Songe de Nascien
Les descendants
Aussitôt endormi, une vision lui vint : devant lui se présentait un homme vêtu d’une robe vermeille, qui l’exhortait avec insistance à bien agir et lui exposait nombre de bonnes choses. Nascien lui demandait qui il était : un homme, lui dit-il, qui savait tout ce qu’on faisait, et une part de ce qui devait arriver. Nascien lui demanda s’il savait où était son fils : sur la terre, lui répondit-il, qui leur était promise. «Cher seigneur, continua Nascien, qui est en sa compagnie?» Il y avait, l’assura-t-il, foule avec lui, à le fêter grandement, tous le tenant pour seigneur. Nascien l’interrogeait sur cette famille partie de Sarras : ils avaient, lui annonça l’homme pieux, passé la mer, sans nef et sans aviron, et étaient «sur la terre qui leur était promise, à eux, à leurs descendants et à nous aussi».— Cher seigneur, dit Nascien, puisque vous connaissez une partie de l’avenir, vous pouvez bien répondre à ma question, s’il vous plaît : rentrerai-je un jour dans mon pays, dans cette nef? — Sache-le, répondit l’homme de bien : non ; tu resteras au contraire sur la terre dont je t’ai parlé ; près de là sera cette nef, jusqu’à la période où le dernier homme de ton lignage y pénétrera pour revenir à Sarras avec le saint Vase qu’on appelle Graal. Mais avant que vienne ce temps, je t’informe qu’il y a bien trois cents ans. — Ah! seigneur, questionna Nascien, qui sera le dernier de mon lignage? — Vous le saurez prochainement.»
Et de s’en aller, pour n’en dire pas plus dans son sommeil à Nascien ; mais alors il revenait sur ses pas, lui semblait-il, apportant un bref qu’il lui mettait en main, en lui disant : «Vois la fin et la dignité de ton lignage — non la branche dont tu es issu, mais celle de ta descendance.» Il partait alors, et aussitôt se présentait son fils Célidoine, pour lui parler, lui paraissait-il, et lui amener l’un après l’autre neuf personnages, tous sous l’apparence de rois, sauf le huitième — métamorphosé en vilain chien méchant, dévorant les déjections de son corps, de son malheureux ventre. Ce dernier, en forme de chien, était très éprouvé ; avec sa faiblesse de reins, c’était un prodige s’il pouvait se tenir sur ses pattes. Le premier d’entre ces personnages se laissait tomber aux pieds de Célidoine, suivi par le deuxième puis par le troisième, et tous les autres à sa suite un par un ; le neuvième, en dernier, réussissant à perdre sa forme, venait à son tour figuré en lion, mais il n’avait point de couronne ; à son trépas, semblait-il à Célidoine et à Nascien, tout le bas monde se rassemblait devant sa dépouille, pour déplorer sa mort amèrement.
Cette vision survint à Nascien endormi dans la nef. À son réveil environ à l’heure de none, il remarqua dans sa main le bref que l’homme pieux lui avait confié. Alors, il ne considéra pas comme une fable, ni comme une plaisanterie ce qu’il avait vu en songe ; au comble de l’allégresse, il remercia Notre-Seigneur de ce signe : il était persuadé que c’était par la volonté de son Créateur qu’il avait vu ce fait. Il ouvrit le bref pour y trouver écrites toutes les merveilles du monde, les unes en hébreu, les autres en latin. Elles le disaient clairement : des serviteurs et des chevaliers de Jésus-Christ, le premier serait Nascien, le second Célidoine ; le premier à descendre de Célidoine serait roi, bon chevalier et homme de bien, et aurait pour nom Narpus. Le deuxième se nommerait Noascien, le troisième Alain le Gros, le quatrième Isaïe, le cinquième Jonal, chevalier preux et hardi, grand zélateur de la sainte Église. Le sixième serait appelé Lancelot : il serait couronné au ciel et sur terre, car en lui se rencontreraient pitié et charité. Le septième aurait pour nom Ban, et celui qui descendrait de lui — le huitième — Lancelot, qui endurerait plus de peine et de fatigue que personne avant ni après lui : un vrai chien, celui-là, jusqu’au moment où il s’amenderait, peu avant sa mort, autant qu’il le devrait. Le neuvième, trouble et épais au commencement comme de la boue, au milieu clair et net et à la fin cent fois plus clair qu’au milieu, serait si délicieusement doux à boire qu’on pourrait difficilement s’en rassasier.
