jeudi 13 janvier 2011

Réactions aux traumatismes par le rêve



Guérir :
 

(extraits du travail)
                            

Méthode 2 : EMDR  

5* L'autoguérison des grandes douleurs :
     l'intégration neuro-émotionnelle par
     les mouvements oculaires (EMDR)

La cicatrice de la douleur
    Après un an d'amour idyllique, Pierre, l'homme que Sarah était certaine d'épouser, l'avait abandonnée brutalement.
    Après, Sarah ne fut plus la même. Elle qui avait toujours été solide comme un roc commença à avoir des attaques d'anxiété au moindre rappel de ce qui lui était arrivé.
    Comme le montre l'histoire de Sarah, les événements très douloureux laissent une marque profonde dans notre cerveau. (85)
    Une étude (Université Harvard) permet d'enregistrer les réactions du cerveau au rappel de ces traumatisme par un scanner à émission de positrons (PET scan). L'« état de stress post-traumatique » (ESPT) y est visualisé par scanner : la région de l'amygdale, le noyau reptilien de la peur au coeur du cerveau émotionnel, est clairement activée. Étrangement, le cortex visuel aussi montre une activation marquée, comme si les patients regardaient une photo de la scène. Et, plus fascinant encore, les images montrent une « désactivation » -- une sorte d'anesthésie -- de l'aire de Broca, la région du cerveau responsable de l'expression du langage. C'est comme une « signature » neurologique de ce que les gens souffrant d'ESPT répètent si souvent : « Je ne trouve pas les mots pour décrire ce que j'ai vécu . » (86)
    Les cicatrices laissées dans le cerveau par les accidents les plus difficiles de la vie ne s'effacent pas facilement. Il arrive que les patients continuent d'avoir des symptômes des dizaines d'années après le traumatisme initial. Cela est courant chez les anciens combattants. Mais c'est aussi vrai des traumatismes de la vie civile.
    Le plus intriguant est que la plupart de ces patients savent qu'ils ne sont plus en danger. Ils le savent mais ils ne se ressentent pas. (87)

Une trace indélébile

    Même sans avoir subi ces traumatismes « avec un grand T » auxquels s'applique le diagnostic d'ESPT, nous connaissons tous le phénomène pour avoir vécu de multiples traumatismes « avec un petit t » -- humiliation par un instituteur, largage par un(e) petit(e) ami(e) ? --.
    Ces situations, on y pense et on y repense ; on écoute les conseils de ses amis et de ses parents ; on lit des articles dans les journaux ... Tout cela aide, souvent très bien, à penser à la situation, et l'on sait ce que l'on devrait ressentir à présent qu'elle est derrière nous. Pourtant on reste comme coincé : nos émotions sont à la traîne ; elles s'accrochent au passé bien après que notre vision rationnelle de la situation a évolué.
    Un chercheur, Joseph LeDoux (université de New York), a montré que l'apprentissage de la peur ne passait pas par le néocortex. Il a ainsi découvert que, lorsqu'un animal apprend à avoir peur de quelque chose, la trace se forme directement dans le cerveau émotionnel.
    Or depuis Pavlov, la psychothérapie comportementale est bien connue pour pouvoir induire l' « extinction » des réflexes conditionnés. (88)
    Mais tout n'est pas si simple : il s'avère que ce contrôle de la peur n'est en réalité que ça : un contrôle. Des chercheurs de LeDoux ont découvert que des rats, conditionnés à ne plus avoir peur, avaient encore peur après lésion du cortex préfrontal (cortex cognitif).  Cette recherche a démontré que le cerveau émotionnel ne « désapprend » jamais la peur ; les rats apprennent simplement à la contrôler grâce à leur néocortex. (89)
    En extrapolant ces résultats chez les humains, on comprend comment les cicatrices dans le cerveau émotionnel peuvent rester présentes pendant des années, prêtes à se réactiver. (90)
    En fait, les cicatrices émotionnelles du cerveau limbique semblent toujours prêtes à se manifester dès que la vigilance de notre cerveau cognitif et sa capacité de contrôle fléchissent, même temporairement. L'alcool, par exemple, empêche le cortex préfrontal de fonctionner normalement. C'est pour cette raison que nous nous sentons « désinhibés » dès que nous buvons un peu trop. Lorsque nous avons été meurtris par la vie, nous risquons, sous l'effet de l'alcool, d'interpréter une situation bénigne comme si nous étions agressés une fois de plus et de réagir violemment. Cela peut également se produire lorsque nous sommes simplement fatigués ou trop distraits par d'autres préoccupations pour garder le contrôle sur la peur imprimée dans notre cerveau limbique.  (91)
    

Les mouvements des yeux lors des rêves

    Les psychiatres savent que le simple fait de raconter le traumatisme encore et encore ne fait souvent qu'aggraver les symptômes. Il savent aussi que les médicaments non plus ne sont pas très efficaces. (92)
    Francine Shapiro, psychologue californienne, avait toutefois mis au point une méthode de traitement où l'on pouvait résoudre les traumatismes émotifs en bougeant rythmiquement les yeux, l'EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing » ie. désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). (93)
    Un cas présenté en vidéo par le docteur Shapiro captait l'attention. La thérapeute demandait au sujet d'évoquer ses souvenirs les plus douloureux tout en suivant sa main qui se déplaçait de droite à gauche devant ses yeux. Ceci induisait des mouvements oculaires rapides comparables à ceux des yeux pendant les rêves (REM sleep). Après quelques minutes, le visage du sujet se transformait d'un seul coup. Il dit : « C'est parti ! C'est dans le passé et il y a quelque chose d'autre remplace et qu'on regarde maintenant. Comment est-ce que j'ai pu me laisser affecter si longtemps par ça ? ». (94)
    Une étude menée sur le traitement par l'EMDR de quatre-vingts patients présentant des traumatismes émotionnels importants a été publiée. Dans celle-ci 80 % des patients ne montraient quasiment plus de symptômes d'ESPT après trois séances. Aucune étude de quelque traitement que ce soit en psychiatrie, y compris des médicaments les plus puissants, n'a fait état d'une telle efficacité en trois semaines. Lorsqu'on avait interviewé le même groupe de quatre-vingts patients quinze mois plus tard, les résultats étaient encore meilleurs que tout de suite après les trois séances. (96)
   

Un mécanisme d'autoguérison dans le cerveau

    L'idée de départ de l'EMDR, c'est qu'il existe en chacun de nous un mécanisme de digestion des traumatismes émotionnels, le « système adaptatif de traitement de l'information ».
    Le concept est assez simple : nous faisons tous l'expérience de traumatismes « avec un petit t ». Pourtant, nous ne développons, le plus souvent, de syndrome post-traumatique. Le système nerveux extrait l'information utile -- « la leçon » -- et se débarrasse en quelques jours des émotions, des pensées et de l'activation physiologique qui ne sont plus nécessaires une fois l'événement passé.
    Boris Cyrulnik a démontré comment l'adversité menait ainsi souvent à ce qu'il a appelé la « résilience ». (97)
    Selon la théorie de l'EMDR, au lieu d'être digérée, l'information concernant un traumatisme se voit bloquée dans le système nerveux, gravée dans sa forme initiale. Les images, les pensées, les sons, les odeurs, les émotions, les sensations corporelles et les convictions sont alors stockés dans un réseau de neurones qui mène sa propre vie. Ancré dans le cerveau émotionnel, déconnecté des connaissances rationnelles, ce réseau devient un paquet d'information non traitée et dysfonctionnelle que le moindre rappel du traumatisme initial suffit à réactiver. (99)

Les souvenirs du corps

    Un souvenir enregistré dans le cerveau peut être stimulé à partir de n'importe lequel de ses constituants. L'accès à un souvenir dans le cerveau se fait par analogie : n'importe quelle situation qui nous rappelle un aspect de quelque chose que nous avons vécu peut suffire pour évoquer le souvenir complet. On appelle cela « l'accès par le contenu » et « l'accès par les correspondances partielles ».
    Cela a des conséquences importantes pour les souvenirs traumatiques. À cause de ces propriétés, n'importe quelle image, n'importe quel son, odeur, émotion, pensée ou même sensation physique qui ressemble aux circonstances de l'événement traumatique peut déclencher le rappel de la totalité de l'expérience stockée de façon dysfonctionnelle. Souvent, l'accès aux souvenirs douloureux se fait par le corps.
    La force de l'EMDR tient en ce qu'elle évoque d'abord le souvenir traumatique avec toutes ses différentes composantes -- visuelle, émotionnelle, cognitive et physique (les sensations du corps) --, puis stimule le « système adaptatif de traitement de l'information », qui n'a pas réussi, jusque là, à digérer l'empreinte dysfonctionnelle. (100)
    Les mouvements oculaires comparables à ceux qui ont lieu spontanément pendant les  rêves sont censés apporter l'assistance nécessaire au système naturel de guérison du cerveau pour qu'il achève ce qu'il n'a pas pu faire sans aide extérieure.
    Pendant les mouvements oculaires, les patients donnent l'impression de faire spontanément de « l'association libre ». Comme dans les rêves, les patients traversent un vaste réseau de souvenirs reliés les uns aux autres par différentes bribes. Ils commencent souvent à se rappeler d'autres scènes reliées au même événement traumatique, soit parce qu'elles sont de même nature (par exemple, d'autres épisodes d'humiliation en public), soit parce qu'elles sollicitent les mêmes émotions (tel un même sentiment d'impuissance). Il leur arrive souvent d'éprouver de fortes émotions qui remontent rapidement à la surface même si elles avaient été ignorées jusque-là. Tout se passe comme si les mouvements oculaires -- de même qu'au cours des rêves -- facilitaient un accès rapide à tous les canaux d'association connectés au souvenir traumatique ciblé par le traitement. Au fur et à mesure que ces canaux sont activés, ils peuvent se connecter aux réseaux cognitifs qui, eux, contiennent l'information ancrée dans le présent. C'est grâce à cette connexion que la perspective de l'adulte, qui n'est plus aujourd'hui ni impuissant ni soumis aux dangers du passé, finit par prendre pied dans le cerveau émotionnel. Elle peut alors y remplacer l'empreinte neurologique de la peur ou du désespoir. Et lorsqu'elle est remplacée, elle l'est complètement, à tel point qu'on voit souvent une nouvelle personne émerger. (101)
   

6* L'EMDR en action
Les enfants de Kosovo

  Le travail du système adaptatif de traitement de l'information est encore plus rapide chez les enfants. Tout se passe comme si des structures cognitives plus simples et des canaux associatifs plus épars permettaient de brûler les étapes. (107)
    Deux enfants vivaient dans un état d'anxiété permanente. Ils dormaient très mal, mangeaient peu et refusaient de quitter leur maison.
    Le soir même après leur première séance d'EMDR, ils avaient dîné normalement et avaient ensuite dormi toute la nuit sans difficulté.
    Une semaine plus tard, quelque chose avait vraiment changé. Il souriaient. Ils riaient même, comme des enfants, alors qu'auparavant ils étaient abattus et tristes. Ils avaient aussi l'air bien plus reposés. (108)
    Depuis cette expérience au Kosovo, une des toutes premières études contrôlées sur le traitement de l'ESPT chez l'enfant a montré effectivement que l'EMDR est efficace dès le plus jeune âge. (109)

La bataille de l'EMDR

    Une des choses les plus curieuses dans l'histoire du développement de l'EMDR est la résistance que lui opposent la psychiatrie et la psychanalyse. Toutefois des études publiées ont conclu que l'EMDR était au moins aussi efficace que les meilleurs traitements existants, mais qu'elle semblait aussi être la méthode la mieux tolérée et la plus rapide.
    Pourtant, à ce jour, l'EMDR continue d'être décrite comme une méthode « controversée » dans la plupart des cercles universitaires américains, même si elle l'est moins en Hollande, en Allemagne, en Angleterre ou en Italie.
    Quand de grandes percées ont été accomplies avant qu'une théorie ne puisse les expliquer, elles ont systématiquement rencontré une résistance violente de la part des institution. Surtout si le traitement était « naturel » ou semblait « trop simple ». (110)

L'EMDR et le sommeil des rêves

    Le fait est que nous ne comprenons toujours pas comment l'EMDR produit ces résultats qui impressionnent ceux qui l'utilisent.
    Stickgold, en neurophysiologie sur le sommeil et les rêves (Harvard), a émis l'hypothèse que les mouvements des yeux ou d'autres formes de stimulation qui évoquent une orientation de l'attention jouent un rôle important dans la réorganisation des souvenirs dans le cerveau. La physiologie des rêves active et transforme les liens associatifs entre des souvenirs qui sont connectés les uns aux autres par des émotions.
Stickgold pense que des mécanismes similaires sont peut-être mis en jeu par la stimulation sensorielle en cours de l'EMDR. (112)
    D'autres chercheurs ont montré que les mouvements des yeux induisent aussi une « réponse de relaxation obligatoire » dès les premières séries, ce qui se traduit par une réduction immédiate de la fréquence cardiaque et une augmentation de la température corporelle. Cela laisse penser que la stimulation de l'EMDR renforce l'activité du système nerveux parasympathique, comme le fait la pratique de la cohérence cardiaque.
    La théorie de Stickgold expliquerait pourquoi il est possible d'obtenir des résultats en EMDR avec d'autre formes de stimulation de l'attention que les mouvements des yeux. En effet, le système auditif est lui aussi stimulé pendant le sommeil des rêves, et on observe également des contractions musculaires involontaires au niveau superficiel de la peau.
    Il est évident qu'il reste bien des choses à découvrir sur le système adaptatif de traitement de l'information et sur les différentes manières de l'aider à faire son travail de digestion. (113)


David Servan-Schreiber

Rêves lucides et créatifs


Le rêve est une manifestation psychique fugitive de l'inconscient survenant durant notre sommeil et dont nous gardons partiellement le souvenir au réveil. (Pierre Genève : La Science des Rêves, Euredif 1972)

 
On dit que Jérôme Cardan a trouvé la solution de l'équation du troisième degré en rêvant. Giuseppe Tartini aurait composé la "Sonate du Diable" en dormant. Et ce fut lors d'un songe que Jean de La Fontaine imagina la fable des "Deux pigeons".

 
Des inventeurs, et non des moindres, des hommes de science prestigieux ont avoué avoir puisé leur inspiration créatrice dans leur sommeil, au cours d'un rêve.

 
Paul Ehrlich : la structure des cellules; Elias Howe: La machine à coudre; Mendeleïev: sa table de classification des éléments; Von Stradonitz : le Benzol; Otto Loewi, prix Nobel de physiologie, avoua qu'il avait découvert le secret de la transmission chimique de l'influx nerveux en rêve comme Niels Bohr la structure de l'atome, etc.

 
«Que penser de ces récits de songes créateurs qui tendent à accréditer l'idée d'une intelligence - sinon d'un génie - onirique?» se demande Nicolas Witkowski.

 
Guérisons, Inventions, Exploits sportifs grâce au Rêve

Au cours de son enquête sur les opérations cardiaques en vue de la publication de son livre Les Possédés du Cœur, le Dr Antoine Beneroso, rencontra le professeur Christian Barnard, auteur de la première greffe du cœur.

Lors de cette interwiew, le célèbre chirurgien lui confia comment, au cours du mois précédant sa première opération, il assista plusieurs fois en rêve, de bout en bout, avec une très grande précision, à sa prochaine intervention.

Chaque difficulté, chaque instant de découragement, le moindre incident de parcours, une hémorragie imprévue même lui étaient apparus en songe, et Barnard avoua à son confrère que le jour J, il avait opéré son patient en véritable état second, comme si sa main était guidée d'en haut...»

Beneroso ajoute : «Barnard étant alors un jeune chirurgien inconnu, Sud-africain de surcroît, méchamment critiqué par des pontifes jaloux de son exploit, il n'osa aggraver son cas en confiant cette anecdote à la presse.»

 
(Pierre Genève entretien avec le Dr Antoine Beneroso - 1993).

 
Pouvoir créateur des Rêves
Le Rêve de Descartes

Tout potache se souvient de ce fameux troisième rêve, fait le 10 novembre 1619 que raconta Descartes (à la troisième personne) : «Ce qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que doutant si ce qu'il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation avant que le sommeil le quittât.» De ce rêve résulta le fameux Je pense donc je suis qui aurait pu être avantageusement remplacé par Je rêve donc je crée."

 
Les rêves de Carl Friedrich Burdach
(1776-1847)

Carl Friedrich Burdach, neuro-physiologiste allemand Burdach travaillait à la rédaction de son célèbre traité sur le cerveau, lorsque, dans la nuit du 17 mai 1818, il rêva d'un «plexus céphalique de la cinquième paire de nerfs cérébraux» qui l'intrigua beaucoup. Le 11 octobre suivant, un nouveau songe lui indiqua que la «forme de la "Voûte à trois piliers" était déterminée par celle de la Voûte radiante». Il raconte: «Tout joyeux de la vive lumière que ces rêves me semblaient répandre sur une grande masse de phénomènes vitaux, je m'éveillai, mais aussitôt tout rentra dans l'ombre, parce que ces vues étaient trop en dehors de mes préoccupations et de mes recherches du moment. Pourtant, un peu plus tard, le souvenir de ces deux songes resté assez précis dans ma mémoire, me subjuguèrent littéralement, car ils apportaient à pic la réponse à un problème que je ne parvenais pas à résoudre.»

 

Source : Traité de Physiologie, Burdach

 
Otto Loewi
(1873-1961)

Allan Hobson, psychiatre américain, rapporte une curieuse découverte du prix Nobel de physiologie Otto Loewi: "Au moment même où Freud promulguait sa théorie du rêve, Otto Loewi se débattait depuis des mois à essayer de comprendre un problème qu'il ne parvenait pas à résoudre : pourquoi la stimulation électrique d'un nerf (le nerf vague) avait pour effet de ralentir le coeur [ .... ] Après s'être colleté quelque temps avec son problème expérimental, Loewi se réveille un jour ayant rêvé qu'il avait trouvé la solution. Mais impossible de se rappeler le rêve!"

"La nuit suivante, il va au lit avec la ferme intention de rêver de nouveau à cette expérience cruciale." Et cela marche!

Au réveil, Loewi prépare deux grenouilles, prélève le sang de l'une, dont il a ralenti les battements cardiaques, et l'injecte dans le coeur de l'autre... qui ralentit aussitôt. Loewi vient de découvrir les curieux effets de l'acétylcholine.

 
Témoignage
Le Pouvoir du Rêve

Ann Faraday relate dans Dream Power, le cas d'un gynécologue qui découvre lors d'un rêve comment faire de la main gauche une ligature chirurgicale au fond du pubis.

Soucieux de réussir l'opération délicate qu'il devra assumer le lendemain matin, le Dr John Foster Harrimann voit son sommeil perturbé par un rêve obsédant au cours duquel il découvre avec une grande précision le déroulement de l'intervention chirurgicale prévue.

A un moment donné, comme le film se déroule pour la troisième fois, il constate avec angoisse, qu'il ne parviendra pas à réaliser correctement de la main gauche la ligature chirurgicale nécessitée par l'emplacement du champ opératoire.

Or le Dr Harrimann est gaucher!

Soudain, toujours dans son rêve, il découvre le truc tout bête qui lui permettra d'effectuer sans problème sa ligature.
La sensation de joie qu'il éprouve à ce moment donné le réveille.

Dans la matinée l'opération se passe parfaitement bien, comme dans le rêve du praticien.

(Ann Faraday : Dream Power)

 
Le Rêve du Dr William Dement

En 1975, le Dr William Dement prévoyait qu'un jour notre connaissance du sommeil REM aurait suffisamment progressé pour que nous puissions l'utiliser couramment à des fins thérapeutiques. Pour nous convaincre de cette fantastique possibilité, Dement rapporte ce témoignage:

«Voici quelques années je fumais énormément - plus de deux paquets par jour.

Puis une nuit, je fis un rêve exceptionnellement réaliste et précis, dans lequel j'étais atteint d'un cancer du poumon inopérable. Je me revois comme si c'était hier découvrant l'ombre sinistre sur les radios de ma poitrine, et comprenant que tout le poumon droit était affecté.

L'examen physique à la suite duquel un de mes collègues détectait des métastases jusque dans ma zone axillaire et mes ganglions lymphatiques inguinaux était aussi très net.

Je ressentis l'affreuse angoisse de savoir que ma vie tirait à sa fin, que je ne verrais jamais grandir mes enfants, et que rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais abandonné la cigarette la première fois où j'avais entendu parler de son pouvoir cancérigène.

