – par exemple, après une nuit blanche consacrée à étudier, un décalage horaire ou une autre période de privation de sommeil. Par contre, les personnes qui dorment plus de 8 heures sur une base régulière pourraient être des gros dormeurs, nom que l'on donne aux personnes qui souffrent d'hypersomnie (qui signifie « trop de sommeil » à l'opposé de l'insomnie).
Si le gros dormeur fournit à son corps le sommeil dont celui-ci a besoin et, dans la mesure où la longueur du sommeil n'a pas d'incidence négative sur le quotidien, il ne s'agit pas d'un problème grave. Dans certains cas, toutefois, l'hypersomnie peut causer un sommeil improductif, des changements d'humeur, de mémoire, d'appétit et du niveau d'énergie.
Si vous dormez régulièrement 10 heures ou plus et que vous éprouvez de la somnolence durant la journée que vous ne parvenez pas à régler grâce à une sieste, consultez votre médecin. Plusieurs raisons peuvent expliquer un sommeil excessif :
  • l'usage de certains médicaments,
  • un traumatisme de la tête,
  • des affections (par ex. la sclérose en plaques, l'épilepsie),
  • des troubles du sommeil (narcolepsie, apnée du sommeil),
  • les symptômes d'autres affections (par ex. l'hypersomnie peut être un signe de dépression).

Pourquoi devrais-je faire une sieste ?


 

Pourquoi  devrais-je faire une sieste ?Si vous avez abandonné votre tapis de sieste en quittant la garderie, peut-être le temps est-il venu de reprendre cette saine habitude de vie. Les siestes semblent relever du territoire de l'enfance, pourtant, un petit somme fait au bon moment peut être très bénéfique. Une simple sieste peut vous aider à éviter les baisses soudaines d'énergie ressenties dans l'après-midi mieux que la caféine. Elle peut aussi vous aider à reste plus vigilant, à garder une meilleure humeur et à améliorer votre mémoire.
Les personnes qui vivent sous les climats équatoriaux plus chauds, pratiquent depuis longtemps cette tradition de la sieste. Dans des pays comme l'Espagne ou les Philippines, bien des gens profitent de la sieste pour manger à la maison, passer un peu de temps tranquille en famille et faire une sieste après le repas. Les chercheurs ont observé que chez les personnes appartenant à des cultures où la sieste est traditionnelle, le taux de mortalité d'origine cardiaque était moins élevé – même une fois l'alimentation et le niveau d'activité pris en compte.
Une température chaude et le fait d'avoir mangé peuvent vous mettre dans cet état de somnolence habituel de l'après-midi, mais il peut y avoir un autre facteur lié à notre cycle du sommeil rendant la sieste essentielle. Tandis que nous traversons notre cycle veille-sommeil quotidien, nous atteignons des pics et des creux d'énergie. Comme la plupart des mammifères, les humains traversent deux périodes puissantes de somnolence : autour de 2 heures et de 4 heures du matin et entre 13 et 15 heures dans l'après-midi.  Est-ce que cela vous dit quelque chose ?
Le sommeil comprend 5 stades distincts. Une sieste permet de tirer certains des bienfaits du cycle du sommeil sans passer par une période complète de 8 heures. Il faut cependant garder à l'esprit qu'une sieste ne remplace pas une bonne nuit de sommeil.
1er stade : Le premier stade comprend ces 5 à 10 minutes de sommeil au cours desquelles vos yeux se ferment et vous commencez à vous assoupir. C'est le moment où, si vous vous faites réveiller, vous vous demanderez : « Est-ce que je viens de m'endormir ? » Même avec une mini-sieste, on améliore probablement ses chances de se souvenir de ce qu'on vient tout juste d'apprendre ou de mémoriser.
2e stade : Le deuxième stade correspond aux 20 à 30 minutes de sommeil qui vous amènent vers un sommeil plus profond. C'est durant ce stade que votre cycle cardiaque ralentit, que votre température corporelle s'abaisse et que vos muscles se relâchent progressivement. C'est lors de ce stade que la sieste atteint le sommet de sa puissance. Une sieste d'environ 30 minutes peut vous offrir le regain d'énergie et de concentration dont vous aurez besoin pour traverser le reste de l'après-midi.
3e et 4e stades : Si vous franchissez le seuil de 45 minutes, vous entrez dans la période de sommeil à ondes lentes.  Cet état de sommeil profond renforce votre mémoire déclarative ou propositionnelle, c'est-à-dire, votre capacité à vous souvenir des faits et à les expliquer.  Toutefois, le fait d'être réveillé durant ce sommeil profond peut vous mettre dans un état trouble et désorienté dont il est difficile de se sortir. Pour éviter cette inertie du sommeil, réservez ce type de sieste profonde lorsque vous n'êtes pas bien ou que vous avez vraiment besoin de vous reposer.
5e stade : Une fois que vous entrez dans la phase des 90 à 120 minutes, vous pénétrez dans le domaine des rêves et dans la période des mouvements oculaires rapides ou sommeil paradoxal. Votre fréquence cardiaque et votre fréquence respiratoire vont aussi remonter. Ce type de méga-sieste peut vous aider à rattraper un manque de sommeil et à améliorer votre mémoire procédurale, c'est-à-dire, la capacité à se souvenir de la façon de faire les activités.
Il n'est pas facile de trouver un lieu ou un moment pour faire une sieste dans un mode de vie de « travail de 9 à 5 ». Toutefois, certains bureaux deviennent plus ouverts à la sieste, et proposent une pièce qui permet de fermer l'oeil un moment ou de tamiser la lumière après le repas (respectueux du sommeil et de l'environnement tout à la fois !). Dans certaines villes, on a vu apparaître aussi des salons de sommeil qui offrent des fauteuils spécialement conçus pour dormir où les clients peuvent se détendre et recevoir un massage avant de faire un petit somme.

Quelques conseils pour faire une bonne sieste

Les conseils pour faire une bonne sieste découlent du simple bon sens, mais peut-être que certains d'entre vous n'y auront pas pensé :
  • La meilleure durée d'une sieste : Veillez à ce que votre sieste soit courte. Les siestes dépassant 1 heure risquent de rendre votre réveil et la reprise de vos activités plus difficiles. 
  • La meilleure position: Bien sûr, la position allongée sera la plus efficace. Mais si vous ne pouvez pas vous coucher, il est possible de faire une sieste en position assise ; cela risque simplement de prendre 2 fois plus de temps pour vous endormir.
  • Un environnement propice au sommeil : Vous voulez un endroit faiblement éclairé, sûr, tranquille et où la température est confortable, mais pas trop chaude pour ne pas sombrer dans un sommeil profond. Les masques de sommeil permettent d'avoir l'obscurité qui facilite le sommeil tout en créant une légère pression qui fera relaxer les muscles autour des yeux.
  • Le meilleur état d'esprit : Mettez-vous en mode sieste, en vous disant : « Je vais relaxer en faisant une sieste de 20 minutes ». Autorisez-vous à cesser de penser pendant quelques instants, respirez profondément et régulièrement. Mettez une alarme afin de ne pas dépasser votre objectif de durée de sieste. La plupart des téléphones cellulaires et des MP3 offrent cette fonction.

Somnambulisme et enfance


Le somnambulisme est un phénomène fascinant et étonnamment courant ; environ 15 % des enfants âgés de 5 à 12 ans connaîtront au moins un épisode de somnambulisme. Par ailleurs, il est fort probable que la personne somnambule ne connaisse pas son état à moins de se blesser lors de ses activités nocturnes ou d'en être informée par un témoin qui assiste à sa déambulation nocturne.
Le somnambulisme se produit au cours du sommeil profond à ondes lentes. Il s'agit de la partie du sommeil paisible où les rêves sont moins fréquents. L'activité du rêve ne se produit pas durant le somnambulisme. En fait, l'activité du cerveau se compare davantage à celle d'une personne éveillée qu'à celle d'une personne endormie.
Le somnambulisme est plus courant chez les jeunes enfants que chez les adultes et tend à disparaître avec le temps. On note aussi une tendance familiale au somnambulisme. Chez les enfants, l'anxiété, ou de mauvaises habitudes de sommeil sont les causes qui déclenchent le somnambulisme. De même, chez l'adulte, le manque de sommeil, un stress trop intense ou l'anxiété peuvent l'amener à sortir du lit et provoquer des activités somnambules.
On comprend facilement qu'un somnambule puisse se retrouver dans des situations dangereuses, car, bien qu'il ait les yeux ouverts, son raisonnement se passe en mode de sommeil. Bien que quelques somnambules puissent avoir des comportements violents durant leurs épisodes ou commettre des actes inhabituels, le mythe voulant que le fait de réveiller un somnambule risque de le tuer est totalement faux. Il risque simplement de sursauter, d'être désorienté et il ne se souviendra pas de ce qu'il vient tout juste de faire. Si vous êtes confronté à une personne en phase de somnambulisme, reconduisez-la tranquillement vers son lit par le coude pour lui permettre de rester endormie si possible.
Si vous-même ou l'un de vos proches êtes somnambule :
  • Évitez tout facteur déclencheur, comme la fatigue, le stress ou les substances comme l'alcool, les drogues ou certains médicaments.
  • Prévoyez des mesures de sécurité - des barrières pour bloquer l'accès aux escaliers, des serrures renforcées sur les portes et les fenêtres, des protections contre les coins ou les rebords dangereux. Bien sûr, des lits superposés sont une mauvaise idée dans le cas d'un enfant somnambule.
  • Discutez avec votre médecin des éventuelles solutions de traitement si le somnambulisme devient perturbant ou dangereux. Dans certains cas, un problème médical sous-jacent peut en être responsable. Des médicaments sur ordonnance et l'hypnose se sont révélés utiles chez certaines personnes.

Somnambulisme


 

Le somnambulisme, qui signifie en latin marcher en dormant, est une pathologie du sommeil d'origine neurologique.

Il se traduit par un comportement moteur survenant lors d'un éveil incomplet en sommeil lent profond. Généralement limité à des déambulations dans le lieu d'habitation, il peut toutefois conduire à des actes plus dangereux pour le sujet (sortie, défenestration) ou pour d'autres individus (conduite d'un véhicule, comportements violents, voire homicide).

Ils semblent être éveillés, et ont les yeux ouverts. Ils sont capables de répondre à des ordres ou à des questions par oui ou non. Ils semblent toutefois ennuyés par les questions et ils s’irritent si l’interrogatoire est trop long. Lorsqu’on les réveille, ils sont confus et mettent un peu de temps avant de reprendre leurs esprits. Près du tiers des somnambules réagissent de façon agressive. La personne n’a aucun souvenir de ce qu’elle a fait, pas même de s’être levée pendant la nuit. La plupart du temps les épisodes sont courts (quelques minutes et parfois jusqu’à 30min).

Pathophysiologie

Le somnambulisme survient généralement durant les phases 3 et 4 du sommeil, ou sommeil profond. Cette phase correspond au premier tiers du cycle du sommeil (pendant les deux premières heures suivant l'endormissement).

Les somnambules ont une régulation anormale des ondes courtes (observables sur un encéphalogramme). Cette régulation est liée au système thalamo-cortical, qui engendre une paralysie musculaire naturelle durant le sommeil.

Ainsi, des séries d'événements moteurs complexes peuvent intervenir sans que le sujet soit conscient.

Le somnambulisme n'est pas dangereux en tant que tel, mais le mouvement sans connaissance consciente peut entraîner des dangers. La raison pour laquelle il ne faut pas réveiller un somnambule est la suivante: celui ci peut avoir des gestes violents et vous frapper. De plus, croyant à un mauvais rêve, il peut s`enfuir et trébucher et se blesser grandement.