En celui-là se baignerait Jésus-Christ véritablement ; il aurait pour nom Galaad. Il dépasserait en qualités physiques et chevaleresques tous ceux qui avant lui auraient été, et qui après lui viendraient. Il mettrait fin à toutes les aventures, et la volonté de Jésus-Christ le conduirait toujours. Toutes ces choses étaient consignées dans le bref que Nascien trouva dans sa main. Après avoir vu dans son intégralité la fin de son lignage, certain que cet homme de bien appelé Galaad serait comblé de qualités et d’exploits chevaleresques, et que la valeur de son lignage y serait plantée, se mettant à pleurer d’émotion et de joie, il remercia Notre-Seigneur de ce signe qu’il lui avait envoyé, et qui certes lui plaisait beaucoup et lui convenait. Tout au long du jour, Nascien considéra le bref en homme qui ne pouvait détourner son attention du texte qui s’y trouvait ; il en fut très réjoui, dans l’assurance que l’avenir serait ce que le bref avait décrit. [p. 402-405]
[…]
L’homme de bien lui dit : «Nascien, n’est-ce pas folie de jouer le seigneur plus haut que son rang? — Seigneur, répondit Nascien, si. — Je le dis pour ta gouverne, reprit l’homme de bien, nigaud que tu es : quand le Haut-Maître t’a révélé l’avenir de ton lignage, tu es assez sot pour refuser de t’en tenir là, désireux d’en savoir toujours plus, et de pousser l’enquête vers ce qu’un cœur mortel ne pourrait connaître, si la grâce du Saint-Esprit ne le lui avait indiqué. Notre-Seigneur t’a montré sur ce sujet une si grande mansuétude qu’il t’a inculqué ce qu’aucun homme vivant ne sait maintenant, à part toi ; et tu veux encore aller de l’avant dans ta recherche. Crois-tu que Celui qui t’en a rendu capable t’en sache gré? Non! Aie garde que jamais il ne t’arrive de chercher à percer les mystères de Notre-Seigneur : sois persuadé que tu pourrais vite en apprendre quelque chose qui te vaudrait sa haine!»
Au discours de l’homme de bien, Nascien se reconnut vraiment pécheur et coupable pour sa requête. «Certes, cette exigence n’est pas surprenante, je suis pécheur, et ignorant au point que je ne savais pas ce que je demandais. Le pécheur, vous le savez bien, aspire plus à accomplir sa volonté qu’à aller selon Dieu et la raison. Ne vous en étonnez donc pas.» L’homme de bien lui dit : «Désires-tu savoir ce que signifient l’apparition du huitième de ton lignage en forme de chien, et le neuvième au commencement trouble et épais comme de la boue, et changeant à la fin? — Seigneur, le saurais-je, que tous mes désirs, je crois, seraient comblés. — Je vais te l’apprendre. Celui qui est figuré en lion sera homme de bien, pilier et fondement loyaux de foi, et parce qu’il mènera une vie pleine de dignité, son symbole sera le lion pour bien des raisons. De même, en effet, que le lion est seigneur sur toutes bêtes qu’il assujettit, de même l’homme de bien l’est envers les pécheurs. L’homme de bien est fort, de sorte qu’il ne tombe pas en péché mortel ; y tombe-t-il par aventure, il perd l’espérance qu’il a toujours attachée aux choses célestes ; mais par la grâce du Saint-Esprit, qui sur lui descend, il se relève plus fort et plus sûr qu’il ne l’était. Voilà ce que le pécheur ne fait pas ; au contraire il se laisse glisser tant et plus dans le péché, finalement si pécheur qu’il ne peut en aucune manière s’en tirer.