Jamais je n'oublierai la divine surprise, la joie stupéfiante et le soulagement merveilleux que j'éprouvai à mon réveil quand je me rendis compte que tout cela n'avait été qu'un mauvais rêve. Je me sentais ressuscité. Il va sans dire que l'expérience suffit à me faire abandonner le tabac. Ce rêve avait à la fois anticipé un avenir possible sinon probable tout en résolvant le problème d'une manière radicale.

Ce rêve qui me révélait une alternative future épouvantable comme si elle était réelle me convainquit en même temps par son réalisme d'agir immédiatement pour y échapper.

Rares sont ceux qui auraient continué à fumer après un tel rêve!

Dement ajoutait :

Combien de victimes du cancer des poumons auraient pu être sauvées par une anticipation en rêve des conséquences probables de leur attachement à la nicotine ? Mais aussi, combien de fumeurs feraient un tel rêve s'ils avaient le choix ? Combien d'entre nous ont-ils le courage d'affronter les possibilités du futur ?

(D'après Stephen LaBerge : Le Rêve Lucide - Oniros 1991)

 
Mais les plus spectaculaires guérisons réalisées grâce à un diagnostic obtenu au cours de séances de rêves lucides, furent celles attribuées à l'Américain Edgar Cayce dont nous parlons plus loin dans ce Numéro.

 
LE RÊVE LUCIDE

Nombre sont les génies et les auteurs célèbres du passé, qui relatèrent dans leurs souvenirs ou leurs mémoires des exemples où des rêves ont apporté durant leur sommeil la solution d'un problème qui les tracassait. De grands artistes, d'éminents savants, des sportifs de haut niveau, ont ainsi apporté un témoignage précieux illustrant le rôle joué par les rêves dans le processus d'invention et de création.

 

  Mendeleiev :
La table de classification des éléments chimiques

Le chimiste russe Dimitri Mendeleiev (1834-1907) avait travaillé pendant des années à la mise au point de la méthode de classification des éléments selon leur poids atomique qui porte aujourd'hui son nom.

Une nuit de 1869, il se jeta sur son lit, après avoir consacré de longues heures à ce problème et s'endormit totalement épuisé.

Dans son sommeil, Mendeleiev vit en rêve une table sur laquelle tous les éléments se mettaient à leur place de la manière requise.

A son réveil, avant que la vision ne se soit dissipée, il nota fébrilement le tableau qu'il avait vu en songe.

Selon Kedrov, son biographe, Mendeleiev affirma que ce fut de cette manière qu'il inventa sa fameuse table des éléments, découverte fondamentale de la physique moderne, et «qu'une seule correction lui avait paru nécessaire avant sa publication».

 
Elias Howe:
La machine à coudre

Prenons un autre exemple de rêve créatif. L'Américain Elias Howe (1819-1867) était un ouvrier lorsqu'il réinventa après le Français Thimmonnier, une machine à coudre qu'il fit breveter.

Cet homme simple avait travaillé des années durant sur cette idée avant de parvenir au succès.

Lors de ses nombreuses tentatives infructueuses, Howe fabriquait pour sa machine des aiguilles avec un chas au milieu de la tige. Obsédé nuit et jour par cette invention, son cerveau travaillait jusque dans son sommeil.

Une nuit, raconte-t-il, il rêva qu'il avait été capturé dans la brousse africaine par une tribu de sauvages qui l'amenèrent prisonnier devant leur roi.

- Elias Howe, rugit le monarque, je vous ordonne de terminer cette machine immédiatement, sous peine de mort.

Dans son cauchemar, son front se couvrit d'une sueur froide, ses mains tremblèrent de peur, il se mit à claquer des dents, ses genoux s'entrechoquèrent. Quoi qu'il tentât, le dormeur ne pouvait trouver la clef du problème sur lequel il travaillait depuis si longtemps.

Au cours du songe, tout lui semblait si vrai qu'il se mit à pousser de grands cris. Sa vision se peupla de guerriers nus, à la peau sombre et au visage féroce, peints de couleurs vives, qui l'escortaient jusqu'au lieu de son exécution.

Soudain, il remarqua, à la pointe des lances que portaient ses gardes, des trous en forme d'œil. Il venait de trouver le truc, le secret recherché. Ce dont il avait besoin pour le fonctionnement de sa machine, c'était d'une aiguille avec un chas près de la pointe!

Lorsqu'il s'éveilla, il bondit hors de son lit et réalisa aussitôt le dessin de l'aiguille avec le chas entrevu dans son rêve, grâce auquel il put mener à bien le prototype de sa machine à coudre.

(D'après W. Kaempffert A popular history of american Invention).

Les expériences de Howe et de Mendeleiev illustrent excellemment la manière dont semble fonctionner la résolution créative des problèmes au cours de notre sommeil.

 
Les quatre phases de la création

Ce processus se divise en quatre phases: la phase de préparation qui correspond à la quête d'information, à la mise au point du plan de travail.

 
Suit la phase des tâtonnements préliminaires au cours de laquelle diverses approches sont explorées, le plus souvent infructueuses.

 
La phase de l'incubation, s'ouvre quand le chercheur ou le créateur fatigués renoncent par découragement à tenter de résoudre activement le problème.

 
Howe et Mendeleiev étaient manifestement entrés dans cette phase lorsqu'ils se sont endormis en oubliant leur obsession.

 
Puis vient la phase de l'illumination, où la solution surgit spontanément dans leur rêve, apportant la solution instantanée du problème.

 
L'illumination est aussi la phase du processus créatif sur laquelle nous avons le moins de contrôle.

 
Apprentissage du rêve lucide

Stephen LaBerge estime que l'apprentissage du rêve lucide pourrait fournir ce contrôle dès lors que nous disposons dans nos rêves d'un fond de connaissances beaucoup plus vaste que celui que nous possédons à l'état de veille. Ce que Jung appelle notre inconscient collectif.

Il faciliterait à chacun de nous la résolution créative des problèmes nous permettant d'accéder à la phase de l'illumination.

Jusqu'à présent nous n'avions aucun moyen de savoir quand, ou même si, un rêve créatif surviendrait. Grâce au rêve lucide, affirme LaBerge, l'extraordinaire créativité onirique, incertaine jusqu'ici, passerait enfin sous le contrôle de notre conscience.

Il nous donne quelques exemples de cette troublante possibilité.

 
Le rêve du golfeur Jack Nicklaus

Le joueur de golf Jack Nicklaus raconte comment il vit en rêve la solution pour améliorer la performance de son swing qui lui posait problème jusque là.

Après avoir remporté un certain nombre de tournois, il avait connu un long passage à vide; avant de retrouver du jour au lendemain la forme olympique.

«J'avais tout tenté pour découvrir ce qui n'allait pas et j'en étais arrivé au point de considérer un score de 76 comme plutôt bon.

Mais, une nuit, j'ai fait un rêve gratifiant relatif à mon swing. Je jouais plutôt bien, frappais la balle à la perfection, lorsque soudain, je me rendis compte qu'en fait je ne tenais pas mon club comme je le tenais en réalité ces temps derniers.

Alors que je peinais à faire descendre mon bras droit le coude serré contre mon corps, j'y réussissais parfaitement dans mon rêve.

Aussi, hier matin, en arrivant sur le terrain ai-je essayé de tenir mon club comme dans mon rêve, et ça a marché du premier coup.

J'ai réalisé d'emblée un score de 68, puis de 65 aujourd'hui, ce qui représente un net progrès sur le passé. Aussi, même si cela devrait paraître difficile à l'avouer, je sais que je dois cette progression à mon rêve. Je n'ai rien eu de plus à faire que de modifier un peu mon grip.

 
(Dr William Dement : Some Must Watch While Some Must Sleep).

L'aveu de Nicklaus, qui trouve stupide d'admettre que c'est grâce à son rêve qu'il a progressé, laisserait entendre que d'autres personnes ont vécu des expériences similaires sans jamais mentionner leur source d'inspiration.

 
Patinage et Hockey sur glace

Dans une lettre à Stephen LaBerge, une rêveuse affirme avoir amélioré, grâce à un rêve lucide, sa manière de patiner en hockey sur glace.

Tanya Vissevskaïa raconte qu'elle était une patineuse honnête, mais quelque chose en elle lui disait qu'elle végétait, qu'il lui restait beaucoup à améliorer dans sa technique du patinage. Et puis une nuit, en rêve lucide, elle fit l'expérience du «patinage accompli».

«Dans mon rêve, je me trouvais avec mon équipe. Nous disputions une partie de hockey et je patinais comme je l'avais toujours fait, de manière efficace mais hésitante.

C'est alors que je pris conscience que j'étais en train de rêver et, dans cet état de demi sommeil, j'enjoignis à ma volonté de prendre les rênes de ma conscience et me voilà soudain détendue, folle de joie et parfaitement sûre de moi, patinant à la perfection.

Je n'éprouvais plus ni peur ni hésitation; je patinais comme une pro et me sentais aussi libre qu'un oiseau. A mon réveil, j'avais un moral formidable et je me sentais pousser des ailes.»

»Quand je suis retournée à la patinoire, j'ai décidé d'essayer cette technique du lâcher prise. J'ai retrouvé à l'état de veille la qualité de l'expérience onirique.

Me souvenant de la manière dont je m'étais sentie durant mon rêve et je me suis glissée comme une actrice dans son rôle, dans celui de patineuse accomplie. Je me suis lancée alors sur la glace... et mes pieds ont suivi mon cœur.

J'étais libre et légère. Heureuse. Cela se passait il y a environ deux ans et demi. Depuis ce jour, j'ai toujours patiné avec cette même sensation de légèreté, de liberté, d'élégance, et le même phénomène s'est reproduit spontanément pour le patin à roulette et le ski.».

(Stephen LaBerge : Le Rêve Lucide - Oniros 1991)

 
LE RÊVE DANS LA CRÉATION LITTÉRAIRE
 Les faisans de Gœthe

Gœthe, tout enfant déjà, était un grand rêveur. Même plus tard, lorsqu'il aimait à faire figure de réaliste, il racontait à ses amis le rêve symbolique des faisans qu'il eut à un tournant de sa vie et qu'il décrit dans son Voyage en Italie.

Pour en saisir la symbolique et mieux le comprendre, il faut savoir que Gœthe, à l'époque, avait trente-six ans et traversait une crise.

