dimanche 3 avril 2011

Psychanalyse et science(s)


Psychanalyse et science(s) : cette formulation témoigne encore d’un état de fait. La situation de la psychanalyse parmi les sciences ne cesse d’interroger. Pour poser le problème des relations entre psychanalyse et science dans le contexte contemporain des sciences de l’esprit, il faut donc préalablement expliciter les conditions nécessaires à l’ouverture du débat. La première est sans doute la reconnaissance de la réalité de la psychanalyse par d’autres modes d’exploration de l’esprit, parmi lesquels elle se range, et de l’adéquation de sa théorie à sa pratique. La mise en question de la scientificité de cette théorie, ou de la possibilité d’une étude objective de la pratique psychanalytique, n’a pas pour enjeu d’apporter aujourd’hui la preuve par « la science » de la réalité de la pratique psychanalytique, ni de valider une théorie liée à cette pratique. Mais le débat suppose également une représentation réaliste de la psychanalyse, ce qui implique que sa pratique et son objet partagent avec les autres sciences une même réalité, et donc un même champ de rationalité, même si l’état actuel des connaissances ne permet pas de se représenter ces articulations. Il s’agit ainsi du partage d’une représentation réaliste de l’esprit lui-même, objet commun d’approches différentes, même si elles en construisent chacune, par leur pratique et leur méthode propre d’investigation, des représentations ou des réalités différentes.
Nous ne développerons donc pas ici des positions qui, quel que soit leur intérêt intrinsèque, récusent ou esquivent, explicitement ou non, ce débat. Ce serait le cas par exemple d’un point de vue psychanalytique qui s’appuierait sur la théorie de l’Inconscient pour mettre en question la démarche scientifique même et le savoir qu’elle produit, ou pour opposer au nom d’une différence de nature la psychanalyse et la science, sous prétexte que la recherche du savoir condamnerait à nier l’Inconscient. La naissance de la psychanalyse est-elle marquée par une rupture avec la science ? Doit-on s’appuyer sur la notion freudienne d’Inconscient pour récuser la possibilité d’une approche positiviste de l’esprit ? La question posée ici est celle d’une réduction implicite du psychique, incluant l’activité scientifique en tant que démarche intellectuelle, au champ de la clinique psychanalytique. L’histoire des difficiles relations entre psychanalyse et psychologie (Ohayon, 1999) montre à quel point l’inscription de la psychanalyse dans un champ d’études pluridisciplinaires de l’esprit a donné lieu à controverse. Un point de vue relativiste pourrait enfin juger illusoire tout projet de science de l’esprit, du fait de limitations intrinsèques supposées de la démarche scientifique objective lorsqu’elle prétend s’appliquer à l’esprit. Certes, il faut rappeler avec Freud que, si toute science repose sur des observations et expériences transmises par l’appareil psychique, une science de l’esprit a pour particularité d’étudier à travers ces expériences l’appareil même qui les produit, l’instrument d’analyse devenant son propre objet. Mais cette particularité méthodologique n’est ni pour les sciences contemporaines, ni pour Freud, un obstacle radical au projet d’une science de l’esprit : « les phénomènes étudiés par la psychologie sont en eux-mêmes aussi inconnaissables que ceux des autres sciences (...) mais il est possible d’établir les lois qui les régissent (...)» (Freud, 1938, p. 21).
En revanche, mettre l’accent sur ce qui distingue démarche clinique et expérimentale, notamment sur le réductionnisme méthodologique propre à l’approche biologique ou neuropsychologique, ne conduit pas à récuser l’étude même de l’esprit par les sciences objectives, ni l’intérêt du débat entre celles-ci et la psychanalyse. La critique porte alors sur la capacité de ces sciences à rendre compte et à expliquer par leurs seuls modèles les propriétés de la subjectivité et de l’esprit, en particulier celles révélées par la psychanalyse (Green, 1995). Mais cette critique d’un réductionnisme ontologique fait d’autant moins obstacle au débat qu’elle est aujourd’hui partagée par de nombreux courants des sciences expérimentales (Hochmann & Jeannerod, 1991 ; Hochmann, 1996).