Le somnambulisme de l'enfant

Le somnambulisme s'observe le plus souvent chez les enfants, surtout les garçons entre 7 et 12 ans. Ces accès de somnambulisme disparaissent en général à la puberté.

Aux phases ambulatoires les plus courantes s'ajoutent parfois des phases où l'enfant urine dans un lieu innaproprié, utilise des mots obscènes absents de son répertoire courant. La prévention de chutes dangereuses reste toutefois l'aspect le plus important du somnambulisme infantile.

Le somnambulisme de l'adulte

Entre 10 et 20% des adultes seraient sujets au somnambulisme, avec des écarts nets dans certains pays (40% en Suède). Chez l'adulte, le somnambulisme peut avoir des causes psychologiques (notamment en période de stress), psychiques, ou être liée à la consommation d'alcool. Des prédispositions génétiques ont récemment été envisagées après des études menées par l'hôpital universitaire de Berne. Un gène spécifique aux somnambules vient d’être découvert. Un chercheur a réalisé une étude portant sur 74 personnes atteintes de somnambulisme. Il a découvert que 50% d’entre elles possédait un gène appelé HLA DQB1*05 qui fait parti des gènes impliqués dans la régulation du système immunitaire : ces gènes permettent de faire la distinction entre les cellules de l’organisme et celles qui lui sont étrangères. Mais il reste encore à définir la relation exacte entre le somnambulisme et ce gène. En conséquence on peut se demander si le somnambulisme peut être une maladie auto-immune c’est-à-dire provoquée par un mauvais fonctionnement du système de protection de l’organisme

Les symptômes du somnambulisme

Le somnambulisme simple : on distingue deux cas comportementaux. Pour le premier, l’enfant ou l’adulte s’assoit sur son lit tout en exécutant des gestes plus ou moins adroits. De temps en temps, il peut se mettre à parler. Dans le deuxième cas, le somnambule se lève et déambule dans l’habitation pour ensuite retourner spontanément dans son lit. Ses yeux sont grands ouverts et son regard est inexpressif. Si on lui parle, il peut répondre, il peut même exécuter des ordres. Mais le somnambule s’irrite très vite et devient grognon. Parfois, il peut réaliser des actes relativement élaborés, éviter des meubles, descendre des escaliers, vider une armoire, fouiller le réfrigérateur, se mettre à manger, faire la vaisselle, ou uriner dans un coin; voire chez les adultes, conduire un véhicule. Sauf dans cette dernière situation, ce type de somnambulisme n’est pas dangereux et se déroule tout au plus une fois par mois durant 10 minutes. Il tend à disparaître au bout de quelques mois ou à la puberté chez les enfants. Si le somnambule commet des actes dangereux pour lui ou pour son entourage, nous passons au second type de manifestation.

Le somnambulisme à risque : c’est une forme accentuée du somnambulisme simple. En effet, la durée dépasse 10 minutes, la fréquence est de 2 à 3 fois par semaine et les actes du somnambule sont dangereux. Par exemple il peut utiliser un couteau, faire des gestes violents qui peuvent le blesser lui et son entourage ou bien, par sa maladresse, il peut tomber (d’une mezzanine ou des escaliers). Lors de ce type de somnambulisme, les risques de défénestrations sont courants.

Le troisième type est nommé le somnambulisme de « terreur ». Les premières crises de somnambulisme de terreur peuvent apparaître avant 6 ans ou après 10 ans et peuvent persister après la puberté. Les crises débutent tôt après l’endormissement. Lorsque l’on tente de calmer, retenir, réveiller ou consoler le somnambule, celui-ci peut devenir encore plus agressif. Chez l’enfant, le risque de défenestration est deux fois plus important lors de cette crise. Le somnambule est dans un état neurovégétatif (inconscient), il est dans un état de terreur, il court et déambule violemment en poussant des hurlements. Sa fréquence cardiaque, sa respiration et son activité musculaire augmentent. Son cortex cérébral* reste probablement en sommeil lent profond ce qui explique l'amnésie lors du réveil. Ce genre de somnambulisme peut se reproduire plusieurs fois par nuits et cause des problèmes psychologiques au somnambule.

Causes autres que génétique

- Dans un cadre comportemental:
. Le stress ou les tensions nerveuses: produites chez l’enfant par des histoires familiales ou des événements traumatisants, et chez les adultes par la vie actives des adultes.
. Le manque de sommeil : si l’enfant comme si l’adulte, se couche tard, ses rythmes du sommeil sont bouleversés. Une privation du sommeil peut augmenter la fréquence et la complexité du somnambulisme . En effet, il y a plus de cas de somnambulisme lors d’une nuit de récupération que lors d’une nuit normale (sur 15 patients 100% on eu une crise lors d’une nuit de récupération contre 60% lors d’une nuit normale).
. Les migraines (en particulier chez les femmes)

- Dans un cadre environnemental :
. une maladie : il existe un lien étroit entre la fièvre et le somnambulisme. Il a été, aussi, associé à la Maladie de Gilles de la Tourette. Certaines formes de l’épilepsie ou d’énurésie peuvent également entraîner le somnambulisme.
. la puberté : le trouble chez l’enfant peut être lié aux facteurs de croissance comme la puberté.

- Dans un cadre toxique :
. la prise de certains médicaments de la classe des psychotropes est consommé par moins de 10% des jeunes actuels. Il y a moins de consommation que chez les adultes. Les adultes utilisent plus de médicaments contre le stress(particulièrement le lithium), et pour dormir.
. l’alcool et les drogues.

Quels sont les traitements les plus courants ?

Certains patients souffrent de troubles psychologiques liés à leur propre perception du somnambulisme, qui reste assez peu étudié et est mal connu du grand public. Les comportements violents peuvent également avoir un impact psychologique important notamment sur le couple.

Une croyance populaire veut qu'il ne faut pas réveiller un somnambule. Dans les faits il n'y a aucun danger à le réveiller. Il peut seulement être désorienté ou embarrassé. En tout cas, mieux vaut le réveiller que de lui permettre de se mettre en danger.

En tant que maladie, le somnambulisme peut être traité :

- Dans les cas simples, il faut chercher à supprimer les causes tel que le manque de sommeil, le stress et éviter les exercices violents en soirée. Ils doivent également dormir à des heures régulières et adapter l’environnement : dormir au rez-de-chaussée ou verrouiller la porte de sa chambre.

- Si les crises se manifestent trop souvent, les médecins peuvent prescrire des benzodiazépines, du diazepam ou du lorazepam, qui suppriment les crises en éliminant les phases du sommeil profond. Mais l’efficacité de ces benzodiazépines se limitent au début du traitement, il s’en suit un phénomène d’échappement.

- On peut aussi utiliser l’hypnose avec un thérapeute: les résultats semblent efficaces. Si des troubles psychologiques surviennent après les crises, il est préférable de consulter un médecin psychiatre.

Joseph Delboeuf Le sommeil et les rêves : Première partie CHAPITRE IV



Première partie

CHAPITRE IV


La foi du fou dans ses aberrations. Le doute spéculatif. Criterium absolu de la certitude scientifique