Il désirait fuir la monotone vie bourgeoise qu'il menait à Weimar et d'aller puiser en Italie un renouveau d'inspiration poétique.

Mais laissons-lui la parole:

« Je me trouvais dans un canot qui abordait une île verdoyante, célèbre pour ses admirables faisans. Je m'entendis avec les indigènes qui m'apportèrent quelques dépouilles de ces oiseaux splendides que mon rêve avait idéalisés.

Ils avaient de longues queues chatoyantes, pareilles à celles du paon ou de l'oiseau de paradis.

Les bêtes furent amoncelées dans le canot, les têtes à l'intérieur de l'embarcation. Leurs queues pendaient dans l'eau et scintillaient de mille feux sous les rayons du soleil.

Les oiseaux étaient si nombreux que les rameurs eurent peine à reprendre leur place. C'est ainsi que nous franchîmes les flots et regagnâmes la terre ferme.

Je me réjouissais déjà à l'idée de distribuer les splendides animaux en cadeau à mes amis. Finalement, je me retrouvai dans un vaste port où je me perdis entre les nombreux voiliers pour retrouver l'emplacement réservé à mon canot.»

Un an plus tard, au cours de son voyage en Italie, Gœthe se souvient de son beau rêve de 1785. Les beaux oiseaux entrevus en songe sont pour lui l'image de l'inspiration poétique qu'il était aller chercher en Italie.

Il écrit dans son journal: « Le rêve des faisans commence à se réaliser. Mon inspiration renouvelée est comparable au plumage étincelant de ces oiseaux de rêve et j'en prévois le fécond développement. » Avant d'arriver à Rome, il note: «Je ne souhaite plus rien que d'atterrir au port, dans mon canot plein de faisans, de retrouver mes amis bien portants et pleins de bonne volonté.»

Iphigénie, le Tasse et de nombreux ouvrages que Gœthe écrivit en Italie furent la «cargaison» du canot de faisans. Gœthe, si sensible à tous les secrets de la nature, avait compris le sens symbolique de son rêve. Il lui annonçait une abondante moisson d'impressions poétiques et un renouveau artistique qui se manifesta de 1786 à 1788. Ce fut un Gœthe rajeuni qui revint à Weimar.

 
Samuel Taylor Coleridge
 (1772-1834)

Le poète anglais Samuel Taylor Coleridge raconte qu'un jour il s'endormit à sa table de travail pendant une heure et que plusieurs centaines de vers de son poème Koubla Khan lui apparurent distinctement en rêve.

A son réveil, il saisit une plume, de l'encre et du papier et entreprit la transcription des vers dont il se souvenait avec précision. Mais, au bout d'un quart d'heure il fut interrompu par un visiteur importun et, quand il retourna à son travail, il ne lui resta en mémoire que huit à dix vers épars. "Tout le reste s'était évanoui comme les images à la surface d'une rivière où l'on a jeté une pierre."

 
Heinrich Brugsch-Pacha
 Écriture démotique

L'Égypte antique connut trois sortes d'écriture: hiéroglyphique, hiératique et démotique. La première fut déchiffrée par Champollion.

La seconde, simplification de la première, fut élucidée au XIXe siècle, mais la troisième écriture, l'écriture démotique, modification de la seconde, plus concise, fut la plus difficile à traduire. L'égyptologue Heinrich Brugsch-Pacha y consacra sa vie. Dans son livre Ma vie et mes voyages il parle de ses travaux et se souvient:

«Ce travail me passionnait. Chaque découverte que je faisais me plongeait dans une joie profonde. Mes recherches étaient facilitées par l'immense documentation que j'avais rassemblée au cours de mes nombreux voyages. Je vivais dans un perpétuel enchantement qui influait sur mon système nerveux et provoquait les visions les plus extraordinaires.

L'une d'elles, particulièrement étrange, se reproduisit plusieurs fois. C'est pourquoi je tiens à la décrire.

Je passais des nuits entières devant une inscription pour tâcher d'en fixer la prononciation, pour trouver la signification grammaticale d'un signe ou d'un groupe de mots. Éreinté, je m'allongeai un soir sur le lit qui se trouvait dans mon cabinet de travail et m'endormis profondément.

Je continuai alors mes recherches en rêve et trouvai subitement la solution tant cherchée. Je sautai à bas de mon lit et l'écrivis sur une feuille de papier, puis me recouchai pour dormir jusqu'au matin.

«Je fus fort étonné, en m'éveillant, de trouver devant moi un papier sur lequel était clairement notée la solution de l'énigme.

Je me rappelais bien le rêve, mais me demandai en vain comment j'avais pu écrire des phrases entières, parfaitement lisibles, dans la plus complète obscurité. »

 
Solutions de problèmes pratiques durant notre sommeil

Parfois, les problèmes que nous nous posons durant la journée et que nous ne parvenons pas à résoudre en état de veille trouvent leur solution pendant notre sommeil, en état de rêve!

Certains chercheurs ont constaté que l'interruption d'un travail intellectuel provoque souvent, au cours du sommeil, des images qui aident le dormeur à trouver la solution de problèmes ardus.

Malheureusement, on ne se rappelle pas au réveil ce qu'on a rêvé durant la nuit. L'atmosphère du rêve frappe plus la mémoire que les faits du rêve proprement dit.

Celui qui se rappellerait ces faits dans tous leurs détails pourrait en tirer un immense profit. L'exemple suivant, rapporté par Moufang et Stevens, en fait foi.

L'anecdote, soigneusement vérifiée, fut publiée par F.W.H. Myers, dans son livre, La Personnalité humaine.

Un homme, particulièrement tracassé par une erreur de comptabilité qu'il ne parvenait pas à trouver, finit par lassitude à abandonner ses recherches.

Il savait néanmoins que l'erreur devait se cacher dans les comptes du dernier mois de septembre.

Il avait cessé d'y penser depuis quelque temps lorsque, au cours d'une nuit de décembre, il découvrit tout naturellement en rêve l'erreur tant cherchée, due à une transcription erronée. Tout en dormant, l'homme prit machinalement une feuille de papier et un crayon et nota l'erreur pour pouvoir tranquillement la rectifier plus tard. Puis son rêve s'évanouit brusquement.

En se réveillant, il avait complètement oublié son rêve et très occupé par son travail, il ne pensa plus du tout à ce problème.

L'après midi, il rentra chez lui, se déshabilla et se rasa. Voulant nettoyer son rasoir, il prit un bout de papier qui traînait sur la table. Quel ne fut pas son étonnement d'y lire la note écrite la nuit précédente durant son sommeil.

A ce moment précis, son rêve lui revint en mémoire.

«L'effet produit fut si grand, écrit-il, que je retournai immédiatement à mon bureau et parcourus le registre de caisse. Je découvris que j'avais trouvé en dormant l'erreur vainement cherchée.»

Il déclara plus tard: «Je ne me rappelle plus du tout où j'ai trouvé le papier et le crayon pour écrire la note que j'avais certainement rédigée en pleine obscurité. Le crayon n'était pas celui que je porte habituellement sur moi. »

Le côté extraordinaire de l'histoire fut que le comptable dut se lever pendant son sommeil, pour trouver du papier et un crayon malgré l'obscurité, afin de noter où se trouvait l'erreur.

 
Paul Ehrlich (1834-1915)

Le chimiste allemand Justus von Liebig, assistant de Paul Ehrlich, prix Nobel de médecine en 1908, et qui travailla longtemps avec le grand savant allemand, raconte que son maître lui avait avoué un jour devoir en partie une de ses grandes découvertes, celle de la théorie des cellules, à une vision vécue dans son sommeil.

Après avoir longtemps travaillé sur le problème de la cellule et de sa protection, Ehrlich fit une nuit un rêve étrange au cours duquel lui apparut l'image qui concrétisa la solution du problème cherché.

Étudiant avec le japonais Hata, sans grand résultat jusque là, les anticorps secrétés par l'organisme capables de le protéger contre les affections microbiennes, ce fut également en songe qu'il imagina la combinaison des arsénobenzènes capables de vaincre la syphilis.

 
Niels Bohr (1885-1962)

Niels Bohr, le savant connu pour la théorie atomique, qui porte son nom, eut, lui aussi, un rêve étrange, alors qu'il était encore étudiant.

Il cherchait, depuis quelque temps la solution d'un problème de physique théorique, lorsqu'il s'endormit et se vit soudain transporté en rêve sur un Soleil de gaz brûlant, d'où il pouvait observer la Terre.

Des planètes passaient rapidement devant le Soleil. Reliées à celui-ci par de minces filaments elles tournaient à toute vitesse autour de lui.

Soudain, le corps gazeux sur lequel il croyait se trouver se solidifia tandis que le Soleil et les planètes se réduisirent comme une peau de chagrin. Les planètes se mirent à tourner de plus en plus vite autour du Soleil atteignant une vitesse prodigieuse.

C'est ainsi que, selon le célèbre savant, fut imaginée en rêve sa théorie de la structure de l'atome qui en révolutionna les conceptions classiques.

 
Karl Duisburg (1889-?)

Un autre savant, chimiste de formation, Karl Duisburg, attaché aux laboratoires de la célèbre firme Bayer, fut l'inventeur d'un grand nombre de matières colorantes et de combinaisons chimiques.

Il eut lui aussi, une nuit, selon Wilhelm Moufang et William O. Stevens un rêve très significatif. Il se voyait en train de réaliser selon un processus nouveau et une formulation très précise, une matière colorante bleue, très originale et très belle, lorsqu'un ami le réveilla à l'improviste.

L'image de son rêve s'estompa lentement mais il eut le temps de noter les ingrédients et d'écrire la formule.

Dès le lendemain, sans hésitation, se référant au processus imaginé dans son rêve, il commença une série d'expériences précises couronnées de succès, élaborant les solutions chimiques entrevues durant son sommeil.

C'est ainsi que Karl Duisburg découvrit une nouvelle matière colorante dont l'exploitation rapporta des millions de marks à sa firme et lui valut la célébrité. (Le Mystère des Rêves - Encyclopédie Planète)

 
Auguste Kekulé von Stradonitz
(1829-1896)

La contribution à la science du chimiste Auguste Kekulé von Stradonitz, élève de Liebig, fut immense.

Ce fut pendant un rêve qu'il fit une découverte capitale. Il raconta lui-même cette anecdote dans un discours prononcé à l'occasion du jubilé de sa découverte de la théorie du benzol.

