lundi 14 mars 2011

L.-F. Alfred Maury, Le sommeil et les rêves : 3/9


Chapitre III
[3/9]


DES RÊVES ET DE LA MANIÈRE DONT FONCTIONNE L’INTELLIGENCE PENDANT LE SOMMEIL

J’ai dit que l’engourdissement qui constitue le sommeil n’envahit pas généralement au même degré toutes les parties du système cérébro-spinal; nous en avons une première preuve dans ce fait, qu’au moment où l’on s’endort, l’engourdissement ne gagne pas à la fois également tous nos sens, toutes nos fonctions actives et conscientes; une autre preuve déjà rappelée ci-dessus, c’est qu’au réveil, tel organe persiste souvent plus que tel autre dans sa demi-torpeur. La nature des mouvements cérébraux et nerveux qui se continuent pendant le sommeil nous permet d’apprécier s’il est plus ou moins profond. Le même criterium est applicable aux facultés intellectuelles; la perceptivité, la mémoire, l’imagination, la volonté, le jugement sont inégalement développés pendant le rêve; ce qui dénote des degrés divers d’activité dans telle ou telle partie des hémisphères cérébraux. Tantôt notre esprit évoque des images à lui connues, par exemple la figure d’un ami, d’un parent, sans se rappeler son nom; tantôt les sensations que nous transmettent les sens, aux trois quarts éveillés, ne sont qu’imparfaitement perçues; nous leur attribuons une intensité , un caractère qu’elles n’ont pas. Dans le premier cas, il y a atonie de la mémoire; dans le second, affaiblissement de la perceptivité. Une autre fois, nous supposons que nous avons pris part à des événements impossibles, à des faits bien plus anciens que nous; nous croyons à l’existence de personnes que nous savons mortes, à des voyages instantanés de plusieurs centaines de lieues; ici c’est le jugement qui se montre affaibli. Il est des rêves où nous ne pouvons parvenir à nous représenter des images qui nous sont familières, à former des idées, à vouloir des actes que nous désirons, à nous abstenir d’actions qui nous font horreur; dans ces songes, l’imagination et la volonté sont visiblement lésées. Au reste, l’affaiblissement dont est atteinte une faculté, et nécessairement l’organe encéphalique qui y préside, varie lui-même pendant la durée du sommeil. Tel organe cérébral s’engourdit, puis commence à se réveiller par suite d’une excitation passagère, se rendort, pour se réveiller encore, et ainsi de suite.
Du conflit de ces organes cérébraux inégalement engourdis résulte le caractère du rêve. Plus l’engourdissement domine, plus le rêve est vague, fugace plus certains organes ont été éveillés dans le sommeil, plus le rêve laisses au contraire, de traces dans notre esprit. Si même il n’y a d’engourdis que quelques sens, quelques facultés secondaires, et que, sur certains points, la mémoire, l’imagination, le jugement, la volonté restent intacts, nous pourrons dans nos rêves combiner des idées d’une manière suivie, composer des vers, comme l’avait fait Voltaire pour un chant de la Henriade, de la musique, comme le fit Tartini pour sa fameuse sonate du Diable, opérer une découverte scientifique, comme l’apporte l’avoir fait le physiologiste Burdach. La concentration de la pensée sur un sujet, l’écart de toute cause de distraction, ne feront que favoriser, pendant le sommeil, ces opérations de l’intelligence. Ajoutons que, non-seulement certaines fibres du cerveau peuvent demeurer éveillées, tandis que d’autres ont été gagnées par l’engourdissement, mais qu’elles sont même susceptibles d’un plus grand degré de surexcitation, en vertu de diverses causes, par exemple l’alimentation, les boissons, les émotions morales antérieures, la fatigue même qui a amené la douleur, laquelle, ainsi que le note Cabanis devient à son tour une cause de surexcitation. Toutefois, comme l’a remarqué judicieusement M. Charma dans son mémoire sur le sommeil, ce sont là des cas rares : le bon sens, les conceptions suivies n’apparaissent en songe que comme des éclairs, et en quelque sorte automatiquement.
Ce n’est ni l’attention ni la volonté qui amènent devant le regard intellectuel les images qu’en rêve nous prenons pour des réalités; elles se produisent d’elles-mêmes, suivant une certaine loi due au mouvement inconscient du cerveau. La production de ces images, que dans la veille fait naître d’ordinaire la volonté, correspond, pour l’intelligence, à ce que sont pour la motilité certains mouvements que nous offrent la chorée et les affections paralytiques; car dans ces maladies, on voit le cerveau déterminer, sans l’intervention de la volonté, des actions musculaires qui, dans tout autre cas, sont sous la dépendance de celle-ci. Les images du rêve dominent l’attention et la volonté, et par ce motif, elles nous apparaissent comme des créations objectives, comme des produits qui n’émanent point de nous et que nous contemplons de la même façon que des choses extérieures. Ce sont, non pas seulement des idées, mais des images sensibles, et ce caractère d’extériorité est précisément la cause qui nous fait croire à leur réalité.
Le rappel des images et des sensations perçues durant la veille fournit le plus ordinairement au songe ses éléments. Nous rêvons de ce que nous avons vu, dit, désiré ou fait. La preuve, c’est que lorsque nos idées, nos sensations viennent à se modifier, la nature de nos songes se modifie. Ceux qui ont perdu la vue rêvent encore un certain temps d’objets visibles; mais, plus tard, ils n’ont plus en songe que des auditions. Ma vue est devenue fort basse depuis vingt ans, eh bien, lorsqu’en rêve je me représente des objets éloignés, je ne me les représente jamais que confus et mal définis. Un sourd, dont parle Dandy, ne s’exprimait plus que mimiquement depuis trente ans; il ne rêvait jamais que de conversations par gestes et signes semblables à ceux auxquels il avait recours durant la veille. Si l’on rêve encore d’événements lointains, c’est que l’impression qu’ils ont laissée sur notre esprit, a été très-profonde ou qu’une circonstance en a ravivé le souvenir.
Ce sont là les sources habituelles du rêve; mais il y a en outre l’influence due à l’état physique du rêveur. Il est important de le faire observer, nos rêves, commue nos pensées, comme les idées qui surgissent tout à coup dans notre esprit éveillé, comme nos actes, sont la résultante de toutes les impressions internes ou externes auxquelles notre organisme général est soumis. Ainsi que l’a fort bien montré M. Lélut, dans un excellent travail sur la Physiologie de la pensée, tous les organes du corps humain sont des foyers d’impressions sensibles. Il se fait incessamment, de ces impressions sensibles, des réveils qui n’en sont que des reproductions plus ou moins affaiblies; et du concours de ces impressions naît le sentiment de la personnalité.M. Peisse a eu raison de reprocher à certains aliénistes de ne pas faire une part assez large dans la production de la folie, et par conséquent dans celle des idées, aux sensations qui naissent de la vie purement végétative. Ce sont précisément ces impressions qui constituent le plus notre personnalité, car, étant inconscientes, elles n’ont rien d’objectif; elles sont vraiment nous. «Le cerveau, comme il le dit, intervient sans doute toujours, en tant que condition instrumentale de toute représentation intellective ou affective dans la conscience, dans le moi; mais il n’est en quelque sorte que l’écho des modifications survenues dans les profondeurs du système général ganglionaire en qui résident les sources mères de la vitalité. Ce sont ces modes divers de la sensibilité organique, appels à tort insensibles par Bichat, qui, exprimés dans le sens intime comme états et affections propres du moi, donnent naissance à l’infinie variété de sentiments, d’émotions, de dispositions par lesquels se révèle plus ou moins vivement la conscience de l’existence.
Le défaut d’harmonie et de liaison régulière de ces impressions, dû à un inégal éveil des organes, détermine une perturbation dans nos idées et nos sentiments, une aberration du sentiment de la personnalité, et cette perturbation est le délire du rêve.
Ce délire, il est aussi varié que les états qui le provoquent; il est une fonction de la somme d’activité qui subsiste dans les diverses parties des appareils encéphaliques. Il est le miroir de notre économie. Il tient donc à mille causes que nous ne saurions démêler, mais qui ont cependant leur raison d’être. physiologique ou pathologique. C’est en cela qu’il peut parfois fournir à la médecine des pronostics sûrs, révéler certaines tendances de l’esprit ou du coeur. Le rêveur est rendu à ses instincts, à ses affections dominantes, et ses idées mêmes se produisent instinctivement. Dans ce chaos de causes multiples, quelques-unes peuvent être discernées nettement; mais, pour en bien saisir le mode d’action, il faut étudier la génération du rêve, comme je vais maintenant essayer de le faire.