L’hallucination:les conceptions du fou ont le même éclat que ses perceptions, ses illusions sont légitimes. L’hallucination peut avoir aussi sa cause dans l’affaiblissement de la faculté perceptive. Le criterium distinctif de la conception et de la perception est, dans la règle, le témoignage des autres hommes. Critique de ce criterium. Distinction entre la certitude objective et la certitude subjective. Le signe distinctif suffisant et absolu de la certitude raisonnée est le doute spéculatif.
Nous venons de voir en quoi se ressemblent et en quoi se distinguent le rêve et la rêverie. De part et d’autre, le tissu fondamental est une suite de conceptions plus ou moins bien enchaînées. Seulement, dans la rêverie, elles coexistent avec des perceptions déterminées qui, bien qu’affaiblies par suite de notre inattention, en font néanmoins, par leur netteté et leur relief, remarquer le fruste et le défaut de saillie. Dans le rêve, au contraire, les perceptions que nous pouvons avoir sont si vagues et si obscures que nos conceptions en gagnent du resplendissement par contraste, et l’impossibilité où nous sommes d’établir une comparaison fait que nous prenons, obéissant en cela à une habitude innée et irrésistible, les objets de nos idées pour des réalités extérieures.
La folie, dont je vais dire quelques mots, a sa place marquée, du point de vue où je me mets, entre le rêve et la rêverie: les conceptions du fou en tant que fou, ont le même éclat que ses perceptions.
On se rappelle l’excellente Perrette s’abusant des perspectives les plus riantes, et se voyant déjà en possession d’une vache et de son veau. Supposons que la brave femme se figure qu’elle les possède réellement, et nous aurons devant nous une pauvre hallucinée. Trompée à la fois par tous ses sens, non seulement elle les verra paître, mais elle les entendra mugir, elle traira sa vache dans des seaux imaginaires, et rangera dans une crémerie qui n’existe pas des terrines de lait et des mottes de beurre qui n’existeront pas davantage.
Il pourra se faire cependant que la vue seule soit le siège de l’erreur. Alors la malheureuse ne réussira jamais à mettre la main sur ses bêtes, qui s’enfuiront à son approche. Elle se dira, dans sa folie, qu’un malin génie la tourmente et l’empêche d’exercer son office de fermière; elle finira par s’expliquer la chose d’une façon vraisemblable à ses yeux, et Dieu sait jusqu’où la logique des suppositions peut la conduire.
On connaît ce genre de spectacle dont tout l’intérêt se tire d’une illusion d’optique. Sur la scène se meuvent des acteurs réels et aussi des ombres insaisissables dont le corps n’offre aucune résistance aux épées et aux massues, qui apparaissent subitement et qui disparaissent de même. Admettons pour un instant que l’acteur puisse être victime de ce jeu de scène. Il aura devant lui un personnage qu’il verra, mais qu’il ne pourra toucher. Se dira-t-il que c’est une illusion? Peut-être. Mais où sera le sens abusé? Sera-ce la vue qui voit ce qui n’existe pas, ou le toucher qui ne touche pas ce qui existe? Appuyé sur l’expérience, il est possible qu’il finisse par se persuader d’une erreur dans ses perceptions visuelles; mais il est possible aussi qu’il en perde la raison.
Le malheureux insensé qui croit avoir le ventre rempli de grenouilles ou de crapauds, et qui, lorsque vous cherchez par démonstration à le guérir, les empoigne avec ses mains, vous les met devant les yeux ou vous les jette à la face, est victime d’une triste illusion, sans doute; mais comment pourrait-elle ne pas se produire? Les fondements de notre croyance aux choses réelles sont-ils d’une nature différente?
De là cette conclusion, à première vue paradoxale, mais néanmoins de la plus rigoureuse exactitude: c’est que l’halluciné obéit à une loi naturelle quand il croit à la véracité des images fantastiques qui hantent son esprit. En cela il se comporte exactement comme moi qui, en ce moment, suis intimement persuadé que j’ai une plume à la main, du papier devant moi, et que j’y écris le résultat de mes réflexions. Et autant je regarderais comme un non-sens la tentative de quiconque voudrait chercher à me convaincre que je rêve, autant il doit nous trouver mauvais plaisant quand nous nions et voulons lui faire révoquer en doute l’existence de ce qu’il voit, de ce qu’il entend, de ce qu’il manie tous les jours.
« Écoutons, dit Albert Lemoine, la réponse d’une hallucinée à qui le médecin voulait démontrer son erreur. «Comment connaît-on les objets? Parce qu’on les voit et qu’on les touche. Or je vois, j’entends et je touche les démons qui sont hors de moi, et je sens de la manière la plus distincte ceux qui sont dans mon intérieur. Pourquoi voulez-vous que je répudie le témoignage de mes sens, lorsque tous les hommes les invoquent comme l’unique source de leurs connaissances?» Et lorsqu’on lui donnait comme preuve l’exemple des autres hallucinés qu’elle reconnaissait être dans l’erreur: «Ce que mon œil voit, mon oreille l’entend, ma main le touche. Les malades dont vous me parlez se trompent; l’un de leurs sens est contredit par l’autre; pour moi, au contraire, j’ai l’autorité de tous.» Si, quoique bien éveillé, continue l’auteur, le fou croit à la réalité des images ou des bruits qu’il voit et qu’il entend, c’est par cela même qu’il est éveillé, et ne peut douter pour cette raison de la véracité du témoignage de ses sens.»
Comme l’analyse du sommeil, celle de la folie nous amène donc aussi à faire deux parts dans les phénomènes qu’elle présente, et à distinguer ce qui est morbide d’avec ce qui en découle naturellement en vertu de notre expérience antérieure, de nos habitudes intellectuelles et de nos instincts.
L’homme endormi voit parfois un bâton s’animer, un meuble parler, un homme revêtir la forme d’un oiseau. Les poètes, ces rêveurs volontaires, peuplent les forêts d’arbres enchantés qui saignent quand on les frappe, qui trouvent des accents de menace ou de supplication, qui se transforment subitement en monstres ou en femmes pour vous effrayer ou vous attendrir. On sait en quels animaux Circé métamorphosa les compagnons d’Ulysse; et le Tasse et l’Arioste ont doué les enchanteurs des pouvoirs les plus redoutables.
L’homme endormi est une dupe momentanée; les poètes sont des dupes volontaires. Mais il y a aussi des dupes involontaires et incorrigibles, qui prennent des moulins à vent pour des géants, des Maritornes pour des princesses, et des marionnettes pour des personnages en chair et en os. La raison de leurs illusions nous est connue: c’est que les vaines images de leur cerveau les frappent avec la même vivacité que les images réelles. Et, s’ils ne doutent pas de la vérité de celles-ci, pourquoi douteraient-ils de la vérité de celles-là?
Dans la chambre où j’écris ces lignes sont accrochées, sur le mur en face de moi, des gravures. Je suis absolument certain qu’elles sont là. Or, si au-dessus ou à côté de ces gravures, tous les jours j’en voyais d’autres qui pourtant n’existeraient pas; si je m’imaginais les toucher, les décrocher, les épousseter; si je croyais me rappeler d’où et comment elles me sont venues, je devrais logiquement avoir foi en leur existence. Je suis et je me sens éveillé quand je vois les premières, pourquoi devrais-je croire que je rêve quand je vois les secondes? Ma foi erronée n’a-t-elle pas pour garant ma foi légitime? L’affirmation de mes proches que ce serait là une idée délirante pourrait momentanément jeter un certain trouble dans mon esprit; mais je me persuaderai bien plus facilement et bien plus raisonnablement qu’ils ont comploté de se moquer de moi, que je ne révoquerai en doute le témoignage constant de mes sens3. Si je ne sais pas comment ces tableaux sont venus là, je croirai plutôt à un défaut de mémoire qu’à une erreur continue. Si enfin ils se refusent à se laisser décrocher, je serai en proie à une grande inquiétude. Je me dirai que je suis le jouet d’un mauvais rêve; si j’ai été élevé dans des idées superstitieuses, je soupçonnerai une intervention diabolique; si enfin je sais, pour l’avoir vu ou l’avoir lu, que de pareilles illusions peuvent être l’effet d’une maladie, je me rendrai compte de mon état, je m’en tourmenterai probablement, comme aussi il pourra se faire que j’en prenne mon parti. On connaît l’abîme de Pascal et l’enfer de Descartes. C’est à cette conclusion que je m’arrêterai presque certainement si les apparitions sont passagères, intermittentes ou périodiques, les raisons de douter étant, dans ce cas, plus puissantes que les raisons de croire.
Je viens de passer rapidement en revue les diverses sortes d’hallucination, depuis la folie caractérisée jusqu’à la plus simple des maladies mentales. On remarquera que les illusions y sont partout motivées, et que l’halluciné fait acte de conscience précisément parce que, à tous les autres égards, il est en communication avec l’extérieur. C’est là ce qui leur donne un caractère de cohérence qu’on rencontre bien rarement dans les rêves.
Mais il est des folies d’une nature toute différente. Les déments et certains fous mélancoliques, dont l’état tient principalement à une anémie ou à un épuisement du cerveau, ont des idées dont la bizarrerie ne le cède nullement à celle de nos songes. Un jardinier qui porte une botte d’osiers se transforme à leurs yeux en un gendarme qui conduit leur ennemi en prison. J’ai connu une jeune mère qui, affaiblie par des accouchements successifs, perdit momentanément la raison. Elle s’imaginait, par exemple, que les poulets que troussait la cuisinière étaient ses propres enfants, et rien n’était plus déchirant à voir et à entendre que ses angoisses maternelles. II y avait là une de ces superpositions d’images dont j’ai parlé plus haut. Il faut chercher l’explication de ces cas et d’autres analogues dans l’engourdissement de la réceptivité, ce qui établit un rapprochement entre ces sortes de maladies et le sommeil.
Il n’entre pas dans mon sujet de rechercher les causes possibles de la folie. Pourtant la question peut être envisagée sous un point de vue tout théorique et tout psychologique. Il ressort de ce que j’ai dit jusqu’à présent que les hallucinations peuvent tenir à deux causes au plus. Ou bien elles proviennent de ce que les conceptions erronées ont acquis un éclat comparable à celui des perceptions; ou bien de ce que, au contraire, la faculté de percevoir s’est affaiblie au point que les images réelles sont grises et ternes autant que les images fictives. Il est possible que souvent ces deux causes agissent à la fois; c’est un point que je n’ai pas à examiner.
Mais quoi qu’il en soit, on peut étendre aux divagations de l’insensé la définition qu’Aristote donne des rêves, en l’élargissant un peu, et dire qu’elles sont propres au fou en tant qu’il est fou. Entre les conceptions du fou et celles de l’homme sensé, il n’y a donc pas de différence sous le rapport psychologique; la différence est physiologique, et, pour préciser davantage, purement pathologique.
J’aborde maintenant les autres questions qu’il me reste à traiter. La première est celle de savoir à quel caractère on peut reconnaître pratiquement une conception d’une perception, du moment qu’elles ont l’une et l’autre le même éclat. La réponse est bien simple. La conception est toute personnelle, la perception est commune à tous. Les gravures qui sont dans ma chambre, tout le monde les voit, tout le monde peut les toucher; celles qui sont dans mon imagination sont inaccessibles pour tous, excepté pour moi.
Donc, en matière de perceptions et de conceptions, le témoignage des autres hommes est le seul criterium qui puisse nous guider.
Mais ce criterium n’est malheureusement pas infaillible. N’arrive-t-il pas quelquefois que des populations entières voient des apparitions merveilleuses? Dans son livre si instructif intitulé De l’étude de la nature, M. Houzeau, ancien directeur de l’Observatoire de Bruxelles, cite les lampes sépulcrales, déposées par les Romains dans leurs tombeaux, et que de nombreux témoins affirmaient avoir vues brûler encore, lorsque l’intérieur des tombes était mis à jour. Voilà un fait parfaitement impossible, et, au reste, bien facile à constater. Or, que lisons-nous dans les procès-verbaux de l’ouverture d’un sépulcre romain dans l’île de Nisida, près de Naples, et réunis par Porta? «Des hommes graves, honorés, appartenant à différentes professions, dit M. Houzeau, entre autres un magistrat renommé, attestent, pour l’avoir vu de leurs yeux et de la manière la plus authentique et la plus absolue, des miracles chimiques qui n’étaient pour eux qu’un secret perdu.» En plein XVIIIe siècle, les miracles du diacre Pâris sont appuyés d’un ensemble de preuves dont les événements historiques les mieux établis pourraient difficilement s’étayer. Enfin, ce qui est plus fort, ne voyons-nous pas de nos jours des philosophes, des savants, des naturalistes, des Fechner, des Zôllner, des Ulrici, des Wallace se laisser mystifier par les jongleries spirites d’un docteur Siade?
Cependant, en thèse générale, les idées d’un fou en tant que fou sont incommunicables, elles ne savent pas s’imposer à d’autres; aussi est-il toujours disposé à regarder comme des insensés ses compagnons d’infortune, ou comme des gens bornés ou aveuglés, les visiteurs du dehors. Et, néanmoins, une réflexion ultérieure nous rejette dans la perplexité. Que d’hommes de génie se sont vus traiter de fous par de beaucoup moins sages qu’eux! Pour ne rappeler que deux exemples pris dans l’histoire contemporaine, que d’illustres personnages n’ont pas au début voulu croire à l’avenir des chemins de fer ni même à leur mise en pratique? Et tout récemment n’a-t-on pas entendu des sociétés savantes qualifier irrévérencieusement les premières annonces de l’invention du téléphone? Si les maisons de santé abritent des inventeurs du mouvement perpétuel et autres machines physiquement impossibles, ne sont-elles pas aussi parfois refermées sur un rêveur sublime? D’où ce dicton, absurde au fond, mais vrai pour le vulgaire, que le génie et la folie ont plus d’un point de contact.
Nous ne sommes pas au bout des difficultés. Il est arrivé que des fous sont parvenus à faire accepter à d’autres fous les prétentions les plus déraisonnables. M. Spring, l’auteur de la Symptomatologie ou Traité des accidents morbides, me racontait un jour qu’il avait connu dans un asile d’aliénés un Dieu le Père qui s’était conquis un certain nombre d’adorateurs. Et, en fait, ne voit-on pas des nations entières, de vastes sociétés humaines, croire à l’infaillibilité d’un homme qu’en dernier résultat d’autres hommes ont investi de cette prérogative?
Tout bien considéré et tout bien pesé, on est toujours ramené fatalement à cette conclusion6 que j’ai énoncée ailleurs: c’est que si, d’une part, la vérité existe, d’autre part, le criterium absolu de la vérité n’existe pas; qu’il faut distinguer entre la certitude subjective et la certitude objective; que notre persuasion, si ferme qu’elle soit, peut être non fondée; que la vérité pour nous ne peut avoir qu’un caractère tout provisoire.
Le seul motif, en effet, qui nous fasse rejeter une proposition, se déduit des contradictions qu’elle présente avec d’autres propositions considérées par nous comme vraies. Or, comme le nombre de ces dernières tend toujours à s’accroître, rien ne nous garantit que de nouvelles contradictions ne surgiront pas un jour; l’histoire des sciences ne nous a que trop habitués à ce genre de surprises.
Mais si la défiance à l’égard de notre savoir est légitimée par les défaillances de nos facultés intellectuelles, par contre, c’est ici enfin que nous mettons la main sur la vraie pierre de touche de l’état de raison. Comme tout autre phénomène, l’erreur a sa cause, et, à ce titre, elle est explicable et en quelque sorte logique. Cette cause consiste en une vue incomplète des choses~. Se corriger, c’est voir plus et mieux. Sans doute l’esprit humain n’est pas tenu de tout voir, mais il devrait se garder de nier l’existence de ce qu’il ne voit pas. Or, c’est cette négation — excusable, mais imprudente — qui est la source de tous nos faux jugements.
Cette imperfection de notre nature une bonne fois reconnue, il ne convient à personne d’avoir une persuasion scientifique absolue et sans réserve concernant aucune vérité, quelle qu’elle soit.
Certes, s’il s’agit de la foi subjective, il nous est impossible de la refuser à ce qui s’impose momentanément à nous, même à l’erreur. Cette foi vulgaire et toute pratique exclut l’hésitation.
Mais s’il s’agit de l’adhésion réfléchie, il y a toujours une place, et nous devons laisser une place pour le doute. Il n’y a pas de proposition, si certaine que nous la jugions, qui ne puisse être l’objet d’un doute. Ce doute, qui s’allie parfaitement avec la certitude, est le doute spéculatif. C’est un doute spéculatif qu’émettait Descartes quand, en écrivant ses Méditations, il se demandait s’il ne rêvait pas.
Le doute, comme on le voit, est non seulement conciliable avec la conviction consciente et raisonnée, mais il n’est même possible qu’avec elle et elle le présuppose. Si Descartes n’eût pas été pleinement éveillé et s’il n’eût été absolument certain de l’être, il ne se fût pas posé la question dans le sens qu’il lui donnait. Sosie et Gilles le savetier n’auraient pas douté d’eux-mêmes s’ils n’avaient été dans leur bon sens.
Le doute spéculatif, en effet, n’est pas un doute sincère, un doute vrai, comme en éprouve maintes fois l’homme éveillé, aussi bien que l’homme qui dort et le fou. C’est un doute tout théorique, qui porte sur des choses dont, au fond, on ne doute nullement, et qui se justifie par des considérations générales contester la solidité des bases de la géométrie? N’a-t-on pas remis en question les fondements de la logique?
D’un autre côté, croire qu’une proposition, qui en soi, peut être vraie, est néanmoins conciliable avec une proposition dont on ne voit pas la fausseté, c’est ne pas saisir la première dans sa véritable essence. Conclure des principes de la mécanique que le mouvement perpétuel est réalisable, c’est, au fond, leur substituer virtuellement d’autres principes moins justes, bien que l’énoncé en reste le même. Enfin, ne pas avoir tiré d’une proposition toutes les conséquences qu’elle recèle, c’est n’en pas comprendre toute la portée. Lucrèce, Pascal, Lavoisier, Mayer entendent-ils de la même façon l’axiome que rien ne vient de rien, que rien ne retourne à rien?
La vérité ne se montre jamais à nos yeux que voilée de la tête aux pieds, et, comme à la déesse de Saïs, aucune main d’homme ne lui ôtera son voile. Mais ce voile est de jour en jour plus transparent, parce que notre vue devient de plus en plus perçante et plus juste.
La vérité n’est donc pas une de ces choses dont nous pouvons poursuivre la conquête en nous les annexant parcelle par parcelle; elle est plutôt de celles dont la possession entière nous est refusée, mais que l’on doit adorer, et auxquelles on peut s’unir de plus en plus intimement en multipliant les points de contact et les moyens d’attache. Gardons-nous seulement de la présomption et de l’ivresse des premiers regards et des premiers embrassements. Si le commencement du savoir, c’est de savoir que l’on ne sait rien, n’oublions pas non plus qu’on ne sais jamais le tout de rien. La modestie, la défiance et le doute, voilà les marques du vrai savoir. La suffisance n’est-elle pas la compagne ordinaire de l’ignorance et de la sottise?

