vendredi 28 janvier 2011

L'anthropologie des rêves



Réalité quotidienne et universelle, étroitement liée à la mémoire et à l'imagination, et par de là à la culture, le rêve occupe pourtant une place marginale dans l'histoire de l'anthropologie. L'anthropologie du rêve ne se limite pas à l'expérience privée du rêve, elle interroge aussi les différents moments de sa mise en œuvre sociale. En effet, chaque ensemble culturel à sa propre façon de percevoir le rêve que ce soit un Signe du corps ou un signe des dieux, message ancestral, voyage de l'esprit, de l'âme ou du double, tentation démoniaque, expression du désir refoulé, simple chimère ou encore seule Réalité. Dans leurs contextes culturels et sociaux spécifiques, les théories, les classifications et les grilles d'exégèse oniriques ont certes toute valeur de vérité, cela n'exclut aucunement la possibilité d'en dégager des principes généraux.

         Pour cette partie, nous avons décidé, après avoir longuement hésité, de nous appuyer sur l'exemple d'une ethnie d'Amérique du nord, les Dénés Tha.
Nos hésitations provenaient de l'ethnie sur laquelle s'appuyer car l'exemple des Aborigènes d'Australie semblait parfaitement convenir mais il est apparu que ce dernier était trop extrême car chez les Aborigènes d'Australie le rêve prend le pas sur la réalité pour devenir la Réalité.












Chez les Dénés le rêve est perçu comme un élément clef de la construction de l'identité et du processus  de
socialisation de la personne.
Car les rêves sont le fait de tous les membres de la communauté, qu'ils soient jeunes ou vieux, hommes ou femmes. On en parle, on en discute, et  leur importance s'exprime dans les relations sociales qui s'établissent autour de leur traitement. L'importance des rêves se perçoit aussi dans les modèles d'interprétation onirique, en effet chez les Dénés le rêve n'est pas seulement un événement personnel ; en tant qu'événement narratif, il acquiert une portée sociale évidente ; en tant que vecteur privilégié des rapports avec le surnaturel, il fait partie du domaine politique en exprimant la répartition des pouvoirs-médecines, en particulier les pouvoirs chamaniques et les pouvoirs de chasse.

Dans les différents dialectes septentrionaux, les Dénés désignent les rêves, les visions ou les apparitions spontanées et les impressions obtenues durant les états de transes volontaires par les mêmes termes. Mais le rêve ordinaire qui se produit durant le sommeil et plus précisément durant le sommeil paradoxal est de loin le mode dominant de l'ensemble de ces pratiques, même dans le travail chamanique, les termes dénotant le sommeil remplaçant souvent dans les récits une mention explicite du rêve. Le rêve est défini comme une faculté que les êtres humains partagent avec les animaux et les autres entités, qui ont eux aussi accès aux dons qui découlent du rêve.

Chez les Dénés le rêve se présente sous de multiple facettes, ainsi comme nous l'avons écrit précédemment il permet l'accès aux pouvoirs « surnaturels » tel que les pouvoirs chamaniques et les pouvoirs de chasse mais aussi aux pouvoirs moins définis mais tout aussi reconnus  qui en tant que mode de communication le rêve permet le contact avec diverses entités ainsi, c'est par le rêve que le chasseur reçoit des indications sur le gibier disponible, qu'une future mère fait connaissance avec son enfant à peine conçu, que les morts entrent en contact avec les vivants, les esprits avec les humains ou encore que les membres d'une communauté gardent le contact avec les absents.

Au sein de la société le chaman est un individu qui rêve mieux et va plus loin que les autres, c'est une question de degré plutôt que de nature. C'est au cours du rêve que les futurs chamans font connaissance avec leurs esprits et qu'ils reçoivent le savoir dont ils auront besoin. C'est aussi en rêve que les chamans rencontrent leurs auxiliaires, qu'ils découvrent les problèmes de leurs clients et tentent de les résoudre. Autrefois l'apprenti chaman était censé obtenir des chants durant ses rêves, le chant étant considéré comme partie intégrante du pouvoir chamanique, une manifestation de l'esprit auxiliaire. Le nouveau chaman, homme ou femme, réveillait alors toute sa famille si ce n'est tout le campement, pour que le chant soit entendu, répété et appris avant qu'il ne s'efface de la mémoire du novice. Par contre le rêve dont le contenu appel a une réaction de la communauté est répandu par les proches et les amis du rêveur  et devient rapidement un objet de discussion, un sujet d'inquiétude ou une occasion de réjouissance, selon les cas. Les prémonitions sont prises très au sérieux, ainsi la femme qui rêve qu'un malheur menace une expédition de cueillette prévue pour le lendemain va faire part de ses craintes à ses compagnes afin que certaines précautions soient prises ; de même, la personne qui se sent malade ou affaiblie demandera à ses voisins l'aide  dont elle à besoin par l'intermédiaire d'un rêve  exprimant son désarroi face au travail qui l'attend. Dans les deux exemples ici présentés le rêve devient le langage au travers duquel s'expriment à la fois l'individu et la communauté. Chacun construit son propre code onirique  en fonction de ses expériences personnelles antérieures. Pour ces personnes habitué au partage de leurs rêves, les versions individuelles du pays sont peuplées de caractères plus ou moins familiers, de figure composant des paysages intérieurs plus riches les uns que les autres, mais toujours différents.