Une fois repérées les prémisses qui conduisent soit à l’indifférence, soit à la polémique, plusieurs axes de débats apparaissent, dont la question classique de la scientificité de la psychanalyse, qui a donné lieu au plus grand nombre de développements. Il faut alors discuter d’abord la disjonction que suppose la formulation « science(s) et  psychanalyse », et  le statut accordé par là à « la science ».  Le but de l’activité scientifique est l’élaboration d’un savoir, la recherche et la formulation de lois générales, d’explications et de prédictions concernant les phénomènes d’un certain domaine. En ce sens, la question de savoir si la psychanalyse est une science apparait d’emblée mal posée. Le problème est plutôt de déterminer l’apport de la psychanalyse à la connaissance scientifique du psychisme humain, au delà de la contribution qu’on peut attendre d’une description clinique ou d’un bon roman. On cherchera donc à savoir en quoi la théorie psychanalytique peut constituer un outil pour une description du psychisme, notamment dans ses dimensions affective et intersubjective. Mais, outre cette contribution de la psychanalyse à la connaissance générale de l’esprit, il s’agit d’évaluer la contribution réciproque, c’est à dire la prise en compte de la clinique psychanalytique par d’autres méthodes scientifiques d’investigation. Au delà de son intérêt scientifique, ce statut de la psychanalyse comme objet de science est aujourd’hui au coeur d’un débat épistémologique crucial pour la psychanalyse, pour au moins deux raisons. Elle renvoie en effet d’une part à la possibilité d’une transformation de certains des concepts théoriques de la métapsychologie, transformation qui pourrait résulter d’une relecture de la clinique psychanalytique au regard des théories scientifiques contemporaines, et d’autre part à la question actuellement débattue de la recherche « objective » sur sa pratique.
Psychanalyse et sciences : les origines.
On ne peut aborder les relations entre sciences et psychanalyse sans rappeler l’origine de cette dernière. Freud possédait une solide formation de médecin, avec un intérêt marqué pour la recherche en biologie. Le contexte historique de la formation de Freud et de son intérêt marqué pour la recherche en biologie et plus particulièrement en neurologie nous incite à résumer ici les principales influences qui, à travers lui, ont marqué la construction de la théorie psychanalytique.
1. L’associationnisme.
A la fin de sa formation médicale, Freud avait séjourné dans le laboratoire d’anatomie de Meynert, où il avait acquis des connaissances approfondies en histologie (il avait mis au point une technique de coloration des tissus) et en neuro-anatomie. De cette époque date son adhésion (qui restera critique) au schéma associationniste du fonctionnement cérébral, dont Meynert s’était fait le promoteur : choix fort logique au demeurant, dans la mesure où il représentait une alternative dynamique à la doctrine des localisations. Cet associationnisme de Freud culmine dans son ouvrage sur les aphasies, où il exprime ses doutes sur le bien-fondé d’un schéma localisateur pour comprendre les troubles du langage, et propose une explication fondée sur le modèle de Meynert et de Wernicke : Les diverses parties du champ du langage de l’hémisphère gauche, pense-t-il, « acquièrent la signification de centres du langage, au sens de l’anatomie pathologique et non au sens de la fonction, du fait qu’une lésion située dans ces régions coupe un des éléments de l’association du langage de ses connexions avec les autres ». « A l’intérieur de ce champ du langage, nous ne reconnaissons que des aphasies de conduction, des aphasies par interruption d’association... » (Freud, 1891, p153).
Freud avait été particulièrement sensible à la forme « dynamique » que Hughlings Jackson, en Angleterre, avait donné à l’associationnisme. Pour Jackson, le système nerveux était un ensemble de circuits sensori-moteurs superposés, chacun spécialisé dans la production de certains types de mouvements et d'actions : les circuits situés aux étages inférieurs du système nerveux (dans la moëlle et le tronc cérébral) produisaient des mouvements entièrement automatiques, tandis que les circuits les plus  élevés (dans le cortex frontal) produisaient des mouvements volontaires et pouvaient rendre compte d'actions très complexes comme la parole, par exemple. Jackson pensait que seuls les niveaux inférieurs existaient chez les espèces primitives, alors que les niveaux les plus élevés n’apparaissaient que chez les espèces évoluées comme l'homme. De plus, chaque individu traversait, au cours de sa maturation, des stades correspondant aux différents niveaux fonctionnels, du nouveau-né capable seulement de réflexes, à l'adulte capable de comportements complexes. A l'état normal, les niveaux supérieurs tenaient les autres sous leur dépendance, en les inhibant : la lésion d'un circuit, en libérant l'activité des niveaux sous-jacents, faisait donc régresser le comportement vers des expressions plus primitives, selon un processus contre-évolutif d’involution et de dissolution des fonctions les plus élevées (voir Jeannerod, 1997).
2. La notion de représentation.
Les neurologues associationnistes avaient utilisé, pour comprendre le fonctionnement des réseaux cérébraux, la notion de centres d’images, lieux de « dépôt » d’images issues des sensations périphériques ou des souvenirs. Les connexions entre ces centres d’images permettaient l’association d’images de différentes origines, alors qu’à l’inverse, une lésion, pouvait isoler un centre d’images du reste du réseau. Freud, tout en rejetant, comme on l’a vu, la notion de centres localisés, avait conservé l’idée d’images stockées dans des ensembles nerveux, concept dont il fut un des premiers utilisateurs en psychologie. Son texte de 1895, l’Esquisse d’une psychologie scientifique (Freud, 1895) constitue une tentative d’explication du rôle d’images, ou de représentations, dans la régulation du comportement et du psychisme en général. L’Esquisse est un texte à double entrée : d’une part, c’est la description d’un modèle neuronal fondé sur les connaissances physiologiques de l’époque sur le fonctionnement synaptique (neurones, barrières de contact, décharge) ; d’autre part, c’est la description d’un modèle dynamique autorégulé.