« Lors d'un séjour prolongé que je fis à Londres, je passai plusieurs soirées à Islington, chez un ami, nous entretenant généralement de problèmes de chimie.

»Un soir d'été que je somnolais sur l'impériale de l'omnibus qui me ramenait chez moi, je vis défiler devant mes yeux une surprenante combinaison d'atomes.

J'avais souvent imaginé des atomes en mouvement, mais je n'étais jamais parvenu à définir exactement ce mouvement.

»Le soir en question, je vis nettement comment, de toutes parts, les atomes s'unissaient en couples qui s'assemblaient en groupes plus importants, eux-mêmes attirés par des formations plus puissantes encore, et tous ces corpuscules tourbillonnaient très distinctement devant moi en une sarabande effrénée.

»De retour chez moi, je passai une partie de la nuit à transcrire très exactement la vision de mon rêve. La théorie de la structure atomique était trouvée.

 
Benzol

»Il en fut de même pour la théorie du benzol. Pendant mon séjour à Gand, j'habitais dans la rue principale.

»Mon cabinet de travail, donnant sur une impasse, était sombre. C'est là qu'un jour, au cours d'une somnolence, je vis de nouveau les atomes jongler devant mes yeux.

»Mais cette fois, les petits groupes se tenaient discrètement à l'écart. Habitué à de telles images, mon cerveau distingua alors des groupes plus importants de formations variées.

»De longues rangées étroitement combinées tournoyaient progressant par des reptations lentes. Je vis bientôt l'un des serpents saisir sa propre queue et cette création se mit à tournoyer devant mes yeux.

»Je fus réveillé comme par un éclair. Cette fois encore, je passai le restant de la nuit à étudier les conséquences de l'image du rêve. »

 
Le domaine du rêve contient une grande partie de notre vie spirituelle en germe, que peuvent développer de rares esprits doués et ouverts à la nouveauté.

Ceux-ci se servent de l'idée mystérieuse et la transforment en action vivante. Pour Kekulé von Stradonitz, le rêve se présente lorsque le savant somnole, d'abord sur l'impériale de l'omnibus, ensuite dans la pénombre de son cabinet de travail.

Ces rêves appartiennent probablement à la catégorie de « rêves entre la veille et le sommeil ». Ce sont des rêves perçus à l'état de somnolence.

Les expériences de Kekulé von Stradonitz s'apparentent à la transe et si elles ressemblent à la somnolence par la légèreté du sommeil comportemental elles s'apparentent aussi à l'éveil d'au-delà le rêve, à l'illumination mentale.

 
Nicolas Witkowski raconte la même histoire à sa façon:

 
«Je tournai ma chaise vers le feu et tombai dans un demi-sommeil. De nouveau, les atomes s'agitèrent devant mes yeux [...] De longues chaînes, souvent associées de façon plus serrée, étaient toutes en mouvement, s'entrelaçant et se tortillant comme des serpents. Mais attention, qu'était-ce que cela ? Un des serpents avait saisi sa propre queue, et cette forme tournoyait de façon ironique devant mes yeux. Je m'éveillai en un éclair [...]»

August Kekulé von Stradonitz, fondateur de la chimie du carbone, ou chimie organique, était non seulement un grand rêveur, mais aussi un récidiviste. Déjà, en 1858, la structure des molécules organiques lui était venue en rêvassant. En 1865, c'est en somnolant devant un feu qu'il "voit" la structure molécuaire cyclique, du benzène telle une chaîne d'atomes de carbone se refermant sur elle-même, "comme un serpent se mordant la queue ". Il en déduisit la structure de la molécule de benzène six atomes de carbone disposés en cercle.

«On comprend mal, nous dit Nicolas Witkowski, que les universités allemandes n'aient pas aussitôt institué des cours obligatoires de sieste créative - avec travaux pratiques puisque apparemment la découverte onirique réclame un certain entraînement.»

Kekulé s'est cependant bien gardé de parler de son rêve au moment de sa découverte. Il ne l'a fait que trente-cinq ans plus tard, lors d'un banquet donné en son honneur. Sage précaution. Sans cela, sa glorieuse carrière aurait très certainement pris une toute autre direction...

«Apprenons à rêver concluait-il, mais gardons-nous de rendre publics nos rêves avant qu'ils n'aient été mis à l'épreuve par notre esprit bien éveillé.»

 
SOURCES :
Le Mystère des Rêves
de Wilhelm Moufang et William O. Stevens
in Encyclopédie Planète
sous la direction de Louis Pauwels).
 
Nicolas Witkowski
directeur de la collection Points Sciences au Seuil

Rêve et autisme

Le rêve peut nous informer sur l’état de la santé mentale


Le nombre de rêves rapportés par les autistes est moins élevé et certaines émotions sont moins fréquentes.
On a tous déjà fait l’expérience d’un mauvais rêve provoqué par un malaise physique ou par des problèmes de digestion. De la même façon qu’il reflète un état physiologique, le rêve peut aussi être révélateur de l’état de la santé mentale.
Selon Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie et chercheur au Laboratoire du sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies, le sommeil paradoxal, qui occupe de 20 à 25 % de nos nuits et pendant lequel se font la plupart des rêves, a d’abord pour fonction de nous faire mémoriser les expériences et les apprentissages diurnes.
Rejouer nos expériences
«Ce qu’on apprend pendant l’état de veille est enregistré sous forme de molécules dans la mémoire à court terme puis “rejoué” de façon synthétique durant le sommeil paradoxal pour que l’essentiel soit stocké dans la mémoire à long terme, explique-t-il. Pour employer un langage informatique, le vécu de la journée est compressé afin d’être emmagasiné et il est décompressé au besoin.» C’est cet exercice de stockage qui mettrait en place les conditions physiologiques permettant la manifestation des rêves.
À l’appui de cette hypothèse, des expériences effectuées avec des rats ont montré que le cerveau de l’animal reproduisait, durant son sommeil paradoxal, des tests de labyrinthe auxquels il avait été soumis. «Cela était observable par la décharge des mêmes neurones que celles activées au cours de l’expérience, mentionne le professeur. Même si nous n’en sommes pas conscients, les régions responsables de la mémoire et des émotions sont actives pendant le sommeil.»
Si c’est là une propriété du rêve, pourquoi observe-t-on si peu de liens entre notre vécu quotidien et le contenu de nos rêves? Il faut d’abord savoir que plusieurs réseaux cérébraux demeurent actifs lorsque nous dormons; la respiration, les battements cardiaques, les centres de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du toucher fonctionnent de façon autonome durant le sommeil paradoxal, indépendamment des stimulus externes.
«Le cerveau reçoit ainsi des pseudosensations autogénérées et cherche à établir des liens avec nos souvenirs. Le contenu du rêve est organisé et reconnaissable, mais le cortex frontal, responsable du raisonnement et du jugement, ne fonctionne pas. Le contenu des rêves est donc parfois bizarre, mais le rêveur ne s’en étonne pas.»
Roger Godbout
Roger Godbout
Les autistes rêvent moins
Cette façon étrange qu’a le cerveau d’agencer les rêves peut nous en apprendre sur la santé mentale d’un individu. C’est notamment le cas avec l’autisme; les travaux du professeur Godbout, menés en collaboration avec le Dr Laurent Mottron, ont en effet mis au jour plusieurs corrélations entre les rêves et les signes cliniques de cette maladie.
«Dans l’ensemble de la population par exemple, 80 % des rêves sont liés à des émotions négatives. Mais, chez les autistes, seulement la moitié des rêves présente cette caractéristique. Les enfants commencent habituellement à rapporter des rêves vers deux ans, mais l’autiste ne le fera pas avant trois, quatre ou même cinq ans.»
Chez les adultes, le nombre de rêves rapportés par les autistes est également moins élevé et les émotions telles la gêne, la confusion, la colère et l’excitation sexuelle sont moins fréquentes et moins intenses. De plus, le nombre moyen de mots utilisés pour décrire un rêve enregistré en laboratoire est d’environ 200 chez des sujets témoins alors qu’il est inférieur à 100 chez un autiste.
«La capacité d’évoquer des émotions et de les mettre en mots est corrélée de façon proportionnelle avec l’intensité de l’activité électrique du cortex visuel au cours du sommeil paradoxal, affirme Roger Godbout. Nous pensons que la perception des autistes procède par éléments parcellaires plutôt que par globalisation et qu’ils éprouvent plus de difficulté à rassembler les composantes d’un rêve en un tout. Cela expliquerait pourquoi ils ne rapportent pas de rêves épiques et pourquoi leurs récits sont moins poussés.»
Qualité du sommeil
La qualité du sommeil est également révélatrice du fonctionnement cérébral des personnes autistes: la phase d’endormissement est plus longue, les réveils sont plus fréquents et les différentes phases du sommeil présentent, à l’électro-encéphalogramme (EEG), un profil atypique par rapport à celui des non-autistes.
«Moins il y a de sommeil, plus les signes cliniques comme l’anxiété et les problèmes de communication sociale sont importants», indique le professeur Godbout.
Mais, à son avis, il n’y aurait pas de lien de cause à effet entre ces deux aspects. «Nous croyons que la corrélation s’expliquerait par un substrat commun au sommeil et à l’autisme plutôt que par un lien causal, précise-t-il. Un mécanisme neurologique ne fonctionne pas bien et cela a des répercussions à la fois sur la santé mentale et sur le sommeil.»
Dans d’autres maladies toutefois, un lien causal semble exister entre le manque de sommeil et l’aggravation des symptômes, notamment pour les troubles anxieux et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité.
«L’EEG des personnes anxieuses ou hyperactives montre qu’elles ont un sommeil instable caractérisé par des mouvements moteurs et respiratoires brusques. Dans leur cas, il est possible que l’amélioration du sommeil diminue la gravité des symptômes et, inversement, que l’atténuation du trouble améliore le sommeil. C’est la même chose pour la plupart des maladies; le manque de sommeil retarde la guérison», souligne le chercheur.
Aux yeux du professeur, ces travaux illustrent que l’étude du sommeil et du rêve peut compléter le portrait clinique d’un problème de santé mentale et que les comparaisons entre l’état de veille et le sommeil chez ces personnes, comme chez les personnes saines, nous éclairent sur le fonctionnement du cerveau.
Daniel Baril