Dans la culture Dénée le rêve est défini comme un mode d'existence distinct de l'état d'éveil ordinaire en ce sens où il déplace le lieu de la conscience, ou de la perception, du corps vers l'esprit, différent de celui de l'état d'éveil ordinaire en effet un deuxième esprit complète la définition dénée de l'être humain. Durant le rêve l'esprit acquiert le pouvoir de communiquer avec d'autres esprits et de se déplacer dans l'espace spirituel, cet espace étant aussi celui des animaux, des morts et d'autres entités invisibles. Le rêve est traité comme une expérience en soi, il n'est pas perçu comme un reflet passif de la réalité, mais plutôt comme une façon de participer à la réalité. Les actions commises en rêves sont considérées comme pouvant avoir des conséquences directes sur la réalité. Le rêve n'est pas perçu comme une image ou une représentation de la réalité, il la prolonge et constitue une autre façon de la vivre.
CONCLUSION
Il nous faut donc bien avouer notre ignorance considérable lorsque nous étudions le sommeil et le rêve. Même si intuitivement nous devinons que l’un des rôles du sommeil est d’économiser l’énergie cérébrale, nous savons aussi qu’il prépare les conditions suffisantes à l’apparition du rêve. Mais pourquoi l’évolution nous a-t-elle construit un cerveau qui périodiquement, au cours du sommeil, est soumis à une machinerie qui délivre des images fantasques, paralyse notre tonus musculaire, supprime la plupart des régulations homéostasiques? Nous connaissons beaucoup de comment sans que cela nous autorise à connaître le pourquoi puisque nous sommes incapables de déceler des modifications évidentes au niveau du comportement, du cerveau ou de l’organisme lorsque nous supprimons durablement le sommeil paradoxal ou le rêve chez l’animal ou chez l’homme. Avons-nous été une génération d’aveugles depuis 1960 ?

Pas tout à fait car justement, la psychanalyse nous a aidé en créant ses propres concepts qui répondent aux problèmes scientifiques et en développant ses propres méthodes d’interprétation.
Évidemment, ne reposant sur aucune base rationnelle et sûre, elle disparaîtra lorsque la science percera le grand mystère du rêve. Et alors, la prochaine génération, aveugle à sa propre cécité, s’étonnera de notre aveuglement.

L'interprétation selon Jung



Jung avait coutume de poser une simple question, à ses patients qui se débattaient dans des problèmes d'apparence insolubles :
" Et que disent vos rêves ? "

Il racontait alors combien il était frappé de lire sur leur visage une expression de perplexité mêlée d'étonnement, comme si pour eux il était évident que le rêve ne représentait rien de sérieux, rien qui en tout cas soit digne d'attention.
     Tout à l'inverse, Jung y accordait le plus grand crédit, et allait même jusqu'à affirmer que le rêve contient le diagnostic, le pronostic et le traitement.
Après Freud, Jung voit dans le rêve la voie royale pour aller à la rencontre de l'inconscient.
     Le rêve, en compensant une attitude consciente trop unilatérale, constitue souvent une invitation à élargir notre personnalité en accueillant les contenus de l'inconscient.












En effet, Jung pencherait vers une hypothèse selon laquelle le rêve serait le gardien du sommeil. Il fait place à une certaine compréhension intuitive, sa psychologie est une science de l'âme en tant que réalité immatérielle et transcendante.
Selon Jung, si le rêve peut paraître incohérent ou sans sens, c'est qu'il a son propre langage. Un langage Symbolique et limité. Alors que pour Freud, le récit du rêve cache des idées chroniques inconscientes.
Pour Jung, le récit imagé du rêve ne peut être le déguisement d'un message inconscient mais bien le message inconscient lui-même exprimé dans un langage de symboles.
Ils peuvent nous révéler un sens caché à nos épreuves, à nos souffrances. Les symboles qu'ils recèlent nous permettent d'entrevoir des voies nouvelles là où notre moi ancien restait bloqué et stagnait dans des problèmes apparemment sans issue. Ils nous guident vers la découverte de notre créativité vivante.


