La première lecture qu’on peut faire de l’Esquisse est dominée par le concept alors nouveau de neurone : certains neurones, selon Freud, (les neurones psi, neurones centraux sans contact direct avec les récepteurs ou les effecteurs) retiennent plus facilement que d'autres le courant (la "quantité") qui les traverse. Cette propriété est due à la moins grande perméabilité des "barrières de contact" (un concept très voisin de celui de synapse) qui séparent les neurones psi des autres neurones, et que le frayage répété par des influx finit par rendre perméables de manière sélective. Le modèle décrit ici est donc avant tout un modèle énergétique, où de l’énergie s’accumule dans certains neurones, se décharge vers d’autres, etc. Cette énergie accumulée est la source, lorsque sa quantité dans les neurones psi dépasse un certain seuil, de « douleur » ou de « déplaisir » ; le processus de décharge, par contre, provoque le plaisir.
Le second niveau de lecture nous introduit à une autre construction théorique, elle aussi novatrice, qui tente d’expliquer le fonctionnement auto-régulé des processus de charge et de décharge d’énergie. Selon Freud, la décharge des neurones psi, qui se fait en direction des neurones moteurs, déclenche de ce fait des actions dont le but est précisément de supprimer la cause qui provoquait leur charge, et ainsi de ramener le système au repos. Transposé à un niveau plus métaphorique, le mécanisme neuronal de charge des neurones psi devient une "image" (l'image d'un objet désiré) et le processus de décharge devient un moyen d'accéder à cet objet : le fait que l'objet désiré soit effectivement obtenu et que le décalage entre désir et réalité soit supprimé, produit une réaction de "satisfaction". Dans la situation particulière du rêve, le sujet est déconnecté du monde extérieur et, de ce fait, la réalité représentée ne peut être comparée qu'à elle-même. Cette situation devrait, en théorie, permettre au désir et à la réalité de coïncider à tout coup et protéger le sujet de l'insatisfaction et de la frustration . Même si ce modèle du comportement élaboré dans l’Esquisse fait de larges emprunts au contexte physiologique de l'époque, il constitue une des premières descriptions d'un système "représentationnel" susceptible d'élaborer l'image interne du but à atteindre et de déclencher le comportement approprié, et à qui sont associés des mécanismes régulateurs doués de propriétés homéostatiques (Jeannerod, 1997 ; Pribram et Gill, 1976). On pourra constater plus loin à quel point Freud était parvenu à une formulation compatible avec un des modèles les plus répandus du fonctionnement cognitif.
3. La théorie de l’Evolution.
Les relations de Freud avec la théorie de l’Evolution constituent également un chapitre essentiel de l’histoire de la psychanalyse. Sulloway a longuement retracé le legs de la révolution darwinienne à la révolution psychanalytique, en prêtant à Darwin de l’intérêt pour des thèmes « freudiens avant la lettre », comme les processus mentaux ou les conflits inconscients (Sulloway, 1979). A l’inverse, on connaît l’exploitation par Freud des idées de Darwin, en particulier sur le développement de l’enfant. Darwin avait en effet publié ses observations sur le développement de ses propres enfants dans une revue de psychologie, où il abordait des problèmes tels que le développement des émotions ou de l’aptitude à communiquer (Darwin, 1877),. Les notions d’expériences sexuelles précoces, de savoir instinctif, de conflits internes entre les pulsions, sont donc des notions darwiniennes avant d’être freudiennes ; la notion de stades oral et anal était présente chez l’évolutionniste Haeckel ; en psychopathologie, la notion d’arrêt de développement fut suggérée à Freud par ses propres études sur le petromyzon, une forme primitive de poisson ; les notions de dissolution, d’involution ou de régression, on l’a vu, lui sont parvenus par le canal du neurologue évolutionniste Huglings Jackson. Sulloway en conclut que les écrits évolutionnistes et le Zeitgeist post-darwinien ont contribué à orienter la psychanalyse vers une « psychobiologie dynamique et, plus précisément, génétique » (Sulloway, 1979).
D’une manière plus générale, Darwin avait donné une impulsion fondamentale à la biologie, en mettant l'esprit à sa vraie place parmi les phénomènes de la nature. Les fonctions psychiques pouvaient désormais être abordées au même titre que les fonctions plus étroitement biologiques. La prise en compte de l'existence d'un appareil mental organisé et possédant ses propres règles de fonctionnement, pouvait se faire en référence à l'achèvement d'une fonction. C'est là tout le sens d'une interaction entre la représentation nerveuse et la représentation psychique d'une même réalité : sous la pression adaptative, esprit et cerveau se créent et se justifient mutuellement. Cette interaction contribue à l'autonomie de l'être vivant, en lui permettant non seulement de répondre à son milieu physique, mais aussi de le contrôler.
