lundi 21 février 2011

Citations sur les rapports rêve et religion



"Dans le fond le métier de penser est une lutte contre les séductions et apparences. Toute la philosophie se définit par là finalement. Il s'agit de se délivrer d'un univers merveilleux, qui accable comme un rêve, et enfin de vaincre cette fantasmagorie. Sûrement de chasser les faux dieux toujours, ce qui revient à réduire cette énorme nature au plus simple, par dénombrement exact."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Quatre-vingt-un Chapitres sur l'esprit et les passions / 1917)

"Et bien donc, il faut prendre la religion comme une imagerie pleine de sens, et la justifier à ceux qui la pratiquent. Mais attention ici. Il ne s'agit pas de prouver par raisonnements subtils que l'image est toute vraie. L'enfer est un beau mythe; seulement l'enfer comme lieu du monde et jardin réel des supplices est un simple rêve; et je pense que personne n'y croit réellement."
(Emile Chartier, dit Alain / 1868-1951 / Propos sur la religion, Sauver l'âme, 30 mars 1935)

"Si Dieu avait eu besoin d'être adoré, il n'eut créé que des chiens. Le chien est bien plus apte de l'homme à l'amour. Un chien affamé, battu, jeté à l'eau par son maître, s'il en réchappe reviendra gémir d'amour à ses pieds. Voilà bien le fidèle tel que le rêve les Eglises."
(René Barjavel / 1911-1985 / La faim du tigre / 1966)

"Les hommes rêvent, se fabriquent des mondes idéaux et des dieux. Les femmes assurent la solidité et la continuité du réel."
(René Barjavel / 1911-1985 / Une rose au paradis / 1981)

"C'est la force des dirigeants modernes d'avoir compris que la religion ayant cessé d'être l'opium du peuple, la loterie, fille du rêve et de la démocratie, qui pour un investissement modique promet l'égalité des chances, pouvait constituer une drogue de substitution."
(Philippe Bouvard / né en 1929 / Journal 1992-1996 / 1997)

"Si la solitude existe, ce que j'ignore, on aurait bien le droit, à l'occasion, d'en rêver comme d'un paradis."
(Albert Camus / 1913-1960 / L'Envers et l'endroit, Préface)

"N'oublions jamais que le droit au rêve ne prend toute sa valeur qu'accompagné du droit à la lucidité."
(Georges Charpak et Henri Broch / Devenez sorciers devenez savants)

"On croit que les rêves sont faits pour être réalisés. C'est le problème des rêves. Les rêves sont faits pour être rêvés."
(Michel Colucci, dit Coluche / 1944-1986 / Pensées et anecdotes)

"Cessons de rêver l'homme, cessons de faire de l'humanisme une religion : ce ne serait qu'un narcissisme généralisé ou hypostasié. L'homme n'est grand que dans la conscience qu'il a de sa misère."
(André Comte-Sponville / né en 1952 / Une éducation philosophique / 1989)

"La sagesse n'est qu'un rêve de philosophe, dont la philosophie doit aussi nous libérer. La sagesse n'existe pas : il n'y a que des sages, et ils sont tous différents, et aucun bien sûr ne croit à la sagesse..."
(André Comte-Sponville / né en 1952 / L'amour la solitude / 1996)

"Il est temps de dire que la laïcité ne peut être cantonnée à un mode d'organisation sociale. Elle est porteuse d'un idéal, celui de l'individu - citoyen qui sait qu'il n'y a de savoir-vivre collectif que dans la confrontation librement débattue de convictions individuelles. Celui, également, de la durée assumée au travers de l'affirmation d'une aptitude permanente à tirer des leçons de l'histoire les éléments de construction d'un présent acceptable et d'un futur qui conserve sa place au rêve."
(Jean-Michel Ducomte / La laïcité)

"Dieu est le rêve des pauvres, et le diable la folie des puissants."
(Henri Gougaud / né en 1936 / L'Inquisiteur)

"Si la peur superstitieuse des esprits était écartée, et avec elle les pratiques divinatoires faites à partir des rêves, les fausses prophéties et beaucoup d'autres choses qui en dépendent, par lesquelles des individus adroits et ambitieux trompent les petites gens, les humains seraient mieux disposés qu'ils ne le sont à l'obéissance civile."
(Thomas Hobbes / 1588-1679 / Léviathan / 1651)