Joseph Delboeuf Le sommeil et les rêves : Première partie CHAPITRE III



Première partie

CHAPITRE III

Reconnaissance, au réveil, du caractère mensonger des rêves. Absence d’un criterium absolu de certitude objective
Opinion de Descartes: le signe distinctif du sommeil et de la veille est l’impossibilité de joindre les songes comme se joignent les événements de la vie éveillée. — Critique de ce signe: un rêve logique en est-il moins un rêve? — Le criterium distinctif du rêve est ordinairement le réveil. — Il n’y a pas de criterium absolu de certitude objective.Tout le monde sait que Descartes s’est posé à peu près le même problème, et on sait aussi quelle solution il en a donnée: «Mais peut-être qu’encore que les sens, dit-il, nous trompent quelquefois touchant des choses fort peu sensibles et fort éloignées, il s’en rencontre néanmoins beaucoup d’autres desquelles on ne peut pas raisonnablement douter, quoique nous les connaissions par leur moyen: par exemple, que je suis ici, assis près du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature... Toutefois j’ai ici à considérer que je suis homme, et par conséquent que j’ai coutume de dormir et de me représenter en mes songes les mêmes choses, et quelquefois de moins vraisemblables... Combien de fois m’est-il arrivé de songer la nuit que j’étais en ce lieu, que j’étais habillé, que j’étais auprès du feu, quoique je fusse tout nu dans mon lit!
Il me semble bien à présent que ce n’est point avec des yeux endormis que je regarde ce papier; que cette tête que je branle n’est point assoupie; que c’est avec dessein et de propos délibéré que j’étends cette main et que je la sens: ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci. Mais, en y pensant soigneusement, je me ressouviens d’avoir souvent été trompé en dormant par de semblables illusions, et, en m’arrêtant sur cette pensée, je vois si manifestement qu’il n’y a point d’indices certains par où l’on puisse distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, que j’en suis tout étonné; et mon étonnement est tel, qu’il est presque capable de me persuader que je dors.»
Descartes s’efforce ensuite de dissiper le doute par où il croit devoir débuter, et il résout comme suit la difficulté qu’il vient de se poser: «Certes, cette considération me sert beaucoup non seulement pour reconnaître toutes les erreurs auxquelles ma nature est sujette, mais aussi pour les éviter ou pour les corriger plus facilement: car, sachant que tous mes sens me signifient plus ordinairement le vrai que le faux touchant les choses qui regardent les commodités ou incommodités du corps, et pouvant presque toujours me servir de plusieurs d’entre eux pour examiner une même chose, et, outre cela, pouvant user de ma mémoire pour lier et joindre les connaissances présentes aux passées, et de mon entendement qui a déjà découvert toutes les causes de mes erreurs, je ne dois plus craindre désormais qu’il se rencontre de la fausseté dans les choses qui me sont le plus ordinairement représentées par mes sens. Et je dois rejeter tous les doutes de ces jours passés, comme hyperboliques et ridicules, particulièrement cette incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvais distinguer de la veille: car à présent j’y rencontre une très notable différence, en ce que notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns avec les autres et avec toute la suite de notre vie, ainsi qu’elle a coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant éveillés. Et en effet, si quelqu’un, lorsque je veille, m’apparaissait tout soudain et disparaissait de même, comme font les images que je vois en dormant, en sorte que je ne pusse remarquer ni d’où il viendrait ni où il irait, ce ne serait pas sans raison que je l’estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon cerveau et semblable à ceux qui s’y forment quand je dors, plutôt qu’un vrai homme. Mais lorsque j’aperçois des choses dont je connais distinctement et le lieu d’où elles viennent, et celui où elles sont, et le temps auquel elles m’apparaissent, et que, sans aucune interruption, je puis lier le sentiment que j’en ai avec la suite du reste de ma vie, je suis entièrement assuré que je les aperçois en veillant et non point dans le sommeil. Et je ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces choses-là, si, après avoir appelé tous mes sens, ma mémoire et mon entendement pour les examiner, il ne m’est rien apporté par aucun d’eux qui ait de la répugnance avec ce qui m’est rapporté par les autres. Car de ce que Dieu n’est pas trompeur il suit nécessairement que je ne suis point, en cela, trompé »
Voilà bien le contrôle des sens et de l’intelligence tel que l’ont défini M. Grote et tous les auteurs.
Je lis dans Albert Lemoine: «L’incohérence des images est pour nous le seul signe distinctif des rêves.» Et plus loin: «La foi que nous donnons à la réalité objective des images du sommeil tient en grande partie à ce que nous ne pouvons volontairement ni involontairement faire usage de nos sens pour corriger les rapports des uns par ceux des autres.»
Je ne connais vraiment qu’un sens qui s’avise de corriger les autres: c’est le toucher, qui nous permet de nous assurer, par exemple, que les images réflétées par le miroir n’ont pas de corps. Mais, dans l’état de veille, qui jamais s’avise de toucher les personnes, les arbres et les maisons pour s’assurer que ce sont des corps réels, ou de croire à l’existence matérielle d’une image optique? Et, d’un autre côté, en quoi le témoignage même du toucher garde-t-il l’halluciné d’être trompé par les fantômes qu’il voit ou qu’il entend? De plus, enfin, le contrôle, qui me permet en effet, quand j’ai des doutes, d’en vérifier le sujet, ne peut s’exercer sur le rêve qui est une chose passée. Or, suis-je disposé à ranger parmi les rêves toutes mes perceptions d’autrefois, que j’ai tenues néanmoins pour vraies sans les soumettre à aucun genre de vérification?
Nous avons vu que l’état de veille est caractérisé par la vivacité des impressions reçues. Mais ce n’est pas tout. Ces impressions sont enchaînées logiquement. Comme le dit Descartes, on sait d’où elles viennent, ce qui les a précédées, ce qui les a suivies. Et qu’est-ce qui leur vaut cette qualité? Le monde extérieur, où les événements se succèdent conformément à la loi de causalité. L’habitant de Liège ne peut se trouver à Paris qu’à la condition de s’y être transporté. C’est l’ordre des choses. Ah! si nous vivions dans les régions des Mille et une Nuits, ou dans les jardins enchantés d’Armide, nous jugerions des aventures ordinaires de la vie d’après d’autres règles, cela est clair. Si seulement, comme l’illustre Chevalier de la Manche, vous avez une foi robuste dans le pouvoir des enchanteurs, ou, sans aller si loin, si, imbu des superstitions du peuple, vous croyez à l’influence des sorciers, que de choses impossibles vous regarderiez comme d’incontestables réalités! Mais la nature, d’un côté; de l’autre, le milieu social auquel vous appartenez, ont donné à votre esprit une éducation et des tendances spéciales, et vous vous refusez à regarder comme réel ce qui est incompatible avec votre expérience. Cette expérience — ai-je besoin de le dire? — n’est jamais achevée. Chacun partage plus ou moins les préjugés de son temps. Tacite ne révoquait en doute ni les augures ni les oracles. Vous pouvez donc, en vous fiant uniquement à elle, verser dans des erreurs. Mais c’est encore en vertu de l’expérience que l’on se sait faillible.
Tout ce qui est en contradiction absolue avec les lois que j’ai reconnu régir le monde, est forcément taxé par moi d’imaginaire. Mon rêve me fait-il revivre un ami mort, je n’hésiterai pas à qualifier ma vision comme il convient. Il en sera de même si la scène dont je suis témoin offre des contradictions intimes, si, par exemple, un mort s’y meut et y parle. Sous ce rapport, Descartes et Albert Lemoine ont raison et je souscris à leurs paroles. Mais qu’arrivera-t-il s’il n’en est pas ainsi? Or, parfois, le rêve est parfaitement vraisemblable et enchaîné dans toutes ses parties.
Un jour, une de mes petites filles, alors âgée de huit ans et demi, demanda en ma présence à sa mère un jouet se trouvant, à l’en croire, dans le grenier de la maison de sa grand’mère chez qui nous étions. D’après la description qu’elle en faisait, ce devait être une grande grenouille ouvrant une large bouche. On lui répondit qu’on ne connaissait pas ce jouet, que jamais on ne l’avait vu, qu’il n’existait pas. La petite se mit alors à le décrire d’une manière détaillée, définit très exactement la place où il était rangé; sa grand’mère le lui avait montré et lui avait promis de le lui donner, et ses parents le voulaient bien. Nous eûmes toute la peine du monde à la convaincre que tout cela n’était qu’un rêve. C’est qu’aussi ce rêve était si bien enchaîné et se rattachait par tant de liens aux choses usuelles!
Moins l’intelligence de l’enfant est développée, moins il est choqué des invraisemblances. J’avais de quatre à cinq ans; je venais de perdre mon frère aîné, plus âgé que moi de six ans. Ce frère avait de beaux soldats et d’autres jouets dont il avait le plus grand souci, et qu’il avait la précaution de mettre hors de ma portée. Je n’ai nulle souvenance de sa maladie ni de sa mort. Je me rappelle seulement qu’un jour je demandai à ma mère où était Henri, et elle me répondit qu’il était à la campagne. Je convoitais ces beaux joujoux qu’on avait pieusement déposés dans une armoire. Et, une nuit, je rêvai que dans cette armoire étaient des marionnettes, des arlequins (je les vois encore) doués de la parole! A mon réveil, je les demandai avec prière, avec instance. Ma mère eut beau tâcher de me faire comprendre l’absurdité de cette imagination; pour moi, ce n’était pas un rêve, et je restai dans la persuasion que le motif de son refus était de perpétuer les traditions de mon frère, et que l’usage de ces merveilles me resterait à jamais interdit.
L’illusion naît donc de la vicacité et de la logique relative des impressions. Je n’ai pas besoin de faire remarquer que, pour que l’illusion subsiste après le réveil, il faut d’autres conditions encore. Si ma petite avait vu le joujou dans un appartement de fantaisie et non dans ce grenier qu’elle connaissait par le menu; si elle avait parlé, non à sa grand’mère, mais à un inconnu, ou si elle ne l’avait pas vue avec sa figure et ses habits ordinaires, elle eût facilement reconnu qu’elle était la dupe d’un rêve. Il faut donc, à tout le moins, pour que l’erreur soit permanente, que les plus petits détails du rêve soient conformes à la réalité et à la vraisemblance; il faut en outre qu’ils se projettent sur le fond de notre vie de tous les jours. Or, comme nous l’avons vu, la scène du rêve se dessine sur un fond vague et uniforme; elle est isolée. Tels sont les tableaux des écoles primitives peints sur or, ou ces groupes dansants qui ornent les murs des maisons de Pompéi, et dont on ne sait s’ils sont en l’air ou sur le sol.
Quand je me promène dans les rues de la ville que j’habite, je suis soumis à des impressions qui sont en partie toujours les mêmes. Si j’y rencontre une personne de connaissance et que je lui adresse la parole, cette rencontre et cette conversation se relient à ces impressions si familières et en reçoivent ainsi un cachet d’authenticité. Cette aventure est, pour ainsi dire, inscrite sur le plan idéal de la ville. Sans doute cette authenticité dépend encore d’autres choses, et le lecteur complètera parfaitement de lui-même ce que cet exposé a d’incomplet. Il faut, notamment, que je voie venir cet ami, que je le voie s’éloigner, qu’il soit et reste semblable à lui-même, qu’il agisse conformément à son caractère et à ses relations; sinon, je soupçonnerai aisément que je l’ai vu en rêve.
Mais si aucune de ces invraisemblances n’existe, puis-je convaincre, autrement que par des témoignages extrinsèques, que l’aventure n’est pas réelle? Si, par exemple, je rêve que j’ai laissé ma lampe de travail allumée et que, m’étant levé et l’ayant éteinte, je suis rentré dans mon lit; du moment qu’il ne s’est rien présenté d’insolite dans les tableaux qui ont surgi devant mon esprit, si la chambre avait bien son aspect ordinaire, et si la lampe rêvée ressemblait en tout point à celle que j’emploie, comment, au réveil, pourrai-je m’assurer que tout cela était illusion pure? Comment le pourrai-je, à moins que quelqu’un, ayant veillé à côté de moi, ne m’affirme que je ne me suis point levé; ou que je n’aie des raisons péremptoires de croire que j’avais éteint ma lampe au moment de me mettre au lit?
Mais, le plus ordinairement, le criterium distinctif du rêve, c’est le réveil. Perrette et M. Joyeuse sont tirés de leurs rêveries par un accident: l’accident qui chasse le rêve, c’est le réveil. Le rêve le plus vraisemblable, et dans les combinaisons duquel n’entrent que des réalités, apparaît avec son caractère mensonger, dès que je me vois atout nu dans mon lit». Je taxe d’illusion tout ce qui s’est passé entre l’instant où je me suis couché et celui où je me réveille. Il n’y a d’exception que pour des cas spéciaux comme celui que je viens de décrire. Mais on remarquera que c’est là une action isolée au milieu de la nuit, c’est-à-dire sans attache avec ce qui suit ni avec ce qui précède. Pourtant ces exceptions, qui ne sont pas seulement théoriques, nous obligent à répondre négativement à la question: Avons-nous à l’égard des rêves un criterium de certitude?
Non, il n’y en a pas. Il n’est pas de signe infaillible et universel qui nous permette d’affirmer avec une assurance absolue qu’un rêve était un rêve et rien de plus. Mais à cela, il n’y a pas grand dommage, pourvu que nous ayons un criterium de l’état de veille, un criterium qui nous certifie, quand nous l’interrogeons, que nous ne rêvons pas. Or donc, quand on veille, peut-on douter que l’on ne veille?
On sait ce qu’il arrive à Sosie. Mercure veut lui ravir son nom et son identité. Cette prétention le révolte:
Je ne puis m’anéantir pour toi,
Et souffrir un discours si loin de l’apparence.
Etre ce que je suis est-il en ta puissance?
Et puis-je cesser d’être moi?
S’avisa-t-on jamais d’une chose pareille?
Et peut-on démentir cent indices pressants?
Rêvé-je? Est-ce que je sommeille?
Ai-je l’esprit troublé par des transports puissants?
Ne sens-je pas bien que je veille?
Ne suis-je pas dans mon bon sens?
Mon maître Amphitryon ne m’a-t-il pas commis
A venir en ces lieux vers Alcmène sa femme? [Etc]
Sosie repasse ainsi la suite des événements et y retrouve la logique de la réalité. Mais, en voyant que Mercure est au fait des circonstances qu’il se croyait seul à connaître, sa certitude est ébranlée:
Il a raison. A moins d’être Sosie
On ne peut pas savoir tout ce qu’il dit;
Et, dans l’étonnement dont mon âme est saisie,
Je commence, à mon tour, à le croire un petit.
Mercure multiplie les preuves en dévoilant des détails de plus en plus intimes. L’étonnement de Sosie redouble:
Il ne ment pas d’un mot à chaque répartie;
Et de moi je commence à douter tout de bon.
Près de moi par la force il est déjà Sosie,
Il pourrait bien encor l’être par la raison.
Pourtant, quand je me tâte et que je me rappelle,
Il me semble que je suis moi.
Où puis-je rencontrer quelque clarté fidèle
Pour démêler ce que je voi?
On connaît la conclusion à laquelle s’arrête son esprit:
Je ne saurais nier, aux preuves qu’on m’expose,
Que tu ne sois Sosie, et j’y donne ma voix.
Mais, si tu l’es, dis-moi qui tu veux que je sois.
Car enfin faut-il bien que je sois quelque chose.
Cette histoire d’un individu qui arrive à concevoir des doutes sur sa propre identité a été mise en action de bien des manières. Chaque localité, pour ainsi dire, a sa légende. A Liège, c’est un savetier que des moines ramassent un soir ivre-mort à un coin de rue et qu’ils transportent dans leur couvent. On le lave, on le rase, on le tonsure, on l’affuble d’un froc et on le couche dans une cellule. Le matin, à son réveil, les frères viennent lui présenter leurs hommages et prendre des nouvelles de sa santé. Le pauvre diable’ essaie en vain de rassembler ses idées. On cherche à lui persuader que toute sa vie passée est un rêve. Il ne peut se résoudre à le croire, mais encore ne sait-il pas comment il est sous ce costume et dans ce lit. On lui présente un miroir, il n’est pas sûr de se reconnaître. « Allez, dit-il enfin à l’un des assistants, allez voir au pied du pont si Gilles le savetier est dans son échoppe. S’il n’y est pas, c’est moi; mais, s’il y est, que le diable m’emporte si je sais qui je suis.»
Qu’on ne vienne pas me dire que ce sont là des fables et qu’on ne doit pas raisonner sur des fables. Mon argument est sérieux. Qu’on fasse la part de l’invraisemblance de la donnée ou de l’exagération comique, Sosie et Gilles nous peignent bien des perplexités de l’intelligence que le raisonnement amène à douter de ce qu’elle ne peut s’empêcher de croire. Je ne doute certes pas de mon identité; mais pourtant il y a des fous qui se figurent être l’empereur de Chine, et d’autres qui se souviennent d’avoir été Louis XVII. Ne suis-je pas le jouet d’une semblable folie? Suis-je bien celui que je crois être? Quel est, en un mot, le criterium de l’état de raison? C’est à cette question que nous allons répondre.