On sait que jusqu’à la fin de sa vie, Freud, non seulement ne reniera pas ces influences, mais défendra fermement le statut scientifique de la psychanalyse, son appartenance aux sciences de la nature et plus particulièrement à la psychologie. L’évolution de la biologie et de la psychologie scientifique a donné depuis de multiples occasions, aux psychanalystes comme aux scientifiques fondamentalistes, de mettre ces affirmations à l’épreuve, et d’interroger le sens des concepts biologiques employés par Freud dans sa description de l’appareil psychique.
Psychanalyse et biologie.
Ce n'est donc pas au neurobiologiste de reconstruire une psychanalyse qui lui paraitrait compatible avec les mécanismes qu'il décrit dans le cerveau, mais plutôt au psychanalyste de s'interroger sur le sens qu'il donne aux métaphores biologiques qu'il utilise pour décrire le psychisme. Une première option consiste à identifier  certains concepts psychanalytiques aux concepts biologiques. Rapprochant l’oeuvre freudienne de la biologie, le livre de Sulloway (1979) propose une « ré-interprétation d’ensemble de la signification et des sources conceptuelles de la psychanalyse freudienne ». Il ne suggère pas que la psychanalyse est une biologie camouflée en psychologie, mais plutôt qu’elle est une psychobiologie dont les sources biologiques ont été généralement méconnues. Certaines des affirmations sujettes à controverse faites par Freud au sujet du psychisme humain seraient donc mieux comprises si l’on dégageait ces racines biologiques. L’appel à des phénomènes aussi fondamentaux que la faim, le désir sexuel ou la peur pour expliquer les phénomènes psychologiques est un argument de poids en faveur de la nature biologique de cette théorie.
La question, qui n’est pas seulement théorique mais posée en pratique par les relations entre psychothérapie et action des psychotropes (voir Widlöcher, 1996), devient ainsi celle de la compatibilité de la psychanalyse avec la biologie et, plus largement, entre psychologie et biologie. Dans les deux cas, se manifeste la fragilité historique du statut de la psychologie, entre philosophie et biologie (Jeannerod, 1997). A la tentation moniste d’un réductionnisme des processus psychiques, et en particulier de ceux décrits par la psychanalyse, à la matérialité des processus neurobiologiques (voir Gauchet, 1992), répond inversement, au nom du dualisme, celle d’un réductionnisme au sens, qui conduit à abandonner le projet psychologique pour transformer la psychanalyse en une herméneutique (voir plus loin). Cette question reste d’actualité : on peut s’interroger aujourd’hui dans des termes analogues sur l’autonomie et le devenir de la psychologie scientifique au sein des sciences cognitives, dont l’identité peut être menacée autant par la philosophie de l’esprit que par les neurosciences (Tiberghien, 1999).
A ces interrogations on peut proposer des réponses communes. L’une, qui postule une relation de production directe des processus psychiques complexes par le fonctionnement biologique (Searle, 1983), écarte le projet psychologique. La seconde, qui correspond à la démarche des sciences cognitives, est fondée sur l’introduction d’un autre niveau d’analyse du psychique que celui de la description clinique des actes ou états mentaux (conscients ou inconscients) et des émotions. Il semble en effet aujourd’hui peu fondé de chercher une corrélation directe entre le fonctionnement cérébral et des processus psychiques aussi complexes que ceux décrits par la psychanalyse (Hobson, 1988). Comme le souligne Widlöcher (1996), le projet de la psychologie scientifique de relier étude du fonctionnement mental et neurobiologie justifie une décomposition des fonctions psychiques en opérations élémentaires, au plan de l’étude cognitive , afin de la rendre compatible avec l’organisation neurobiologique et d’éviter ainsi un excessif réductionnisme biologique. L’hypothétique articulation de certains concepts psychanalytiques avec la biologie constitue de ce point de vue un cas particulier, certes complexe, de ce problème plus général. Il n’existe en effet, pour concevoir cette articulation, d’autre voie que celle d’une recherche de compatibilité entre la psychanalyse et le plan des fonctions générales de régulation de l’action, du langage et de la pensée qui apparaissent, dans l’état actuel des connaissances, susceptibles d’être corrélées au fonctionnement neurobiologique.