«Quant à celui qui prit la forme d’un chien, il signifie que le huitième à descendre de cette branche sera pécheur vil et sale, et c’est à juste titre qu’il est apparu ainsi : de même qu’un chien affamé court manger sa nourriture sans la savourer, de même fait le pécheur, à jeun de bonnes actions, c’est-à-dire que jamais il ne se comporte bien, prenant le péché pour le dévorer. Quand il l’a englouti il ne le savoure pas, car, s’il le savourait et sentait l’amertume qui y est enveloppée, il n’aurait jamais l’audace de recommencer, sachant alors quel mal et quelle douleur peuvent advenir à l’homme à pécher mortellement. Voilà pourquoi je te dis que le huitième sera pécheur, et c’est pour cela qu’il prit la figure d’un chien quand l’autre se montra sous la forme d’un lion. Ainsi je viens de te conter la vérité, comment celui-là prit la forme d’un lion, pourquoi le dernier celle d’un chien. Je vais maintenant te dire pourquoi le neuvième se montra au commencement trouble et épais comme de la boue, et à la fin plus beau et plus clair que nul autre. Le fait qu’il soit bourbeux au commencement signifie qu’il sera conçu et engendré en péché mortel, par le huitième qui sera chaud et luxurieux, et sa naissance sera comme cachée et dissimulée, parce qu’il ne sera pas engendré de mère légitime ni selon la loi de la sainte Église, mais dans la fornication et dans le péché mortel : voilà pourquoi il est apparu trouble et épais au commencement. Mais au milieu de sa vie, quand il commencera à régner, alors il sera impétueux et turbulent, plein de chevalerie et de prouesse, et surpassera tous les pairs en prouesse terrestre et en vertu, car il restera vierge toute sa vie durant ; et sa fin sera merveilleuse au point qu’aucun chevalier contemporain ne lui ressemblera, car il sera, plus que tout autre, vertueux envers Dieu et envers les hommes. Pourtant il mourra avant celui dont il sera issu. Je viens donc de te révéler ce que tu brûlais de savoir.» À peine lui avait-il tenu ce propos qu’il se volatilisa, de sorte que Nascien ne sut jamais ce qu’il advint de lui. Constatant la manière dont il s’en était allé — il ignora ce qu’il était devenu — il remercia Dieu de tout cœur de lui avoir fait si bien connaître la signification dont il avait tellement le désir. [p. 408-411]
Anonyme
Le livre du Graal
France 1230 Genre de texte roman en prose
Contexte
Endormi dans une nef merveilleuse, le roi Nascien rêve qu’un homme savant lui annonce qu’il ne rentrera jamais dans son pays, mais que lui et ses proches s’établiront plutôt dans la terre qui leur a été promise par Dieu. Par contre, le dernier homme de son lignage aura la tâche de ramener le saint Graal à Sarras, ce qui ne se produira pas avant trois cent ans. L’homme savant tend un bref à Nascien avant que ce dernier se réveille.
En se réveillant, le roi découvre le bref qu’il a reçu de l’homme savant dans son rêve et qui lui révèle toute sa descendance.
Rongé par la curiosité, Nascien prie Dieu qu’on lui apprenne la signification des formes de chien et de lion que prennent le huitième et le neuvième de ses descendants dans le bref qu’il a reçu en rêve. Un messager de Dieu est envoyé à Nascien pour lui transmettre la signification de sa vision.
Texte original
Et maintenant qu’il se fu endormis, li vint une avision tele qu’il li sambloit que devant lui venoit uns hom vestus d’une robe vermeille, qui mout l’amonnestoit de bien faire, et li devisoit mout de bones choses. Et Nasciens li demandoit qui il estoit, et il li dist qui il estoit, et il li dist qu’il estoit uns hom qui savoit quanques on faisoit, et partie de ce qui estoit a avenir. Et Nasciens li demanda s’il savoit ou ses fix estoit, et il li dist qu’il estoit en la terre qui lor estoit promise. «Biaus Sires sire, fait Nasciens, et qui est en sa compaignie?» Et cil respont qu’il i avoit grant gent o lui, qui molt grant feste faisoient de lui, et le tenoient tout a signour. Et Nasciens li demandoit de celui parenté qui de Sarras estoit partis, et li prodom li dist que il ont passee mer, sans nef et sans aviron, et sont «en la terre qui promise lor est a aus et a lor oirs et a nous aussi.» – Biaus sire, fait Nasciens, puis que vos savés partie de ce qui est a avenir, vos me poés bien dire, s’il vous plaist, ce que je vous demanderai : c’est se je enterrai jamais en mon païs n’en ceste nef aussi. – Saces tu, fait li prodom, nenil ; ains demouerras en ceste terre que je te di ; et pres d’illoec sera ceste nef, jusques au terme que li daerrains hom de ton lignage enterra ens pour revenir a Sarras avoc le Saint Vaissel que on apele Graal. Et devant celui terme te fais je bien a entendant qu’il i a bien jusques a donques .ccc. ans. – Ha! sire, fait Nasciens, qui sera cil qui daerrains sera de mon lignage? – Ce saverés vous bien, fait li prodom, prochainnement.»