Joseph Delboeuf Le sommeil et les rêves : Première partie CHAPITRE II



Première partie

CHAPITRE II


Caractère non illusoire des rêveries et caractère illusoire des rêves

La distinction subjective de la perception et de la conception repose sur le contraste: l’une est éminemment plus vive que l’autre. — Les rêveries sont les conceptions des êtres éveillés; les rêves sont les conceptions des êtres en tant qu’endormis, c’est-à-dire, en tant que privés de la faculté perceptive. — Les habitudes ne s’endorment pas. — Cause du caractère illusoire des rêves. — Revue des auteurs: Aristote, Hobbes, Maury, Maine de Biran, Carnier.
Quant à ses caractères psychologiques essentiels, la conception ne diffère donc pas de la perception. La distinction entre l’une et l’autre repose sur une circonstance extrinsèque, la présence ou l’absence de l’objet en tant que senti. Ai-je besoin de dire, pour qu’on ne s’y méprenne pas, que ce mot objet ne doit pas être pris à la lettre, et que, pour l’être sensible, une image réfléchie est un objet au même titre qu’une image réelle? Or, je ne saisis l’objet que par l’intermédiaire de ma sensibilité; comment donc puis-je reconnaître qu’une conception n’est pas une perception? Ou encore, d’où puis-je m’assurer qu’une perception n’est pas une conception, et qu’il y a un objet actuel auquel elle correspond? N’y a-t-il pas là une impossibilité matérielle?
Un des personnages du Nabab de M. A. Daudet, me fournit une excellente entrée en matière pour répondre à cette question.
« M. Joyeuse... était un homme de féconde, d’étonnante imagination. Les idées évoluaient chez lui avec la rapidité de pailles vides autour d’un crible. Au bureau, les chiffres le fixaient encore par leur maniement positif; mais, dehors, son esprit prenait la revanche de ce métier inexorable. L’activité de la marche, l’habitude d’une route dont il connaissait les moindres incidents, donnaient toute liberté à ses facultés imaginatives. Il inventait alors des aventures extraordinaires, de quoi défrayer vingt romans-feuilletons.
Si, par exemple, M. Joyeuse, en remontant le faubourg Saint-Honoré sur le trottoir de droite — il prenait toujours celui-là — apercevait une lourde charrette de blanchisseuse qui s’en allait au grand trot, conduite par une femme de campagne dont l’enfant se penchait un peu, juché sur un paquet de linge:
L’enfant! criait le bonhomme effrayé, prenez garde à l’enfant!
Sa voix se perdait dans le bruit des roues et son avertissement dans le secret de la providence. La charrette passait. Il la suivait de l’œil un moment, puis se remettait en route; mais le drame commencé dans son esprit continuait à s’y dérouler, avec mille péripéties... L’enfant était tombé... Les roues allaient lui passer dessus... M. Joyeuse s’élançait, sauvait le petit être tout près de la mort; seulement le timon l’atteignait lui-même en pleine poitrine et il tombait baigné dans son sang. Alors il se voyait porté chez le pharmacien au milieu de la foule amassée. On le mettait sur une civière, pour le monter chez lui, puis tout à coup il entendait le cri déchirant de ses filles, de ses bien-aimées, en l’apercevant dans cet état. Et ce cri désespéré l’atteignait si bien au cœur, il le percevait si distinctement, si profondément: « Papa, mon cher papa » qu’il le poussait lui-même dans la rue, au grand étonnement des passants, d’une voix rauque qui le réveillait de son cauchemar inventif.»
L’auteur, un peu plus loin, ajoute ces paroles judicieuses: «La race est plus nombreuse qu’on ne croit de ces dormeurs éveillés chez qui une destinée trop restreinte comprime des forces inemployées, des facultés héroïques. Le rêve est la soupape où tout cela s’évapore avec des bouillonnements terribles, une vapeur de fournaise et des images flottantes aussitôt dissipées. De ces visions, les uns sortent radieux, les autres affaissés, décontenancés, se retrouvant au terre à terre de tous les jours.
Qui de nous n’a été, à ses heures, ce dormeur éveillé si bien décrit par l’illustre romancier? Quelle est la littérature qui ne s’est pas emparée de ce type que l’on retrouve au théâtre et jusque dans les fables? N’est-ce pas de l’Inde que nous vient, par une suite de transformations successives, cette délicieuse Perrette qui, dans un transport de joie, renverse le pot au lait où elle entrevoyait toute une fortune?
Tout le monde connaît par coeur les commentaires ingénieux du poète:
Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?
Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m’écarte, je vais détrôner le sophi;
On m’élit roi, mon peuple m’aime;
Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant:
Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même;
Je suis Gros-Jean comme devant.
Il faut donc un accident pour faire rentrer le rêveur en lui-même; ici, c’est le saut malencontreux de la laitière, là le cri poussé par M. Joyeuse. Mais comment cet accident agit-il? Évidemment par contraste. Je ne cherche pas pour le moment à expliquer le fait, je le constate. Entre l’impression que M. Joyeuse reçut des discours qu’il n’entendait que dans son imagination et celle que lui causèrent les paroles prononcées effectivement par lui-même, la différence était si marquée qu’il ne put s’empêcher de les rapporter à deux causes opposées, et il conclut que, d’un côté, la cause était fictive, et de l’autre réelle. De même, la gentille Perrette, qui prenait tant d’intérêt aux gambades de la vache et de son veau, dut bien quitter d’un œil marri tout ces biens imaginaires, lorsque brutalement l’inexorable réalité offrit à ses regards son lait répandu. L’illusion n’était plus possible.
Or que manque-t-il aux rêveries pour être taxées de rêves? Bien peu: il suffit que le rêveur soit endormi et par là soustrait aux actions de l’extérieur. Si M. Joyeuse, au lieu de se rendre à son bureau, avait commencé son roman dans son fauteuil en faisant sa sieste et qu’il se fût insensiblement laissé aller au sommeil, le phénomène psychologique n’eût pas été différent.
Le rêve est donc caractérisé par une circonstance toute physiologique; c’est qu’il se produit chez l’être endormi. De cette manière, nous reprenons pour notre compte la définition d’Aristote: «L’image produite par le mouvement des impressions sensibles quand on dort en tant qu’on dort, voilà le songe ».
Commentons cette définition; voyons pourquoi Aristote, après avoir dit «quand on dort», ajoute les mots «en tant qu’on dort » ?
«Le rêve, dit-il, n’est pas toute image qui nous apparaît pendant le sommeil; car il nous arrive parfois de sentir d’une certaine façon des bruits, et de la lumière, et de la saveur, et un contact — faiblement, il est vrai, et comme de loin. Ainsi, par exemple, on entreverra en dormant une faible lueur que l’on prendra dans son sommeil pour celle d’une lampe, et, à son réveil, on reconnaîtra que c’était réellement la lumière d’une lampe; et de même pour le chant des coqs et les aboiements des chiens, que l’on reconnaîtra effectivement à son réveil. Parfois on répondra aux demandes. Cela provient de ce que, de même que la veille, le sommeil sera partiel.»
C’est là une remarque d’une profonde justesse. Combien de fois ne m’arrive-t-il pas, vers l’heure du réveil, d’être plongé dans un rêve flatteur, quoique parfaitement bizarre et tout à fait invraisemblable, et d’entendre en même temps au-dessus de ma tête les pas et le caquetage des enfants qui font leur toilette, et au-dessous de moi les allées et venues des domestiques qui nettoient la salle à manger et dressent la table pour le premier repas? Je dors par rapport à mon rêve; je suis éveillé pour ces bruits divers qui annoncent le retour de la vie. Des phénomènes du même genre s’observent à l’heure où l’on se dispose à s’endormir.
Et puis, en thèse générale, dans l’un et l’autre de ces deux états de transition, n’y a-t-il pas un empiètement graduel soit de la veille sur le sommeil, soit du sommeil sur la veille? Il y a donc des instants où l’on ne veille et ne dort que partiellement. Le domestique que vous avez chargé de frapper à votre porte pour vous faire lever, s’adresse à la partie de l’âme qui déjà entend et perçoit les bruits extérieurs. Car, sans cela, comment parviendrait-il à vous réveiller et comment pourriez-vous lui répondre? Or, cette perception du bruit n’est certainement pas un rêve, bien qu’elle ait lieu pendant le sommeil.
Concluons donc, et réservons la dénomination de rêves aux images et aux conceptions qui s’offrent à notre esprit pendant que nous dormons et en tant que nous dormons. Telle est une première note distinctive du rêve.
On voit sans peine que ce procédé de définition s’applique parfaitement aux hallucinations d’un insensé, aux idées délirantes d’un malade atteint de la fièvre, aux extases voluptueuses d’un fumeur d’opium, aux insanités d’un homme ivre. Le rêve, l’hallucination, le délire, l’extase, l’ivresse sont ce qu’ils sont et caractérisés comme tels en raison de l’état physiologique du sujet chez qui ils se produisent. Sans doute, dans le langage ordinaire, on dit les rêves d’un fou; mais, scientifiquement parlant, de même que la folie et le sommeil sont deux états physiologiques différents, de même il faut distinguer les images fantastiques qui se montrent à l’homme sain d’esprit pendant son sommeil et les conceptions chimériques d’un insensé, d’un fiévreux, d’un homme ivre éveillé.
Cependant, il est nécessaire de donner à la restriction d’Aristote toute sa portée.
Rappelons-nous ce que dit M. Stricker. Je rêve de brigands, et j’ai peur; les brigands n’existent pas, mais ma peur existe. Est-ce que cette peur est propre à mon âme en tant qu’elle est endormie? Une mère voit en songe son unique enfant rouler dans un précipice, et son cœur se déchire. L’angoisse qu’elle éprouve n’est-elle pas une réalité? Le motif est imaginaire, je le veux bien; mais la nature du sentiment en est-elle modifiée? La douleur ou le plaisir que nous ressentons à l’annonce d’une fausse nouvelle, en est-elle moins de la douleur ou du plaisir?
Autre cas: je songe que je suis au café avec des amis que j’y ai invités; je me dispose à payer l’écot pour tous; je fais mentalement l’addition. Cette opération est-elle un acte de mon esprit en tant que sous l’empire du sommeil? Quand, éveillé, je pense que 2 et 2 font 4, ce jugement change-t-il de caractère quand je l’énonce en rêve?
Généralisons. En rêve, je raisonne et je parle; mes raisonnements sont bons, et mon langage est correct. Cette suite dans les idées, cette application des règles grammaticales sont-elles le fait de l’homme endormi? ou bien auraient-elles leur source dans une partie de l’âme qui ne dort jamais? On a vu plus haut que M. Spitta attribuait au Gemt2th la propriété de ne jamais dormir. On peut, me paraît-il, élargir encore le domaine des activités qui se dérobent à l’engourdissement du sommeil. En un mot, les habitudes ne s’endorment pas. Ce qui dort, c’est ce qui a momentanément cessé ou presque cessé d’être en relation avec l’extérieur. Il faut donc avoir soin de distinguer ce quiest proprement le rêve de ce qui résulte de l’impulsion du rêve.
