Rêve d’Héloïse
Des queues de poireaux
Elles étaient dix. Dix silhouettes noires entourant maman. Un homme parlait : Maestro, Numéro Un de l’Alliance des Gomboïstes. Ce groupuscule d’activistes, se disant envoyés sur terre par MawuLisa, divinité suprême à la fois mâle et femelle des Éwés du golfe de Guinée, avait, paraît-il, choisi ma mère pour l’investir de la mission délicate de couvrir les murs de France et Navarre de tags immenses qui vanteraient les délices du mariage du légume gombo et de la galette des Rois. Tu dessineras partout le légume, martelait l’orateur, le long des siècles ta patte tu laisseras, pour qu’ils sachent que nul n’est dupe de leurs bons discours, de leur bonne conscience à peu de frais.
Tout m’échappait de cette harangue, mais déjà, dans mon rêve, il fut remis à maman plusieurs sachets remplis de pinceaux, et un modèle sur papier dessin du fameux légume à reproduire.
Je la vis distinctement se relever, frotter sa tête contre les chapes des silhouettes et puis se mettre à courir, vers je ne sais quelle destination. Quand elle eut disparu, l’assemblée se découvrit, et plusieurs visages apparurent dans la pénombre, des queues de poireaux identiques et semblables jusque dans leur ricanement. J’ai sursauté, puis je me suis réveillée.
Kangni Alem
Canailles et charlatans
Togo 2005 Genre de texte roman
Contexte
Ce rêve se trouve au chapitre 6 intitulé «De quelques souvenirs douloureux liés à une autre disparition de ma mère».
Héloïse a dix ans et vit avec sa mère en France alors que son papa les a quittées pour rentrer à Tibrava. Sa maman ne s’est jamais remise de cette séparation. Un beau jour, elle disparaît de la maison. Héloïse se retrouve toute seule dans l’appartement et fait ce rêve. Elle le racontera au moment où les cendres de sa maman, qu’elle ramenait à Tibrava pour les répandre, ont été volées.Commentaires
En raison de sa forme, le poireau a souvent été associé à des connotations sexuelles.
Texte témoin
Canailles et charlatans, Paris: Dapper, 2005, p. 55-59
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire