mercredi 5 janvier 2011

Trois rêves de Descartes



Premier rêve de Descartes
Aux prises avec le vent

Il nous apprend que le dixième de novembre mil six cent dix-neuf, s’étant couché tout rempli de son enthousiasme, et tout occupé de la pensée d’avoir trouvé ce jour là les fondements de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit, qu’il s’imagina ne pouvoir être venus que d’en haut.
Après s’être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentérent à lui, et qui l’épouvantérent de telle sorte, que croyant marcher par les rues, il étoit obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il vouloit aller, parce qu’il sentait une grande foiblesse au côté droit dont il ne pouvoit se soutenir. Etant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser : mais il sentit un vent impétueux qui l’emportant dans une espèce de tourbillon lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l’épouvanta. La difficulté qu’il avoit de se traîner faisait qu’il croyait tomber à chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant aperçu un collège ouvert sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une retraite, et un remède à son mal. Il tâcha de gagner l’église du collège, où sa première pensée était d’aller faire sa prière : mais s’étant apperçu qu’il avait passé un homme de sa connaissance sans le saluer, il voulut retourner sur ses pas pour lui faire civilité, et il fut repoussé avec violence par le vent qui soufflait contre l’église. Dans le même temps il vit au milieu de la cour du collège une autre personne qui l’appela par son nom en des termes civils et obligeants : et lui dit que s’il vouloit aller trouver Monsieur N. il avoit quelque chose à lui donner. M. Descartes s’imagina que c’était un melon qu’on avoit apporté de quelque pays étranger. Mais ce qui le surprit davantage, fut de voir que ceux qui se rassemblaient avec cette personne autour de lui pour s’entretenir, étaient droits et fermes sur leurs pieds : quoiqu’il fût toujours courbé et chancelant sur le même terrain, et que le vent qui avait pensé le renverser plusieurs fois eût beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination, et il sentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’aurait voulu séduire. Aussitôt il se retourna sur le côté droit, car c’étoit sur le gauche qu’il s’étoit endormi, et qu’il avoit eu le songe. Il fit une prière à Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe, et d’être préservé de tous les malheurs qui pourraient le menacer en punition de ses péchés, qu’il reconnoissait pouvoir être assez graves pour attirer les foudres du ciel sur sa tête, quoiqu’il eût mené jusques-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes.

Adrien Baillet
La Vie de Monsieur Descartes
France   1691 Genre de texte
Biographie
Contexte
Descartes eut ces songes en novembre 1619, à l’âge de 23 ans, alors qu’il était engagé comme soldat dans les troupes du duc de Bavière, et stationné à Ulm, sur les bords du Danube. Le récit initial que fit Descartes de ces rêves étant perdu, ils ne nous sont plus connus que par la biographie de Baillet.
Ce premier songe est suivi d’un deuxième et d’un troisième, ainsi que d’une interprétation par Descartes.Notes
Le melon : selon Artémidore, «les melons sont bons pour les amitiés et les conciliations: ce qu'on chérit le plus, les poètes l'appellent pepon doux ami» (La clef des songes, Arléa, p. 82).
Commentaires
Descartes eut ces songes en novembre 1619, à l’âge de 23 ans, alors qu’il était engagé comme soldat dans les troupes du duc de Bavière, et stationné à Ulm, sur les bords du Danube.
Ce premier songe est suivi d’un deuxième et d’un troisième, ainsi que d’une interprétation par Descartes.
De nombreuses interprétations ont été tentées. Une chose est certaine : ces songes jouent un rôle capital dans la pensée de Descartes et on parle fort justement à leur propos de «songes initiatiques».
En 1928, Maxime Leroy avait reçu une réponse évasive de Freud à qui il avait demandé d’examiner ce rêve.
Interprétation de Freud
Freud ne se prononce que sur le premier rêve :
«Notre philosophe les interprète lui-même et, nous conformant à toutes les règles de l'interprétation des rêves, nous devons accepter son explication, mais il faut ajouter que nous ne disposons pas d'une voie qui nous conduit au-delà. Confirmant son explication, nous dirons que les entraves qui empêchent Descartes de se mouvoir avec liberté nous sont absolument connues: c'est la confirmation par le rêve d'un conflit intérieur. Le côté gauche est la représentation du mal et du péché, et le vent, celle du mauvais génie. Pour ce qui est du melon, le rêveur a eu l'idée originale de figurer de la sorte les charmes de la solitude. Ce n'est certainement pas exact mais ce pourrait être une association d'idées qui mènerait sur la voie d'une explication exacte. En corrélation avec son état de péché, cette association pourrait figurer une représentation sexuelle qui a occupé l'imagination du jeune solitaire.»
Jacques Maritain a consacré à ces rêves une conférence en 1920, reprise dans Le songe de Descartes, Paris, Buchet-Chastel, 1965.
Sophie Jama en propose une lecture ethnologique en s’intéressant aux «cadres sociaux de la pensée onirique» et en accordant la plus grande attention au corps de connaissances circulant dans la société de Descartes ainsi qu’au symbolisme du calendrier, «voie royale d’accès au populaire». La nuit de songes de René Descartes, Paris, Aubier, 1998.
Interprétation de Marie-Louise von Franz
«[...] la peur le contraint à se courber fortement vers la gauche (ou même à se jeter sur le sol ?). Ce trait doit également être compris avant tout comme une compensation: l'inconscient veut le pousser vers la gauche, du côté «sinistre», féminin, qu'il ignore et méprise à l'excès. Descartes, effrayé, se penche donc vers la gauche. Il faut en déduire, ce qui est digne de remarque, que les esprits apparaissent non pas sur la gauche (où, mythologiquement parlant, ils seraient davantage à leur place), mais sur la droite. La raison en est manifestement qu'il existait à droite un point faible, une porte ouverte aux contenus de l'inconscient. L'inconscient le chasse vers la gauche, car il a lui-même tendance à trop se tourner vers la droite, ce qui correspond également à une inconscience: la conscience est un phénomène du milieu, qui se situe entre l'instinct et l'esprit. [138]
Les deux pôles sont en fin de compte transcendants par rapport à la conscience. On pourrait dire à cet égard que, dans sa méditation intense, Descartes s'était trop approché du pôle spirituel, ce qui l'avait rendu trop inconscient sur ce plan, car possédé par des contenus archétypiques. C'est pourquoi il éprouvait «une grande faiblesse du côté droit» : l'apparition onirique cherche à le corriger en le ramenant vers la gauche. En outre, elle le force à s'incliner profondément afin d'équilibrer son «enthousiasme» quelque peu inflationniste (en effet, comme le dit Maritain, il croyait être appelé à réformer toute la science de son époque). [139]
Le melon
[...] le principe obscur du Yin est symbolisé par le melon. Celui-ci a donc ici quelque chose à voir avec l'image d'une anima obscure, prostituée, représentant un élément de la nature demeuré sauvage et inassimilé qui se révèle par suite dangereux pour les ordres humains conventionnels. [146]
L'odeur agréable, le goût et la jolie couleur du melon sont (d'après saint Augustin) les raisons qui faisaient ranger ce fruit parmi les «trésors en or de Dieu». En tant que fruit porteur de lumière, il évoque le rôle de la pomme du paradis dont l'absorption procure aux hommes la connaissance du Bien et du Mal qui était jusqu'alors réservée à Dieu seul. Cette pomme contient en germe la possibilité du passage à la conscience par la connaissance de l'opposition du bien et du mal. Il est à peu près certain que la signification manichéenne du melon n'était pas ignorée de Descartes, car il connaissait le traité de saint Augustin De Genesi contra Manichaeos et avait sans doute lu les autres textes du saint composés contre ces adversaires. Le melon aurait donc pu signifier pour lui - comme la pomme du paradis - une tentative de réflexion plus approfondie sur le problème du bien et du mal et, contrairement à la conception chrétienne du mal considéré comme privatio boni ou absence de bien, une tentative de reconnaître avec les Manichéens la réalité divine du mal. [148]
En même temps, le melon est l'élément féminin médiateur entre le côté chrétien de Descartes et son côté non chrétien. [149]
Le réseau de nervures vertes du melon ressemble aux méridiens du globe, et l'on peut donc voir dans le melon une sorte de «microcosme». Il est une image du «firmament» intérieur, c'est-à-dire de la totalité psychique qui se manifeste ici en tant que pôle opposé au rêveur fasciné par les phénomènes du macrocosme. [152]
L'inconscient projette donc d'utiliser Descartes comme intermédiaire et de lui faire remettre le melon à Monsieur N. En d'autres termes, le rêveur doit se soucier consciemment des besoins de son ombre, lui fournir la nourriture, comme un auditor à son electus. »[155]
Marie-Louise von Franz, Rêves d'hier et d'aujourd'hui Paris, Albin Michel, 1992.
Texte témoin
Reprod. de l’éd. de Paris : D. Horthemels, 1691. Document Gallica.
Bibliographie
John R. Cole, The Olympian dreams and youthful rebellion of René Descartes, Urbana : University of Illinois Press, 1992.
Sophie Jama, La nuit de songes de René Descartes, Paris, Aubier, 1998.
Jacques Maritain, Le songe de Descartes, Paris, Buchet-Chastel, 1965.



Texte original Il nous apprend que le dixiéme de novembre mil six cent dix-neuf, s’étant couché tout rempli de son enthousiasme, et tout occupé de la pensée d’avoir trouvé ce jour là les fondemens de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit, qu’il s’imagina ne pouvoir être venus que d’enhaut. Aprés s’être endormi, son imagination se sentit frappée de la représentation de quelques fantômes qui se présentérent à lui, et qui l’épouvantérent de telle sorte, que croyant marcher par les ruës, il étoit obligé de se renverser sur le côté gauche pour pouvoir avancer au lieu où il vouloit aller, parce qu’il sentoit une grande foiblesse au côté droit dont il ne pouvoit se soutenir. Etant honteux de marcher de la sorte, il fit un effort pour se redresser : mais il sentit un vent impétueux qui l’emportant dans une espéce de tourbillon lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. Ce ne fut pas encore ce qui l’épouvanta. La difficulté qu’il avoit de se traîner faisoit qu’il croioit tomber à chaque pas, jusqu’à ce qu’ayant apperçû un collége ouvert sur son chemin, il entra dedans pour y trouver une retraite, et un reméde à son mal. Il tâcha de gagner l’eglise du collége, où sa prémiére pensée étoit d’aller faire sa priére : mais s’étant apperçu qu’il avoit passé un homme de sa connoissance sans le saluër, il voulut retourner sur ses pas pour lui faire civilité, et il fut repoussé avec violence par le vent qui souffloit contre l’eglise. Dans le même tems il vit au milieu de la cour du collége une autre personne qui l’appella par son nom en des termes civils et obligeans : et lui dit que s’il vouloit aller trouver Monsieur N il avoit quelque chose à lui donner. M Descartes s’imagina que c’étoit un melon qu’on avoit apporté de quelque païs étranger. Mais ce qui le surprit d’avantage, fut de voir que ceux qui se rassembloient avec cette personne autour de lui pour s’entretenir, étoient droits et fermes sur leurs pieds : quoi qu’il fût toujours courbé et chancelant sur le même terrain, et que le vent qui avoit pensé le renverser plusieurs fois eût beaucoup diminué. Il se réveilla sur cette imagination, et il sentit à l’heure même une douleur effective, qui lui fit craindre que ce ne fût l’opération de quelque mauvais génie qui l’auroit voulu séduire. Aussi-tôt il se retourna sur le côté droit, car c’étoit sur le gauche qu’il s’étoit endormi, et qu’il avoit eu le songe. Il fit une priére à Dieu pour demander d’être garanti du mauvais effet de son songe, et d’être préservé de tous les malheurs qui pourroient le menacer en punition de ses péchez, qu’il reconnoissoit pouvoir étre assez griefs pour attirer les foudres du ciel sur sa tête : quoiqu’il eût mené jusques-là une vie assez irréprochable aux yeux des hommes.. 