L.-F. Alfred Maury Le sommeil et les rêves 2/9



Chapitre II

[2/9]


DE L’ÉTAT PHYSIOLOGIQUE PENDANT LE SOMMEIL

Avant de nous occuper des phénomènes dont le sommeil forme le point de départ, il est indispensable de se faire une idée précise de l’état où se trouve l’homme qui dort. Ce n’est point une théorie complète du sommeil, sous le rapport physiologique, que j’ai ici à établir; je veux seulement rechercher les principales circonstances biologiques et les modifications de l’économie qui coïncident avec cet état, parce que certains phénomènes qui se rattachent au sommeil et que j’étudierai plus loin, me semblent avoir leur cause dans les changements physiques opérés alors en vous.
Le sommeil, chez l’homme comme chez les animaux, est amené par le besoin de repos; c’est la forme principale et périodique sous laquelle les êtres animés rendent à l’organisme fatigué l’énergie nécessaire pour vaquer à de nouvelles occupations et continuer les actes constitutifs de la vie de relation. Et, en effet, les phénomènes qui se produisent pendant le sommeil, indiquent un ralentissement dans les fonctions de la vie, une suspension d’action des organes chargée de nous mettre en rapport avec le monde extérieur. La circulation se fait plus lentement; la. respiration, la digestion sont moins actives; la, plupart des mouvemente musculaires ont cessé, et les sens sont émoussés, ou aux trois quarts abolis. En même temps, les fonctions de la vie végétative prennent le dessus; elles absorbent presque toute l’activité organique, et elles contribuent, par leur travail, à réparer l’épuisement de la vie animale.
Le sommeil est le plus ordinairement la conséquence de la fatigue que nous éprouvons à mettre enjeu les organes placés sous l’empire de la volonté; comme durant la veille nous ne cessons pas d’agir, comme, d’autre part, nous ne pouvons, en vertu de notre constitution propre, produire qu’une certaine somme d’activité, le besoin du repos procuré par le sommeil se fait sentir périodiquement et à des intervalles d’autant plus rapprochés que nous sommes doués d’une moindre énergie pour agir. Selon que ce sommeil est plus ou moins complet, nos membres et nos sens, notre cerveau et nos muscles sont plus ou mou reposés, c’est-à-dire plus ou moins aptes à entrer nouveau en jeu durant un laps de temps déterminé. L’épuisement de nos forces intellectuelles et physiques s’annonce par l’envie de dormir; voulons-nous lutter contre l’invasion du sommeil, à l’aide d’une surexcitation de la force nerveuse, notre fatigue augmente, et cette surexcitation passée, le besoin ne tarde pas devenir plus impérieux.
Ainsi, cette force cachée et mystérieuse qui donne à l’économie son impulsion et entretient la vie, en stimulant nos fonctions et nos facultés, n’agit plus, quand nous dormons, avec la même puissance que durant la veille. L’homme, l’animal est-il fatigué, ou, pour parler plus exactement, a-t-il dépensé presque tout l’approvisionnement de la force vitale qu’ara comme accumulée en lui le dernier sommeil, il n’a plus l’énergie suffisante pour entretenir, sans surexcitation, ce jeu complet de l’économie qui s’appelle la veille; il voit ses fonctions se ralentir, ses organes ne plus obéir aussi docilement à sa volonté, et l’organisme devenir en quelque sorte plus obtus: c’est ce qu’on appelle 1’envie de dormir. L’homme alors, par le repos de ses organes fatigués, doit laisser le temps à une nouvelle quantité de force vitale ou nerveuse de s’accumuler en lui, de la même façon que la torpille épuisée par des décharges réitérées de la force électrique qu’elle engendre a besoin d’un certain laps de temps et d’un repos de l’appareil électrophorique pour être apte à produire de nouvelles décharges. C’est à cela que parait tenir la succession de la veille et du sommeil, du sommeil et de la veille.
Toutefois, en recourant à l’effort dont je viens de parler, l’homme est doué de la faculté de pouvoir, par un acte de sa volonté, entretenir encore un certain temps le mouvement et la veille, la surexcitation des nerfs déterminant une reproduction de la force vitale épuisée. L’appareil nervoso-biologique est fatigué, la quantité de vie qu’il fournit a diminué, mais, soit au moyen d’excitants, soit par une réaction morale, nous parvenons à empêcher l’engourdissement de gagner les membres et le cerveau, les nerfs et l’intelligence. Il se produit, dans ce cas, une lutte entre les nerfs et l’économie, lutte qui nous épuiserait elle était prolongée, et ne tarderait pas à amener un trouble profond dans l’appareil sensoriel ou l’encéphale. L’insomnie, la privation de sommeil, à quelque cause qu’elle tienne, engendre la folie, parce que le système cérébro-spinal est alors contraint de fournir incessamment à une dépense de force nerveuse que rien ne répare. Mais une fois engourdi, l’organisme ne sort du sommeil que par l’effet d’une excitation externe, ou quand la quantité de force nerveuse produite et non dépensée est devenue tellement abondante, qu’elle détermine à elle seule une excitation sur les organes. En sorte que notre sommeil sera de plus ou moins longue durée. Des causes semi-pathologiques, une légère congestion cérébrale, l’absence de mouvement peuvent d’ailleurs le prolonger ou le faire naître; car, comme il résulte de la non-dépense de force nerveuse, quand même celle-ci se trouve encore accumulée en proportion suffisante pour fournir à la veille, nous nous endormons si nous n’en faisons pas usage. Toutes les circonstances qui diminuent ou suspendent l’exercice des facultés mentales tendent ainsi à amener le sommeil.
Par une cause inverse de celle qui se produit, si l’on combat volontairement l’envie de dormir à l’aide d’un surcroît forcé d’activité, l’excès de sommeil alourdit et émousse l’intelligence.
Il ne faut pas, on le sait, donner à l’organisme un repos trop prolongé, car en ramenant plus souvent qu’il n’est nécessaire l’engourdissement du système nerveux, le sommeil finirait par en affaiblir l’énergie. «Quand le sommeil est habituellement trop long, écrit Cabanis, il engourdit le système nerveux, il peut même finir par hébéter entièrement les fonctions du cerveau. On verra sans peine que cela doit être ainsi si l’on veut faire attention que le sommeil suspend une grande partie des opérations de la sensibilité; notamment celles qui paraissent plus particulièrement destinées à. les exciter tontes, puisque c’est d’elles que viennent les plus importantes impressions, et que par l’effet de ces impressions mêmes, dont la pensée tire ses plus indispensables matériaux, elles dirigent, étendent et fortifient le plus grand nombre des fonctions sensitives et réagissent sympathiquement sur les autres.»