Un seul exemple pour achever d’éclaircir ce point. Aux vacances dernières, j’avais promis à mes enfants de faire avec eux une excursion de toute une journée. On prit la veille toutes les dispositions pour le lendemain. On devait partir par le premier train, s’arrêter à une certaine station, puis continuer la route à pied. Il fallait pour cela se lever de bonne heure. Vers cinq heures du matin, la servante vient m’annoncer qu’il pleut et que la pluie semble vouloir persévérer. La promenade était forcément remise. Je me rendors, et je rêve beau temps. Le projet d’excursion me revient en tête: j’avais eu tort de ne pas partir, malgré les menaces du ciel; nous serions maintenant à la station où nous devions descendre, et nous aurions devant nous une belle journée; il ne faudrait jamais dans notre pays oublier combien le temps peut varier d’un instant à l’autre; maintes fois il m’était arrivé de me mettre en route par la pluie et de voir, une heure après mon départ, briller le soleil. Bref, je me livrais à toutes les réflexions qu’éveillé je n’aurais pas manqué de faire, si effectivement le temps s’était remis au beau. Était-ce l’homme endormi qui les faisait? Je ne le pense pas: c’était l’homme de tous les jours.
Dans le rêve — en cela il diffère de la rêverie — l’illusion est complète. La raison en est simple. Le dormeur éveillé, pour me servir de l’heureuse expression de M. Daudet, se complaît dans les écarts de son imagination, il s’y abandonne avec conscience, et souvent même il les dirige; mais il sait qu’il est sous l’empire d’un mensonge plus ou moins volontaire. Cette conscience explicite provient uniquement de cette circonstance qu’il n’est pas séparé du monde qui l’entoure. M. Joyeuse voit les maisons, coudoie les passants, saisit des mots, des cris, des bruits de toute espèce; et ces impressions, bien qu’affaiblies par la distraction du sujet, contrastent cependant encore par leur vigueur avec les impressions molles et sans relief fournies, dans sa fable, par l’officine imaginaire du pharmacien, par la foule qui s’amasse, et par les réflexions qu’il met dans la bouche du peuple. La confusion n’est pas possible. Décidément, la maison, l’attroupement, les voix, tout cela est bien une création de son imagination inventive.
Dans le rêve, ce point de comparaison manque; nos sens épuisés ne nous envoient plus que des sensations vagues et émoussées; nos organes les plus actifs, l’œil surtout, ne fonctionnent plus; alors les images surnageant à la surface de notre cerveau nous font un monde imaginaire auquel nous accordons un caractère de réalité, en vertu de l’habitude invétérée de toujours voir autour de nous un monde différent de nous et opposé à nous-mêmes.
Il est donc naturel que, dans le rêve, je réobjective mes propres idées qui ont été objectives à l’origine, puisque la vie réelle elle-même n’est qu’une suite d’objectivations. Car, ne l’oublions pas, nous ne voyons pas effectivement les choses; nous ne sentons que les impressions qu’elles nous envoient; et nous concluons qu’elles existent comme cause de ces impressions. Le rêve ne crée donc pas d’illusion. L’illusion provient uniquement de ce que nous ne ressentons plus qu’avec une énergie considérablement amoindrie les impressions que nous recevons des choses du dehors. A côté de la scène fictive, mettez une scène réelle avec son éclat et ses couleurs, la fiction s’évanouit. Si l’on a pu croire que nos souvenirs se dessinent avec plus de vivacité pendant nos songes que dans l’état de veille, c’est qu’on a confondu la vivacité relative et la vivacité absolue.
C’est là ce que l’on peut observer tous les jours et ce que j’ai observé vingt fois chez moi-même. Je viens de dîner; je me sens peu disposé à me remettre de suite au travail; je m’étends dans un fauteuil devant le foyer qui flambe, et je prends en main un roman. Les enfants jouent, rient, crient et tempêtent dans le corridor. Tout en lisant, je devine et je suis les scènes qui se passent à côté de moi. Peu à peu, je me laisse aller à la somnolence; les mots et les bruits deviennent de plus en plus indistincts; je continue en un demi-rêve mon roman; puis, le plus souvent, je finis par y jouer un rôle. Le sommeil m’a envahi. Mais cet état dure peu de temps. Au bout de cinq ou de dix minutes, les cris et les rires arrivent de nouveau à mon oreille; les personnages fictifs s’effacent lentement; je fais quelquefois des efforts pour les faire revivre et les fixer; mais les images des marmots se superposent à eux, d’abord transparentes, de manière que je perçois à la fois les uns et les autres; puis elles deviennent de plus en plus solides, leurs contours se dessinent, les ombres et les lumières s’accusent; la fiction disparaît pour faire place à l’impérieuse et jalouse réalité; je suis éveillé.
Ainsi donc, en thèse générale, nos conceptions sont reconnues comme telles, quand nous sommes éveillés, grâce à la vivacité prépondérante des perceptions sur lesquelles elles se projettent; mais, dans nos rêves, elles font illusion, par cette raison même qu’alors nos perceptions sont obtuses et sans éclat. Pendant la veille, elles font l’effet d’une tache sur un fond lumineux; pendant le sommeil, elles s’illuminent, parce que le fond devient obscur. Aussi, presque jamais les tableaux que nous présentent les rêves n’ont de cadre.
Cette explication si simple se trouve déjà chez Aristote. Les rêves, dit-il, sont des débris de sensations, car toute sensation laisse dans l’âme une empreinte durable. Dans le jour, les mouvements intérieurs passent inaperçus, à cause des impressions que nous recevons et de l’activité de la pensée: c’est ainsi que disparaît un petit feu devant un feu immense, et que les maux et les plaisirs légers s’évanouissent devant les maux et les plaisirs plus grands. Mais pendant la nuit, nos sens étant inactifs, parce qu’ils sont impuissants, laissent revenir au centre de la sensibilité ces mouvements, insensibles durant la veille, et qui alors deviennent parfaitement apparents.
Dans les temps modernes, c’est Hobbes qui a le plus nettement exposé cette théorie. De même, dit-il, que le mouvement produit dans l’eau tranquille, par la chute d’une pierre, ne s’arrête pas quand la pierre est au fond, de même l’effet produit par un objet, sur le cerveau, subsiste encore après que l’objet a cessé d’agir, et, bien que le sentiment ne soit plus, la conception reste. Quand on est éveillé, cette conception est confuse, parce que quelque objet présent est toujours là qui remue et sollicite les yeux ou les oreilles; mais dans le sommeil, les images, résidus des sensations, apparaissent fortes et claires, parce qu’il n’y a pas de sensation actuelle; en effet, le sommeil est la privation de l’acte de la sensation, et ainsi les rêves sont les imaginations de ceux qui dorment.
Cette idée, au fond élémentaire, s’est sans doute présentée à l’esprit de tous ceux qui se sont occupés des rêves; nous l’avons rencontrée dans l’ouvrage de M. Radestock. Mais, à part les deux auteurs que je viens de citer, je n’en sache pas qui s’y soient arrêtés et en aient fait le pivot de leurs théories.
Je lis, par exemple, chez M. Alfred Maury :
«Ainsi, pour que notre esprit saisissent la différence des idées et des sensations externes, il faut qu’il puisse comparer les deux ordres de sensations et mettre la réalité en regard de ce qui n’est qu’une conception. Si donc... les sens de l’extatique se trouvaient dans le même état que ceux de l’homme éveillé, les impressions extérieures le rappelleraient tout de suite au sentiment réel, et il ne pourrait prendre des visions pour des faits; or, c’est ce qui n’a pas lieu.»
Voilà, exprimé mieux que je ne pourrais le faire, tout le fond de la théorie du rêve. Mais M. Maury n’y a songé qu’à propos de l’extase.
Maine de Biran dit à peu près la même chose:
«Dans l’état ordinaire, la persuasion momentanée qu’entraînent les fantômes de l’imagination, se trouve continuellement détruite par les impressions plus vives des objets réels qui les effacent, comme la lumière du jour efface celle d’une lampe.»
Le fond de la pensée est irréprochable. Malheureusement cet auteur, dont la logique, ordinairement rigoureuse, était viciée par l’esprit de système, attribue à la volonté la disparition de ces vaines images. Si, dans le sommeil, elles s’imposent à nous, c’est que, d’après lui, nous y sommes complètement passifs; le sommeil, en effet, se caractériserait uniquement par l’absence de la volonté.
C’est donc le défaut comparatif d’éclat et de relief qui distingue la conception de la perception, et l’on peut dire, d’une manière générale, que la conception dans le rêve a encore moins d’éclat absolu que dans la veille.
C’est l’affaiblissement graduel des impressions qui fait que le passé lointain nous apparaît comme un long rêve; et parfois les traces des événements écoulés deviennent si ténues qu’on se demande si, réellement, ils ont eu lieu, ou si l’on n’en a pas été témoin en songe.
En cela, je m’écarte de l’opinion généralement reçue. Ecoutons Garnier : « Ce que nous avons dit de la rêverie va nous aider à nous rendre compte du rêve. Les conceptions du rêve ont encore plus de relief et de netteté que celles de la rêverie, parce que la perception est encore plus absente du sommeil que des préoccupations les plus profondes de l’état de veille. En même temps que le sommeil nous gagne, nos perceptions nous quittent peu à peu... Le règne de la conception commence: ses objets paraissent des réalités: aucune perception ne vient par son contraste faire reconnaître la conception pour ce qu’elle est. Mais, lorsque les organes se dégagent naturellement des liens du sommeil, ou qu’une forte impression nous en délivre tout à coup, la perception se fait et le rêve s’évanouit. C’est donc encore par le contraste de la perception et de la conception qu’on les distingue l’un de l’autre.»
Voilà qui serait à peu près admissible, à condition toutefois qu’on n’accordât pas à la conception, soit qu’elle ait lieu pendant la veille, soit dans la rêverie, ou même en rêve, la même intensité de couleur qu’à la perception.
Mais, plus haut, l’auteur nous apprend que «la différence entre la perception et la conception ne tient pas à la vivacité de l’une ou de l’autre; elle n’est pas une différence de degré, mais une différence de nature», et, d’après lui, les conceptions des rêves sont tellement nettes que, parlant de la folie, il dit: « Tout le temps que dure la folie, la conception prend la même vigueur et pour ainsi dire la même saillie que dans les rêves. »
Ces derniers mots contiennent une erreur évidente que je ne crois plus nécessaire de corriger.