Deuxième rêve de Descartes
Un coup de tonnerre

Dans cette situation il se rendormit après un intervalle de près de deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde.
Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crut entendre un bruit aigu et éclatant qu’il prit pour un coup de tonnerre. La frayeur qu’il en eut le réveilla sur l’heure même : et ayant ouvert les yeux, il aperçut beaucoup d’étincelles de feu répandues par la chambre. La chose lui était déjà souvent arrivée en d’autres temps et il ne lui était pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit d’avoir les yeux assez étincelants, pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais en cette dernière occasion il voulut recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira des conclusions favorables pour son esprit, après avoir observé en ouvrant, puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des espèces qui lui étoient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il se rendormit dans un assez grand calme.
Adrien Baillet
La Vie de Monsieur Descartes
France   1691 Genre de texte
Biographie
Contexte
Ce rêve se situe juste à la suite du premier songe et sert de transition avec le troisième, qui suit immédiatement. Descartes en fera lui-même l’interprétation à la fin du troisième songe.

Texte témoin
Reprod. de l’éd. de Paris : D. Horthemels, 1691. Document Gallica


Texte original Dans cette situation il se rendormit aprés un intervalle de prés de deux heures dans des pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde. Il lui vint aussitôt un nouveau songe dans lequel il crût entendre un bruit aigu et éclatant qu’il prit pour un coup de tonnére. La frayeur qu’il en eut le réveilla sur l’heure même : et ayant ouvert les yeux, il apperçût beaucoup d’étincelles de feu répanduës par la chambre. La chose lui étoit déja souvent arrivée en d’autres têms : et il ne lui étoit pas fort extraordinaire en se réveillant au milieu de la nuit d’avoir les yeux assez étincellans, pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui. Mais en cette derniére occasion il voulut recourir à des raisons prises de la philosophie : et il en tira des conclusions favorables pour son esprit, aprés avoir observé en ouvrant, puis en fermant les yeux alternativement, la qualité des espéces qui lui étoient représentées. Ainsi sa frayeur se dissipa, et il se rendormit dans un assez grand calme. 






Troisième rêve de Descartes

Un livre sur la table

Un moment après il eut un troisième songe, qui n’eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa table, sans savoir qui l’y avait mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’était un Dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourrait lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui était pas moins nouveau, ne sachant d’où il lui était venu. Il trouva que c’était un recueil des poésies de différents auteurs, intitulé Corpus Poetarum, etc. Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le vers «Quod vitae sectabor iter ? » [«Quel chemin suivrai-je dans la vie» ?] Au même moment il aperçut un homme qu’il ne connaissait pas, mais qui lui présenta une pièce de vers, commençant par «Est et Non» (1), et qui la lui vantoit comme une pièce excellente. M. Descartes lui dit qu’il savait ce que c’était, et que cette pièce était parmi les «Idylles» d’Ausone qui se trouvait dans le gros Recueil des Poètes qui était sur sa table(2). Il voulut la montrer lui-même à cet homme et il se mit à feuilleter le livre dont il se vantait de connaître parfaitement l’ordre et l’économie. Pendant qu’il cherchait l’endroit, l’homme lui demanda où il avait pris ce livre, et M. Descartes lui répondit qu’il ne pouvait lui dire comment il l’avait eu, mais qu’un moment auparavant il en avait manié encore un autre qui venait de disparaître, sans savoir qui le lui avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n’avait pas achevé, qu’il revit paraître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que ce Dictionnaire n’était plus entier comme il l’avait vu la première fois(3). Cependant il en vint aux poésies d’Ausone dans le recueil des poètes qu’il feuilletait et ne pouvant trouver la pièce qui commence par «Est et non», il dit à cet homme qu’il en connaissait une du même poète encore plus belle que celle-là, et qu’elle commençait par «Quod vitae sectabor iter ? » La personne le pria de la lui montrer, et M. Descartes se mettait en devoir de la chercher, lorsqu’il tomba sur divers petits portraits gravés en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre était fort beau, mais qu’il n’était pas de la même impression que celui qu’il connaissait. Il en était là, lorsque les livres et l’homme disparurent, et s’effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller.
Ce qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’était un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le quittât. Il jugea que le dictionnaire ne vouloit dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble et que le recueil de poésies intitulé Corpus Poetarum, marquait en particulier et d’une manière plus distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne croyait pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que les poètes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des philosophes. Il attribuait cette merveille à la divinité de l’enthousiasme, et à la force de l’imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l’esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la raison dans les philosophes. M. Descartes continuant d’interpréter son songe dans le sommeil, estimait que la pièce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir, et qui commençe par «Quod vitae sectabor iter ?», marquait le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale.
Là dessus, doutant s’il rêvait ou s’il méditait, il se réveilla sans émotion et continua les yeux ouverts l’interprétation de son songe sur la même idée.
Par les poètes rassemblés dans le recueil il entendait la révélation et l’enthousiasme, dont il ne désespérait pas de se voir favorisé. Par la pièce de vers Est et Non, qui est le Oui et le Non de Pythagore, il comprenait la Vérité et la Fausseté dans les connaissances humaines, et les sciences profanes. Voyant que l’application de toutes ces choses réussissait si bien à son gré, il fut assez hardi pour se persuader que c’était l’esprit de vérité qui avait voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restait plus à expliquer que les petits portraits de taille-douce qu’il avait trouvés dans le second livre, il n’en chercha plus l’explication après la visite qu’un peintre italien lui rendit dès le lendemain.
Ce dernier songe qui n’avait eu rien que de fort doux et de fort agréable, marquait l’avenir selon lui et il n’était que pour ce qui devait lui arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les deux précédents pour des avertissements menaçants touchant sa vie passée, qui pouvait n’avoir pas été aussi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c’était la raison de la terreur et de l’effroi dont ces deux songes étaient accompagnés. Le melon dont on voulait lui faire présent dans le premier songe, signifiait, disait-il, les charmes de la solitude, mais présentés par des sollicitations purement humaines. Le vent qui le poussoit vers l’église du collège, lorsqu’il avait mal au côté droit, n’était autre chose que le mauvais génie qui tâchait de le jeter par force dans un lieu où son dessein était d’aller volontairement. C’est pourquoi Dieu ne permit pas qu’il avançât plus loin, et qu’il se laissât emporter même en un lieu saint par un esprit qu’il n’avoit pas envoyé quoiqu’il fût très persuadé que ç’eût été l’esprit de Dieu qui lui avait fait faire les prémières démarches vers cette église. L’épouvante dont il fut frappé dans le second songe, marquait, à son sens, sa syndérêse, c’est-à-dire, les remords de sa conscience touchant les péchés qu’il pouvait avoir commis pendant le cours de sa vie jusqu’alors. La foudre dont il entendit l’éclat, était le signal de l’esprit de vérité qui descendait sur lui pour le posséder. Cette dernière imagination tenait assurément quelque chose de l’enthousiasme : et elle nous porterait volontiers à croire que M. Descartes aurait bu le soir avant que de se coucher. En effet c’était la veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avait coutume de faire la débauche au lieu où il était, comme en France. Mais il nous assure qu’il avait passé le soir et toute la journée dans une grande sobriété, et qu’il y avait trois mois entiers qu’il n’avait bu de vin. Il ajoute que le génie qui excitait en lui l’enthousiasme dont il se sentait le cerveau échauffé depuis quelques jours, lui avait prédit ces songes avant que de se mettre au lit, et que l’esprit humain n’y avait aucune part. Quoi qu’il en soit, l’impression qui lui resta de ces agitations, lui fit faire le lendemain diverses réflexions sur le parti qu’il devait prendre. L’embarras où il se trouva, le fit recourir à Dieu pour le prier de lui faire connaître sa volonté, de vouloir l’éclairer et le conduire dans la recherche de la vérité. Il s’adressa ensuite à la sainte vierge pour lui recommander cette affaire, qu’il jugeait la plus importante de sa vie. Et pour tâcher d’intéresser cette bien-heureuse mère de Dieu d’une manière plus pressante, il prit occasion du voyage qu’il méditait en Italie dans peu de jours, pour former le voeu d’un pélerinage à Notre-Dame De Lorette. Son zèle allait encore plus loin, et il lui fit promettre que dès qu’il serait à Venise, il se mettrait en chemin par terre, pour faire le pélerinage à pied jusqu’à Lorette : que si ses forces ne pouvaient pas fournir à cette fatigue, il prendrait au moins l’extérieur le plus dévot et le plus humilié qu’il lui serait possible pour s’en acquitter. Il prétendait partir avant la fin de novembre pour ce voyage. Mais il paraît que Dieu disposa de ses moyens d’une autre manière qu’il ne les avait proposés. Il fallut remettre l’accomplissement de son voeu à un autre temps, ayant été obligé de différer son voyage d’Italie pour des raisons que l’on n’a point sues, et ne l’ayant entrepris qu’environ quatre ans depuis cette résolution. Son enthousiasme le quitta peu de jours après : et quoique son esprit eût repris son assiette ordinaire, et fut rentré dans son premier calme, il n’en devint pas plus décisif sur les résolutions qu’il avait à prendre. Le temps de son quartier d’hiyver s’écoulait peu à peu dans la solitude de son poële et pour la rendre moins ennuyeuse, il se mit à composer un traité, qu’il espérait achever avant pâques de l’an 1620. Dès le mois de février il songeait à chercher des libraires pour traiter avec eux de l’impression de cet ouvrage. Mais il y a beaucoup d’apparence que ce traité fut interrompu pour lors, et qu’il est toujours demeuré imparfait depuis ce temps-là. On a ignoré jusqu’ici, ce que pouvait être ce traité qui n’a peut-être jamais eu de titre. Il est certain que les olympiques sont de la fin de 1619, et du commençement de 1620 ; et qu’ils ont cela de commun avec le traité dont il s’agit, qu’ils ne sont pas achevés. Mais il y a si peu d’ordre et de liaison dans ce qui compose ces olympiques parmi ses manuscrits, qu’il est aisé de juger que M. Descartes n’a jamais songé à en faire un traité régulier et suivi, moins encore à le rendre public.

 Adrien Baillet
La Vie de Monsieur Descartes
France   1691 Genre de texte
Biographie
Contexte
Le récit de ce troisième songe arrive à la suite des deux premiers.
Ce troisième songe marque le retour sur terre et l’élaboration de la voie qu’il va suivre. Dans son œuvre ultérieure, Descartes insistera sur l’importance capitale des événements de cette nuit. Il puisera dans ces songes venus d’en Haut l’impulsion qui guidera toute sa recherche et les «fondements d’une science admirable». Notes
  1 Le vers d'Ausone commençant par Est et non est une façon typique d'exprimer le doute, qui oscillant entre le Oui et le Non. Il est à remarquer que, par la suite, Descartes va d'abord commencer le Discours de la méthode par les mots Dubito ergo sum. Le fragment poétique qui apparaît dans ce rêve correspond donc bien à une démarche fondamentale du philosophe.
2 Ce poème et le suivant se trouvent sur la même page du recueil d’Ausone (Source: Sophie Jama, La nuit de songes de René Descartes, p. 72)  
 3 Ce demi-dictionnaire ne contient plus que les sciences profanes (Source: Sophie Jama, p. 179).
Texte témoin
Reprod. de l’éd. de Paris : D. Horthemels, 1691. Document Gallica.


Texte témoin
Reprod. de l’éd. de Paris : D. Horthemels, 1691. Document Gallica.