Atant s’en ala, que plus ne dist a Nascien en son dormant ; et lors revenoit ariere, ce li sambloit, et aportoit un brief et li metoit en la main, et li disoit : «Vois tu la fin de ton lignage et la hautece, non mie de branche dont tu es descendus, mais celui qui de toi descendera.» Et lors s’enpartoit, et tout maintenant venoit Celidoines ses fix devant lui, et li disoit, ce li estoit avis, et amenoit l’un aprés l’autre.ix. personnes d’omes qui tout estoient en guise de roi, fors cil qui estoit li huitismes, et cil estoit mués en fourme de chien lait et mauvais, qui devouroit ce qu’il avoit jeté fors de son cors, et fors de son chaitif de ventre. Cil qui estoit en fourme de chien estoit traveilliés plus que nus, et nonpourquant il estoit si febles par les rains que merveilles estoit conment il se pooit soustenir. Li premier de ces personnes se laissoit chaoir as piés Celidoine, et li secons aprés, et li tiers aussi, et tout aussi firent li autre l’un aprés l’autre, mais li novismes qui venoit daerrains faisoit tant qu’il perdoit sa fourme et revenoit en fourme de lyon, mais de courone n’avoit il point ; et quant il trespassoit del siecle, il estoit avis a Celidoine et a Nascien que tous li siecles s’asambloit devant lui, et le plaignoit et regretoit mout durement.
Ceste avision avint a Nascien quant il se dormi en la nef. Et quant il fu esveilliés entour ore de nonne, il regarda en sa main, et vit le brief que li prodom li avoit baillié. Et lors ne tint il mie a fable ne a gas ce qu’il avoit veü en son songe ; si en a si tres grant joie, et tant en est liés que nus plus : si en mercie a Nostre Signour de ceste demoustrance, car il set bien que par la volenté de son Creatour a il veüe ceste chose. Lors ouvre le brief et i trouve toutes les merveilles del monde ens escrites, les unes en ebriu, et les autres en latin. Et disoient tout apertement que des menistres et de chevaliers Jhesu Crist, ert li premiers Nasciens et li autres Celidoines ; et li premiers qui de Celidoine istera sera rois et bons chevaliers et prodom, et avra a non Narpus. Li secons aprés avra a non Noasciens, et li tiers sera apelés Elayns li gros. Li quars sera apelés Ysaïes. Li quins sera apelés Johaus et sera chevaliers prous et hardis, et essauchera mout Sainte Eglyse. Li sisimes sera apelés Lancelos : cil estra couronés el chiel et en terre, car en lui sera herbergie pitiés et carités. Li setismes avra a non Bans, et cil qui de lui descendera, ce sera li huitismes, cil avra a non Lanselos, et ce sera cil qui plus enduerra painne et travail, que nus avra enduré devant lui, ne que nus enduerra aprés ; cil sera drois chiens jusques a tant qu’il s’amendera pres de sa fin tant com il devra. Li novismes qui sera tourbles et espés el conmencement conme boe, et el milieu clers et nés, et en la fin sera il encore a .c. doubles plus clers que el mi lieu, et sera si dous et si delitables a boire que apainnes s’en porra nus saouler.
En celui se baignera Jhesu Crist proprement, et cil avra non Galaad. Cil passera de bonté de cors et de chevalerie, tous ciaus qui devant lui aront esté, ne qui aprés lui venront. Cil metra fin en toutes les aventures qui avenront, et la volenté Jhesu Crist le conduira tousdis. Itant avoit il escrit el brief que Nasciens trouva en sa mains. Et quant il ot de chief en chief veü le fin de son lignage et il sot que cil prodom qui Galaad estoit apelés seroit plains de toutes bontés et de toutes chevaleries, et la seroit fichie la bonté de Nostre Signor de cele demoustrance qu’il li demostra, car mout li devoit plaire et atalenter. Tant com cil jours dura, regarda Nasciens le brief come cil qui ne se pot tenir del regarder en l’escriture qui dedens le brief estoit ; si en fu mout joians ; car il sot bien que tout ensi avenroit il come li briés l’ot devisé. [p. 402-405]
[…]
Et li prodom li dist : «Nascien, n’est ce mie folie, de faire soi vix de son signour, que on ne nest? – Sire, fait Nasciens, oïl. – Je le di pour toi, fait li prodom, qui es si niches que quant li Haus Maistres t’a demoustré les choses qui sont a avenir de ton lignage, tu es si fols encore que tu atant ne t’en vels tenir ; ains en vels encore savoir plus et plus, et d’enquerre les choses que cuers mortels ne porrait savoir, se la grasse del Saint Esperit ne li avoit demostré ; et Nostre Sires t’a moustré en cest point si grant debonaireté, qu’il t’a fait asavoir ce que nus hom mortels ne set orendroit, fors que toi solement ; et tu vels encore plus en cerchier en avant. Quides tu que cil qui t’en a doné le pooir t’en sace gré? Nenil! Or t’en garde que jamais ne t’aviengne que tu enquierres les secrees choses de Nostre Signour, car bien saces tu que tost i porroies connoistre tel chose par coi il te harroit!»