Choix de la névrose


En introduisant cette notion de « choix de la névrose », Freud montre qu’en amont des mécanismes qui déterminent une névrose il est nécessaire que des actes d’un sujet soient posés. La notion de choix de la névrose désigne les actes posés par un sujet à partir desquels il s’engage dans un type de névrose plutôt qu’une autre.

Années 1895. Premières tentatives de Freud pour distinguer, d’une part hystérie et névrose obsessionnelle, d’autre part, névrose et psychose
Presque en même temps que ses « Etudes sur l’hystérie » qui ont été publiées en 1895, Freud avait déjà découvert, avec cette jeune science de l’inconscient qu’il était entrain d’inventer, qu’il pouvait, à partir des mécanismes de formation des symptômes hystériques, rendre également compte de la fabrication d’autres symptômes, obsessions, phobies et psychose. Ainsi faisait-il ses premiers pas dans ce repérage nécessaire de la structure et de ce qui fait la différence, d’une part entre l’hystérie et la névrose obsessionnelle et d’autre part, entre la névrose et la psychose. Ce ne sont que des premiers pas, mais ils sont quand même décisifs au moins quant à la névrose. Ces mécanismes sont décrits dans deux articles qui ont pour titre « Neuropsychoses de défense », de 1894, et « Nouvelles remarques sur les neuropsychoses de défense », de 1896.
Dans le premier texte, il réussit à décrire comment se forme un symptôme hystérique ou une obsession. Ce qui les départage, c’est la possibilité ou non de pour chacun de transformer une souffrance psychique en souffrance corporelle. Quand cette possibilité n’existe pas, ou n’est pas suffisante, cette souffrance reste dans le psychique et se traduit par des obsessions. Une obsession est une idée qui vient au sujet, sans qu’il puisse la chasser de son esprit, même si, par ailleurs, elle lui parait totalement saugrenue. De ces obsessions, Freud en donne déjà quelques exemples, l’obsession pour quelques femmes de se jeter par la fenêtre ou encore de blesser leurs enfants avec un couteau ou des ciseaux.
On ne peut se libérer de ses symptômes, hystériques, au niveau du corps, et de ses obsessions dans le psychisme, que si l’on réussit à retrouver leur sens refoulé par le travail de l’analyse. Ce sens, selon la découverte freudienne, est toujours sexuel.
Freud, en ce premier temps de son élaboration, a déjà découvert, que dans le délire, la représentation dite inconciliable qui a été littéralement arrachée hors du conscient, rejetée, forclose, dira Lacan, ne laisse aucune trace inconsciente, et revient par contre se manifester en clair dans le délire.
Tel est le délire du Président Schreber, où ce qui n’avait pas été assumé pour lui d’une position féminine par rapport au père a donc ressurgi dans son délire avec son idée d’être transformé et femme, de devenir l’épouse de Dieu et d’en recevoir des milliers d’enfants nés de son esprit.