Texte original Un moment aprés il eut un troisiéme songe, qui n’eut rien de terrible comme les deux prémiers. Dans ce dernier il trouva un livre sur sa table, sans sçavoir qui l’y avoit mis. Il l’ouvrit, et voyant que c’étoit un dictionnaire, il en fut ravi dans l’espérance qu’il pourroit lui être fort utile. Dans le même instant il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui étoit pas moins nouveau, ne sçachant d’où il lui étoit venu. Il trouva que c’étoit un recueil des poësies de différens auteurs, intitulé corpus poëtarum etc. Il eut la curiosité d’y vouloir lire quelque chose : et à l’ouverture du livre il tomba sur le vers (...) ? Etc. Au même moment il apperçût un homme qu’il ne connoissoit pas, mais qui lui présenta une piéce de vers, commençant par est et non, et qui la lui vantoit comme une piéce excellente. M Descartes lui dit qu’il sçavoit ce que c’étoit, et que cette piéce étoit parmi les idylles d’Ausone qui se trouvoit dans le gros recüeil des poëtes qui étoit sur sa table. Il voulut la montrer lui même à cét homme : et il se mit à feuïlleter le livre dont il se vantoit de connoître parfaitement l’ordre et l’oeconomie. Pendant qu’il cherchoit l’endroit, l’homme lui demanda où il avoit pris ce livre, et M Descartes lui répondit qu’il ne pouvoit lui dire comment il l’avoit eu : mais qu’un moment auparavant il en avoit manié encore un autre qui venoit de disparoître, sans sçavoir qui le lui avoit apporté, ni qui le lui avoit repris. Il n’avoit pas achevé, qu’il revid paroître le livre à l’autre bout de la table. Mais il trouva que ce dictionnaire n’étoit plus entier comme il l’avoit vû la prémiére fois. Cependant il en vint aux poësies d’Ausone dans le recuëil des poëtes qu’il feüilletoit : et ne pouvant trouver la piéce qui commence par est et non, il dit à cét homme qu’il en connoissoit une du même poëte encore plus belle que celle là, et qu’elle commençoit par «Quod vitae sectabor iter » ? La personne le pria de la lui montrer, et M Descartes se mettoit en devoir de la chercher, lors qu’il tomba sur divers petits portraits gravez en taille douce : ce qui lui fit dire que ce livre étoit fort beau, mais qu’il n’étoit pas de la même impression que celui qu’il connoissoit. Il en étoit là, lors que les livres et l’homme disparurent, et s’effacérent de son imagination, sans néantmoins le réveiller. Ce qu’il y a de singulier à remarquer, c’est que doutant si ce qu’il venoit de voir étoit songe ou vision, non seulement il décida en dormant que c’étoit un songe, mais il en fit encore l’interprétation avant que le sommeil le quittât. Il jugea que le dictionnaire ne vouloit dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble : et que le recueil de poësies intitulé corpus poëtarum, marquoit en particulier et d’une maniére plus distincte la philosophie et la sagesse jointes ensemble. Car il ne croioit pas qu’on dût s’étonner si fort de voir que les poëtes, même ceux qui ne font que niaiser, fussent pleins de sentences plus graves, plus sensées, et mieux exprimées que celles qui se trouvent dans les écrits des philosophes. Il attribuoit cette merveille à la divinité de l’enthousiasme, et à la force de l’imagination, qui fait sortir les semences de la sagesse (qui se trouvent dans l’esprit de tous les hommes comme les étincelles de feu dans les cailloux) avec beaucoup plus de facilité et beaucoup plus de brillant même, que ne peut faire la raison dans les philosophes. M Descartes continuant d’interpreter son songe dans le sommeil, estimoit que la piéce de vers sur l’incertitude du genre de vie qu’on doit choisir, et qui commençe par (...), marquoit le bon conseil d’une personne sage, ou même la théologie morale. Là dessus, doutant s’il révoit ou s’il méditoit, il se réveilla sans émotion : et continua les yeux ouverts, l’interprétation de son songe sur la même idée. Par les poëtes rassemblez dans le recueil il entendoit la révélation et l’enthousiasme, dont il ne desespéroit pas de se voir favorisé. Par la piéce de vers est et non, qui est le ouy et le non de Pythagore, il comprenoit la vérité et la fausseté dans les connoissances humaines, et les sciences profanes. Voyant que l’application de toutes ces choses réüssissoit si bien à son gré, il fut assez hardy pour se persuader, que c’étoit l’esprit de vérité qui avoit voulu lui ouvrir les trésors de toutes les sciences par ce songe. Et comme il ne lui restoit plus à expliquer que les petits portraits de taille-douce qu’il avoit trouvez dans le second livre, il n’en chercha plus l’explication aprés la visite qu’un peintre italien lui rendit dés le lendemain.
Ce dernier songe qui n’avoit eu rien que de fort doux et de fort agréable, marquoit l’avenir selon luy : et il n’étoit que pour ce qui devoit luy arriver dans le reste de sa vie. Mais il prit les deux précédens pour des avertissemens menaçans touchant sa vie passée, qui pouvoit n’avoir pas été aussi innocente devant Dieu que devant les hommes. Et il crut que c’étoit la raison de la terreur et de l’éfroy dont ces deux songes étoient accompagnez. Le melon dont on vouloit luy faire présent dans le prémier songe, signifioit, disoit-il, les charmes de la solitude, mais présentez par des sollicitations purement humaines. Le vent qui le poussoit vers l’eglise du collége, lorsqu’il avoit mal au côté droit, n’étoit autre chose que le mauvais génie qui tâchoit de le jetter par force dans un lieu, où son dessein étoit d’aller volontairement. C’est pourquoy Dieu ne permit pas qu’il avançât plus loin, et qu’il se laissât emporter même en un lieu saint par un esprit qu’il n’avoit pas envoyé : quoy qu’il fût trés-persuadé que ç’eût été l’esprit de Dieu qui luy avoit fait faire les prémiéres démarches vers cette eglise. L’épouvante dont il fut frappé dans le second songe, marquoit, à son sens, sa syndérêse, c’est-à-dire, les remords de sa conscience touchant les péchez qu’il pouvoit avoir commis pendant le cours de sa vie jusqu’alors. La foudre dont il entendit l’éclat, étoit le signal de l’esprit de vérité qui descendoit sur luy pour le posséder. Cette derniére imagination tenoit assurément quelque chose de l’enthousiasme : et elle nous porteroit volontiers à croire que M Descartes auroit bû le soir avant que de se coucher. En effet c’étoit la veille de Saint Martin, au soir de laquelle on avoit coûtume de faire la débauche au lieu où il étoit, comme en France. Mais il nous assure qu’il avoit passé le soir et toute la journée dans une grande sobriété, et qu’il y avoit trois mois entiers qu’il n’avoit bû de vin. Il ajoûte que le génie qui excitoit en luy l’enthousiasme dont il se sentoit le cerveau échauffé depuis quelques jours, luy avoit prédit ces songes avant que de se mettre au lit, et que l’esprit humain n’y avoit aucune part. Quoy qu’il en soit, l’impression qui luy resta de ces agitations, luy fit faire le lendemain diverses réfléxions sur le parti qu’il devoit prendre. L’embarras où il se trouva, le fit recourir à Dieu pour le prier de luy faire connoître sa volonté, de vouloir l’éclairer et le conduire dans la recherche de la vérité. Il s’adressa ensuite à la sainte vierge pour luy recommander cette affaire, qu’il jugeoit la plus importante de sa vie. Et pour tâcher d’intéresser cette bien-heureuse mére de Dieu d’une maniére plus pressante, il prit occasion du voyage qu’il méditoit en Italie dans peu de jours, pour former le voeu d’un pélerinage à Nôtre-Dame De Lorette. Son zéle alloit encore plus loin, et il luy fit promettre que dés qu’il seroit à Venise, il se mettroit en chemin par terre, pour faire le pélerinage à pied jusqu’à Lorette : que si ses forces ne pouvoient pas fournir à cette fatigue, il prendroit au moins l’extérieur le plus dévot et le plus humilié qu’il luy seroit possible pour s’en acquitter. Il prétendoit partir avant la fin de novembre pour ce voyage. Mais il paroît que Dieu disposa de ses moyens d’une autre maniére qu’il ne les avoit proposez. Il fallut remettre l’accomplissement de son voeu à un autre têms, ayant été obligé de différer son voyage d’Italie pour des raisons que l’on n’a point sçeuës, et ne l’ayant entrepris qu’environ quatre ans depuis cette résolution. Son enthousiasme le quitta peu de jours aprés : et quoique son esprit eût repris son assiéte ordinaire, et fût rentré dans son prémier calme, il n’en devint pas plus décisif sur les résolutions qu’il avoit à prendre. Le têms de son quartier d’hyver s’écouloit peu à peu dans la solitude de son poësle : et pour la rendre moins ennuyeuse, il se mit à composer un traité, qu’il espéroit achever avant pâques de l’an 1620. Dés le mois de février il songeoit à chercher des libraires pour traiter avec eux de l’impression de cet ouvrage. Mais il y a beaucoup d’apparence que ce traité fut interrompu pour lors, et qu’il est toûjours demeuré imparfait depuis ce téms-là. On a ignoré jusqu’icy, ce que pouvoit être ce traité qui n’a peut-être jamais eu de titre. Il est certain que les olympiques sont de la fin de 1619, et du commençement de 1620 ; et qu’ils ont cela de commun avec le traité dont il s’agit, qu’ils ne sont pas achevez. Mais il y a si peu d’ordre et de liaison dans ce qui compose ces olympiques parmi ses manuscrits, qu’il est aisé de juger que M Descartes n’a jamais songé à en faire un traité régulier et suivi, moins encore à le rendre public.

Le rêve chez François de Baculard d’Arnaud



Le rêve du comte de Comminge
Un spectre lui apparaît

Dans le sein du repos j’essayais d’assoupir
les tortures d’un cœur fatigué de gémir.
Quel songe m’a rempli de ses traces funèbres!
J’errais, dans un désert, à travers les ténèbres.
Du fond de noirs tombeaux, antiques monuments,
j’entendais s’échapper de longs gémissements;
dans les débris épars de ces vieux mausolées,
je voyais se traîner des ombres désolées.
D’un lamentable écho ces champs retentissaient;
des monceaux de cercueils jusqu’aux cieux s’entassaient :
on eût dit que ces bords, de la nature entière,
du monde enfin étaient l’éternel cimetière.
Tout à l’oreille, aux yeux, au cœur, à tous les sens,
portait l’affreuse mort, et ses traits déchirants.
À la sombre lueur d’une torche sanglante,
j’aperçois une femme égarée, et tremblante :
en vêtements de deuil, les bras levés au ciel,
dans les pleurs, succombant sous un trouble mortel.
J’approche... Adélaïde... à ses genoux je tombe,
et n’embrasse, effrayé, qu’une plaintive tombe!
Je repousse de moi ce tombeau gémissant.
Sous les habits d’Euthime un spectre menaçant
s’élève, se découvre, à mes regards présente...
quelle image! ... la mort cause moins d’épouvante.
D’un tourbillon de feux il était entouré;
on pouvait voir son cœur, de flammes dévoré.
Arrête m’a-t-il dit d’une voix douloureuse, cruel! ...
ma destinée est assez malheureuse!
Puissai-je dans ces feux allumés par le ciel,
expier les erreurs d’un penchant criminel!
Contemple un monument des célestes vengeances...
pleure, il est encor temps, répare tes offenses...
tu vois Adélaïde... à ces mots expirants
il lance dans mon sein un de ses traits brûlants,
je t’attends, poursuit-il. Je m’écrie. Il retombe
et rentre en murmurant dans la nuit de la tombe,
la foudre y suit le spectre, et l’enfer a mugi.