Le problème soulevé par les relations avec la biologie a finalement deux implications. Il conduit d’abord à interroger, à l’intérieur de la psychanalyse, les éléments de la théorie qui cherchent à rendre compte de la biologie. Faut-il, par exemple, considérer la théorie freudienne de la pulsion, qui répond à ce critère, comme un concept fondateur intangible ou comme une hypothèse amenée à évoluer selon les progrès des connaissances scientifiques ? Mais n’est-il pas nécessaire de distinguer d’abord, dans cette théorie, sa portée clinique, fondée sur sa pertinence pour la pratique, et sa portée scientifique, qui à ce titre serait amenée à évoluer au regard du progrès des connaissances ? Il souligne ensuite l’importance d’une étude de la compatibilité entre psychanalyse et psychologie scientifique, et au delà, entre psychanalyse et biologie. Ainsi, la recherche de corrélats neurobiologiques de la représentation inconsciente reflète d’abord l’interprétation que l’on fait de cette dernière. De même, en proposant une théorie biologique des modes de pensée secondaire et primaire, Tassin (1989) identifie implicitement la notion freudienne de processus primaire à un mode de pensée associatif. Certes, l’influence de la théorie associationniste conduit Freud à une formulation du processus primaire très proche de certains modèles cognitifs actuels, mais d’autres modèles que celui de la pensée et de la représentation, comme celui de l’action, pourraient rendre compte aussi bien des propriétés de la pensée primaire ou de la représentation inconsciente, tout en abandonnant la référence associationniste. Le problème est donc ici de faire la part des propriétés fondamentales de l’activité psychique décrites par Freud sous le terme d’Inconscient (les propriétés de la représentation ou de l’activité inconsciente hallucinatoire), et des modèles psychologiques, nécessairement historiques, qu’il utilise pour donner une représentation rationnelle de cette réalité (Green, 1995).
Psychanalyse et psychologie scientifique.
On voit par cet exemple que l’étude des frontières entre psychanalyse et psychologie scientifique ne se justifie pas seulement dans une perspective de débat avec la biologie. Le renouvellement de la psychologie scientifique dans le cadre des sciences cognitives a déplacé le débat vers une remise en question de la portée psychologique de la théorie freudienne et plus particulièrement de la métapsychologie.
On pourrait aborder cette question en étudiant la place dans la théorie freudienne de l’Esquisse, que Freud écartera, inachevée, de son oeuvre et qui apparait aujourd’hui comme une préfiguration de certains thèmes de la psychologie cognitive actuelle. Le lien entre psychanalyse et psychologie scientifique est ainsi déjà en discussion à l’intérieur de l’oeuvre freudienne, que l’on parle d’une continuité ou d’une rupture entre l’Esquisse et la théorie psychanalytique. On peut lire aujourd’hui ce projet comme une tentative de Freud pour formuler de manière rationnelle, dans le langage de la physiologie de l’époque à défaut d’une langage psychologique adéquat, donc au prix d’un certain réductionnisme, le fonctionnement psychique tel que sa pratique clinique, confronté à la psychopathologie, la lui révèle. Sans analyser ce que la théorie psychanalytique doit au projet de l’Esquisse, il est possible d’en repérer la continuité conceptuelle dans les théories métapsychologiques ultérieures, et les modèles à venir de l’appareil psychique (voir Green, 1995). Une des idées maîtresses de l’Esquisse, la séparation entre les processus de perception (par les neurones phi) et les processus de mémoire (par les neurones psi), se retrouvera au centre du modèle psychanalytique. De même, la conception de l’autorégulation a une longue carrière dans la pensée freudienne, puisqu’on la retrouve pratiquement inaltérée dans des textes tardifs. L’héritage de l’Esquisse concerne aussi les hypothèses psychopathologiques fondatrices de la psychanalyse comme l’Inconscient, issues de la pratique freudienne.
La psychanalyse, cependant, s’est éloignée de la psychologie scientifique, en partie du fait du développement du béhaviorisme qui a ainsi contribué à la couper du courant freudien « scientifique » et à la rapprocher des sciences humaines. Cette situation, comme on le verra plus loin, a toutefois évolué avec la mouvance des sciences cognitives. Dans l’hypothèse d’une continuité de l’oeuvre freudienne, la psychanalyse serait en effet bâtie, au moins en partie, sur un projet naturaliste voisin de celui des sciences cognitives. Mais quel sens donner à cette similarité ? Les sciences cognitives et la psychanalyse partagent-elles un objet ou un projet commun ? Les positions des psychanalystes varient sur ce point, comme le montre le débat entre Pribram et Gill. Le premier, neuropsychologue, souligne l’actualité de la psychologie scientifique freudienne et appelle donc à une rapprochement entre psychanalyse et neurosciences cognitives autour d’un projet scientifique commun. Le second, psychanalyste, critique l’illusion du projet naturaliste initial pour reconnaître la spécificité de la psychanalyse en tant que pratique, et invite à débarrasser la théorie de ses prétentions naturalistes et de son réductionnisme scientifique pour n’en retenir que la portée clinique (voir Pribram et Gill, 1976).
