mardi 4 janvier 2011

Songe de Nascien







 
 Un serpent l’attaque
L’homme de bien avait quitté la roche et Nascien, resté sur la rive, dormait à poings fermés. Dans son sommeil, il lui sembla que venait à lui un serpent d’une taille prodigieuse qui s’élançait pour le dévorer cruellement : il lui faisait des plaies au côté gauche, alors que lui se défendait avec énergie ; résistance qui menaçait d’être vaine, quand un petit ver insignifiant, en apparence, venait le secourir. Sitôt que le serpent vit avancer vers lui le petit vermisseau, il n’eut pas le courage de l’attendre, il s’enfuit loin de lui. Voilà ce qui arriva à Nascien dans son sommeil : il en éprouva un tel malaise qu’il s’éveilla, ouvrant les yeux en homme qui croyait bien combattre encore le serpent. Bien réveillé, se rappelant son assoupissement pendant que l’homme de bien lui contait les bonnes paroles, il fut tellement affligé qu’il se dit à lui-même que véritablement il était un homme malheureux et de faible intelligence : s’il en avait eu quelque peu, jamais le sommeil ne l’aurait privé du propos de l’homme de bien.
Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Le roi Nascien, qui doit quitter le navire de Salomon sur lequel il voguait, se retrouve sur la rive d’un pays inconnu. À chaque jour, un homme de bien ?le Christ?lui rend visite et le nourrit de paroles sages. Un jour, Nascien s’endort alors que l’homme de bien lui parle et fait un cauchemar dans lequel un serpent géant l’attaque.
Texte original Quant li prodom se fu partis de la roce, Nasciens qui fu remés a la rive se dormi toutes voies. Et en ce qu’il se dormoit li fu avis que devant lui venoit uns serpens grans et merveillous qui li sailloit et le demengoit molt durement : se li ert avis qu’il li faisoit plaies el costé senestre, et il se desfendoit molt durement ; mais sa desfense ne li volsist riens, quant uns vers petis de povre pooir par samblant li venoit aïdier : et si tost conme li serpens vit venir vers lui le petit vermissel en l’aïde Nascien, il ne l’osa atendre, ains s’en fuoit loins de lui. Ensi avint a Nascien en son dormant, dont il fu si a mal aise qu’il s’en esveilla et ouvri ses ex come cil qui bien se quidoit combattre encore au serpent. Et quant il se fu esveilliés et il li menbre qu’il se fu endormis, endementiers que li prodom li contoit les bones paroles, lors fu tant dolans qu’il dist a soi meïsmes que voirement estoit il hom chaitis et de povre sens. Car se il eüst nul sens en lui, ja li dormirs ne li eüst tolu ce que li prodom li avoit conmencié a dire.

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