François de Baculard d’Arnaud
Le Comte de Comminge
France   1764 Genre de texte
vers, théâtre
Contexte
Le rêve se situe à la scène première du troisième et dernier acte qui compte 6 scènes.
Amoureux d’Adélaïde qu’il ne peut épouser, le comte de Comminge se retrouve en prison pour avoir tenté de tuer le mari de cette dernière. Un ami le délivre et il se réfugie dans une abbaye où il devient moine. Dans cette abbaye, il rencontre le frère Euthime qui souffre d’une douleur secrète. Le comte fait ce rêve avant la cérémonie funèbre d’Euthime pendant laquelle le frère lui apprend qu’il est Adélaïde, venue vivre à l’abbaye après la mort de son époux pour être auprès de Comminge.Texte témoin
Œuvres, Théâtre, T.2., Paris, Laporte, 1803, p. 66-67. 

 


Un songe du roi Philippe
Un souhait vite réalisé

Le jeune Sargines donna à laver au roi; il eut l’honneur de lui présenter le vin du coucher, et il revint essuyer une longue conversation où le père se dédommagea amplement de sa contrainte, et donna l’essor à tous ces mouvemens que la présence du monarque avoit retenus. Sargines court chez son fils à la pointe du jour; il l’amène à la porte de l’appartement où le prince reposoit, pour attendre l’un et l’autre l’instant de son réveil. Philippe ne les a pas plûtot apperçus :
– Chevalier, je n’ai jamais dormi avec autant de tranquillité : voilà ce que produit le plaisir de causer avec gaieté et franchise; on ne connaît guères à la cour ces effusions d’ame! Il y a pourtant une si douce satisfaction à se parler du coeur! ... mon ami, j’ai rêvé que votre fils étoit la fleur de notre chevalerie.
– Sire, les rêves des rois différent-ils de ceux des autres hommes? Puisse au reste le songe de votre majesté se réaliser! J’y gagnerois un fils, et vous, sire, un fidèle sujet de plus : le nombre des bons serviteurs n’est jamais trop grand.
Philippe s’apprêtoit à monter à cheval; il détache son épée, s’approche du jeune Sargines, et de cet air rempli de bienfaisance qui lui étoit si naturel, la lui mêt au côté en disant : « après Dieu, le roi de France te fait écuyer. »

François de Baculard d’Arnaud
Epreuves Du Sentiment
France   1772 Genre de texte
nouvelle
Contexte
Le rêve est situé dans la nouvelle intitulée « Sargines ».
Sargines, un illustre chevalier, se désole de voir son fils ne démontrer aucune aptitude pour la chevalerie. Il en parle à son ami et maître le roi Philippe qui accepte de rencontrer le jeune Sargines. Après une discussion avec lui chez Sargines, le roi croit que le fils pourrait devenir chevalier après un bon entraînement. Ce soir-là, le roi fait un songe confirmant son hypothèse.Texte témoin
Paris, Le Jay, 1773, p. 292-293, vol. 2. 


Le cauchemar de Clary
Rongée par la culpabilité

Le sommeil, malgré moi, me saisit au milieu des réflexions les plus lugubres; un songe affreux vint ajoûter à ces noires impressions. J’étois dans un souterrein éclairé d’une lampe funèbre, et j’allois tomber dans une fosse. J’apperçois un vieillard dont les cheveux blancs couvroient le visage; il accourt, en me disant : «ce n’est pas à toi de mourir, c’est à moi que cette fosse est destinée : voilà où ma fille m’a conduit!» je reconnais mon pere; je veux l’embrasser. «retire-toi,» poursuit-il, «ou, si tu m’approches, étends ce linceul sur moi.» je me trouve entre les mains un drap mortuaire; il m’échappe un cri; j’entends retentir de la terre jettée sur un cercueil, et une voix sépulchrale qui prononce ces mots : «c’est ici que nous t’attendons.» je me réveille avec horreur; la lumière finissoit.

François de Baculard d’Arnaud
Épreuves Du Sentiment
France   1772 Genre de texte
nouvelle
Contexte
Le rêve figure dans la nouvelle intitulée « Clary ».
Clary, fille d’un paysan, se fait courtiser par Mévil, un noble qui veut l’épouser. Comme il menace de se suicider si Clary refuse de partir de chez elle pour le rejoindre à Londres, Clary est déchirée entre Mévil et ses parents qu’elle aime et qu’elle ne peut abandonner. Alors qu’elle est évanouie, Mévil la fait transporter à Londres où elle mènera une vie faste malgré ses remords. La culpabilité qu’elle ressent d’avoir quitté ses parents est dévoilée dans ce rêve qu’elle raconte au baronet Borston.
Texte témoin
Paris, Le Jay, 1773, p. 226- 227, vol. 1. 

Le rêve chez Saint Augustin



Le rêve de Monique
Debout sur une règle

Mais vous, mon Dieu, vous avez étendu votre main du haut du ciel pour me retirer de ces profondes ténèbres où j'étais enseveli. Ma mère cependant me pleurait avec une douleur plus sensible que les mères ne pleurent leurs enfants lorsqu'elles les voient porter en terre. Car elle me voyait mort devant vous; et elle le voyait par l'œil de la foi et par la lumière de l'esprit que vous aviez répandu en elle. Aussi, mon Dieu, vous avez écouté ses vœux et vous n'avez point méprisé ses larmes, dont elle versait des torrents en votre présence dans tous les lieux où elle vous offrait sa prière. Vous l'avez exaucée dès lors et l'en avez comme assurée par ce songe que vous seul sans doute lui envoyâtes et qui la consola de telle sorte, qu'elle me permit de demeurer avec elle et de manger à sa table, ce qu'elle avait commencé, quelque temps auparavant, de ne plus vouloir, tant elle avait en horreur mes blasphèmes.
Il lui sembla donc qu'étant debout sur une règle de bois et toute triste et tout accablée de douleur, elle vit venir à elle un jeune homme étincelant de lumière, qui, avec un visage gai et souriant, lui demanda le sujet de son affliction et de ses larmes continuelles; mais d'une manière qui témoignait assez qu'il ne le faisait pas tant pour s'en informer que pour la consoler. Sur quoi lui ayant répondu qu'elle déplorait la perte de mon âme, il lui commanda de ne plus se mettre en peine, et de considérer que j'étais au même lieu où elle était; qu'alors regardant attentivement elle s'aperçut que j'étais près d'elle sur cette même règle.
Et d'où un tel rêve lui pouvait-il venir, mon Dieu, sinon de ce que vous daigniez prêter l'oreille à la voix et aux gémissements de son cœur? Ô Dieu éternel! qui n'admirera votre puissance infinie et votre bonté égale à votre puissance, voyant que vous avez autant de soin du moindre de nous que si vous n'aviez à conduire que lui seul, et que vous avez autant de soin de tous les hommes ensemble que de chaque homme en particulier?
Mais encore ceci. Lorsqu’elle me raconta sa vision, comme je tâchais de l'interpréter à mon avantage en lui disant qu'il lui marquait qu'elle pourrait être un jour de mon sentiment et non pas que je dusse être du sien, elle me répondit sur-le-champ sans hésiter : «Cela ne peut être, parce qu'il ne m'a pas dit: Là où il est, tu seras toi aussi; mais: Là où tu es, toi, il sera lui aussi!».
Je vous confesse, mon Dieu, ce qui m'arriva pour lors, autant que je m'en puis souvenir, et ce que j'ai dit souvent depuis, que cette réponse si soudaine de ma mère par laquelle, sans se troubler du faux sens que j'avais donné à ces paroles, lequel avait tant d'apparence de vérité, elle dissipa ce nuage en un moment et vit tout d'un coup ce qui n'était pas si aisé à découvrir, et dont je ne m'étais pas aperçu moi-même avant qu'elle me l'eût dit, cette réponse, dis-je, me toucha dès lors beaucoup davantage que n'avait fait le songe et la vision dont il vous plut de favoriser sa piété, ayant voulu, pour la consoler dans sa douleur, lui faire voir tant de temps auparavant une image de la joie dont Vous deviez la combler un jour. Car depuis il s'est passé presque neuf années durant lesquelles je suis demeuré dans cet abîme de boue et dans ces ténèbres de l'erreur, tâchant souvent de me relever et retombant toujours encore plus bas. Et durant tout ce temps, mon Dieu, cette veuve chaste, sobre et pieuse, telle que vous les aimez, ne cessa point de gémir pour moi devant vous, s'animant de telle sorte par la vive espérance de vos promesses, que, bien loin d'en devenir plus négligente, elle ne donna jamais ni de relâche à ses soupirs, ni de trêve à ses larmes, ni de fin à ses vœux et à ses prières. Vous receviez favorablement le sacrifice qu'elle vous offrait pour moi, et néanmoins vous me laissiez plonger de plus en plus dans cette nuit de l'erreur.

Augustin
Les Confessions
Rome   398 Genre de texte
Autobiographie
Contexte
Augustin a environ 23 ans lorsque sa mère lui raconte ce rêve qu’elle a fait. Celle-ci, qui est chrétienne, se désole de voir son fils vivre dans la débauche. Ce texte a été rédigé vers 398, alors qu’Augustin avait 43 ou 44 ans.
La règle sur laquelle marchent Monique et son fils servira de métaphore à l'organisation de la vie dans les monastères.Notes
Augustin s'est également intéressé à la théorie du rêve et à la nature des visions que l'on a durant son sommeil. Il appuie son argumentation sur un rêve de Sainte Perpétue, qui s'était vue changée en homme et combattant contre les Égyptiens. 
Texte témoin
Les Confessions, Paris, Garnier, III, 11, 19-20. Traduction d’Arnauld d'Andilly (légèrement modifiée).
Édition critique
Texte latin sur Itinera electronica (Louvain).

Texte original Et misisti manum tuam ex alto et de hac profunda caligine eruisti animam meam, cum pro me fleret ad te mea mater, fidelis tua, amplius quam flent matres corporea funera. Videbat enim illa mortem meam ex fide et spiritu quem habebat ex te, et exaudisti eam, domine. Exaudisti eam nec despexisti lacrimas eius; cum profluentes rigarent terram sub oculis eius in omni loco orationis eius, exaudisti eam. Nam unde illud somnium quo eam consolatus es, ut uiuere mecum cederet et habere mecum eandem mensam in domo? (Quod nolle coeperat auersans et detestans blasphemias erroris mei.) Vidit enim se stantem in quadam regula lignea et aduenientem ad se iuuenem splendidum hilarem atque arridentem sibi, cum illa esset maerens et maerore confecta. Qui cum causas ab ea quaesisset maestitiae suae cotidianarumque lacrimarum, docendi, ut adsolet, non discendi gratia, atque illa respondisset perditionem meam se plangere, iussisse illum (quo secura esset) atque admonuisse, ut attenderet et uideret, ubi esset illa, ibi esse et me. Quod illa ubi attendit, uidit me iuxta se in eadem regula stantem. Unde hoc, nisi quia erant aures tuae ad cor eius, o tu bone omnipotens, qui sic curas unumquemque nostrum tamquam solum cures, et sic omnes tamquam singulos? [3.11.20 ]Unde illud etiam, quod cum mihi narrasset ipsum uisum, et ego ad id trahere conarer ut illa se potius non desperaret futuram esse quod eram, continuo sine aliqua haesitatione: `non,' inquit, `non enim mihi dictum est, ``ubi ille, ibi et tu,'' sed, ``ubi tu, ibi et ille.''' confiteor tibi, domine, recordationem meam, quantum recolo, quod saepe non tacui, amplius me isto per matrem uigilantem responso tuo, quod tam uicina interpretationis falsitate turbata non est et tam cito uidit quod uidendum fuit (quod ego certe, antequam dixisset, non uideram), etiam tum fuisse commotum quam ipso somnio quo feminae piae gaudium tanto post futurum ad consolationem tunc praesentis sollicitudinis tanto ante praedictum est.