Ce que je viens de dire montre que l’homme n’est pas seulement placé sous l’influence de sa volonté mettant en jeu ses organes, qu’il obéit encore plus souvent à des influences extérieures. Son corps, ses sens sont incessamment provoqués à l’action par des causes placées en dehors de lui. Aussi, afin de nous livrer au repos, cherchons-nous la position, les lieux, les conditions les plus propres à nous faire échapper aux incitations extérieures. L’homme, de même que l’animal, fait choix pour dormir d’un endroit retiré, tranquille, où rien ne vient l’arracher au repos dont il éprouve le besoin. Il adopte la posture qui n’exige aucun effort volontaire, qui l’expose le moins à subir les effets des forces externes dont il est en quelque sorte environné. Le serpent s’enroule sur lui-même, l’oiseau cache sa tête sous son ail, la fouine se couvre les yeux avec sa queue, le hérisson se met en boule, le chien place son museau sous sa patte, l’homme s’étend sur le côté ou sur le dos, il s’assied ou s’allonge. C’est seulement quand le besoin de sommeil est devenu tout à fait irrésistible, c’est-à-dire quand la force d’action et de volonté dont nous disposons est totalement épuisée, que nous dormons dans quelque position que nous nous trouvions placés, comme cela a lieu à la, suite d’une extrême fatigue.
J’ai dit que le dormeur doit se réveiller de lui-même, lorsque, après un certain temps de repos, la force vitale s’est reformée en quantité plus que suffisante. On a dit que c’était l’âme qui éveillait le corps; que la première veille, tandis que le second sommeille; que l’âme secoue l’engourdissement des membres et des organes. Telle est notamment l’opinion qu’a développée Jouffroy avec son talent habituel dans ses Mélanges philosophiques. Mais ici l’ingénieux observateur ne nous parait pas s’être rendu un compte suffisant du phénomène. Et d’abord, en se servant du mot âme, il a le tort de recourir à un principe dont il ne pouvait nettement définir le caractère. L’âme, Jouffroy le reconnaît lui-même, ne peut prendre connaissance des objets qui l’entourent que par l’intermédiaire des sens. Puisque les sens sont complètement endormis, comment la notion d’un fait extérieur lui parviendra-t-elle? Il est clair que si le sommeil devient moins profond, par suite d’un commencement de réparation de la perte de force vitale, les sens ne seront pas aussi assoupis; ils éprouveront une tendance à entrer en jeu, et transmettront déjà à l’intelligence quelques impressions. Ce sont ces impressions qui font sortir le cerveau de son état d’engourdissement, provoquent l’attention et la volonté, et cette dernière, à son tour, achève de secouer l’engourdissement des organes. Le point de départ a donc été un ravivement d’activité dans les sens. La volonté ne fait que finir ce que la sensation a commencé. Et la preuve, c’est que si le sommeil est très- profond, autrement dit, si par suite du besoin de repos les sens sont dans un état de torpeur extrême, il est nécessaire pour nous réveiller de les soumettre à une excitation énergique et prolongée, autrement nous ne nous réveillons pas. Ainsi la volonté de s’éveiller ne se manifeste qu’autant que l’intelligence a perçu l’impression des sens, et pour recevoir l’impression, ceux-ci doivent être déjà sortis de l’engourdissement complet.
De la manière dont il conçoit le phénomène, Jouffroy conclut que l’âme est toujours éveillée. Il faut bien s’entendre sur ce mot. Veut-on parler de l’intelligence; l’assertion n’est pas exacte. Car celle-ci peut, de même que le corps, présenter des degrés divers d’engourdissement. Ce qui arrive pour les sens a lieu également pour le cerveau. Si l’intelligence demeurait dans le môme état pendant le sommeil et pendant la veille, elle ne perdrait pas presque toujours, dans le premier cas, la volonté et la raison, deux de ses attributs essentiels. Il est vrai que certains auteurs soutiennent que les facultés intellectuelles ne sont pas altérées durant le sommeil, et que le caractère incohérent, déraisonnable des songes tient à ce que les sens ne fournissent alors à nos perceptions que des éléments incomplets; mais il est facile de leur répondre par ce fait que, dans l’état de veille, bien que les sens puissent cesser de nous transmettre des impressions incomplètes, la raison agit encore normalement si elle n’est pas malade, et que conséquemment l’intelligence peut fonctionner régulièrement, quoique cela n’ait point lieu pour les sens. Nous rectifions alors par la pensée la perception incomplète ou confuse dont nous ne sommes pas dupes; nous suppléons par la mémoire à la donnée insuffisante qu’apportent les sens. C’est ce qui arrive, d’une part, dans le cas d’une illusion de l’oreille, de la vue ou du toucher; c’est ce qui s’observe, de l’autre, chez l’aveugle ou le sourd-muet. Mais dams le rêve, nous ne formons qu’incomplètement des idées, nous portons des jugements chimériques et absurdes, l’association des idées ne se fait plus sous l’empire de la volonté, et toutes les notions de l’intelligence se présentent confondues ou confuses; les facultés intellectuelles sont donc en réalité momentanément troublées.
De plus, l’attention, qui est une des facultés, de l’intelligence, un des actes par lesquels elle arrive à la connaissance, est visiblement affaiblie dans, le sommeil, Car, ainsi que l’a judicieusement fait observer Dugald Stewart, tout ce qui tend à diminuer l’attention provoque à dormir, et plus l’attention est faible chez un individu, plus facilement le sommeil s’empare de lui. Tous les hommes ne sont pas également capables d’attention, et la grande puissance qu’on peut apporter dans celle-ci est une preuve de force intellectuelle.