Psychanalyse et sciences cognitives.
L’actualité des recherches en sciences cognitives donne l’occasion d’illustrer ce problème. Psychanalyse et sciences cognitives partagent en effet au moins un champ d’expertise commun, celui des relations intersubjectives. Ce terrain de la communication entre individus et de l’intersubjectivité offre donc l’occasion d’une confrontation sur l’apport spécifique respectif de la psychanalyse et d’autres approches théoriques ou expérimentales à la connaissance du psychisme humain.. Toute théorie psychologique complète se doit en effet d’aborder la relation entre individus, la psychologie à deux ou à plusieurs. Spécifiquement humaine, cette relation est de plus le lieu d’une bonne partie de la psychopathologie. Deux courants s’opposent dans leurs tentatives respectives de décrire le lien interhumain. D’un côté, les conceptions faisant un large part au lien vécu entre deux personnes et où toute distance entre les protagonistes tend à s’effacer ; de l’autre, la conception objective de la psychologie cognitive qui maintient cette distance entre observateur et observé.
Dans la théorie psychanalytique, la relation intersubjective est doublement fondatrice : d’une part, sur le plan ontogénétique, elle structure le développement psychique de l’enfant et constitue le pivot de la dynamique intrasubjective ; d’autre part, et surtout, sur le plan pratique, elle devient le centre de la relation thérapeutique dans la cure, le psychanalyste et son patient formant une unité où les deux psychismes interagissent (voir plus loin). La guérison provient de cette expérience partagée. C’est une des forces de la théorie psychanalytique que d’avoir mis l’accent sur le rôle du lien interindividuel à une époque où la psychologie objective, béhavioriste, n’offrait qu’un point de vue solipsiste, celui de l’adaptation de l’individu à un environnement constitué de stimuli demandant des réponses, ou source de problèmes à résoudre.
Ce qui justifie la comparaison entre théorie psychanalytique et psychologie cognitive est l’importance que l’une et l’autre attachent aux mécanismes de la relation interindividuelle. A cet égard, il est instructif de retracer brièvement l’histoire d’un concept devenu aujourd’hui opératoire dans le contexte des relations entre individus, le concept d’empathie (Einfühlung) des philosophes allemands du milieu du XIXème (voir Pigman, 1995).  Un des auteurs qui ont le mieux développé ce concept, Théodor Lipps, qui le considérait comme un concept-clé en psychologie et en sociologie, en faisait un des mécanismes de base de la connaissance de soi-même et des autres. Nous ne pouvons en effet comprendre les autres par la voie de la perception, qui ne peut nous révéler leurs sentiments, leurs intentions ou leurs désirs ; ni en procédant par analogie, en projetant sur eux nos propres expressions (que nous ne percevons d’ailleurs pas). Pour Lipps, le fait de voir une expression sur un visage réveille en moi « automatiquement » les influx nécessaires à la production de cette expression. Ces influx induisent en moi l’état affectif interne correspondant à cette expression. Autrement dit, les impulsions motrices induites par la vue de l’expression sur le visage de l’autre incluent la tendance à ressentir cet état affectif. La vision de l’expression correspond à un « début d’imitation », une « imitation interne ». C’est par ce moyen, pensait Lipps, que nous devenons conscient de l’existence des autres.
Freud avait fait appel à de nombreuses reprises au concept d’Einfühlung, qu’il utilisait alors dans le sens de « se mettre à la place de l’autre et tenter de le comprendre ». « Avec la perception d’un geste déterminé, dit-il dans Le mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient (Freud, 1905), est donnée l’impulsion de le représenter par une certaine dépense. Ainsi donc, en accomplissant l’acte de ‘vouloir comprendre’ ce geste, d’en avoir l’aperception, je me comporte... tout à fait comme si je me mettais à la place de la personne observée » (p 343). Dans le cas d’un geste comique, c’est la comparaison entre le geste observé et la représentation du mien propre (que j’aurais moi-même accompli à sa place) qui est source de comique et déclenche le rire. « L’origine du plaisir comique... provient de la comparaison entre l’autre personne et notre propre moi – c’est à dire de la différence quantitative entre la dépense d’empathie et la dépense propre... » (p 346). Plusieurs exemples très explicites sont donnés sur cette notion de différence quantitative : c’est ainsi que la différence entre un mouvement attendu par un spectateur et ce mouvement effectivement réalisé par l’acteur peut être source de comique, quand, par exemple, « je prends dans une corbeille un fruit que je crois lourd mais qui, pour me tromper, est un objet creux, une imitation en cire. En partant en l’air, ma main trahit que j’avais préparé une innervation trop grande pour la fin visée, et c’est pour cela qu’on rit de moi » (p 349).