Rêve et hystérie chez Ferenczi


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Phénomènes de matérialisation hystérique
Les recherches psychanalytiques de Freud nous ont appris à considérer les symptômes de la conversion hystérique comme des représentations, par le corps, de fantasmes inconscients. Par exemple, une paralysie hystérique du bras peut signifier - sous forme négative - une intention d'agression une crampe, la lutte entre deux motions affectives antagonistes; une anesthésie ou une hyperesthésie localisées, le souvenir durable et fixé inconsciemment d'un attouchement d'ordre sexuel à l'endroit en question.
La psychanalyse nous a aussi fourni des éclaircissements inattendus sur la nature des forces en jeu dans la formation du symptôme hystérique ce sont toujours des motions pulsionnelles de nature érotique et égoïste qui s'expriment dans la symptomatologie de cette névrose, tantôt alternativement, tantôt, et c'est le cas le plus fréquent, par des formations de compromis. Enfin, au cours de recherches récentes et décisives concernant le choix de la névrose, Freud est parvenu à découvrir dans l'histoire du développement libidinal le point de fixation génétique qui conditionne la prédisposition à l'hystérie.
Le facteur prédisposant à cette névrose résiderait à son avis dans un trouble du développement génital normal, alors que la primauté de la zone génitale s'est déjà pleinement affirmée. Le sujet ainsi prédisposé réagit à un conflit érotique, qui joue ainsi le rôle de traumatisme psychique, par le refoulement des motions génitales ou, éventuellement, par le déplacement de ces motions sur des parties du corps apparemment anodines. Je dirai que l'hystérie de conversion génitalise les parties du corps où se manifestent les symptômes.
Dans un article où je tentais de reconstruire les stades de développement du Moi, j'ai montré que la prédisposition à l'hystérie supposait la fixation a une période déterminée du développement du sens de réalité, période au cours de laquelle l'organisme tente encore de s'adapter à la réalité en modifiant - par des gestes magiques - le corps propre et non le monde extérieur et le langage gestuel de l'hystérique serait un retour à cette étape.
Personne ne niera que nous possédons là une masse de connaissances sur la névrose hystérique dont la neurologie préanalytique n'avait pas la moindre idée. Néanmoins, malgré l'entière satisfaction procurée par ces résultats, je pense qu'il serait bon d'indiquer les lacunes de notre savoir dans ce domaine. Le « saut mystérieux du psychique dans le somatique » (Freud), dans le symptôme de l'hystérie de conversion par exemple, demeure encore une énigme.
Différentes voies s'offrent à nous pour tenter de cerner cette énigme, entre autres les conditions spécifiques de l'innervation qui déterminent la formation de nombreux symptômes de conversion.
Dans les paralysies, les spasmes, les anesthésies et les paresthésies hystériques, on constate que les hystériques possèdent la faculté d'interrompre on de perturber la transmission normale de l'influx nerveux sensoriel vers la conscience ou de l'influx moteur qui en provient. Mais, outre ces modifications de la décharge des excitations qui se produisent déjà dans la sphère psychique, nous connaissons des symptômes hystériques dont la constitution exige une hyperproduction décisive de la part de l'influx nerveux, des performances dont l'appareil neuropsychique normal est incapable.
La volonté inconsciente de l'hystérique crée des phénomènes moteurs, des modifications de la circulation sanguine, des troubles de la fonction glandulaire et de la nutrition des tissus, que le non hystérique est incapable de produire de par sa volonté consciente. Les fibres lisses de la musculature du tube digestif, des bronches, des glandes lacrymales et sudoripares, les corps érectiles du nez, etc. se trouvent à la disposition de l'inconscient de l'hystérique ; il a la faculté de réaliser des innervations isolées (par exemple des muscles de l’œil et du larynx) qui pour l'individu sain sont impossibles ; nous connaissons aussi son aptitude, au demeurant plus rare, à provoquer des hémorragies locales, des cloques, des tumescences de la peau et des muqueuses.
N'oublions pas que ces performances ne sont pas l'apanage de l'hystérie. L'hypnose et la suggestion, auxquelles tout sujet normal est plus ou moins sensible, peuvent provoquer des phénomènes analogues. Mais il existe aussi certaines personnes, normales par ailleurs, qui « s'habituent » pendant leur enfance à des exploits de ce genre. Soit par exemple à innerver séparément des muscles qui d'ordinaire ne fonctionnent que symétriquement, ou à exercer une influence volontaire sur le fonctionnement du cœur, de l'estomac, de l'intestin ou sur les muscles de l'iris, etc., exploits dont ils font éventuellement par la suite l'objet d'exhibitions « artistiques ». La tâche de l'éducation consiste en grande partie à déshabituer l'enfant de ces tours d'adresse pour l'habituer à d'autre.
Quoi qu'il en soit, l'éducation des enfants présuppose la possibilité d'exercer une influence psychique sur ces activités organiques, et si elles se déclenchent plus tard de façon apparemment « automatique » ou « réflexe », elles n'en constituent pas moins en réalité des automatismes de commande à l’œuvre depuis l'enfance. Je pense par exemple au fonctionnement régulier des sphincters qui commandent l'ouverture et la fermeture de l'intestin et de la vessie, au fait de s'endormir et de se réveiller à intervalles réguliers, etc. Non moins connue est la capacité d'hyperproduction des affects, capables d'influencer les processus de circulation et d'élimination les plus divers.
Si nous nous bornons d'abord à considérer les hyperproductions qui servent à la formation du symptôme hystérique, il conviendrait de choisir un groupe bien circonscrit dans la gamme presque illimitée des diverses possibilités existant dans ce domaine. Je choisirai donc les symptômes hystériques affectant le tube digestif dont une série relativement complète s'offre à nous.
Un des phénomènes hystériques les plus courants est le symptôme du globus hystericus, cet état particulier de contraction de la musculature pharyngienne, qui, avec un autre symptôme pharyngien, l'absence du réflexe de déglutition compte souvent parmi les stigmates de cette névrose. Dans une autre recherche, j'ai ramené cette anesthésie de la glotte et de la région pharyngienne à une réaction contre des fantasmes inconscients de fellation, de cunnilingus, de coprophagie, etc., dus à la génitalisation de ces zones muqueuses.
Alors que ces fantasmes trouvent leur expression négative dans l'anesthésie, le globus hystericus, comme on peut s'en convaincre dans tous les cas soumis à la psychanalyse, représente ces mêmes fantasmes mais sous une forme positive. Les malades eux-mêmes parlent d'une boule dans leur gorge, et nous avons tout lieu de croire que certaines contractions des muscles longitudinaux et transversaux du pharynx produisent réellement la paresthésie d'un corps étranger et même une sorte de corps étranger, une boule.
Il est vrai qu'à l'analyse cette boule s'avère être un corps étranger bien particulier, nullement anodin : un corps étranger possédant un sens érotique. Dans plus d'un cas, cette « boule » monte et descend d'un mouvement rythmique et ce mouvement correspond à une représentation inconsciente de processus génitaux.
Pour beaucoup de malades qui souffrent de manque d'appétit, de nausées et autres troubles digestifs d'ordre névrotique, le fait de manger, c'est-à-dire de faire descendre un corps étranger le long de l'étroit tuyau musculaire de l’œsophage, a inconsciemment le même sens d'outrage génital que les malades atteints de globus hystericus fantasment sans stimulus externe. Depuis les recherches de Pawlow concernant l'influence du psychisme sur la sécrétion gastrique, personne ne s'étonnera de voir ces fantasmes entraîner également tous les degrés d'hyper- ou d'hyposécrétion gastrique et d'hyper- ou d'hypoacidité.
Sur la base des «théories sexuelles infantiles » (Freud) qui ramènent la grossesse à l'incorporation d'une substance par la bouche, l'inconscient peut produire une grossesse imaginaire an moyen de tours de force appropriés, exécutés par la musculature de l'estomac, de l'intestin et de la paroi abdominale ou, éventuellement, en recourant à l'aérophagie.
L'apparition de vomissements incoercibles au cours d'une grossesse réelle (vomitus gravidarum) qui a donné lieu à tant d'explications toxicologiques, est encore plus facile à comprendre pour le psychanalyste. L'expérience psychanalytique m'a obligé à interpréter autrement ce symptôme. Il s'agit d'une tendance à la défense ou à l'expulsion, dirigée contre ce corps étranger) le fœtus, dont la présence est inconsciemment ressentie dans l'utérus mais qui, suivant le modèle éprouvé, est déplacée « du bas vers le haut » et aboutit à l'évacuation du contenu gastrique.
Les vomissements ne cessent que dans la seconde partie de la grossesse, lorsque les mouvements de l'enfant ne permettent plus, même aux hystériques, de nier la localisation génitale des modifications et sensations éprouvées, autrement dit lorsque le Moi de l'hystérique se résigne, qu'il accepte la réalité inéluctable et renonce à l' « enfant stomacal » fantasmatique. Les émotions, on le sait, influencent le péristaltisme intestinal l'angoisse et la peur peuvent provoquer de la diarrhée, et l'attente anxieuse, des crampes du sphincter anal et de la constipation. Mais il revient à Freud et à la psychanalyse d'avoir montré l'importance de ces influences tout au long de la vie et les complexes de représentations et motions pulsionnelles qui jouent un rôle spécifique à cet égard.
Un praticien viennois de grande expérience, le Professeur Singer, a découvert depuis longtemps que le gros intestin n'a qu'une importance minime en tant qu'organe de la digestion, qu'il est en fait de nature anale et préside à la fonction d'évacuation. La psychana- lyse peut confirmer cette observation et la compléter quelque peu. Nos névrosés, notamment les hystériques, nous montrent à l'évidence que n'importe quelle partie du gros intestin peut fonctionner comme sphincter et qu'il peut s'y produire, outre l'innervation « en bloc » qui entraîne la propulsion brusque du bol fécal, des contractions localisées et finement graduées, capables de retenir en n'importe quel point un fragment de matière ou une bulle gazeuse, de les y comprimer et en quelque sorte de les modeler, ce qui peut s’accompagner de paresthésies douloureuses.
Les représentations qui agissent plus particulièrement sur ces innervations appartiennent, curieusement, à un complexe où prédomine le désir de posséder, de conserver, de ne pas donner. En analyse nous voyons très souvent le névrosé, qui a été dépouillé contre son gré de quelque chose de précieux ou d'un objet auquel il tenait, accumuler un certain temps comme substitut un bien constitué par le contenu intestinal ; il peut annoncer son intention de faire des aveux depuis longtemps retenus par une émission de selles exceptionnellement abondantes; ou encore souffrir pendant des jours de «pets rentrés qu'il ne parviendra à expulser qu'après avoir renoncé à sa résistance à l'égard du médecin, lorsque rien ne s'opposera plus à son intention de lui faire un cadeau.