Du moment qu’en dormant nous cessons de vouloir; de comparer, de comprendre, d’être attentif, c’est que l’intelligence s’engourdit comme les membres. On dira peut-être que ce n’est pas l’intelligence mais le cerveau qui chancelle. A cela je réponds qu’il n’est pas possible de distinguer, dans notre mode actuel d’existence, l’organe de la force par laquelle il agit. Notre intelligence ne se manifeste qu’à la condition que le cerveau fonctionne plus ou moins complètement; et si celui-ci tombe dans un état de langueur ou d’hébétude, on doit dire que l’intelligence s’affaiblit. Du moment donc que le cerveau participe de ce même engourdissement qui envahit le reste du corps, l’intelligence s’endort comme l’organisme sensitif, et ainsi que nous voyons, durant le sommeil, les sens ne s’émousser qu’incomplètement et exercer encore quelque action, l’intelligence le plus ordinairement garde des traces d’activité. Cela n’autorise point à dire que l’âme veille et que le corps sommeille, puisque dans le sommeil ils conservent leur corrélation habituelle; et en même temps que les sens s’émoussent, que les membres s’engourdissent, l’intelligence devient plus obtuse. Mais bien que l’un et l’autre atteints, momentanément dans leur activité, le corps et l’intelligence continuent d’être dans un rapport mutuel qui fait que l’excitation imprimée aux sens se communique à l’esprit, et qu’alors l’esprit à son tour excite les sens et achève de les réveiller.
En fait, le réveil est dû à des influences venues du dehors, ou à des impressions amenées par le jeu des fonctions animales, intellectuelles qui s’est continué pendant le sommeil. L’accumulation de l’urine dans la vessie, des matières fécales dans le rectum, par exemple, détermine en nous des sensations qui sont assez énergiques pour nous faire sortir de l’engourdissement. Semblablement un rêve qui a fortement impressionné notre imagination, un cauchemar, nous réveillent, parce qu’ils impriment au cerveau une secousse qui se communique bientôt au reste du corps. Ainsi, que les sensations se produisent par les opérations de économie, ou qu’elles soient dues à une excitation du dehors, c’est toujours dans l’intelligence qu’elles se réfléchissent; elles agissent soit sur la moelle, soit sur le cerveau, et elles provoquent des actions instinctives ou volontaires; mais cela ne prouve pas que l’âme, autrement dit le principe actif et pensant, soit plus éveillée que le corps. L’un et l’autre sont simplement susceptibles, à raison d’une excitation transmise par les sens et perçue par l’esprit, ou éprouvée par l’esprit et communiquée aux sens, d’être arrachés à leur état de torpeur.
En thèse générale, la cause vraiment naturelle du réveil spontané est l’excitation résultant, dans l’appareil cérébro-spinal, de l’accumulation de force nerveuse qui s’est effectuée pendant le repos.
L’accumulation peut n’être pas encore suffisante pour que le réveil s’opère de soi-même, mais être cependant assez grande pour qu’à la suite d’une excitation accidentelle, légère, la veille reprenne son cours. Les forces ont été réparées, incomplètement sans doute, mais elles l’ont été cependant, et notre économie, nantie d’une provision d’activité, pourra faire face à une veille nouvelle.
La suspension des fonctions animales et intellectuelles n’est, au reste, jamais complète; car la suspension complète serait la mort. Mais les ressorts de notre machine peuvent pauser par tous les degrés. d’activité, depuis l’exaltation la plus vive jusqu’à la torpeur la plus profonde, et sur l’échelle décroissante d’énergie vitale on trouve successivement la simple rêvasserie., le sommeil léger avec rêves, le sommeil profond, à rêves incomplets et mal définis, ou sans rêves, l’état comateux, l’évanouissement.
Dugald Stewart, d’ordinaire si fin, si judicieux observateur des phénomènes psychologiques, est cependant tombé dans une erreur manifeste quand il pose cette alternative, ou que la volonté reste suspendue pendant le sommeil, ou qu’elle perd son influence sur les facultés de l’esprit et les membres du corps. La volonté est rarement alors aussi complètement abolie que dans l’état comateux; d’ordinaire elle apparaît encore, mais elle a perdu une partie de son action et de son énergie par suite du demi-engourdissement des organes qu’elle met en jeu pour se produire; elle peut donc, comme les membres, être plus ou moins éveillée. Si elle n’agit pas, ce n’est pas le résultat nécessaire de ce que les organes, devenus obtus, sont rebelles à son stimulant, c’est aussi parce que le cerveau peut lui-même être engourdi comme les membres. Au reste, l’erreur commise par le philosophe écossais n’est pas la seule qu’on puisse reprocher à sa théorie du sommeil; on s’aperçoit, en la lisant, qu’il n’a pas assez étudié les faits physiologiques. Il n’a point remarqué que les mouvements involontaires et vitaux peuvent s’engourdir, se ralentir durant le sommeil, comme ceux de l’intelligence, en vertu de l’affaiblissement de la force nerveuse, et que, par contre, les opérations de l’âme dépendant de la volonté ne restent pas toujours suspendues, ainsi qu’il le soutient. Nous voulons en rêve, et quelquefois fortement, mais l’inertie de nos organes et l’absence du jugement, qui met à la disposition de la volonté les moyens de se manifester, font obstacle à son accomplissement. La volonté demeure à l’état de simple idée, à moins que le corps ne soit que partiellement endormi, qu’une surexcitation antérieure n’ait laissé un excédant de force nerveuse suffisant pour tenir comme éveillés les organes, les parties de l’encéphale dont l’esprit a besoin pour faire exécuter sa conception. Tel est notamment le cas chez le somnambule, comme je le ferai voir dans la suite de cet ouvrage.
On ne saurait donc admettre que l’intelligence agisse également dans les diverses formes de sommeil, et, quoi qu’aient avancé certains philosophes, la pensée peut alors être plus ou moins complète, les opérations intellectuelles s’effectuer avec une conscience plus ou moins nette et d’une façon plus ou moins active. Sans doute l’idiot, le crétin, l’homme atteint de ramollissement cérébral, pensent encore; mais cette pensée, faible et incohérente, souvent suspendue et soumise à des intermittences, ne saurait être comparée à la réflexion de l’homme sain.