Le rêve chez Vital d’ Audiguier



Rêve de Cléandre
Pressentiments d’un mari trompé

Cléandre donc, s’approchant de sa femme, lui demanda comment elle se trouvait, et elle dit que sa fièvre avait augmenté depuis le souper faute de dormir, et qu’elle croyait que sa guérison consistait en son repos. Cléandre lui prit la main, et lui trouvant le pouls ému (comme il ne pouvait faillir de l’être, en l’appréhension où elle était) lui dit néanmoins que cela ne serait rien. Qu’il ne soit vrai, dit-il, je suis ému comme vous, mais mon émotion procède d’ailleurs : car je songeais tout maintenant que je vous avais perdue, et qu’il y avait un dragon ici qui vous enlevait; tellement que cela m’a éveillé tout tremblant : et puis me souvenant que vous vous trouviez mal hier au soir, interprétant moi-même mon propre songe, j’ai craint que votre mal ne fût le dragon que j’ai vu vous emporter, et c’est ce qui m’a fait venir à cette heure pour voir comment vous vous trouvez : mais dieu merci, vous n’êtes pas aussi mal que j’avais songé, ce dont je suis bien aise. Je m’en vais coucher une petite heure avec vous, et puis je vous laisserai reposer. Quand Lysandre ouït le songe de Cléandre, il crut infailliblement être découvert, jusqu’à ce qu’il entendit l’explication qu’il en fit.

Vital d’ Audiguier
Histoire trage-comique de nostre temps, sous les noms de Lysandre et de Caliste
France   1624 Genre de texte
Roman
Contexte
Le récit de rêve se situe dans le livre 2 du roman qui comprend 10 livres.
Caliste a donné rendez-vous à son amant Lysandre dans sa chambre. Prétextant auprès de son époux ne pas se sentir bien, elle se retire dans sa chambre alors que son mari Cléandre fait de même. Lorsque les amants se retrouvent, Caliste apprend la visite de son époux. Elle prie Lysandre de se cacher derrière une tapisserie alors que Cléandre entre.
Texte original Cleandre doncques s’approchant de sa femme, luy demanda comment elle se trouvoit, et elle dit que sa fievre avoit augmenté depuis le souper à faute de dormir, et qu’elle croyoit que sa guerison consistoit en son repos. Cleandre luy print la main, et luy trouvant le pous esmeu (comme il ne pouvoit faillir de l’estre, en l’apprehension où elle estoit) luy dit neantmoins que cela ne seroit rien. Qu’il ne soit vray, dit-il, je suis esmeu comme vous, mais mon esmotion procede d’ailleurs : car je songeois tout maintenant que je vous avois perduë, et qu’il y avoit un dragon icy qui vous enlevoit; tellement que cela m’a esveillé tout tremblant : et puis me souvenant que vous-vous trouviez mal hier au soir, interpretant moy-mesme mon propre songe, j’ay craint que vostre mal ne fust le dragon que j’ay veu vous emporter, et c’est ce qui m’a faict venir à ceste heure pour voir comment vous-vous trouvez : mais dieu mercy, vous n’estes pas si mal que j’avois songé, dont je suis bien aise. Je m’en vay coucher une petite heure avecque vous, et puis je vous laisseray reposer. Quand Lysandre oüyt le songe de Cleandre, il creut infailliblement estre descouvert, jusques à ce qu’il entendit l’explication qu’il en fit. 

Texte témoin
Paris : A. Bourriquant, 1624, p. 70-71.

Le rêve chez Wystan Hugh Auden



Un cauchemar
Scissor Man

«Rêver permet à chacun d’entre nous d’être tranquillement fou en toute sécurité chaque nuit de notre vie.» (Charles Fisher) Précisément. Pour ce qui est de mon expérience, mes rêves, quoique nécessaires au plan physiologique et psychologique, me paraissent, quand je me réveille, être ennuyeux de la même façon que les fous, c’est à dire, répétitifs, dépourvus de toute forme d’humour et follement égocentriques. Une seule fois dans ma vie j’ai eu un rêve qui, après examen, m’a paru suffisamment intéressant pour que je le note.
Un cauchemar – Août 1936
J’étais à l’hôpital, pour une appendicectomie. Il y avait là quelqu’un avec des yeux verts et qui avait une terrifiante affection pour moi. Il coupa le bras d’une vieille dame qui était sur le point de me faire du mal. J’en parlai aux médecins de ce personnage, mais ils ne faisaient pas attention, quoique, à ce moment-là, je pris conscience qu’ils étaient inquiets de sa mauvaise influence sur moi. Je décidai de m’échapper de l’hôpital et je le fais, après avoir cherché quelque chose dans un placard, je ne sais pas quoi. Je vais à la gare, me faufile entre les wagons d’un train, descends un escalier en colimaçon et sors sous les jambes de quelques garçons et filles. Maintenant, mon compagnon est apparu avec se trois frères (il se peut qu’il n’y en ait eu que deux). L’un d’eux, blond aux traits doux, les ongles bien soignés, est plus rassurant. Ils me disent qu’ils n’abandonneront jamais quelqu’un qu’ils aiment et qu’ils choisissent souvent le timide. Le nom de celui qui fait peur est Giga (en islandais Gigur désigne un cratère), ce que j’associe avec le nom Marigold («souci») et j’ai la vision d’une poursuite comme si c’était une image dans un livre, que je pense relié au personnage à longues jambes rouges, l’Homme aux ciseaux dans Der Struwelpeter . La scène se change en une fabrique abandonnée, sous la clarté de la lune. Les frères sont là, ainsi que mon père. On entend de grands coups qui sont frappés, dont ils me disent qu’ils sont causés par le fantôme d’une vieille tante qui vit dans une boîte dans l’usine. Comme de juste, la boîte, qui ressemble à ma boîte fourre-tout, arrive en rebondissant et s’arrête à nos pieds, en s’ouvrant. Elle est pleine d’œufs durs. Les frères sont très égoïstes et s’en emparent, et seul mon père me donne la moitié du sien.

Wystan Hugh Auden
“Dreams”
Grande-Bretagne   1970 Genre de texte
Autobiographie
Contexte
Ce livre est un recueil d’extraits littéraires qui ont influencé Auden ou qui avaient beaucoup de signification pour lui. Il les a organisés en ordre alphabétique avec parfois des commentaires. Dans la section intitulée Dreams, Auden copie un extrait de John Davy sur le sommeil REM, ainsi que des citations de Novalis, Coleridge, Lichtenberg et Hegel au sujet du rêve. L'auteur raconte ensuite son propre rêve, qui est donné ici, suivi par des récits de rêves de Goethe, Dag Hammarskjöld et Florence Aadland.
Notes
Wystan Hugh Auden (1907-1973) a grandi à Birmingham (Angleterre, mais s'est installé aux États-Unis en 1939.
Commentaires
Dans Der Struwelpeter, conte fantastique créé par Heinrich Hoffman, l’Homme aux ciseaux coupe le pouce des petits garçons qui se le sucent. Il apparaît dans «L’histoire du petit Suce-pouce», une des comptines favorites d’Auden lorsqu’il était enfant. Sous l’entrée «Complexe de castration», Auden donne la traduction du texte complet et ajoute : «En lisant aujourd’hui ce poème, je me dis que, bien évidemment, il ne s’agit pas du tout de sucer le pouce, mais bien de la masturbation, qui est punie par la castration. Mais, si c’est le cas, pourquoi est-ce que je prenais plaisir à ce poème lorsque j’étais enfant? Pourquoi n’étais-je pas effrayé? Si ça suscitait ma peur, c’était une peur fictive bien agréable. Il se trouve que je me rongeais les ongles, mais je savais parfaitement que je ne subirais pas le sort de Suce-pouce, car l’Homme aux ciseaux était juste un personnage dans un poème et non une personne réelle. D’un toute autre ordre est la peur qu’éveillent en moi araignées, crabes et pieuvres, qui symbolisent pour moi la castration par la Vagina Dentata». (p. 52-53)


Texte témoin
A Certain World: A Commonplace Book, London: Faber and Faber, 1971, p. 126-127. Notre traduction [CV].
Texte original
“Dreaming permits each and every one of us to be quietly and safely insane every night of our lives.” (Charles Fisher) Precisely. So far as my own experience goes, my dreams, however physiologically and psychologically necessary, seem to me, on waking, to be boring in exactly the same way that lunatics are, that is to say, repetitious, devoid of any sense of humour, and insanely egocentric. Only once in my life have I had a dream which, on conscious consideration, seemed interesting enough to write down. A Nightmare—August 1936
I was in hospital for an appendectomy. There was somebody there with green eyes and a terrifying affection for me. He cut off the arm of an old lady who was going to do me an injury. I explained to the doctors about him, but they were inattentive, though, presently, I realized that they were very concerned about his bad influence over me. I decide to escape from the hospital, and do so, after looking in a cupboard for something, I don’t know what. I get to a station, squeeze between the carriages of a train, down a corkscrew staircase and out under the legs of some boys and girls. Now my companion has turned up with his three brothers (there may have been only two). One, a smooth-faced, fine-fingernailed blond, is more reassuring. They tell me that they never leave anyone they like and that they often choose the timid. The name of the frightening one is Giga (in Icelandic Gigur is a crater), which I associate with the name Marigold and have a vision of pursuit like a book illustration and, I think, related to the long red-legged Scissor Man in Schockheaded Peter. The scene changes to a derelict factory by moonlight. The brothers are there, and my father. There is a great banging going on which, they tell me, is caused by the ghost of an old aunt who lives in a tin in the factory. Sure enough, the tin, which resembles my mess tin, comes bouncing along and stops at our feet, falling open. It is full of hard-boiled eggs. The brothers are very selfish and seize them, and only my father gives me half his.

Le rêve chez Aubert de Gaspé (père et fils)





Le rêve de Charles Amand

La gloire d’un alchimiste

Il s’endormit facilement; car depuis longtemps il avait pour habitude de ne prendre que deux heures de sommeil par nuit. [...]
Cette nuit il eut un songe : il lui sembla être près de l’astre du jour, qui d’un côté lui présentait un vaste jardin au milieu duquel, sur un trône, était assis un esprit céleste qui l’excitait du geste et de la voix à le rejoindre. Amand, enivré de joie, s’élançait vers lui et celui-ci lui faisait place à ses côtés et lui disait : «Sans nul secours, tu t’es frayé un chemin au travers du sentier rude et épineux de la science, tu as pénétré dans les secrets les plus profonds de la nature, tu as approfondi des mystères que le vulgaire regarde de l’oeil de l’indifférence, les difficultés ne t’ont pas rebuté : pas même la dérision à laquelle tu t’exposais. Viens jouir maintenant de ta récompense. Tu vas retourner sur cette terre où l’on t’appelait visionnaire; mais tu n’y seras plus pauvre et sans asile -- Suis-moi. » Et, accompagnant l’esprit céleste, il passait sur la surface opposée du Dieu de la lumière et il lui semblait qu’il était sur un miroir d’or et de rubis et que tout cela était à lui. Puis il se retrouvait sur notre globe, on l’adorait, on l’aimait, on l’enviait... Il était heureux!
Le jour mit fin à cette douce erreur, et la froide réalité vint rappeler à notre héros qu’il était seul, couché sur un misérable grabat, et presque mourant d’inanition au fond d’une chaumière.