Cette gravure alchimique illustre, selon Jung, la relation de transfert qui se noue sur le plan inconscient entre analyste et analysant.
C'est aussi l'image du dialogue qui s'instaure entre notre moi conscient et l'inconscient.













Un autre point sur lequel se base Jung sur son étude du rêve est la symbolique. En effet, le point de vue finaliste Jungien, qui succède à la théorie freudienne se fonde sur le fait que les images oniriques sont le reflet de situations psychologiques très variées. Il considère que les symboles pendant l'activité onirique n'ont pas de sens secret.

Dans la théorie Jungienne, l'inconscient s'exprime directement dans le rêve, dans son propre langage, sans l'intervention de refoulements qui viennent transformer les idées inconscientes qui tentent de s'actualiser par le rêve.
Contrairement à Freud qui interprète les rêves comme des désirs refoulés, Jung pense que c'est plutôt le contexte qui est à l'origine de l'activité onirique.
Jung propose d'abord de considérer le rêve comme une activité s'exerçant involontairement en nous pendant la nuit. Outre la fonction compensatrice du rêve qui relie le conscient et l'inconscient, Jung distingue la fonction prospective du rêve.
Nous avons vu que Freud accordait au rêve une fonction d'équilibre psychique grâce à la réalisation de désirs refoulés souvent liés à la sexualité infantile alors que pour Jung le rêve est plus que l'expression du désir :
- Il contient un sens prospectif, c'est-à-dire tourné non seulement vers le passé mais vers le devenir global de la personnalité.
Il s'agit d'une anticipation d'activité diurne à venir faite par l'inconscient. C'est une préparation, une simulation de la future activité qui perturbe (consciemment ou pas) une personne.

C'est d'ailleurs parce qu'il a souligné cette dimension "prospective" de l'inconscient que Jung a dû se séparer de Freud. Il est donc porteur d'un dynamisme de changement intérieur, d'un processus de transformation de la personnalité présent dans l'inconscient, que Jung a appelé "processus d'individuation".
Nos rêves sont donc des balises qui éclairent et jalonnent notre cheminement intérieur. Ils émanent d'une sorte d'intelligence secrète à l'œuvre au plus profond de nous et, tel un fil d'Ariane, nous guident vers un renouvellement de notre être, vers une métamorphose intérieure.
Si le rêve cherchait à résoudre un conflit, ce ne serait peut-être pas par anticipation mais bien en remplacement d'un souvenir inconscient, marquant et douloureux.

D'après Jung, la fonction compensatrice du rêve servirait à l'équilibre psychique
des individus relativement stables à un moment de leur vie tandis que la fonction prospective entrerait plutôt en jeu lorsqu'une personne est en proie à des problèmes psychiques et que sa conduite est ressentie comme inadaptée.

Par exemple, lorsque Jung interprète un rêve il procède de la façon suivante : il divise une page en trois colonnes :
- Dans la première, il inscrit le récit du rêve.
- Dans la deuxième, la plus large, il inscrit le contexte alimenté par les associations du rêve, c'est à dire ce que signifient les images oniriques pour lui et les liens qu'il peut faire avec sa vie consciente.
- Dans la troisième, une fois le contexte établi, il note les hypothèses de conclusions qu'il peut établir en tenant compte des liens entre les divers éléments.

Cette définition Jungienne des archétypes et leur caractère inné s'accorde avec la "programmation génétique des comportements instinctifs", proposée par M. Jouvet comme fonction du sommeil paradoxal lors de la maturation cérébrale :
"Tout comme le corps humain est une collection complète d'organes, de même nous trouvons dans l'esprit une organisation (fonctionnelle) analogue... L'archétype est une tendance instinctive naturelle, aussi marquée que l'impulsion qui pousse l'oiseau à construire son nid, et les fourmis à s'organiser en colonies.
Si le caractère inné des archétypes étonne, que dire de la complexité des fonctions symbiotiques des insectes, car la plupart d'entre eux ne connaissent pas leurs parents, et n'ont reçu d'enseignement d'aucune sorte."

Ainsi, la neurobiologie moderne et la conception Jungienne du psychisme, de l'inconscient et du rêve se complètent pour décrire le sommeil paradoxal et le rêve comme une fonction psycho-physiologique naturelle.










« C'est la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante. »

L'alchimiste Paulo Coelho



















La fontaine mercurielle, dans cette gravure
alchimique, représente
l'inconscient, fontaine de vie, matrice de renaissance, source du renouvellement intérieur de la personnalité.