Un fait dont Jouffroy s’est appuyé pour soutenir que dans le sommeil l’esprit demeure éveillé et fait en quelque sorte sentinelle, c’est le réveil à la suite de bruita étranges ou inconnue, et la persistance du sommeil quand ces bruita frappent depuis longtemps l’oreille du dormeur, rassuré dès lors sur leur caractère. Le meunier, habitué au tic-tac de son moulin, n’en éprouve aucune incommodité pendant qu’il dort; le Parisien, fait au bruit des voitures, ne s’aperçoit pas des commotions qu’elles déterminent, le soir ou le matin, dans sa chambre. Au contraire, celui qui couche pour la première fois dans un moulin, ou qui est arrivé depuis peu à Paris, est sans cesse inquiété par un bruit inaccoutumé et sort à tout instant de son sommeil. C’est ici le lieu de reproduire la remarque que j’ai consignée plus haut. L’âme ne saurait entendre que par l’intermédiaire de l’ouïe, ou au moins des commotions que le corps ressent; sort-elle de la demi-torpeur qui constitue son sommeil pour ordonner à l’organisme de reprendre son activité, surprise ou effrayée qu’elle est par des bruits inaccoutumés, c’est que le sens auditif a transmis le bruit au cerveau; cette transmission a déterminé dans l’encéphale une excitation qui n’est que la conséquence de l’impression de l’oreille. Celle-ci n’était pas complètement insensible ou engourdie, sinon elle n’aurait pu recevoir l’ébranlement; l’intelligence non plus n’était pas complètement suspendue, sinon elle n’aurait pu percevoir le son. Et, ainsi que l’observe judicieusement Jouffroy, quand l’intelligence est déjà informée de la cause du bruit externe, il lui suffit d’une conception rapide et fugitive pour se la rappeler; elle ne sort pas alors de son état, ou, pour mieux dire, elle n’en sort que pour y rentrer aussitôt, et le corps demeure dans cet engourdissement partiel qui est le propre du sommeil.
Toutefois Jouffroy, s’il n’a vu qu’imparfaitement les choses, a été fondé cependant à reconnaître ici un phénomène analogue à celui qui se produit lors de la concentration de l’attention. L’intelligence acquiert l’habitude de demeurer indifférente à certaines sensations, pour n’en percevoir que certaines autres. L’homme qui s’est fait à travailler au milieu de la conversation et du bruit, est comme le dormeur que n’éveillent plus les sons, les commotions auxquels il est accoutumé. Il y a là un phénomène d’habitude et de puissance de l’attention, une énergie de l’esprit inverse de la disposition à la distraction. Mais cette force intellectuelle, qui apparaît souvent au plus haut degré chez le mathématicien ou l’homme en proie à une préoccupation profonde, n’implique pas le jeu complet de l’intelligence, et est compatible avec le sommeil, c’est-à-dire avec un certain degré d’affaiblissement de la sensibilité. On en aura la preuve par ce qui sera dit dans cet ouvrage du somnambulisme naturel et de l’extase. L’intelligence doit être réputée engourdie quand, dans leur ensemble, ses facultés manifestent de l’hébétude; mais cela n’empêche pas que l’une de ces facultés ne puisse alors continuer d’agir normalement, souvent même elle le fait avec une intensité plus grande que dans la veille. Nous sur ce sujet à propos des rêves.
Du reste, la volonté affaiblie pendant le sommeil peut être surexcitée et comme réveillée avant les sens; elle est susceptible de sortir de son engourdissement avant que le corps ait totalement secoué le sien. Parfois dans un rêve, un cauchemar surtout, nous volons et ne pouvons rendre les organes dociles à cette volonté. Nous nous croyons on danger, et nous voulons appeler du secours, nous ne parvenons qu’à pousser des cris faibles et inarticulés; nous cherchons alors à nous arracher au sommeil par la conscience vague que nous avons qu’un songe nous oppresse, et nous n’y parvenons qu’avec peine. Ici la volonté est visiblement plus éveillée que les sens externes; niais il’ est à noter que ce qui a ravivé cette volonté, ce sont es impressions sensorielles internes très vives; tant il est vrai que les sens doivent d’abord transmettre des incitations à l’esprit pour qu’il agisse.
Je n’entrerai donc pas davantage dans cette distinction de l’âme et du corps, sur laquelle on a trop appuyé pour le sommeil; il me suffit de dire que leurs deux mécanismes agissent de concert, et conservent leurs relations réciproques.
Ce que je dois chercher, c’est la cause de l’engourdissement de la faculté volontaire et de la force d’attention, qui correspond pour l’esprit, quand on s’endort, au ralentissement de l’activité musculaire, à l’hébétude des sens et à la détente de nos ressorts organiques.
L’engourdissement dans un organe est dû au ralentissement de la circulation dans les artères et surtout dans les veines, ralentissement qui réagit sur les nerfs. Ceux-ci, en même temps qu’ils sont les incitateurs de la circulation, en subissent aussi le contrecoup, et quand la circulation devient moins active, la sensibilité s’émousse ou s’affaiblit.
Réciproquement, si la sensibilité s’affaiblit, la circulation s’opère plus lentement. Voyons ce qui se passe lorsque, par la station prolongée d’une partie du corps, d’une jambe par exemple, dans la même position, l’engourdissement se produit. En laissant notre jambe immobile, nous n’avons plus stimulé la force nerveuse; son action se ralentit, et ce ralentissement réagissant sur la circulation, le sang coule avec moins de rapidité; c’est ce qui nous fait éprouver les fourmillements caractéristiques de l’engourdissement. Le même phénomène a lieu lorsque la paralysie s’annonce; l’affaiblissement de la force nerveuse détermine de temps en temps des arrêts dans la circulation, et des fourmillements sont les avant-coureurs de la perte du mouvement ou de la sensibilité. Inversement, ralentissons-nous la circulation en comprimant un organe, un membre, un doigt, la sensibilité s’y émousse. Ici la circulation réagit sur la force nerveuse, tandis que dans le premier cas c’était la force nerveuse qui réagissait sur la circulation.
Dans la fièvre nerveuse, comme l’a noté le docteur Sandras, le pouls offre une vivacité particulière; la pulsation frappe vite et disparaît rapidement; on sent que l’action cède immédiatement après que l’ondée a passé; l’ondée sanguine a, quoique variable de volume, quelque chose de brusque et de dur qui fait place à l’instant à une vivacité frappante des parois artérielles. La peau prend alors de la chaleur, mais c’est une chaleur superficielle qui disparaît quand on laisse quelque temps la main au contact du malade. Ici l’inégalité de l’action nerveuse donne à la circulation un mouvement inégal qui amène des congestions actives et passives successives. Le sang coule vite, puis lentement, voilà pourquoi la chaleur est de peu de durée. Il y a pour ce motif, dans le pouls, quelque chose de dur qui tient à la tension extrême, puis au relâchement. Cette observation du pouls dans la fièvre nerveuse nous montre bien l’action des nerfs sur la circulation.