Philippe Aubert de Gaspé (fils)
L’influence d’un livre : roman historique
Québec   1837 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit de rêve se situe à la fin du chapitre premier du roman.
Dans l’espoir de devenir riche et reconnu, Charles Amand, alchimiste, tente désespérément de transformer la matière en or, en suivant les recettes d’un livre. Dans sa cabane, il essaie quelques mélanges, puis, pris de fatigue, s’endort.Notes
Ce rêve est tiré de l’édition originale publiée en 1837. Aubert de Gaspé fils est décédé en 1841. L’édition subséquente et posthume, préparée par l’abbé Casgrain (1864), a connu des modifications, deux en particulier assez importantes: Joseph Lepage est devenu Joseph Mareuil et le titre a été modifié comme suit: Le chercheur de trésors ou l’influence d’un livre.
Édition originale
L’influence d’un livre : roman historique Québec, William Cowan & Fils, 1837, p. 10-11.


Le cauchemar de Joseph Lepage
La conscience d’un assassin

La fatigue le fit reposer pendant quelques heures; mais, vers le matin, son imagination frappée de la veille, vint les lui rappeler avec des circonstances horribles.
Il lui sembla que sa demeure était transformée en un immense tombeau de marbre noir; que ce n’était plus sur un lit qu’il reposait, mais sur le cadavre d’un vieillard octogénaire auquel il était lié par des cheveux d’une blancheur éclatante. Des milliers de vermisseaux qui lui servaient de drap mortuaire le tourmentaient sans cesse. Tout-à-coup, au pied de sa couche glacée se levait lentement l’ombre d’une jeune fille, enveloppée d’un immense voile blanc, qui l’invitait à le rejoindre; et il faisait d’inutiles efforts pour se soulever. La jeune fille levait son voile et sur son corps d’une beauté éblouissante, il voyait un visage dévoré par un cancer hideux, qui lui présentait une bouche sanglante à baiser. Puis l’ombre de Guillemette se présentait à son chevet pâle et livide; de son crâne fracassé s’écoulait une longue trace de sang et sa chemise entrouverte laissait voir une profonde blessure à son col. Il se sentait près de défaillir; mais l’apparition lui jetait quelques gouttes de sang sur les tempes et ses forces s’augmentaient malgré lui. Il voulait se fuir lui-même; mais une voix intérieure lui répétait sans cesse : Seul avec tes souvenirs!
------------
L’homme coupable peut dormir quelque tems [sic] en sécurité ; mais lorsque la coupe de crime est remplie, une dernière goutte y tombe, et, comme une voix descendue du ciel, vient faire retentir aux oreilles du criminel ces terribles paroles : c’est assez! Puis alors adieu tous les rêves de bonheur fondés sur cette base impure ; le remords commence son office de bourreau et chaque espérance est détruite par une réalité. Oh! qu’il doit être horrible le remords qui présente au malheureux, comme dernière perspective, le gibet! Le gibet, avec toute sa solennité, sa populace silencieuse, ses officiers en noir, son ministre de l’évangile, le bourreau et sa dernière pensée -- la mort! Telles étaient les idées qui devaient troubler Lepage dans sa profonde sécurité. Il ne se doutait guère, lorsqu’il fut réveillé en sursaut, sur les huit heures du matin, par la voix qui lui criait que désormais il serait seul avec sa pensée, qu’avant minuit cette sentence serait accomplie.

Philippe Aubert de Gaspé (fils)
L’influence d’un livre : roman historique
Québec   1837 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe à la fin du chapitre troisième du roman.
Après avoir assassiné François Guillemette, Joseph Lepage dépose le corps de sa victime sur le large d’un fleuve et nettoie les indices qui pourraient trahir son acte. Fatigué, il s’endort; des images du crime hantent sa conscience.
Le narrateur interprète le rêve de Joseph Lepage au début du chapitre quatrième (p. 28-29).
Notes
Ce rêve est tiré de l’édition originale publiée en 1837. Aubert de Gaspé fils est décédé en 1841. L’édition subséquente et posthume, préparée par l’abbé Casgrain (1864), a connu des modifications, deux en particulier assez importantes: Joseph Lepage est devenu Joseph Mareuil et le titre a été modifié comme suit: Le chercheur de trésors ou l’influence d’un livre.
Édition originale
L’influence d’un livre : roman historique Québec, William Cowan & Fils, 1837, p. 27-29.

Rodrigue Bras-de-fer
Une nuit avec le diable

J’avais bu beaucoup d’eau-de-vie pendant la journée, et je continuai à boire pour m’étourdir sur ma triste situation; en effet, j’étais seul sur une plage éloignée de toute habitation; seul avec ma conscience! [...]
Il pouvait être neuf heures du soir. J’avais soupé, je fumais ma pipe, près de mon feu, et mes deux chiens dormaient à mes côtés; la nuit était sombre et silencieuse, lorsque, tout à-coup, j’entendis un hurlement si aigre, si perçant, que mes cheveux se hérissèrent. Ce n’était pas le hurlement du chien ni celui plus affreux du loup; c’était quelque chose de satanique. Mes deux chiens y répondirent par des cris de douleur, comme si on leur eût brisé les os. J’hésitai; mais l’orgueil l’emportant, je sortis armé de mon fusil chargé à trois balles; mes deux chiens, si féroces, ne me suivirent qu’en tremblant. Tout était cependant retombé dans le silence, et je me préparais déjà à rentrer lorsque je vis sortir du bois, un homme suivi d’un énorme chien noir; cet homme était au-dessus de la moyenne taille et portait un chapeau immense, que je ne pourrais comparer qu’à une meule de moulin, et qui lui cachait entièrement le visage. Je l’appelai, je lui criai de s’arrêter; mais il passa, ou plutôt coula comme une ombre, et lui et son chien s’engloutirent dans le fleuve. Mes chiens tremblant de tous leurs membres s’étaient pressés contre moi et semblaient me demander protection.
Je rentrai dans ma cabane saisi d’une frayeur mortelle; je fermai et barricadai mes trois portes avec ce que je pus me procurer de meubles; et ensuite mon premier mouvement fut de prier ce Dieu que j’avais tant offensé et lui demander pardon de mes crimes : mais l’orgueil l’emporta, et repoussant ce mouvement de la grâce, je me couchai, tout habillé, dans le douzième lit, et mes deux chiens se placèrent à mes côtés. J’y étais depuis, environ, une demi-heure, lorsque j’entendis gratter sur ma cabane, comme si des milliers de chats, ou autres animaux, s’y fussent cramponnés avec leurs griffes; en effet je vis descendre dans ma cheminée et remonter avec une rapidité étonnante, une quantité innombrable de petits hommes hauts d’environ deux pieds; leurs têtes ressemblaient à celles des singes et étaient armées de longues cornes. Après m’avoir regardé, un instant, avec une expression maligne, ils remontaient la cheminée avec la vitesse de l’éclair, en jetant des éclats de rires diaboliques. Mon âme était si endurci [sic] que ce terrible spectacle, loin de me faire rentrer en moi-même, me jeta dans un tel accès de rage que je mordais mes chiens pour les exciter, et que saisissant mon fusil je l’armai et tirai avec force la détente, sans réussir pourtant à faire partir le coup. Je faisais des efforts inutiles pour me lever, saisir un harpon et tomber sur les diablotins, lorsqu’un hurlement plus horrible que le premier me fixa à ma place. Les petits êtres disparurent, il se fit un grand silence, et j’entendis frapper deux coups à ma première porte : un troisième coup se fit entendre, et la porte, malgré mes précautions, s’ouvrit avec un fracas épouvantable. Une sueur froide coula sur tous mes membres, et pour la première fois, depuis dix ans, je priai, je suppliai Dieu d’avoir pitié de moi. Un second hurlement m’annonça que mon ennemi se préparait à franchir la seconde porte, et au troisième coup elle s’ouvrit comme la première, et avec le même fracas. O mon Dieu! mon Dieu! m’écriai-je, sauvez-moi! sauvez-moi! Et la voix de Dieu grondait à mes oreilles, comme un tonnerre, et me répondait : non, malheureux, tu périras. Cependant un troisième hurlement se fit entendre et tout rentra dans le silence; ce silence dura une dizaine de minutes. Mon coeur battait à coups redoublés; il me semblait que ma tête s’ouvrait et que ma cervelle s’en échappait goutte à goutte; mes membres se crispaient et lorsqu’au troisième coup, la porte vola, en éclats, sur mon plancher, je restai comme anéanti. L’être fantastique que j’avais vu passer, entra alors avec son chien et ils se placèrent vis-à-vis de la cheminée. Un reste de flamme qui y brillait s’éteignit aussitôt et je demeurai dans une obscurité parfaite.
Ce fut alors que je priai avec ardeur et fis voeu à la bonne Ste-Anne, que si elle me délivrait, j’irais de porte en porte, mendiant mon pain le reste de mes jours. Je fus distrait de ma prière par une lumière soudaine; le spectre s’était tourné de mon côté, avait relevé son immense chapeau, et deux yeux énormes, brillants comme des flambeaux, éclairèrent cette scène d’horreur. Ce fut alors que je pus contempler cette figure satanique: un énorme nez lui couvrait la lèvre supérieure, quoique son immense bouche s’étendit d’une oreille à l’autre; lesquelles oreilles lui tombaient sur les épaules comme celles d’un lévrier. Deux rangées de dents noires comme du fer et, sortant presque horizontalement de sa bouche, se choquaient avec un fracas horrible. Il porta son regard farouche de tous côtés, et, s’avançant lentement, il promena sa main décharnée et armée de griffes, sur toute l’étendue du premier lit; du premier lit il passa au second, et ainsi de suite jusqu’au onzième, où il s’arrêta quelque temps. Et moi, malheureux! je calculais pendant ce temps-là, combien de lits me séparaient de sa griffe infernale. Je ne priais plus: je n’en avais pas la force; ma langue desséchée était collée à mon palais et les battements de mon coeur, que la crainte me faisait supprimer, interrompaient seuls le silence qui régnait autour de moi, dans cette nuit funeste. Je lui vis étendre la main sur moi; alors, rassemblant toutes mes forces, et par un mouvement convulsif, je me trouvai debout, et face à face avec le fantôme dont l’haleine enflammée me brûlait le visage. Fantôme! lui criai-je, si tu es de la part de Dieu demeure, mais si tu viens de la part du diable je t’adjure, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, de t’éloigner de ces lieux. Satan, car c’était lui, messieurs, je ne puis en douter, jeta un cri affreux et son chien, un hurlement qui fit trembler ma cabane comme l’aurait fait une secousse de tremblement de terre. Tout disparut alors, et les trois portes se refermèrent avec un fracas horrible. Je retombai sur mon grabat, mes deux chiens m’étourdirent de leurs aboiements, pendant une partie de la nuit, et ne pouvant enfin résister à tant d’émotions cruelles, je perdis connaissance. Je ne sais combien dura cet état de syncope; mais, lorsque je recouvrai l’usage de mes sens, j’étais étendu sur le plancher me mourant de faim et de soif. Mes deux chiens avaient aussi beaucoup souffert; car ils avaient mangé mes souliers, mes raquettes et tout ce qu’il y avait de cuir dans la cabane. Ce fut avec beaucoup de peine que je me remis assez de ce terrible choc pour me traîner hors de mon logis. Et lorsque mes compagnons revinrent, au bout de trois mois, ils eurent de la peine à me reconnaître : j’étais ce spectre vivant que vous voyez devant vous. (p. 83-87)
------------
Il me semble, dit l’étudiant, esprit fort, que le mendiant nous en a assez dit pour expliquer la vision, d’une manière très-naturelle; il était ivrogne d’habitude, il avait beaucoup bu ce jour-là; sa conscience lui reprochait un meurtre atroce. Il eut un affreux cauchemar, suivi d’une fièvre au cerveau, causée par l’irritation du système nerveux et... et...
Philippe Aubert de Gaspé (fils)
L’influence d’un livre : roman historique
Québec   1837 Genre de texte
roman
Contexte
Ces visions constituent la deuxième moitié du chapitre neuvième du roman. Rodrigue Bras-de-fer, devenu mendiant, raconte ce qu’il a vu, un soir qu’il gardait, seul, un poste de la compagnie du Labrador.
Dans l’après-midi précédant sa première nuit à titre de gardien au Poste du Diable, il avait lancé une pierre à un membre d'un équipage qui le narguait et blessé le malheureux, qui meurt quelques mois plus tard des suites de sa blessure. Un soir il aurait rencontré le diable. D’après le personnage de l'étudiant à qui ce rêve est raconté, ces visions seraient en réalité issues d’un cauchemar provoqué par l’alcool et une conscience coupable.Notes
Ce récit n’est pas sans rappeler le rêve de Lepage, un autre meurtrier, également provoqué par la culpabilité ou par le remords d’avoir posé un geste funeste.
Ste-Anne d’Auray : mère de Sainte-Marie et sainte patronne des Bretons. Édition originale
L’influence d’un livre : roman historique Québec, William Cowan & Fils, 1837, p. 83-88.
Ce rêve est tiré de l’édition originale publiée en 1837. Aubert de Gaspé fils est décédé en 1841. L’édition subséquente et posthume, préparée par l’abbé Casgrain (1864), a connu des modifications, deux en particulier assez importantes: Joseph Lepage est devenu Joseph Mareuil et le titre a été modifié comme suit: Le chercheur de trésors ou l’influence d’un livre.


