mardi 4 janvier 2011

Songe de Flégentine



Songe de Flégentine
Nascien est vivant
La dix-huitième nuit après que Nascien se fut échappé de la prison, il arriva qu’elle était couchée dans son lit : elle sommeillait, en femme qui n’avait de longtemps dormi, aussi commençait-elle dès lors à reposer.
Une vision lui apparut : Nascien se présentait à elle, pour lui dire : «Chère et douce sœur, suivez-moi : je m’en vais au territoire d’Occident que Dieu a projeté de faire croître et d’honorer de votre semence et de la mienne.» À son réveil, le songe qu’elle avait fait lui revint en mémoire, et elle se demanda avec étonnement ce dont il retournait. Il lui paraissait y avoir quelque chose de vrai. Le matin, elle rejoignit en premier lieu la sainte Église, laquelle alors était encore en sa plus tendre nouveauté. Aussitôt après avoir suivi très attentivement le service de Notre-Seigneur, elle rapporta au prêtre sa vision, lui disant de prier Jésus-Christ qu’il lui permît d’en connaître clairement les signes. Là-dessus la duchesse rentra chez elle, ainsi que le vavasseur qui, de tout son possible et de toute son habileté, s’appliquait à la réconforter et à la distraire. Dès qu’elle l’aperçut, la dame l’attira à part pour lui raconter sans rien altérer toute sa vision, dans les circonstances où elle lui était arrivée. «Dame, lui dit le vavasseur, cette vision ne signifie que du bien. Néanmoins, que désirez-vous? Me voici prêt à exécuter votre commandement.» [p. 225]
[…]
Ils suivirent cette route plus d’une lieue. Alors le vavasseur demanda : «Dame, quel chemin prendrons-nous? De quel côté chercher notre seigneur? Je n’en ai nulle idée. – Au vrai, fit la dame, je ne suis certaine de rien. Mais étant donné qu’il disait dans ma vision vouloir rejoindre le territoire d’Occident, je conseille que nous allions dans cette direction.» [p. 229]

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Lorsque le Saint-Esprit emporte le roi Mordrain sur une île déserte, le roi Nascien, son beau-frère, est accusé de l’avoir tué. Nascien est donc emprisonné injustement jusqu’à ce qu’il réussisse à s’échapper de prison par la grâce divine. Dix-huit jours après l’évasion de Nascien, sa femme, la reine Flégentine, voit en rêve où se trouve son mari. Elle court trouver un vavasseur en qui elle a confiance et se prépare à suivre les indications qu’elle a eues en rêve. Avec le vavasseur et son fils Elyator, tous trois prennent le chemin de l’Occident à la recherche du roi Nascien. 
Texte original
Et quant vint a la .XVIII.isme nuit après que Nasciens fu eschapés de la prison, icele nuit après avint que ele jut en son lit ; si someilloit come feme qui n’avoit de lonc tans dormi, si conmençoit des lor a reposer. Ensi com ele soumeilloit, si li vint en avision qu’il li sambloit que Nasciens venoit devant li, si li disoit : «Bele douce suer, sivés moi : car je m’en vois en la terre d’Occident que Dix a pourveüe a croistre et a honerer de ma semence et de la vostre.» Et quant ele s’esveilla au matin, si li menbra de son songe, et mout s’esmerveilla que ce pooit estre : et sie il li sambloit avoir riens de verité. Au matin ala premierement a sainte eglise, et estoit encore a celui jour mout tendre et molt nouvele. Et si tost com ele ot oï et escouté le service Nostre Signour, si rejehi au prouvoire s’avision, et li dist que il deproiiast Jhesu Crist que il li donnast apertement savoir les demoustrances. Atant s’en ala la duçoise a son ostel, et li vavaserres, qui, en toutes les manieres que il pooit et savoit, se penoit de la dame conforter et soulagier. Et si tost conme la dame le vit, si le traït a une part, si li regehi toute la verité de s’avision si come ele li estoit avenue. Et li vavasours li dist : «Dame, ceste avision ne senefie se bien non. Et nonpourquant qu’en avés vous en talent? Vés me ci tout prest de faire le vostre conmandement.»
[…]
Cel chemin tinrent tant que il orent erré plus d’une lieue. Lors dist li vavasour : «Dame, quel chemin irons nous? Et quele part irons nous querre nostre signour? Car je n’en sai nul avoiement. – Certes, dist la dame, je n’en sai nule vérité. Mais pour ce que il disoit en ma vision que il s’en voloit aller en la terre d’Occident, pour ce lo je que nous aillons cele part.»

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