Le ralentissement circulatoire a pour effet de comprimer l’organe où il se produit, soit que cette compression s’effectue mécaniquement, soit qu’elle résulte simplement de l’affaiblissement de l’influx nerveux. Appliquons ce principe au cerveau. La force nerveuse est affaiblie par suite de la dépense de la veille, la circulation ralentie; il s’opère dans l’encéphale une compression analogue à celle qu’éprouvent les membres engourdis; de là, diminution de la force d’attention et de volonté. Nous voyons effectivement que tous les agents somnifères ralentissent la circulation, tandis que les agents qui éloignent le sommeil l’accélèrent. Quand nous nous endormons, il s’opère dans l’encéphale une compression analogue à celle dont les membres engourdis sont le siège, par le ralentissement de la circulation. De là, diminution de l’attention et de la volonté dont l’exercice est lié à l’activité de la circulation dans le cerveau. La preuve on est que, si nous éprouvons de la céphalalgie, si nous sentons le sang comprimer notre cerveau, nous nous apercevons en même temps que notre attention devient pénible, notre activité moins énergique. Quand le mal de tête est nerveux, c’est-à-dire quand c’est la force nerveuse qui est affaiblie, soit à raison d’une trop vive surexcitation due à l’usage de boissons excitantes, soit par suite d’une atonie idiopathique du système, même sensation; mais ici c’est l’influx nerveux qui a ralenti la circulation et engorgé les vaisseaux, tandis que dans la céphalalgie due à la congestion sanguine, c’est le sang qui s’arrête, qui gonfle les vaisseaux et réagit ensuite sur les nerfs et l’encéphale. Nous avons là doux modes de congestion importants à distinguer, bien que leurs symptômes se rapprochent beaucoup. Car, d’après la remarque de M. Andral, c’est une loi en pathologie, que dans tout organe, la diminution de la quantité de sang qu’il doit normalement contenir produit des désordres fonctionnels bien que la présence d’une quantité de sang surabondante. Mais, de plus, dans l’un et l’autre cas, les désordres fonctionnels sont parfois exactement semblables. Le coeur, le poumon et l’estomac présentent ces phénomènes comme le cerveau, et l’on a trouvé fréquemment ce dernier organe ainsi que ses membranes complètement exsangues chez des enfants morts au milieu de convulsions. L’état comateux aussi bien que le délire coïncident avec la pâleur des centres nerveux. Dans la chlorose comme dans l’hyperémie, la céphalalgie, il y a des étourdissements, des vertiges, des tintements d’oreilles.
Le célèbre Haller et D. Hartley avaient assigné pour cause au sommeil l’accumulation du sang dans les vaisseaux encéphaliques, mais ils n’avaient pas pris soin de rechercher la nature de cette congestion. De nos jours, un anatomiste éminent, J. Henle, a signalé les distinctions à établir au sujet de la congestion; il a fait remarquer que la congestion dépendant d’une atonie des vaisseaux et de leurs nerfs, elle peut survenir directement en même temps que l’atonie des nerfs de la vie animale; ce qui constitue la congestion passive; ou indirectement, et avec exaltation de l’action de ces nerfs; d’ou résulte la congestion dite active. Ces deux congestions capillaires se manifestent, la première par un sentiment de froid, la seconde par une augmentation de chaleur.
Dans le sommeil normal la température du corps humain s’abaisse, les nerfs perdent de leur activité; il y a congestion passive; dès lors ralentissement de la circulation dans le cerveau et conséquemment affaiblissement de la volonté, de l’attention dont la puissance est d’autant plus grande, toutes choses égales d’ailleurs, que cette circulation est plus active. Nous trouvons donc là une vérification de l’explication du phénomène donnée ci-dessus.
La nuit, qui diminue le nombre des sensations, qui n’apporte pas toutes les causes d’excitation du jour, stimule ainsi moins l’appareil sensoriel; elle ne met pas autant enjeu la force nerveuse, et voilà pourquoi elle provoque l’homme au sommeil, d’autant plus qu’elle vient se joindre à la fatigue de la veille.
Pour échapper à cette influence soporifique de la nuit, il faudra multiplier par des moyens factices les causes d’excitation, employer la lumière artificielle, les boissons qui accélèrent la circulation, la musique, ou recourir à l’attrait de quelque forte passion.
De la sorte on pourra transporter la veille là où la nature a marqué le repos, et réciproquement mettre le repos là où devait se placer la veille. Ce renversement de l’état normal ne s’opère pas sans de graves inconvénients pour la santé, car le sommeil du jour n’est jamais aussi réparateur que celui de la nuit. Quand le soleil est levé, mille causes tendent à mettre en activité nos sens, et le ralentissement de la circulation, propre au sommeil, ne se produit plus d’une manière aussi régulière. «Le sommeil diurne, écrit le docteur Michel Lévy, laisse après lui des symptômes de réfection incomplète qui persistent jusqu’à la fin du jour, tels qu’un peu de pesanteur de tête, de la paresse des sens, l’amertume ou l’empâtement de la bouche.»
Le même auteur a noté que le sommeil auquel on se livre le jour, dans les pays du midi, ou durant les fortes chaleurs, n’a pas les mêmes vertus que le sommeil de - nuit. La nature provoque cependant alors, à dormir; mais la congestion qui détermine ce sommeil n’est plus du même ordre. La haute température engendre une congestion active; et c’est cette congestion qui s’opère, toutes les fois qu’au lieu d’être simplement amené par le besoin de réparer nos forces nerveuses, le sommeil est la conséquence de l’afflux de sang dans le cerveau, d’une accélération de la circulation due à la digestion; il prend, dans ce cas, toujours plus ou moins un caractère pathologique. L’ivresse donne naissance à un pareil sommeil. Aussi est-elle généralement accompagnée de pesanteurs de tête, de céphalalgie. Le sang qui presse sur les diverses parties du cerveau affaiblit l’action nerveuse. Cet affaiblissement, s’il est la suite de l’emploi des toxiques ou de l’abus des alcooliques, est fréquemment précédé d’une surexcitation violente dont l’atonie nerveuse est le contrecoup; les facultés intellectuelles, ravivées d’abord par l’injection d’une certaine quantité d’alcoolique, tombent ensuite dans le collapsus.
L’analogie de l’état cérébral de l’homme ivre et du dormeur achève de nous démontre que le sommeil est la conséquence d’une congestion passagère. Mais la congestion n’est pas de la même nature dans l’un et l’autre cas. Lors de la céphalalgie due à une congestion sanguine, la tête, au lieu de se refroidir, devient plus chaude, la congestion est active. Quant aux effets produits sur l’intelligence dans l’une et l’autre congestion, ils présentent une certaine analogie.