On remarquera ici que Freud reprend presque textuellement la description du mécanisme de comparaison qu’il avait proposé en 1895 dans l’Esquisse pour expliquer l’accumulation et la décharge d’énergie psychique génératrice de satisfaction des désirs, et qui a été évoqué plus haut. Selon ce mécanisme, l’investissement du souvenir déclenche une attente, qui est ainsi comparée à la réalité perceptive : lorsqu’attente et réalité coïncident, la décharge se produit ; lorsque les deux ne coïncident pas, la recherche de la satisfaction se poursuit. Dans l’exemple donné par Freud, celui du bébé qui recherche l’image désirée du sein maternel, c’est la discordance entre l’image désirée et l’image perçue qui provoque des mouvements du bébé jusqu’à ce que la concordance soit réalisée. Ce même modèle a depuis été utilisé dans différents contextes, comme celui du contrôle de l’action, par exemple (voir Jeannerod, 1994). En psychopathologie, plusieurs auteurs en ont fait un des piliers de leur explication de l’anxiété (Gray, 1982) ou de la schizophrénie (Frith, 1992).
Cette notion d’un état désiré, représenté à l’intérieur du système psychique et servant de référence pour la recherche de la satisfaction du désir, est également familière aux tenants de la psychologie cognitive. Dans le domaine des relations intersubjectives, la notion de l’autre virtuel chez C. Trevarthen en est directement issue. Le bébé semble en effet posséder à un stade très précoce une image (une représentation) de l’autre, qu’il cherche à confirmer par des actions en direction de l’environnement. La réponse de l’environnement, si elle est positive, renforce cette image ou, dans le cas contraire, l’affaiblit. Les résultats des analyses de films réalisés par Trevarthen vont bien dans ce sens, en montrant que les séquences d’interaction mère-enfant (regards, mimiques, vocalisations) débutent en général par une intervention de l’enfant (Trevarthen, 1993).
 Depuis, la psychologie cognitive a élaboré de nouveaux concepts pour rendre compte, dans un cadre plus large, du fonctionnement des relations inter-individuelles. L’idée directrice est que chaque adulte dispose d’une compétence, d’une « théorie de l’esprit », qui arrive à maturité chez l’enfant vers 4 ans. Cette compétence lui permet de lire l’esprit des autres (mind-reading), de leur attribuer des états mentaux éventuellement différents des siens et donc de réaliser que les autres ont, eux aussi, un Je. Notons qu’il existe deux conceptions de la « théorie de l’esprit » : l’une postule que la capacité de mind-reading est un savoir acquis par l’expérience, fondé sur la connaissance qu’il existe chez les autres et chez soi-même des états mentaux que l’on peut prédire et expliquer comme on cherche à expliquer d’autres phénomènes de la nature. C’est donc à partir d’un raisonnement théorique et de lois tacitement admises que l’attribution d’états mentaux peut avoir lieu. L’autre conception, au contraire, postule que le mind-reading est un phénomène instinctif, dont les mécanismes, encore mal connus, se déclenchent automatiquement pour réaliser une simulation de l’état mental de l’autre, à partir des éléments observés dans son comportement. Cette conception « simulationniste » de la théorie de l’esprit est évidemment très proche de celle de l’Einfühlung telle qu’elle était décrite par Lipps et connue de Freud (voir Gallese et Goldman, 1998).
Ainsi, l’utilisation combinée des notions de représentation et d’empathie, commune aux deux approches de la  psychanalyse et de la psychologie cognitive, constitue-t-elle un moyen puissant pour comprendre comment se construisent et opèrent les relations interindividuelles. On peut à juste titre se demander pourquoi ces notions, alors même qu’elles étaient présentes et fonctionnelles chez les psychanalystes, n’ont pas subi entre leurs mains la même exploitation et produit les mêmes effets qu’entre les mains d’autres écoles psychologiques. A l’évidence, la psychanalyse tenait là un moyen de vérifier et d’opérationnaliser plusieurs de ses concepts fondateurs, en utilisant une méthodologie dont la scientificité n’aurait pu être discutée. Cette occasion manquée tient peut-être moins aux différences dans les conditions d’observation et de pratique inhérentes à la psychanalyse, qu’à son irrépressible tendance à privilégier une construction théorique qui fait l’impasse sur des mécanismes vérifiables et quantifiables, en somme à rester dans l’ordre du logos et de la proclamation.
La scientificité de la psychanalyse.
Les problèmes posés par la  situation de la psychanalyse par rapport à la biologie et à la psychologie scientifique se posent ainsi aujourd’hui de manière analogue. L’enjeu est donc moins de déterminer si la psychanalyse constitue une psychologie (voire « la » psychologie), que de déterminer la portée ou le statut de l’explication psychanalytique par rapport aux explications scientifiques causales telles qu’elles sont proposées par les sciences objectives et expérimentales. Il s’agit aussi de définir la spécificité de son objet et de sa théorie par rapport aux autres sciences : le débat classique sur la scientificité de la psychanalyse peut nous aider ici à définir cette spécificité de la réalité ou du niveau d’observation psychanalytique, donc à situer la psychanalyse par rapport aux sciences de la nature : psychologie, physiologie et biologie.