"Transformer les citoyens en moutons soumis est le rêve de bien des pouvoirs. Pour y parvenir les moyens sont nombreux ; les intoxiquer de parasciences peut-être fort efficace."
(Albert Jacquard / né en 1925)

"Tu as beau vivre et jouir de la vue, ta vie n'est qu'une mort, toi qui en gaspilles la plus grande part dans le sommeil et dors tout éveillé, toi que hantent les songes, toi qui subis le tourment de mille maux sans parvenir jamais à en démêler la cause, et qui flottes et titubes, dans l'ivresse des erreurs qui t'égarent."
(Lucrèce / 98-55 avant JC / De Rerum Natura)

"Pour moi toutes les formes de religion sont anachroniques. Je rêve d'un monde sans religion. Car la religion donne naissance à l'intégrisme comme la graine donne naissance à l'arbre."
(Taslima Nasreen, femme écrivain du Bangladesh / née en 1962 / L'Evénement du Jeudi / 21/07/1994)

"Dans le rêve, l'homme, aux époques de civilisation informe et rudimentaire, croyait apprendre à connaître un second monde réel ; là est l'origine de toute métaphysique. Sans le rêve, on n'aurait pas trouvé l'occasion de couper le monde en deux. La division en âme et corps se rattache aussi à la plus ancienne conception du rêve, de même que la croyance à un simulacre corporel de l'âme, partant l'origine de toute croyance aux esprits, et vraisemblablement aussi de la croyance aux dieux. "Le mort continue à vivre ; car il apparaît aux vivants dans le rêve" : c'est ainsi qu'on raisonna jadis, durant beaucoup de milliers d'années."
(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Humain, trop humain / 1878-1879)

"Superstition de la simultanéité.
Ce qui est simultané a un lien commun, pense-t-on. Un parent meurt au loin, en même temps nous rêvons de lui, - vous voyez bien ! Mais d'innombrables parents meurent et nous ne rêvons pas d'eux. C'est comme à propos des naufragés qui font des voeux : on ne voit pas plus tard dans les temples les ex-voto de ceux qui ont péri."

(Friedrich Nietzsche / 1844-1900 / Humain, trop humain / 1878-1879)

"On ne tue pas un rêve, on n'assassine pas un subterfuge. Ce serait plutôt lui qui nous tue, car Dieu met à mort tout ce qui lui résiste. En premier la raison, l'intelligence, l'esprit critique."
(Michel Onfray / né en 1959 / Traité d'athéologie / 2005)

"Dieu, ce dépotoir de nos rêves!"
(Jean Rostand / 1894-1977 / Carnet d'un biologiste)

"La foi consiste à savoir se résigner au songe."
(Miguel de Unamuno / 1864-1936 / Almanach des lettres françaises et étrangères)

"Ni militaires, ni prêtres parce que mon rêve a toujours été de mourir sans intermédiaires."
(Boris Vian / 1920-1959 / Boris Vian en verve)

"Avant même de pouvoir lire ou écrire ma langue maternelle, j'avais appris le Coran par coeur, en arabe, sans en comprendre un traître mot; ainsi en est-il pour des centaines de millions d'enfants musulmans. Dès que j'ai été capable de raisonner par moi-même, j'ai rejeté tous les dogmes religieux que l'on m'avait fait ingurgiter. Je me considère aujourd'hui comme un humaniste laïc, qui croit que toutes les religions sont des rêves d'hommes débiles, de toute évidence fausses et pernicieuses."
(Ibn Warraq / Pourquoi je ne suis pas musulman / 1999)

"Ce qui a donné lieu à l'opinion que l'on a conçue d'eux [Moïse, Jésus, Mahomet], c'est la hardiesse qu'ils ont eue de se vanter de tenir immédiatement de Dieu tout ce qu'ils annonçaient au peuple; créance absurde et ridicule, puisqu'ils avouent eux-mêmes que Dieu ne leur parlait qu'en songe. Il n'est rien de plus naturel à l'homme que les songes, par conséquent, il faut qu'un homme soit bien effronté, bien vain et bien insensé, pour dire que Dieu lui parle par cette voie, et il faut que celui qui y ajoute foi, soit bien crédule et bien fol pour prendre des songes pour des oracles divins."
(inconnu / Livre des trois imposteurs / chapitre I. parag. V / 1721)