L’aliénation mentale, qui, comme on le verra plus loin, offre avec le rêve tant de ressemblance, tient de même, le plus ordinairement, à un état congestif de l’encéphale, produit ou entretenu, par la surexcitation nerveuse. La folie paralytique, ou paralysie générale des aliénés, est incontestablement due à une cause de cet ordre. La plupart de ceux chez lesquels la folie va éclater, se plaignent de maux de tête avec des sensations particulières dans le cerveau. «Aux uns, écrit le Dr A. Sauze, il semble qu’on comprime ou déchire la tête, les autres éprouvent une sensation de vide ou de froid dans le crâne. Les malades accusent aussi une lassitude que rien ne semble justifier. Ils sont incapables de se livrer à leurs occupations habituelles» . Bref, il se manifeste chez eux quelque chose qui rappelle l’invasion du sommeil, et cela certainement parce que la cause qui agit est analogue dans les deux phénomènes. J’ai souvent remarqué que lorsque je souffre de névralgie, les approches du sommeil redoublent mes douleurs et me donnent de la céphalalgie locale, comme celle qui est, selon M. Sauze, un des symptômes de l’aliénation mentale.
Un des effets de l’engourdissement auquel est dû sommeil, étant de rendre plus obtuse la sensibilité, on comprend qu’il se manifeste, quand le sommeil est très profond, un commencement d’anesthésie dans certains organes. Il y a des dormeurs dont le sommeil eut si complet, qu’on les touche, on les choque, on les happe même, sans les réveiller. P. Prévost, de Genève, a cité l’exemple d’une personne à laquelle on brûla, pendant son sommeil, un calus au pied, sans qu’elle s’en aperçût.Le froid, qui amène -e sommeil parce qu’il ralentit la circulation et détermine une congestion passive du cerveau, engendre aussi l’anesthésie incomplète, et l’on a pu, à l’aide de réfrigérants, produire du anesthésies locales. On le voit, quand on prend soin de distinguer les différentes formes de la congestion, on ne se trouve plus en face des contradictions dont M. Lelut accuse la théorie physiologique du sommeil. Ces contradictions n’apparaissent que si l’on s’en tient à une étude superficielle du phénomène; elles demandent pour être résolues un examen attentif.
Les diverses parties du système cérébro-spinal, ayant chacune leurs fonctions propres, sont susceptibles d’un déploiement plus ou moins grand d’activité. La force nerveuse ou vitale n’est pas également répandue dans tout l’organisme, dans tous les foyers d’innervation. On comprend donc que pendant le sommeil telle partie du système nerveux soit en proie à un engourdissement plus ou moins prononcé, selon qu’elle a plus ou moins épuisé la force qui y réside. La moelle épinière, la moelle allongée, le cervelet, le mésolobe, les tubercules quadrijumeaux, les lobes cérébraux peuvent être inégalement affaiblis, inégalement engourdis, ou, pour parler plus simplement, les diverses parties du corps peuvent ne pas dormir d’un sommeil égal. De faciles observations nous montrent l’inégalité possible de cet engourdissement. Au moment du réveil, certains membres, certains muscles demeurent plus longtemps engourdis que d’autres. Voulons-nous nous lever rapidement, nous trébuchons; c’est que le cervelet, régulateur des mouvements de locomotion, n’est point encore sorti de l’engourdissement qu’ont déjà secoué les lobes cérébraux. Inversement, la motilité peut se réveiller avant la sensibilité, autrement dit les fibres nerveuses qui président au mouvement secouent leur engourdissement avant celles qui président à la sensibilité. Comprimez le nerf cubital au coude, puis étendez l’avant-bras; la main et les doigts sont encore totalement insensibles; vous teniez d’abord de les mouvoir sans y parvenir, et quand vous y avez réussi, vous ne les sentez point encore; mais quand la circulation se rétablit, lorsqu’un mouvement de crépitation se produit dans les doigts, alors la sensibilité reparaît par degrés. Le même fait se passe au réveil pour l’ensemble des organes des sens, et quand on s’endort, l’engourdissement nous envahit souvent par une succession opposée. Chez l’homme qui rêvasse en marchant, l’intelligence, autrement dit les lobes cérébraux par lesquels elle s’exerce, commence déjà à s’engourdir, tandis que la moelle épinière, le cervelet, sont encore en plein exercice. Chez celui qui laisse en dormant, et sans en avoir conscience, ses excréments lui échapper, la moelle allongée, premier moteur du mouvement de défécation, n’est point engourdie, tandis que les lobes cérébraux, le cervelet le sont. Ce qui a lieu pour les grandes divisions du système cérébrospinal, et peut-être aussi, bien qu’à un moindre de gré, pour le système du grand sympathique, doit se passer pour les diverses parties intérieures du cerveau. Leur degré d’engourdissement doit varier de l’un à l’autre, suivant que l’une ou l’autre éprouve plus ou moins le besoin de réparer sa force nerveuse. Malheureusement, les physiologistes ignorent encore quelles sont les fonctions précises de ces diverses parties.
A mon avis, les différentes opérations
intellectuelles, les divers sentiments moraux réclament plus spécialement le concours de certaines parties respectives de l’encéphale. Cela ressort d’un grand nombre d’observations. Non pas que pour cela j’admette les localisations des phrénologistes; la cranioscopie repose, comme l’ont démontré MM. Lélut et Flourens, sur un empirisme arbitraire; mais la phrénologie mise hors de cause, reste encore ce fait attesté par bien des autopsies, c’est que la perte de la mémoire de certains ordres d’objets ou de mots, l’affaiblissement du jugement, de la faculté d’abstraction, correspondent aux altérations de certaines parties ou à des arrêts de développement de l’encéphale. Le fait est manifeste chez les idiots. La formation d’une tumeur intra-crânienne peut frapper d’impuissance la mémoire ou l’aptitude à parler, à juger, à enchaîner les idées. Chaque opération de l’intelligence exige sans doute le concours de diverses facultés, mais il y a en elle un principe qui répond à un organe spécial.
Pour arriver, non pas à cette détermination, encore impossible dans l’état de nos connaissances, mais à démontrer l’inégalité d’action des facultés intellectuelles, il nous faut étudier les phénomènes intellectuels qui se passent pendant le sommeil; c’est ce que je ferai au chapitre suivant.