Quant Nasciens entent ce que li prodom li dist, si se connoist mout bien a pecheour et a coupable de ce qu’il requeroit. «Certes, ce n’est pas merveille se je requeroie ce ; car je sui pechierres, et si non sachans que je ne savoie que je demandoie. Et vous savés bien que pechierres bee tous jours plus a sa volenté acomplir que a aller selonc Deiu et selonc raison. Et pour ce ne vous esmerveilliés pas.» Et li prodom li dist : «Desires tu a savoir quel senefiance ce est, que li huistismes de ton lignage aparut en forme de chien ; et li novismes qui aparut au conmencement tourbles et espés conme boe et en la fin se change? – Sire, fait Nasciens, se je le savoie, je cuit que tout mi desirier seroient acompli. – Et je le te dirai, fait li prodom. Cil qui en fourme de lyon s’aparoit sera veruous et fors, et raemplis de la grasce Nostre Signour. Cil sera prodom et loiaus piliers et fondement de foi, et pour ce qu’il sera de haute vie avra il la senefiance del lyon par mout de raisons ; car tout aussi come li lyons a signorie sor toutes bestes et les met en sa subjection, tout autresi est li prodom envers les pecheours. Et li prodom est fors en tel maniere qu’il ne chiet pas tous em pecié mortel ; et s’il i chiet par aventure, il pert esperance qu’il a tous jours fermee es celestious choses ; et par la grasse del Saint Esperit qu’il li sourvient, il se relieve plus fort et plus seür qu’il ne sot. Mais ce ne fait pas li pechierres, ains se laisse tousdis chaoir em pechié plus et plus, tant qu’il est si pechierres qu’en nule maniere ne s’en puet oster.
«Li huitismes qui en fourme de chien aparut, senefie que cil qui huitismes ert qui de cele branche descendera sera pechierres vix et ors, et a droit aparut il en fourme de chien ; car tout aussi conme li chiens, quant il a faim, court a sa viande, et le mengüe en tel maniere qu’il ne l’i asavoure pas, tout aussi fait li pechierres quant il est enjeüns de bones œuvres, c’est a dire qu’il ne fait ne tost ne tart bien ; il prent le pechié et le devoure. Et quant il l’en englouti, il ne l’i asavoure pas, car s’il l’asavouroit et sentoit l’amertume qui dedens est envolepee, il n’avroit ja hardement que il plus pechast, car adont connoisteroit il qel mal et quel dolour puet venir a home de pechier mortelment. Et pour ce te di je que li huitismes sera pechierres, et pour ce aparut il en fourme de chien quant li autres s’aparut en fourme de lyon ; et ensi t’ai ore acontee la verité, conment il aparut lyons et pour coi il aparut en fourme de chien. Ore de dirai conment li novismes s’aparut au conmencement tourbles et espés come boe, et en la fin plus biaus et plus clers que nus autres. Ce qu’il ert espés et tourbles au conmencement senefie qu’il sera conceüs et engendrés em pechié mortel, del huitisme qui sera chaus et luxurious, et sera sa naissance aussi come celee et couverte, pour ce qu’il ne sera mie engendrés de mere moullier ne selonc la loy de Sainte Eglyse, mais en fornicacion et en pechié mortel : et pour ce aparut il tourbles et espés au conmencement. Mais en milieu de son aage, quant il conmencera a regner, lors ert si roides et si bruians, c’est a dire qu’il sera plains de chevalerie et de prouece, qu’il passera tous les pers de prouece terrienne et de bonté de cors, car il sera virgenes tous les jours de sa vie ; et la fins de lui sera si merveillouse que de chevalier qui a son tans sera n’i avra nul qui samblans soit a lui ; car il sera plus gracous envers Dieu et en vers le siecle que nus autres. Et nonpourquant il trespassera de cest siecle ains que cil dont il sera issus ne fera. Si t’ai ore dit ce dont tu avoies ore tel desirier.» Et maintenant qu’il li ot ce dit, il s’esvanui, qu’il ne sot onques qu’il devint. Et quant Nasciens vit qu’il s’en estoit alés en tel maniere qu’il ne sot qu’il devint, il en mercie Dieu de bon cuer, et de ce qu’il li avoit fait si bien asavoir la senefiance dont il desiroit tant. [p. 408-411]
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