mardi 4 janvier 2011

Rêve de la reine Hélène



Rêve de la reine Hélène
La bataille des lions
Cette nuit-là, les deux rois prouvèrent leur amour à leur femme en hommes qui les aimaient fort. Et c’est ce soir-là, à ce que dit le conte, que la reine Hélène, la femme du roi Ban, conçut un enfant. Puis, lorsqu’ils eurent assez joué, ils s’endormirent, et la reine s’absorba dans une merveilleuse vision qui se prolongea longtemps. Elle en fut très effrayée dans son sommeil : il lui semblait en effet qu’elle se trouvait sur une haute montagne, et elle voyait autour d’elle toutes sortes de bêtes variées qui paissaient l’herbe verte et drue. Mais, au bout de quelque temps, une querelle éclatait entre elles, si bien qu’elles s’attaquaient les unes les autres et voulaient se chasser de la pâture ; elles se divisaient en deux camps : les deux tiers se rassemblaient d’un côté sous la conduite d’un grand lion prodigieux. Mais de l’autre côté ils étaient moitié moins nombreux. Leur chef était un lion couronné mais il s’en fallait d’un pied qu’il soit aussi grand que l’autre.
Ce lion couronné avait en sa compagnie dix-huit lionceaux, tous couronnées eux aussi, et dont chacun était le maître d’une partie des bêtes qui s’étaient rangées aux côtés du grand lion. L’autre lion, qui n’était pas couronné, avait lui en sa compagnie trente lionceaux qui portaient tous une couronne, et chacun d’entre eux était le maître et seigneur d’une partie des bêtes qui s’étaient rangées aux côtés du grand lion sans couronne. Une fois que les bêtes furent triées et réparties en deux groupes, la reine, tournant ses regards vers les partisans du lion couronné, vit quatre cents taureaux avec au cou un lien en forme ce cercle, qui mangeaient de l’herbe dans un râtelier. Et, parce que le lion couronné avait l’impression que l’herbe était meilleure du côté du lion sans couronne, il l’assaillait par jalousie afin de lui prendre son territoire ; il répartissait ses bêtes en trois grands troupeaux qui s’en allaient combattre le lion couronné dont les bêtes étaient organisées en dix-huit troupeaux. Et dans chacun des troupeaux il y avait à la tête un lionceau. Les quatre cents taureaux qui étaient si fiers et orgueilleux et trois des dix-huit lionceaux qui étaient du parti du lion couronné engageaient la bataille entre eux, si âpre que vous n’avez jamais entendu parler de rien de pareil. Mais finalement les bêtes du lion couronné devaient céder du terrain et reculer. Le lion en était très inquiet, craignant de perdre sa pâture. Pendant que les bêtes combattaient ainsi, il parut à la dame qu’arrivait un grand loup, le plus orgueilleux qui fût jamais ; et il passait par une vallée très profonde. Et il semblait à la dame qu’une brume épaisse le dérobait a sa vue si bien qu’elle ne savait pas ce qu’il était devenu. L’ayant ainsi perdu de vue, elle ramenait son attention sur les bêtes sauvages qui continuaient à combattre, et elle voyait que le lion couronné avait très nettement le dessous. Là-dessus, un grand léopard sortait de la forêt sauvage et observait longtemps la bataille des animaux. Puis, lorsqu’il voyait que le lion couronné avait le dessous, il allait le secourir et fondait sur le lion sans couronne ; et il combattait si férocement ses troupeaux qu’il les faisait reculer, et, aussi longtemps que le léopard était contre lui, le lion sans couronne ne pouvait avoir le dessus.
Lorsque le lion sans couronne se rendait compte qu’il ne pourrait venir à bout de sa bataille aussi longtemps que le léopard serait contre lui, il interrompait la mêlée et se rapprochait du léopard au point de l’emmener avec lui. Le troisième jour, la bataille reprenait entre les animaux, comme auparavant. Mais cette fois le léopard était dans le camp du lion qui n’était pas couronné ; les bêtes combattaient jusqu’à ce que le lion couronné soit vaincu à cause du léopard qui était contre lui. Mais lorsque le léopard voyait que le lion couronné avait le dessous, il faisait signe au lion sans couronne d’aller lui crier merci, et celui-ci le faisait. Et la paix était ainsi faite entre les deux lions, tant et si bien que par la suite il n’y avait plus jamais de querelle entre eux ; la reine alors regarda avec attention le léopard pour voir si elle pourrait l’identifier. Et en fin de compte il lui sembla que c’était celui qui était sorti de sa cuisse ; il avait tant grandi, en force et en sagesse, il avait accompli tant de hauts faits, que toutes les bêtes de la Bretagne chevelue s’inclinaient devant lui, ainsi que celles de Gaunes et de Bénoïc. Et une fois qu’il avait la seigneurie sur toutes ces bêtes, le lion s’en allait sans que l’on sache ce qu’il était devenu.
La dame resta plongée toute la nuit dans ce songe sans en sortir. Elle s’éveilla alors, et se signa tant elle était étonnée par le prodige qu’elle avait vu dans son sommeil. Quand le roi la vit si effrayée, il lui demanda ce qu’elle avait rêvé, et elle lui raconta son songe en détail. Mais lorsqu’elle eut achevé son récit le roi dit qu’il n’en sortirait que du bien.