Rêve de Madame d’Haberville
Une mère éplorée revoit sa fille

Elle raconta, quelques jours après, au bon moine, que sa petite fille, toute rayonnante de joie et portant une corbeille de fleurs, lui était apparue en songe pour la remercier de ce qu’elle avait cessé de verser des larmes qu’elle aurait été condamnée à recueillir.

Philippe Aubert de Gaspé (père)
Les Anciens Canadiens
Québec   1863 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe à la fin du chapitre onze du roman, intitulé «Légende de madame d’Haberville».
Madame d’Haberville raconte la légende d’une mère éplorée par la mort de sa fille et qui fut témoin d’une apparition alors qu’elle priait dans une église : elle vit les fantômes de plusieurs enfants décédés, parmi lesquels se trouvait celui de sa fille, malheureuse à cause des seaux remplis de larmes qu’elle devait porter. Suivant le conseil du moine auquel elle raconte ses visions, la mère acceptera la mort de sa fille. Un peu plus tard, elle racontera au moine ce rêve qu’elle vient de faire.Notes
Le pronom « Elle » renvoie à une mère qui a perdu sa fille.
Madame d’Haberville est la mère du protagoniste du roman, Jules d’HabervilleTexte témoin
Les Anciens Canadiens; Introduction de Maurice Lemire, texte intégral conforme à l’édition de 1864, Québec, Bibliothèque québécoise, 1988, p. 190.
Édition originale
Les Anciens Canadiens, Québec, Desbarats et Derbishire, 1863.





Le rêve de Madame d’Haberville

Le naufrage de l’Auguste

-- Pauvre amie! compagne de mon enfance, s’écria madame d’Haberville au milieu de ses sanglots; pauvre soeur, que la même nourrice a allaitée! On a voulu me faire croire que j’étais en proie à une surexcitation nerveuse produite par l’inquiétude qui me dévorait, lorsque je t’ai vue tout éplorée pendant mon sommeil, le 17 novembre, sur le tillac de l’Auguste, avec ton enfant dans les bras, et lorsque je t’ai vue disparaître sous les flots! Je ne me suis point trompée; pauvre soeur! elle voulait me faire ses adieux avant de monter au ciel avec l’ange qu’elle tenait dans ses bras!

Philippe Aubert de Gaspé (père)
Les Anciens Canadiens
Québec   1863 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe au milieu du chapitre quinze du roman intitulé «Le naufrage de l’Auguste».
Deux jours après le décès de son amie, Madame d’Haberville rêve au naufrage de l’Auguste, bateau sur lequel ont péri Madame de Mézière et son enfant, le 15 novembre 1761. Le 22 février 1762, un homme rescapé du naufrage annonce aux d’Haberville que Madame de Mézière a péri dans le naufrage de l’Auguste. Madame d’Haberville croit que son amie est venue lui faire ses adieux par le biais du rêve.
Ce naufrage sera évoqué dans un autre rêve plus loin dans cet ouvrage. L’auteur explique, dans ses Notes et éclaircissements, que le récit entourant les visions nocturnes est un fait vécu : l’anecdote lui a été racontée par sa grand-mère maternelle, l’une des filles du baron. Une vieille servante au service de la famille du baron Lemoine avait fait un rêve dans lequel madame de Mézière et son enfant trouvent la mort dans le naufrage de l’Auguste. Voici le récit que fait la vieille :
«Elle fut longtemps sans répondre, et finit par raconter qu’elle avait vu en songe, pendant la nuit, madame de Mézière sur le tillac de l’Auguste, avec son enfant dans ses bras; qu’une vague énorme les avait emportés.» (p. 391).
On trouve une troisième évocation de rêve au premier tiers des Notes et éclaircissements pour le chapitre IX. L’auteur raconte que les vivres vinrent à manquer à M. Charron, compagnon de chasse de Philippe Aubert de Gaspé, alors qu’il était retenu prisonnier d’une île par la marée haute. Affaibli, il s’endort et rêve de façon obsessionnelle à la nourriture :
«-- J’étais si épuisé que j’étais presque toujours assoupi; et, pendant cette espèce de sommeil, je ne faisais qu’un seul et unique rêve : j’étais à une table couverte des mets les plus appétissants, et je mangeais avec une voracité de loup, sans pouvoir me rassasier!» (p. 371-372)
Notes
AugusteÑ Navire qui périt avec une centaine de passagers de la noblesse de la Nouvelle-France sur la côte Nord du Cap-Breton, en 1761.
Texte témoin
Les Anciens Canadiens; Introduction de Maurice Lemire, texte intégral conforme à l’édition de 1864, Québec, Bibliothèque québécoise, 1988, p. 251.
Édition originale
Les Anciens Canadiens, Québec, Desbarats et Derbishire, 1863.


Vision de François Dubé

Les sorciers et la Corriveau

Comme mon défunt père (1) allait se fourrer sous son cabrouette pour se mettre à l’abri de la rosée, il lui prit fantaisie de s’informer de l’heure. Il regarde donc les trois Rois au sud, le Chariot au nord, et il en conclut qu’il était minuit. C’est l’heure, qu’il se dit, que tout honnête homme doit être couché.
Il lui sembla cependant tout à coup que l’île d’Orléans (2) était tout en feu. Il saute un fossé, s’accote sur une clôture, ouvre de grands yeux, regarde, regarde... Il vit à la fin que des flammes dansaient le long de la grève, comme si tous les fi-follets du Canada, les damnés, s’y fussent donné rendez-vous pour tenir leur sabbat. À force de regarder, ses yeux, qui étaient pas mal troublés, s’éclaircirent, et il vit un drôle de spectacle : c’était comme des manières (espèces) d’hommes, une curieuse engeance tout de même. Ça avait bin une tête grosse comme un demi-minot, affublée d’un bonnet pointu d’une aune de long, puis des bras, des jambes, des pieds et des mains armés de griffes, mais point de corps pour la peine d’en parler. Ils avaient, sous votre respect, mes messieurs, le califourchon fendu jusqu’aux oreilles. Ça n’avait presque pas de chair : c’était quasiment tout en os, comme des esquelettes. Tous ces jolis gars (garçons) avaient la lèvre supérieure fendue en bec de lièvre, d’où sortait une dent de rhinoféroce d’un bon pied de long comme on en voit, monsieur Arché, dans votre beau livre d’images de l’histoire surnaturelle. Le nez ne vaut guère la peine qu’on en parle : c’était, ni plus ni moins, qu’un long groin de cochon, sous votre respect, qu’ils faisaient jouer à demande, tantôt à droite, tantôt à gauche de leur grande dent : c’était, je suppose, pour l’affiler. J’allais oublier une grande queue, deux fois longue comme celle d’une vache, qui leur pendait dans le dos, et qui leur servait, je pense, à chasser les moustiques.
Ce qu’il y avait de drôle, c’est qu’ils n’avaient que trois yeux par couple de fantômes. Ceux qui n’avaient qu’un seul œil au milieu du front, comme ces cyriclopes (cyclopes) dont votre oncle le chevalier, M. Jules, qui est un savant, lui, nous lisait dans un gros livre, tout latin comme un bréviaire de curé, qu’il appelle son Vigile; ceux donc qui n’avaient qu’un seul oeil, tenaient par la griffe deux acolytes qui avaient bien, eux, les damnés, tous leurs yeux. De tous ces yeux sortaient des flammes qui éclairaient l’île d’Orléans comme en plein jour. Ces derniers semblaient avoir de grands égards pour leurs voisins, qui étaient, comme qui dirait, borgnes; il les saluaient, s’en rapprochaient, se trémoussaient les bras et les jambes, comme des chrétiens qui font le carré d’un menuette (menuet).
Les yeux de mon défunt père lui en sortaient de la tête. Ce fut bin pire quand ils commencèrent à sauter, à danser, sans pourtant changer de place, et à entonner, d’une voix enrouée comme des bœufs qu’on étrangle, la chanson suivante:
Allons’gai, compèr’lutin!
Allons, gai, mon cher voisin!
Allons, gai, compèr’qui fouille,
Compèr’crétin la grenouille!
Des chrétiens, des chrétiens,
J’en fr’ons un bon festin.

— Ah! les misérables carnibales (cannibales), dit mon défunt père, voyez si un honnête homme peut être un moment sûr de son bien. Non content de m’avoir volé ma plus belle chanson que je réservais toujours pour la dernière dans les noces et les festins, voyez comme ils me l’ont étriquée! c’est à ne plus s’y reconnaître. Au lieu de bon vin, ce sont des chrétiens dont ils veulent se régaler, les indignes!
Et puis après, les sorciers continuèrent leur chanson infernale, en regardant mon défunt père et en le couchant en joue avec leurs grandes dents de rhinoféroce.
Ah! viens donc, compèr’François,
Ah! viens donc, tendre porquet!
Dépêch’-toi, compèr’l’andouille,
compère boudin, la citrouille;
Du Français, du Français,
J’en fr’ons un bon saloi (saloir)

— Tout ce que je peux vous dire pour le moment, mes mignons, leur cria mon défunt père, c’est que si vous ne mangez jamais d’autre lard que celui que je vous porterai, vous n’aurez pas besoin de dégraisser votre soupe.
Les sorciers paraissaient cependant attendre quelque chose, car ils tournaient souvent la tête en arrière; mon défunt père regarde itou (aussi). Qu’est-ce qu’il aperçoit sur le coteau? un grand diable bâti comme les autres, mais aussi long que le clocher de Saint-Michel, que nous avons passé tout à l’heure. Au lieu d’un bonnet pointu, il portait un chapeau à trois cornes, surmonté d’une épinette en guise de plumet. Il n’avait bin qu’un œil, le gredin qu’il était; mais ça en valait une douzaine : c’était, sans doute, le tambour major du régiment, car il tenait, d’une main, une marmite deux fois aussi grosse que nos chaudrons à sucre, qui tiennent vingt gallons; et, de l’autre, un battant de cloche qu’il avait volé, je crois, le chien d’hérétique, à quelque église avant la cérémonie du baptême. Il frappe un coup sur la marmite, et tous ces insécrables (exécrables) se mettent à rire, à sauter, à se trémousser, en branlant la tête du côté de mon défunt père, comme s’ils l’invitaient à venir se divertir avec eux.
— Vous attendrez longtemps, mes brebis, pensait à part lui mon défunt père, dont les dents claquaient dans la bouche comme un homme qui a les fièvres tremblantes, vous attendrez longtemps, mes doux agneaux; il y a de la presse de quitter la terre du bon Dieu pour celle des sorciers!
Tout à coup le diable géant entonne une ronde infernale, en s’accompagnant sur la marmite, qu’il frappait à coups pressés et redoublés, et tous les diables partent comme des éclairs; si bien qu’ils ne mettaient pas une minute à faire le tour de l’île. Mon pauvre défunt père était si embêté de tout ce vacarme, qu’il ne put retenir que trois couplets de cette belle danse ronde; et les voici:
C’est notre terre d’Orléans (bis)
Qu’est le pays des beaux enfants,
Toure-loure;
Dansons à l’entour,
Toure-loure;
Dansons à l’entour.
Venez tous en survenants (bis)
Sorciers, lézards, crapauds, serpents,
Toure-loure;
Dansons à l’entour,
Toure-loure;
Dansons à l’entour.
Venez tous en survenants (bis),
Impies, athées et mécréants,
Toure-loure;
Dansons à l’entour,
Toure-loure;
Dansons à l’entour.