Les conflits suscités par la nécessité de payer le médecin, considéré par ailleurs avec sympathie, s'accompagnent volontiers de tels symptômes d'inhibition et de relâchement dans la sphère anale. Dans un cas, j'ai pu étudier pendant plusieurs mois le rôle hystérogène du rectum et de l'anus lui-même. Un patient, célibataire d'un certain âge qui s'était marié surtout sur les instances de son père, avait entrepris un traitement avec moi pour une impuissance psychogène. Il souffrait par moments d'une curieuse constipation : il sentait nettement et même douloureusement la masse fécale s’accumuler dans son rectum mais il lui était impossible de l'évacuer ; parvenait-il quand même à déféquer, il n'en ressentait aucun soulagement.
L'analyse montra par la suite que ce symptôme surgissait chaque fois qu'il se trouvait en conflit avec une personnalité masculine qui, d'une façon ou d'une autre, lui en imposait. Finalement, le symptôme s'avéra être l'expression de son homosexualité inconsciente. Au moment précis où il voulait se montrer énergique à l'égard de cet individu, un fantasme homosexuel inconscient venait lui barrer la route et l'obligeait à se fabriquer un membre viril à l'aide de la paroi intestinale contractile, en utilisant la matière malléable du contenu intestinal toujours à sa disposition et ce membre viril, qui était précisément celui de l'adversaire consciemment haï, refusait ensuite de quitter l'intestin avant que le conflit ne trouve une solution quelconque.
Le patient apprît peu à peu la manière psychanalytique de résoudre ce problème, c'est-à-dire à reconnaître le conflit en question. Voyons maintenant quel est l'élément commun à tous les symptômes de cette série. C'est manifestement la figuration par le corps d'un désir sexuel inconscient, telle que Freud l'a mise en évidence. Mais il y a quelque chose dans ce mode de figuration qui mérite un examen plus approfondi.
Quand, dans le globus hystericus, le désir inconscient de fellation produit une boule dans la gorge, quand l'hystérique enceinte, grossesse réelle ou imaginaire, fabrique un « enfant stomacal » avec le contenu et la paroi de son estomac, quand l'homosexuel inconscient modèle son intestin et le contenu de celui-ci en un corps de taille et de forme déterminées, il s'agit là de processus qui, de par leur nature, ne correspondent à aucun des modes connus de « perceptions illusoires ». Nous ne pouvons parler ici d'hallucinations.
Une hallucination se produit lorsque la censure interdit la voie progrédiente vers la conscience à un complexe de pensées investi affectivement, de sorte que l'excitation qui en découle, empruntant une voie régrédiente ou régressive, réinvestit la matière de ces pensées qui a été accumulée dans la mémoire, et elle la rait parvenir à la conscience sous la forme de perception actuelle.
Mais les processus moteurs, qui, nous l'avons vu, participent si largement à la formation des symptômes de conversion hystérique, sont étrangers à la nature des hallucinations. Car la contraction des parois stomacales ou intestinales dans le globus, les vomissements hystériques et la constipation ne sent nullement c imaginaires mais bel et bien réels. Nous ne pouvons pas non plus parler dans ce cas d'illusion au sens courant du terme. L'illusion est une interprétation erronée ou une déformation d'une excitation externe ou interne réellement existante.
De plus, le sujet, là encore, a plutôt un comportement passif, tandis que l'hystérique produit lui-même ces excitations, qu'il pourra ensuite interpréter de façon erronée. Ce mode de formation des symptômes hystériques que nous venons de décrire, voire ce phénomène psycho-physique en général, mérite qu'on le désigne par un terme spécial. On pourrait l'appeler phénomène de matérialisation, puisqu'il consiste essentiellement à réaliser un désir, comme par magie, à partir de la matière dont le sujet dispose dans son corps et à lui donner une représentation plastique - si primitive soit-elle -, à la manière d'un artiste qui modèle un matériau à son idée ou des occultistes qui, sur simple demande d'un médium, se représentent «l’apport » ou la « matérialisation » de certains objets.
J'ajouterai tout de suite que ce processus ne se rencontre pas seulement dans l'hystérie, donc dans un état pathologique d'une importance toute relative, mais aussi dans de nombreux états affectifs chez les individus normaux. Vraisemblablement la plupart des mouvements expressifs qui accompagnent les émotions humaines - rougir, pâlir, s'évanouir, avoir peur, rire, pleurer - « représentent des événements importants de la destinée humaine, individuelle et collective, et sont donc autant de « matérialisations ».
Comment ranger ce phénomène parmi les processus psychiques déjà connus et comment nous représenter son mécanisme? La comparaison qui s'impose aussitôt à nous, c'est l'analogie avec l'hallucination du rêve, telle que nous la connaissons depuis les recherches de Freud sur le rêve. Dans le rêve également, les désirs sont représentés comme accomplis, mais l'accomplissement du désir y est purement hallucinatoire, la motilité étant paralysée pendant le sommeil.
Dans le phénomène de matérialisation, par contre, il semble que nous ayons affaire à une régression encore plus profonde; le désir inconscient, et incapable d'accéder à la conscience, ne se borne plus dans ce cas à l'excitation sensorielle de l'organe psychique de la perception mais passe à la motricité inconsciente. Ce qui signifie une régression topique à une profondeur de l'appareil psychique où les états d'excitation ne se liquident plus par un investissement psychique - fût-il hallucinatoire - mais simplement par la décharge motrice.
Sur le plan temporel à cette régression topique correspondrait une étape très primitive du développement onto et phylogénétique, caractérisée par le fait que l'adaptation ne se fait pas encore en modifiant le monde extérieur mais le corps propre. Lorsque nous discutons, Freud et moi, des problèmes de l'évolution, nous avons 1'habitude d'appeler ce stade primaire, le stade alloplastique, en opposition au stade alloplastique, plus tardif.
Sur le plan formel, nous devrions donc nous représenter ici la vie psychique simplifiée jusqu'au processus du réflexe physiologique. Et si nous concevons le processus réflexe non seulement comme le prototype du psychique mais comme l'étape qui l'a précédé et à laquelle même la plus haute complexité psychique a toujours tendance à régresser, alors nous sommes moins surpris par le saut si mystérieux du psychique au corporel dans le symptôme de conversion et par le phénomène de matérialisation qui accomplit le désir par voie réflexe. Il s'agit simplement de la régression à la « protopsyché »
Dans les processus vitaux primitifs auxquels l'hystérie semble revenir, il se produit couramment des modifications corporelles qui, lorsqu'elles résultent d'un processus psychogène, nous apparaissent comme des hyperproductions. La mobilisation des muscles lisses des parois vasculaires, l'activité des glandes, la composition biologique et chimique du sang, ainsi que toute la nutrition tissulaire, sont pourtant soumises à une régulation infra-psychique. Dans l'hystérie tous ces mécanismes physiologiques se mettent à la disposition des motions de désirs inconscientes et, par un renversement complet du cours normal de l'excitation, un processus purement psychique peut ainsi s'exprimer dans une modification physiologique du corps.
Dans L'interprétation des rêves, au chapitre traitant de la psychologie des processus du rêve, Freud se demande quelles sont les modifications de l'appareil psychique qui permettent la formation de l'hallucination onirique. Il trouve la réponse à ce problème d'une part dans le caractère particulier du cours suivi par les excitations psychiques dans l'inconscient, et d'autre part dans un processus qui serait favorisé par les modifications qu'entraîne l'état de sommeil. Le libre transfert des intensités d'un élément psychique à un autre permet une excitation particulièrement intense de zones même très éloignées du système psychique, entre autres de l'organe sensoriel psychique, la surface perceptive de la conscience.
A côté de ce facteur «positif», l'état de sommeil crée également un facteur «négatif » : en écartant les excitations sensorielles actuelles, il engendre comme un espace vide à l'extrémité sensitive de l'appareil psychique, de sorte qu'en ce point l'excitation interne, du fait de l'absence conjointement de stimuli externes, acquiert une valeur sensorielle particulièrement intense. Freud suppose que le «facteur positif » possède une intensité encore plus grande dans l'hallucination psychotique, si bien que l'hallucination se produirait malgré l'état de veille, donc malgré la concurrence de stimuli externes.
Comment nous représenter maintenant les phénomènes au niveau de l'excitation lors de la formation d'un symptôme de conversion ? Dans mon article relatif aux stigmates hystériques, j'ai été amené à présenter l'anesthésie hystérique comme une modification durable de l'extrémité sensible du système , modification qui favorise, de même que l'état de sommeil, l’émergence d'hallucinations et d'illusions. Ainsi peut-on supposer dans les cas où un symptôme de conversion se superpose à une zone déjà anesthésiée ce qui d'ailleurs est loin d'être rare - que la formation du symptôme s'est trouvée favorisée par l'absence de stimuli sensoriels conscients. Dans tous les autres cas, il faut chercher la source énergétique produisant la matérialisation dans un facteur positif.
La monotonie avec laquelle reviennent les processus génitaux au cours de l'interprétation psychanalytique des symptômes hystériques prouve que la force mobilisée par la conversion provient de la source pulsionnelle génitale. Il s'agit donc d'une irruption de forces génitales brutes dans les couches psychiques supérieures, et ce sont elles qui ont rendu le psychisme capable de prouesses positives de nature exceptionnelle.
Le résultat peut-être le plus important atteint par le développement organique qui tend à la division du travail, c'est la différenciation qui s'est opérée entre d'une part des systèmes organiques spécifiques dont la tâche consiste à maîtriser et à répartir les excitations (appareil psychique) et d'autre part des organes spécifique permettant la décharge périodique des quantités d'excitations sexuelles accumulées dans l'organisme (organes génitaux). L'organe qui répartit et maîtrise les excitations entre en relation de plus en plus étroite avec la pulsion d'auto-conservation et, parvenu au maximum de son développement il devient l'organe de la pensée, l'organe de l'épreuve de réalité.