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Le roi Ban de Benuyc, ainsi que son frère, le roi Bohort de Gaune, rentrent en Bretagne après une longue campagne aux côtés du roi Arthur. Le soir de son retour au château de Trèbes, le roi Ban et sa femme, la reine Hélène, dorment ensemble après de longs mois éloignés l’un de l’autre ; c’est au cours de cette nuit de retrouvailles que la reine conçoit Lancelot. Couchée dans son lit, la reine Hélène fait alors un rêve dans lequel deux lions – un couronné et l’autre non – se font la guerre. Ce rêve sera expliqué par Merlin dans le récit de rêve qui suit (voir «Le rêve du roi Ban»).
Texte original
Cele nuit moustrerent li .II. rois grant amour a lor femes com cil qui moult les amoient. Et cel soir ce dist li contes, conchut la roïne Helayne, qui fu feme au roi Ban, un enfant. Et quant il orent assés joé, si s’endormient. Et la roïne chaï en un merveillous pensé qui molt longement li dura. Si en fu molt esfreé en son dormant, car il li fu avis qu’ele estoit en une molt haute montaigne, si veoit entour li molt grant plenté de bestes de diverses manieres qui paissoient l’erbe qui molt estoit bele et drue. Et quant eles orent un poi peüt, si sourdoit entr’aus une si grant noise que l’une couroit l’autre sus et le voloit jeter de la pasture si se tournoient en .II. parties, si en aloit bien d’une part les .II. pars. Si les conduisoit uns grans lyons merveillous. Et de l’autre part n’estoient il mie tant de la moitié. Si en estoit maistres uns lyons coronés mais il n’estoit mie si grans que l’autres de plus d’un pié. Cil lyons couronés avoit en sa compaignie .XVIII. lyonciaus tous couronés dont chascuns avoit signorie et poissance d’une partie des bestes qui s’estoient tournees devant le grant lyon. Et li autres lyons qui n’estoit pas couronés avoit en sa compaignie .XXX. lyonciaus qui tout estoient couroné, et avoit chascuns signourie sor une partie des bestes qui s’estoient tournees devers le grant lyon sans courone. Quant les bestes furent parties et sevrees, si regardoit vers la partie au lyon couroné, si voit .CCCC. toriaus qui estoient loiié par le col d’un cercle et mengoient d’un rastelier l’erbe menue. Et pour ce qu’il sambloit au lyon couroné qu’il avoit meillour pasture par devers le lyon sans courone, si li courut sus pour lui tolir par envie. Si prendoit une partie de ses bestes tant qu’il en faisoit .III. grans tropiaus et s’aloient combatre au lyon couroné qui avoit ses bestes en .XVIII. tropiaus. Et en chascun tropel avoit un lyoncel qui avoit signourie sor aus qui les conduisoit. Et li .cccc. torel qui tant estoient fier et orgueillous et .III. des .XVIII. lionciaus qui estoient avoec le lyon couroné mouveoient une si grant bataille entr’aus c’onques de si grant n’oïstes parler. Mais en la fin couvenoit les bestes au lyon couroné plaissier et reüser ariere. Si en estoit molt li lyons espaouris qu’il ne perdist sa pasture. Que que les bestes se combatoient, ensi com a la dame fu avis, vint uns grans lupars, li plus orgueillous c’onques fust, et s’en aloit parmi une parfonde valee. Si estoit avis a la dame que une grant bruine l’en toloit la veüe en tele maniere qu’ele ne sot qu’il devint. Et quant ele l’ot perdu, si retournoit vers les bestes sauvages qui encore se combatoient. Si veoit que li lyons couronés en avoit molt le piour, quant uns grans lupars issoit fors de la forest sauvage et regardoit la bataille des bestes molt longement. Et quant il vit que li lyons couronés en avoit le piour, se li ala aïdier et couroit sus au lyon sans courone et se combatoit a aus si fierement qu’il les faisoit ressortir ariere, ne onques tant qu’il estoit contre lui ne pooit avoir le meillour de la bataille.
Quant li lyons qui estoit sans courone vit qu’il ne pourroit venir a chief tant que li lupars fust encontre lui, si fist departir la mellee et s’acointa tant del lupart qu’il l’amena avoecques lui. Et au tiers jour conmencha derechief la bataille des bestes aussi com ele avoit esté devant. Si fu li lupars devers le lyon qui n’estoit mie couronés, si se combatirent les bestes tant ensamble que li lyons couronés tourna a desconfiture par le lupart qui estoit contre lui. Quant li lupars vit que li lions tournoit a desconfiture, si fist signe au lyon sans couronne qu’il li alast crier merci, et il si fist. Si fu faite la pais en tel maniere des .II. lyons que onques puis ne s’entrecourecierent ensamble. Et lors avisa la dame le lupart pour savoir s’ele le porroit connoistre. Si li sambla en la fin que c’estoit cil qui de sa quisse estoit issus, qui si estoit creüs et amendés et avoit tant espoitié que toutes les bestes de la Bloie Bretaigne l’enclinoient, et toutes celes de Gaunes et de Benuyc. Et quant il ot toute la signourie de ces bestes, si s’en ala li lyons c’on ne savoit qu’il estoit devenus.
Ensi demoura la dame tote nuit en cele avision que onques n’en issi jusques au jour. Si s’esveille et se saine de la grant merveille qu’ele avoit veüe en son dormant. Et quant li rois le vit si esfreé, si li demanda qu’ele avoit et ele li conta le songe tel com ele l’avoit veü en son dormant. Et quant ele li ot conté si li dist li rois qu’il n’en seroit se bien non.

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