Les sueurs abîmaient mon défunt père; il n’était pas pourtant au plus creux de ses traverses. [ p. 57]
[ p. 63] — Si donc, dit José, que le défunt père, tout brave qu’il était, avait une si fichue peur, que l’eau lui dégouttait par le bout du nez, gros comme une paille d’avoine. Il était là, le cher homme, les yeux plus grands que la tête, sans oser bouger. Il lui sembla bien qu’il entendait derrière lui le tic tac qu’il avait déjà entendu plusieurs fois pendant sa route; mais il avait trop de besogne par devant, sans s’occuper de ce qui se passait derrière lui. Tout à coup, au moment où il s’y attendait le moins, il sent deux grandes mains sèches, comme des griffes d’ours, qui lui serrent les épaules : il se retourne tout effarouché, et se trouve face à face avec la Corriveau (3), qui se grapignait amont lui. Elle avait passé les mains à travers les barreaux de sa cage de fer, et s’efforçait de lui grimper sur le dos; mais la cage était pesante, et, à chaque élan qu’elle prenait, elle retombait à terre avec un bruit rauque, sans lâcher pourtant les épaules de mon pauvre défunt père, qui pliait sous le fardeau. S’il ne s’était pas tenu solidement avec ses deux mains à la clôture, il aurait écrasé sous la charge. Mon pauvre défunt père était si saisi d’horreur, qu’on aurait entendu l’eau qui lui coulait de la tête tomber sur la clôture, comme des grains de gros plomb à canard.
— Mon cher François, dit la Corriveau, fais-moi le plaisir de me mener danser avec mes amis de l’île d’Orléans.
— Ah! satanée bigre de chienne! cria mon défunt père (c’était le seul jurement dont il usait, le saint homme, et encore dans les grandes traverses). [ ...]
Satanée bigre de chienne, lui dit mon défunt père, est-ce pour me remercier de mon dépréfundi et de mes autres bonnes prières que tu veux me mener au sabbat? Je pensais bien que tu en avais, au petit moins, pour trois ou quatre mille ans dans le purgatoire pour tes fredaines. Tu n’avais tué que deux maris : c’était une misère! aussi ça me faisait encore de la peine, à moi qui ai toujours eu le cœur tendre pour la créature, et je me suis dit : Il faut lui donner un coup d’épaule; et c’est là ton remerciement, que tu veux monter sur les miennes pour me traîner en enfer comme un hérétique!
— Mon cher François, dit la Corriveau, mène-moi danser avec mes bons amis; et elle cognait sa tête sur celle de mon défunt père, que le crâne lui résonnait comme une vessie sèche pleine de cailloux.
— Tu peux être sûre, dit mon défunt père, satanée bigre de fille de Judas l’Escariot (4), que je vais te servir de bête de somme pour te mener danser au sabbat avec tes jolis mignons d’amis!
— Mon cher François, répondit la sorcière, il m’est impossible de passer le Saint-Laurent (5), qui est un fleuve bénit, sans le secours d’un chrétien.
— Passe comme tu pourras, satanée pendue, que lui dit mon défunt père; passe comme tu pourras : chacun son affaire. Oh! oui! compte que je t’y mènerai danser avec tes chers amis, mais ça sera à poste de chien comme tu es venue, je sais comment, en traînant ta belle cage qui aura déraciné toutes les pierres et tous les cailloux du chemin du roi que ça sera un escandale, quand le grand voyer passera ces jours ici, de voir un chemin dans un état si piteux! Et puis, ça sera le pauvre habitant qui pâtira, lui, pour tes fredaines, en payant l’amende pour n’avoir pas entretenu son chemin d’une manière convenable!
Le tambour-major cesse enfin tout à coup de battre la mesure sur sa grosse marmite. Tous les sorciers s’arrêtent et poussent trois cris, trois hurlements, comme font les sauvages quand ils ont chanté et dansé «la guerre», cette danse et cette chanson par lesquelles ils préludent toujours à une expédition guerrière. L’île en est ébranlée jusque dans ses fondements. Les loups, les ours, toutes les bêtes féroces, les sorciers des montagnes du nord s’en saisissent, et les échos les répètent jusqu’à ce qu’ils s’éteignent dans les forêts qui bordent la rivière Saguenay (6).
Mon pauvre défunt père crut que c’était, pour le petit moins, la fin du monde et le jugement dernier.
Le géant au plumet d’épinette frappe trois coups; et le plus grand silence succède à ce vacarme infernal. Il élève le bras du côté de mon défunt père, et lui crie d’une voix de tonnerre : Veux-tu bien te dépêcher, chien de paresseux, veux-tu bien te dépêcher, chien de chrétien, de traverser notre amie? Nous n’avons plus que quatorze mille quatre cents rondes à faire autour de l’île avant le chant du coq : veux-tu lui faire perdre le plus beau du divertissement?
— Vas t’en à tous les diables d’où tu sors, toi et les tiens, lui cria mon défunt père, perdant enfin toute patience.
— Allons, mon cher François, dit la Corriveau, un peu de complaisance! tu fais l’enfant pour une bagatelle; tu vois pourtant que le temps presse : voyons, mon fils, un petit coup de collier.
— Non, non, fille de Satan! dit mon défunt père. Je voudrais bien que tu l’eusses encore le beau collier que le bourreau t’a passé autour du cou, il y a deux ans : tu n’aurais pas le sifflet si affilé.
Pendant ce dialogue, les sorciers de l’île reprenaient leur refrain :
Dansons à l’entour,
Toure-loure;
Dansons à l’entour.

— Mon cher François, dit la sorcière, si tu refuses de m’y mener en chair et en os, je vais t’étrangler; je monterai sur ton âme et je me rendrai au sabbat. Ce disant, elle le saisit à la gorge et l’étrangla.
— Comment, dirent les jeunes gens, elle étrangla votre pauvre défunt père?
— Quand je dis étranglé, il n’en valait guère mieux, le cher homme, reprit José, car il perdit tout à fait connaissance.
Lorsqu’il revint à lui, il entendit un petit oiseau qui criait: qué-tu?
— Ah çà! dit mon défunt père, je ne suis donc point en enfer, puisque j’entends les oiseaux du bon Dieu! Il risque un œil, puis un autre, et voit qu’il fait grand jour; le soleil lui reluisait sur le visage.
Le petit oiseau, perché sur une branche voisine, criait toujours : qué-tu?
— Mon cher petit enfant, dit mon défunt père, il m’est malaisé de répondre à ta question, car je ne sais trop qui je suis ce matin : hier encore je me croyais un brave et honnête homme craignant Dieu; mais j’ai eu tant de traverses cette nuit, que je ne saurais assurer si c’est bien moi, François Dubé, qui suis ici présent en corps et en âme. Et puis il se mit à chanter, le cher homme :
Dansons à l’entour,
Toure-loure;
Dansons à l’entour.

Il était encore à moitié ensorcelé. Si bien toujours, qu’à la fin il s’aperçut qu’il était couché de tout son long dans un fossé où il y avait heureusement plus de vase que d’eau, car sans cela mon pauvre défunt père, qui est mort comme un saint, entouré de tous ses parents et amis, et muni de tous les sacrements de l’Église, sans en manquer un, aurait trépassé sans confession, comme un orignal au fond des bois, sauf le respect que je lui dois et à vous, les jeunes messieurs. Quand il se fut déhâlé du fossé où il était serré comme dans une étoc (étau), le premier objet qu’il vit fut son flacon sur la levée du fossé; ça lui ranima un peu le courage. Il étendit la main pour prendre un coup; mais, bernique! Il était vide! la sorcière avait tout bu. (p. 68) [ ...]
---------------------------------------------------------------------
[ p. 112] Pour revenir aux traverses de son défunt père, dit Jules, je crois que le vieil ivrogne, après avoir bravé la Corriveau (chose que les habitants considèrent toujours comme dangereuse, les morts se vengeant tôt ou tard de cet affront), se sera endormi le long du chemin vis-à-vis l’île d’Orléans, où les habitants qui voyagent de nuit voient toujours des sorciers; je crois, dis-je, qu’il aura eu un terrible cauchemar pendant lequel il était assailli d’un côté par les farfadets de l’île, et de l’autre par la Corriveau avec sa cage. José, avec son imagination très vive, aura fait le reste, car tu vois qu’il met tout à profit: les belles images de ton histoire surnaturelle, et les cyriclopes du Vigile de mon oncle le chevalier, dont son cher défunt père n’a jamais entendu parler. (p. 113)

Philippe Aubert de Gaspé (père)
Les Anciens Canadiens
Québec   1863 Genre de texte
roman
Contexte
Ce récit de rêve est divisé en deux parties. La première partie se situe à la fin du chapitre trois; la deuxième, au milieu du chapitre quatre.
José fait le récit des aventures de son père. Ce dernier, après avoir passé la soirée avec ses amis, à Pointe-Lévis, doit rentrer chez lui. Ses compagnons l’avertissent du danger de passer seul, la nuit, devant la cage de fer de La Corriveau, mais François s’obstine. Au moment où il passe devant la cage, il entend des bruits, boit un peu d’alcool et prie pour le repos de l’âme de La Corriveau. D’après Jules d’Haberville, vers minuit, François, complètement épuisé, se serait endormi et aurait rêvé à de bizarres aventures.

Notes
(1) José : employé de la ferme de la famille aristocrate des d’Haberville et fils de François. Il raconte les aventures de son père.
(2) Ile d’Orléans : île du Québec, située au milieu du Saint-Laurent, en aval de la ville de Québec.
(3) Marie-Josephte Corriveau aurait vécu à St-Vallier, au Québec. Connue sous le nom de La Corriveau, la « sorcière » aurait tué sept ou huit de ses maris avant d’être reconnue coupable, pendue puis exposée dans une cage de fer jusqu’à la décomposition de sa chair.
(4) Judas Iscariote : apôtre de Jésus qui trahit ce dernier pour trente deniers et, pris de remords, finit par se pendre.
(5) Le Saint-Laurent : fleuve d’Amérique du Nord, émissaire du lac Ontario qui se jette dans l’Atlantique.
(6) Le Saguenay : rivière du Québec affluent du Saint-Laurent.
Texte témoin
Les Anciens Canadiens. Introduction de Maurice Lemire, texte intégral conforme à l’édition de 1864, Québec, Bibliothèque québécoise, 1988, p. 54-57, 63-68, 112-113.
Édition originale
Les Anciens Canadiens, Québec, Desbarats et Derbishire, 1863.