Ces médicaments qui détournent les rêves


En 1977, le Français Jean-Michel Gaillard montre que le rêve est étroitement rattaché au fonctionnement du cerveau. La prise de certains médicaments, comme les benzodiazépines (anxiolytiques), influence le rêve qui devient plus désagréable, avec une forte composante émotionnelle et une plus grande probabilité d’éléments d’agression ou de sexualité. En outre, les bétabloquants (utilisés en cardiologie), les agents dopaminergiques (utilisés dans la maladie de Parkinson) ou certains traitements du sida peuvent provoquer des cauchemars, alors que d’autres médicaments comme les alphabloquants (utilisés également en cardiologie) peuvent les réduire. En interagissant sans doute avec l’activité des structures cérébrales impliquées dans la genèse des rêves, les médicaments peuvent donc en modifier le contenu. 

Bénéfice primaire et secondaire de la maladie



 

Le bénéfice de la maladie désigne d'une façon générale toute satisfaction directe ou indirecte qu'un sujet tire de sa maladie.
Le bénéfice primaire et celui qui entre en considération dans la motivation même d'une névrose : satisfaction trouvée dans le symptômes, fuite dans la maladie, modifications avantageuses des relations avec l'entourage.
Le bénéfice secondaire pourrait se distinguer du précédent par :
- sa survenue après coup, comme gain supplémentaires ou utilisation par le sujet d'une maladie déjà constituée ;
- son caractère extrinsèque par rapport aux déterminisme initial de la maladie et au sens des symptômes;
- le fait qu'il s'agisse de satisfactions narcissiques ou liées à l'auto-conservation plutôt que de satisfaction directement libidinales.

Bénéfice primaire


Le bénéfice primaire de la maladie est lié à la satisfaction que le sujet éprouve dans l’apparition et le développement des symptômes d’une névrose*. Freud définit le bénéfice primaire comme « la solution la plus commode en cas de conflit psychique » dans la mesure où elle « épargne un effort ».
La modification des relations de l’entourage du patient à son avantage peut aussi être considérée comme un bénéfice primaire de la maladie. Par le mécanisme de la fuite dans la maladie, le sujet se réfugie dans des symptômes douloureux pour éviter d’autres conflits beaucoup plus insupportables.
Ainsi le symptôme* névrotique permet-il une réelle réduction des tensions. Le patient retire donc bien un bénéfice primaire, voire plusieurs, de sa névrose.

 Bénéfice secondaire


Le bénéfice secondaire survient après coup* comme un gain supplémentaire retiré d’une maladie déjà installée et concerne des satisfactions davantage narcissiques que libidinales. Le moi* doit alors livrer un combat défensif secondaire face au(x) symptôme(s) et pactiser avec lui (eux) pour tenter d’en recueillir un avantage secondaire. 
S. Freud distingue le bénéfice primaire de la maladie, « solution la plus commode dans le cas d'un conflit psychique », dans la mesure où « elle épargne d'abord un effort », du bénéfice secondaire, effort du moi pour pactiser avec une maladie déjà installée. Dès lors, le moi s'adapte au symptôme comme il le fait ordinairement pour le monde extérieur. Cet effort se heurte, cependant, à l'un des aspects irréductibles du symptôme qui est d'être un substitut de la motion pulsionnelle refoulée, renouvelant continuellement son exigence de satisfaction et entraînant le moi dans une nouvelle lutte défensive.


Le bénéfice primaire d'un SYMPTÔME est l'absence d'ANGOISSE et de CONFLIT qui résulte de sa formation. Le bénéfice secondaire est constitué par des avantages pratiques qu'on peut obtenir en utilisant le symptôme pour influencer ou manipuler d'autres personnes. Par exemple, le bénéfice primaire de l'AGORAPHOBIE est l'absence d'angoisse et de conflit concernant l'AMBIVALENCE envers les figures parentales grâce au fait qu'on ne peut quitter le foyer; le bénéfice secondaire, c'est la possibilité d'utiliser le symptôme pour éviter des engagements désagréables ou pour contraindre les autres à vous accompagner. La famille des malades a tendance à être très consciente des bénéfices secondaires de la névrose mais à oublier ses bénéfices primaires.

Rêve endormi : poème