Différences entre hystérie et névrose obsessionnelle
Les symptômes de ces deux névroses ont le même point de départ, une représentation inconciliable pour le moi, pour la conscience, liée à un sentiment de honte ou de culpabilité, est, de ce fait même, rejetée hors du conscient. Mais l’affect qui l’accompagnait, désarrimé de cette représentation, va, en quelque sorte, aller se fourvoyer, se fixer sur une représentation substitutive.
C’est dans le choix de cette représentation substitutive que les deux destins de la névrose vont diverger.
Dans l’hystérie se produira une « conversion somatique », c’est-à-dire que c’est au niveau du corps que sera trouvée la représentation substitutive et que se produira le symptôme, douleurs et paralysies diverses. Freud nous l’indique, l’hystérique redonne à des expressions les plus usuelles, leur sens primitif, voire archaïque : « ça m’a fait battre le cœur », « ça m’a écœuré », « les bras m’en sont tombés ».
Lorsque cette possibilité de conversion n’existe pas ou peu, la représentation substitutive reste alors dans le psychique et se manifeste sous forme d’idées obsédantes.
Ce double chemin mérite d’être retracé pas à pas :
« Le moi qui se défend, écrit Freud, se propose de traiter comme « non arrivée » la représentation inconciliable, mais cette tache est insoluble de façon directe ». En effet la trace mnésique de cet événement dit traumatique ne peut plus être effacée. On parvient quand même à transformer cette « représentation forte » en représentation faible en lui « arrachant l’affect qui lui était attaché ». Mais « la somme d’excitation est reportée dans le corporel, processus pour lequel je donnerais le nom de conversion [...] Nous voyons ainsi que le facteur caractéristique de l’hystérie n’est pas le clivage de conscience (thèse de Janet) mais la capacité de conversion et nous poserons qu’une partie importante de la disposition à l’hystérie (disposition par ailleurs inconnue) réside dans l’aptitude psychophysique à transposer de grandes sommes d’excitation dans l’innervation corporelle »
A ce stade de la découverte de Freud la caractérisation de la névrose obsessionnelle se fait par rapport à l’hystérie et de façon négative, c’est l’absence de possibilité de cette conversion ou transposition dans le corporel qui constitue la spécificité de cette névrose :
« Lorsqu’il n’existe pas chez une personne prédisposée, cette aptitude à la conversion, et si néanmoins, dans un but de défense contre une représentation inconciliable, la séparation de cette représentation et de son affect est mise en œuvre, alors cet affect doit rester nécessairement rester dans le domaine psychique. La représentation désormais affaiblie demeure dans la conscience à part de toutes les associations, mais son affect devenu libre s’attache à d’autres représentations, en elles-mêmes non inconciliables, qui, par cette fausse connexion, se transforment en représentations obsédantes. Voilà en peu de mots la théorie psychologique des obsessions et phobies dont j’ai parlé au début de cet article. »
Freud résume donc ce mécanisme de formation d’une obsession : devant un événement toujours d’ordre sexuel, pour refouler hors du conscient une représentation inconciliable, se produit « une séparation de la représentation d’avec son affect et une fausse connexion de ce dernier ».
En voici un exemple donné par Freud dans ce même texte :
Une femme avait contracté le besoin de compter toujours les marches de l’escalier ou les lattes du plancher. Or, nous indique Freud, elle avait commencé à compter pour se distraire de ses idées obsédantes de tentation. Freud ne nous dit pas, si ces idées de tentation, bien sûr sexuelles, étaient conscientes pour elle, ou si elles avaient déjà subi une première transformation et s’exprimaient, par exemple, par la crainte de se jeter par la fenêtre. Cette compulsion peut en effet être rapprochée de ce qu’il appelle, « phobie de la fenêtre » et qui est analysée par lui dans l’une des lettres de Freud adressée à Fliess. L’idée inconsciente qui s’exprimerait dans cette compulsion ou cette phobie, est simplement le désir de faire signe à un homme par la fenêtre, lui faire signe de monter, comme le ferait une prostituée. On peut se demander si de nos jours, cette idée aurait encore cours. Sans nul doute les fantasmes de prostitution sont très présents dans l’inconscient d’une femme, mais peut-être prendraient-ils une autre forme, plus rude, plus directe.
Différence entre névroses et psychoses
En cette première tentative d’approche de la radicale différence de structure entre la névrose et la psychose, voici comment Freud la décrit :
Par rapport à ce qui se passe dans la névrose, « il existe pourtant une espèce beaucoup plus énergique et efficace de mode de défense. Elle consiste en ceci que le moi rejette la représentation insupportable en même temps que son affect et se comporte comme si elle n’était jamais parvenue jusqu’au moi. Mais au moment où ceci est accompli, la personne se trouve dans une psychose qu’on ne peut classifier que comme confusion hallucinatoire.
La représentation qui était donc maintenue dans la névrose, encore que dépourvue de son affect, et refoulée, dans la psychose est rejetée.
Mais Freud rajoute cet élément clinique d’importance : « J’attire l’attention sur le fait que la contenu d’une psychose hallucinatoire… consiste précisément en la mise en place au premier plan de cette représentation ». Freud, en ce premier temps de l’élaboration de la psychanalyse, a déjà découvert, que dans le délire, la représentation dite inconciliable qui a été littéralement arrachée hors du conscient, ne laisse aucune trace inconsciente, et revient par contre se manifester en clair dans le délire. Tel est le délire du Président Schreber où ce qui n’avait pas été assumé par lui d’une position féminine par rapport au père a donc ressurgi dans son délire avec son idée d’être transformé en femme, de devenir l’épouse de Dieu et d’en recevoir des milliers d’enfants nés de son esprit. Ainsi cette première approche de Freud, en sa nouveauté, préfigure-telle ce que Lacan avancera plus tard de la forclusion du Nom du père, comme étant un mécanisme propre à la psychose.


LE MOT CHOIX

Bloch et Wartburg font remonter le terme au XIIème siècle. Il aurait signifié "apercevoir" jusqu'à la fin du XVIème (ce sens persisterait jusqu'aujourd'hui en Suisse romande). Il dérive du mot gothique kausjan: "éprouver, goûter" et il aurait été introduit comme terme de la langue militaire.
Le dictionnaire Robert nous donne sa signification actuelle: "action de choisir, la décision par laquelle on donne la préférence à une chose, une possibilité en écartant les autres". Parmi les différents termes auxquels ce terme renvoie, sont cités option, adoption, sélection, décision, résolution, élection. L'accent est ainsi mis sur le sujet de l'action qui disposerait d'un éventail de choses à choisir. Ce dictionnaire n'oublie pas de citer la particularité psychanalytique du terme, dans l'expression qui nous occupe, choix de la névrose.
LE MOT EN PSYCHANALYSE
Pour Laplanche et Pontalis, dans l'article "choix de la névrose" de leur Vocabulaire, le problème qui est posé par l'expression "choix de la névrose" est au principe même d'une psychopathologie psychanalytique: "comment et pourquoi des processus généraux qui rendent compte de la formation de la névrose se spécifient-ils en des organisations névrotiques assez différenciées pour qu'une nosographie puisse être établie?".
Ces auteurs ne donnent aucune réponse au problème posé, mais ils signalent les rapports qu'entretient cette expression avec les notions de traumatisme, de fixation, de prédisposition, d'inégalité de développement entre la libido et le moi.
LES CONCEPTS FREUDIENS
Nous allons examiner ces rapports, à partir de l'ouvre de Freud qui n'a pas cessé de poser le problème dès la période des Etudes sur l'hystérie, jusqu'aux derniers travaux, comme par exemple L'analyse avec fin et l'analyse sans fin. L'Index Thématique qu'a établit Alain Delrieu montre à ce item, pas moins d'une vingtaine d'entrées, montrant les constantes élaborations de Freud sur la question. De même, que ce soit dans la correspondance avec Jung ou avec Fliess, le problème surgit à plusieurs reprises.
Freud met en balance dans cette question les facteurs internes face aux facteurs externes, un déterminisme absolu face à un "choix" dont il n'arrive pas à le définir complètement. Laplanche et Pontalis rejettent d'emblée qu'on puisse se référer à une conception "intellectualiste qui supposerait qu'entre différents possibles également présents l'un d'eux est élu; il en est d'ailleurs de même pour la notion de choix d'objet". Cependant ils remarquent "qu'il n'est pas indifférent que, dans une conception qui se réclame d'un déterminisme absolu, apparaisse ce terme qui suggère qu'un acte du sujet est nécessaire pour que les différents facteurs historiques et constitutionnels mis en évidence par la psychanalyse prennent leur sens et leur valeur motivante".
CHOIX ET CAUSALITE
Nous voyons bien la question posé par l'acte du sujet, sa causation, sa liberté ou au contraire sa détermination. Jacques-Alain Miller, dans son séminaire Cause et consentement, s'interroge à propos de la décision du désir: "qu'est-ce que ça peut être bien que ça? En quoi cette décision peut-elle être une initiative dès lors que le désir est venu à être formulé par le même Lacan comme un effet et même comme un effet qui dépend d'une cause, c'est à dire comme inséré dans le fils de la causalité? Autrement dit, comment est-ce seulement compatible que voisinent, pour nous, dans la pratique de l'analyse, la notion d'un déterminisme du sujet - notion qui est de façon massive, accentuée par Lacan quand il formule que le sujet est l'effet du signifiant et encore que l'objet (a) est la cause du désir -, comment est-ce compatible [...] avec l'appel à la valeur de l'initiative et même à l'exigence de la décision?".
Les questions posées ici par Miller, sont les mêmes que celles introduites par l'utilisation du terme "choix", qui suppose un sujet libre, et la causalité déterministe, qui était celle de Freud, comme il le fait remarquer dans ce séminaire..
Cependant, Lacan lui-même lors de son dialogue avec Henri Ey sur la causalité psychique à Bonneval, renvoyait, dans cette phrase qualifié de mystérieuse par Miller, la problématique de la causalité dans la folie à une "insondable décision de l'être".
CHOIX ET LIBERTE
De ce dialogue avec Ey il ressortit que les enjeux tournent entiers autour d'une théorie de la liberté, comme il est bien posé la question par le terme "choix". D'ailleurs c'était la phrase qu'il envoyait à son ami: "L'être de l'homme, non seulement ne peut être compris sans la folie, mais il ne serait pas l'être de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme limite de la liberté". Chose curieuse, trente ans après, Ey recueille cette phrase "dans un rare mais commun accord [avec] J. Lacan" (Des Idées de Jackson à un modèle organo-dynamique en Psychiatrie, Privat, 1995), pour soutenir son Organo-dynamisme, qui nécessite d'une théorie de la liberté toute particulière pour se justifier, comme le signale Lantéri-Laura (La Conscience selon Ey).
CHOIX ET PHILOSOPHIE
Ainsi donc, le terme choix engage avec lui toute une tradition de réflexions philosophiques: c'est la liberté du sujet qui est en question. Pour Aristote, dans Ethique à Nicomaque, le choix ou choix délibéré (proairésis), est un acte volontaire spontané, du désir et du souhait. Pour Descartes, détermination en connaissance de cause: seul le choix éclairé est la vraie expression de la liberté. Dans l'Ethique, Spinoza signale que l'idée de choix désigne une illusion de l'imagination. Le courant existentialiste le considère comme le pouvoir de décision coextensif à la conscience. Finalement Marx et Engels et le matérialisme dialectique, s'occupent de la question, pour prendre le même parti que Spinoza (Dictionnaire de Philosophie, Ed. Armand Colin, 1995).
CHOIX ET DAS DING
Mais pour Lacan, en psychanalyse cette question du choix de la névrose s'articule avec La Chose: "C'est par rapport à ce Das Ding originel que se fait la première orientation, le premier choix, la première assise de l'orientation subjective, que nous appellerons à l'occasion Neurosenwhal, le choix de la névrose" (Séminaire VII, p.68). C'est aussi par rapport à ce Das Ding originel que la psychose prend position. Cependant, rien ne permet de conclure que Lacan prend ici le parti de Descartes contre celui de Spinoza. Comme le signale ailleurs Miller "Le choix de la psychose - je ne dis pas qui le fait - est le choix à vrai dire impensable d'un sujet qui fait objection au manque-à-être qui le constitue dans le langage" (Produire le Sujet, Actes de l'E.C.F.). Qui fait le choix, donc?
LES QUESTIONS DU CHOIX
Nous voyons alors se former un nœud autour de la question du choix du sujet. Autour d'elle convergent des aspects proprement psychanalytiques, en particulier les rapports qu'elle entretient avec les notions de fixation, régression, choix du mécanisme de défense, prédisposition et en dernière instance l'étiologie, la causalité des névroses et des psychoses. Ceci implique nécessairement une conceptualisation de la liberté ou de la détermination du sujet qui est censé choisir, sujet cause ou effet? Finalement ceci amène des considérations éthiques propres à orienter la pratique, comme le montre suffisamment le fait que trois auteurs aussi éloignés dans le temps aient traité du problème dans des ouvrages spécifiquement consacrés à l'éthique: Aristote, Spinoza et Lacan.
Nous pensons que donner une interprétation "libérale" de la question conduit à réveiller "le petit homme qui est dans la tête de l'homme" contre lequel s'insurgeait Lacan pour contester toute une psychogenèse implicite pour lui dans les dogmes mécanicistes de Clérambault, mais aussi dans les thèses des psychistes, et jusqu'à l'organodynamisme d'Henri Ey. C'est à partir de cette prise de position que nous contons développer notre travail de thèse.