L'organe génital, par contre, conserve même chez l'adulte son caractère primaire d'organe de décharge et il devient, par concentration de tous les érotismes, l’organe érotique central. C'est le plein développement de cette polarisation antagoniste qui permet à la pensée d'être relativement indépendante du principe de plaisir et empêche celle-ci de troubler la satisfaction sexuelle génitale.
Quant à l'hystérie, elle serait une rechute à l'état originel devant cette séparation et elle correspondrait soit à une irruption de motions pulsionnelles génitales dans la sphère de la pensée, soit à la réaction de défense contre cette irruption. Nous pourrions donc concevoir la formation d'un symptôme hystérique de la manière suivante : une motion pulsionnelle génitale extrêmement forte veut pénétrer dans la conscience mais le Moi ressent la nature et la force de cette motion comme un danger et il la refoule dans l'inconscient.
Après l'échec de cette tentative de solution, ces masses d'énergie perturbatrice sont repoussées plus profondément encore, jusque dans l'organe sensoriel psychique (hallucination) ou dans la motilité involontaire au sens le plus large (matérialisation). Mais, dans ce parcours, cette énergie pulsionnelle est entrée en contact très intime avec des couches psychiques supérieures qui l'ont soumise à une élaboration sélective. Elle a cessé d'être un simple quantum, elle a subi une différenciation qualitative qui en a fait un moyen d'expression symbolique de contenus psychiques complexes.
Peut-être cette conception permettra-t-elle de serrer d'un peu plus près l'énigme fondamentale de l'hystérie, le saut du psychique dans le somatique ». Nous pouvons au moins soupçonner comment une formation psychique - une pensée - en vient à disposer d'une force qui lui permette de mobiliser des masses organiques brutes ; cette force lui a été simplement fournie par une des plus importantes réserves d'énergie de l'organisme, la sexualité génitale.
D'autre part, on comprend également mieux comment il est possible que dans le symptôme hystérique des processus physiologiques acquièrent la capacité de représenter des processus psychologiques complexes et de s'adapter de façon aussi subtilement nuancée à leur diversité multiforme. Bref, nous nous trouvons devant la production d'un idiome hystérique, d'un jargon symbolique fait d'hallucinations et de matérialisations.
En résumé, nous pouvons concevoir l'appareil psychique de l'hystérique comme un mouvement d'horlogerie dont le mécanisme serait inversé. La pensée, normalement, remplit la fonction de l'aiguille qui enregistre scrupuleusement tes processus produits par les rouages internes. Dans l'hystérie, l'aiguille est comme tiraillée par un hôte brutal et contrainte à un tour de force généralement étranger à sa nature; ce sont maintenant les mouvements de l'aiguille qui déclenchent le mécanisme interne.
On pourrait aborder les phénomènes de conversion hystérique sous un autre angle et considérer leur symbolisme. Freud a montré que le mode d'expression symbolique n'était pas seulement propre au langage du rêve mais à toutes les formes d'activité auxquelles participe l'inconscient. Or la concordance parfaite entre le symbolisme de l'hystérie nous frappe tout particulière ment.
Tout symbolisme onirique s'avère, après interprétation, relever du symbolisme sexuel et de même, les figurations par le corps de la conversion hystérique appellent toutes sans exception une interprétation symbolique sexuelle. De plus, les organes et les parties du corps qui dans le rêve représentent souvent symboliquement les organes génitaux sont précisément ceux auxquels recourt généralement l'hystérique pour figurer ses fantasmes génitaux.
Voici quelques exemples : le rêve d'irritation dentaire représente symboliquement des fantasmes de masturbation; et j'ai analysé un cas d'hystérie où ces mêmes fantasmes s'exprimaient à l'état de veille par des paresthésies dentaires. Dans un rêve que j'avais récemment à interpréter, on enfonçait un objet dans la gorge d'une jeune fille qui en mourait ; or l'anamnèse du cas permet de voir dans ce rêve la représentation symbolique d'un coït illégitime, de la grossesse et de l'avortement clandestin qui ont mis en danger la vie de la patiente. On constate donc ici le même déplacement du bas vers le haut que dans le globus hystericus, la même utilisation de la zone pharyngienne et de la gorge au lieu des organes génitaux.
Le nez remplace souvent dans le rêve le membre viril; par contre, dans plusieurs cas d'hystérie masculine, j'ai pu démontrer que la turgescence des cornets figurait des fantasmes libidinaux inconscients alors que les corps érectiles des organes génitaux demeuraient inexcitables. (Fliess a d'ailleurs montré bien avant la psychanalyse la relation entre le nez et les organes génitaux.). Il est fréquent de voir la grossesse représentée symboliquement dans le rêve par l'indigestion » ou par le vomissement, donc exactement comme dans le vomissement hystérique. Dans le rêve, aller a la salle signifie parfois un cadeau et souvent le désir de donner un enfant à quelqu'un, sens possible, nous l'avons vu, de ce même symptôme intestinal dans l’hystérie. Et ainsi de suite.
Une concordance aussi poussée fait supposer que la base organique sur laquelle s’édifie tout le symbolisme de la vie psychique apparaît en partie dans l’hystérie.
Après les Trois Essais sur la théorie de la sexualité de Freud, il est difficile de ne pas reconnaître dans les organes sur lesquels la sexualité des organes génitaux se trouve déplacée symboliquement les principaux points de localisation des stades antérieurs à la génitalité, soit les zones érogènes dit corps. La voie suivie par le développement, qui va de l'auto-érotisme à la génitalité en passant par le narcissisme et qui aboutit ainsi à l'amour objectal, cette voie, dans le rêve comme dans l'hystérie, est parcourue en sens inverse depuis le génital. Donc, ici encore, il s'agit d'une régression qui amène l'excitation à investir Ces étapes antérieures et leurs points de localisation au lieu des organes génitaux.
Par conséquent, le « déplacement du bas vers le haut », si caractéristique de l'hystérie, ne serait que le renversement du déplacement du haut vers le bas auquel la zone génitale doit sa primauté et dont le plein développement conduit à la polarité que nous avons signalée entre la fonction sexuelle et l'activité de penser.
Je ne prétends pas bien entendu que dans l'hystérie la génitalité se décompose tout simplement en ses éléments premiers. Je crois plutôt qu'en l'occurrence ces étapes antérieures servent uniquement de zones conductrices à l'excitation et que cette excitation elle-même conserve, même après déplacement, son caractère génital pour ce qui est de sa nature et de son intensité.
On pourrait donc formuler les choses ainsi dans la conversion hystérique, les auto-érotismes anciens sont investis de sexualité génitale, les zones érogènes et les pulsions partielles sont génitalisées. Cette qualité génitale se manifeste dans la tendance des tissus à la turgescence et à l'humidification (Freud) qui contraint à la friction et, par là, à la liquidation de l'excitation.
La toute première théorie de la conversion concevait le symptôme de conversion hystérique comme l'abréaction d'affect bloqués. Par la suite, ce « blocage » de nature inconnue s'est avéré être, dans tous les cas, un refoulement. Ajoutons que ce refoulement concerne toujours des motions libidinales, et plus particulièrement des motions sexuelles génitales, et que tout symptôme hystérique, quel que soit l'angle sous lequel on le considère, apparaît comme une fonction génitale hétérotope. Les anciens avaient donc raison lorsqu'ils disaient de l'hystérie : « Uterus loquitur. »
Je ne puis clore ces réflexions sans indiquer quelques sujets de recherche qui se sont imposés à moi au cours de cette étude, comme d'ailleurs en bien d'autres occasions similaires. A notre grand étonnement, nous voyons dans les symptômes hystériques des organes d'importance vitale se soumettre entièrement au principe de plaisir, sans nul égard pour leur fonction utilitaire propre. L'estomac ou l'intestin jonglent avec leur propre contenu et leur propre paroi au lieu de digérer et d'évacuer ce contenu la peau n'est plus une enveloppe corporelle protectrice dont la sensibilité avertit des agressions trop intenses ; elle se comporte comme un véritable organe sexuel dont le contact, s'il n'est pas perçu consciemment, procure néanmoins des satisfactions de plaisir inconscientes.
La musculature, au lieu de participer comme d'habitude à la conservation de la vie par des mouvements fonctionnels, se complaît à mettre en scène des situations fantasmatiques de plaisir. Et il n'y a aucun organe, aucune partie du corps qui soit à l'abri de cette mise au service du plaisir. Je ne crois pas qu'il s'agisse là de processus valables uniquement pour l'hystérie, qui seraient par ailleurs insignifiants voire totalement absents. Certains processus qui se déroulent dans l'état de sommeil normal laissent à penser que des phénomènes de matérialisation fantasmatique sont également possibles chez les non-névrosés. Je pense à cette hyperproduction singulière qu'on appelle pollution.
Au demeurant, il est probable que les tendances au plaisir dont font preuve les organes du corps ne cessent pas non plus complètement dans la journée, et il reviendrait à une physiologie du plaisir d'en découvrir toute l'importance. Jusqu'à ce jour la science des processus vitaux a été exclusivement une physiologie utilitaire, elle ne s'est occupée que des fonctions organiques utiles à la conservation.
Rien d'étonnant à ce que les traités de physiologie humaine et animale, si excellents et détaillés soient-ils, ne servent à rien lorsqu'il s'agit de trouver des renseignements sur le coït. Ils ne peuvent rien nous dire ni des particularités de ce mécanisme réflexe si profondément enraciné, ni de leur signification onto et phylogénétique. Et pourtant je crois ce problème d'une importance centrale pour la biologie et j'attends de sa solution des progrès essentiels pour cette discipline.
Ces diverses formulations du problème suffisent d'ailleurs à montrer qu'à l'encontre de la conception courante selon laquelle la recherche biologique constituerait la condition préalable à tout progrès en psychologie, la psychanalyse nous aide à poser des problèmes biologiques qui ne pouvaient l'être autrement.
Un autre problème, considéré jusqu'ici uniquement sous l'angle psychologique, celui du don artistique est éclairé quelque peu par l'aspect organique de l'hystérie. L'hystérie, selon l'expression de Freud, est une caricature de l'art. Or les « matérialisations » hystériques nous montrent l'organisme dans toute sa plasticité et même son habileté créatrice. Les prouesses purement « auto-plastiques » de l'hystérique pourraient bien constituer le modèle des performances corporelles réalisées par les acteurs et les artistes, voire même le modèle des arts plastiques où les artistes travaillent un matériau fourni non par leur propre corps mais par le monde extérieur.