"C'est dormir toute la vie que de croire à ses rêves."
(Proverbe chinois)

Rôle du rêve dans la construction des religions


Le rêve, phénomène universel qui échappe au contrôle individuel et surgit de profondeurs où la raison ne peut accéder, appartient à ces expériences fondatrices, comme la naissance, la mort, la souffrance, qui ont participé à la construction de la religion. Il est probable qu'il ait été une des sources de la notion d'âme : tandis que le corps demeure inerte, quelque chose de l'être, qui lui est à la fois intime et étranger, prend son essor. La constatation de cette indépendance nocturne a peut-être conduit à l'idée d'une entité subtile individuelle et à l'hypothèse d'une communication, dans cet état, avec des puissances autres, dans un autre espace-temps.
Là où nous en saisissons des attestations historiques précises, le rêve se trouve connecté avec un ensemble d'états de conscience qu'il est parfois difficile de distinguer autrement que par des nuances, mais qui sont tous valorisés religieusement : visions, états d'extase et d'inspiration prophétique. Il apparaît comme la porte d'accès à un savoir particulier, souvent supérieur, et comme le premier degré d'états de conscience plus élevés.
Le rêve est indissociable du récit que le rêveur s'en fait ou en fait aux autres. Nous ne saurons jamais ce qu'est un « rêve brut », même par les investigations des neurosciences. Mais le récit rend le rêve communicable, raccroche l'intime à la communauté par le biais du langage. Il ouvre l'horizon du sens et de ses différents niveaux. Le Talmud dit : « Un songe non interprété est une lettre non lue » (Barakhot 55 b). Cette nécessité de l'interprétation ramène au sens le plus ancien du mot latin religio : le fait de recueillir les signes, de scruter le message qu'ils recèlent. Il n'est donc pas étonnant que le monde des rêves ait largement participé du religieux.
L'interprétation rend possible le remède. Les rêves d'incubation, correctement interprétés par les spécialistes que sont les devins, apportent ainsi la guérison. Pour Hippocrate, la conscience onirique pouvait percevoir les causes des maladies sous forme d'images symboliques. Pour les adeptes d'Esculape, le dieu guérisseur envoyait en songe l'indication du remède. Empirique et religieuse, la vision traditionnelle du rêve s'appuyait sur l'évidence de son caractère révélateur et pédagogique. Cela explique que tant d'efforts aient été déployés par les religions pour savoir ce que les rêves ont à nous dire, et que les techniques d'interprétation – oniromancie, divination – aient été élaborées dans leur cadre.
Les religions ne s'en sont pas tenues là ; si les rêves sont envoyés par des dieux ou des esprits comme des signes pour les hommes, ils sont un bien particulièrement précieux, qui doit être soumis à contrôle. Si tout le monde rêve, seuls certains spécialistes ou des catégories de personnes ont accès au domaine de la signification. L'expérience du rêveur, pour prendre une dimension véritablement religieuse et ne pas rester seulement un phénomène naturel, doit entrer dans un contexte culturel modelé par des savoirs et des initiations. Les spécialistes du monde onirique et des états de conscience qui lui sont associés détiennent des pouvoirs. Dans les structures religieuses, probablement les plus anciennes de l'humanité, rangées sous le terme générique de chamanisme, ils constituent le centre et le pivot de la relation entre l'invisible et le visible, le monde divin et le monde humain.
De ces pouvoirs, la psychanalyse, fascinante et contestée, n'a-t-elle pas hérité, aux yeux des profanes, dans notre monde où les rêves ne sont plus des médiateurs du sacré ?

Ysé Tardan-Masquelier
Docteur habilité en sciences des religions, membre de l'Institut de recherches pour l'étude des religions (Paris-IV, Sorbonne). Spécialiste de l'hindouisme, elle enseigne aux Langues O' et à la Catho de Paris. Dernier ouvrage paru : l'Esprit du yoga, (Albin Michel, 2005).