1- la psychanalyse est-elle une science ?
Cette question peut être reformulée de la manière suivante : la psychanalyse adhère-t-elle aux critères constitutifs de la nature scientifique d’un savoir ou d’une pratique ? Cette question a été longuement débattue par Karl Popper (voir Popper, 1962). Popper dénie la qualification de scientifique à la théorie psychanalytique au motif qu’elle se réclame de justifications « inductivistes » et non de justifications causales. L’inductivisme, dans ce contexte, est une démarche qui privilégie la forme probabiliste de la scientificité, en se fondant sur une accumulation d’exemples positifs. Mais une accumulation d’évidences ne constitue pas une preuve : il faudrait au contraire, pour Popper, que la théorie puisse engendrer des exemples négatifs, et s’engager ainsi dans une démarche de réfutation. Le critère inductiviste, en favorisant les exemples positifs, possède un autre inconvénient : celui d’engendrer une sorte d’immunité contre la réfutation, au point, comme le dit Popper, que la théorie peut finir par devenir compatible avec n’importe quel comportement humain.
Grünbaum (1984) reprend et critique l’argumentation de Popper, et d’abord sa critique de fond, en se pmosant la question : « Freud a-t-il justifié sa méthode d’investigation clinique ? ». Freud accorde une importance capitale, pour la validation de sa théorie, aux données cliniques recueillies dans le cadre de la relation thérapeutique. Pour que cette position ait un sens, il faut évidemment pouvoir s’assurer que ces faits ne sont pas partiellement induits par le psychanalyste lui-même, du fait d’une influence qu’il pourrait exercer sur l’activité mentale et le comportement du patient. Freud s’est lui-même régulièrement confronté à ce problème, par exemple au cours de sa réflexion sur la suggestion et le rôle résiduel possible de celle-ci dans la psychanalyse, malgré sa rupture avec l’hypnose. Pour Freud, c’est en définitive l’efficacité de la méthode thérapeutique, le processus de changement produit par l’analyse, qui constitue la preuve la plus concluante de la théorie dans son ensemble. Grünbaum réfute cette argumentation de nature clinique, qu’il appelle « argument d’adéquation » (« tally argument »). Elle est en effet, selon lui, fondée avant tout sur une convergence de données inductives, alors que la preuve de la véracité des hypothèses freudiennes (l’existence d’un refoulement, son rôle dans la genèse de la névrose, sa transformation au cours du processus analytique)  devrait, pour être convaincante, provenir de données extra-cliniques.
Grünbaum souligne cependant que Freud a fréquemment utilisé l’argument de réfutation. On peut citer comme exemple la thèse selon laquelle un amour homosexuel refoulé est la condition nécessaire pour la constitution d’un délire paranoïde. Freud avait été confronté à un cas où cette prédiction ne se vérifiait pas et en avait clairement envisagé les conséquences possibles, soit que la patiente ne présentât pas de délire paranoïde, soit que l’hypothèse fût fausse. Ce type de raisonnement correspond selon Grünbaum à une situation logique où un agent pathogène P serait la condition nécessaire d’un état pathologique N. On peut alors, dans ce cas, soutenir que P est la condition causalement nécessaire de N, mais pas sa condition suffisante. Le même cas peut d’ailleurs se présenter dans d’autres secteurs de la médecine où un sujet peut être le porteur sain d’un agent pathogène, sans pour autant exprimer l’état pathologique correspondant. Grünbaum conclut de ces exemples que l’argument de Popper sur l’absence de testabilité de la théorie freudienne n’est pas formellement recevable. Sulloway (1979) fait également remarquer que Freud a plus d’une fois, sur la base d’arguments scientifiques comme la non-réplicabilité, rejeté des hypothèses qu’il avait formulées.
2- Les arguments popperiens sont-ils pertinents pour une critique de la théorie psychanalytique ?
Au delà d’une discussion ponctuelle, une autre manière plus fondamentale de poser le problème est de se demander si la psychanalyse, pour entrer dans le cadre de la démarche scientifique, doit valider des critères conçus pour des sciences expérimentales. En effet, comme Grünbaum le fait remarquer, l’existence d’une démarche de réfutation (aisément reconnaissable chez Freud) doit être distinguée de l’exploitation qui en est faite pour le maintien ou le rejet de la théorie. Les psychanalystes semblent peu enclins à rejeter l’édifice théorique sur lequel leur pratique est fondée, malgré les exemples négatifs : on reconnaît ici, selon Gründbaum, la critique de l’immunité congénitale de la psychanalyse évoquée plus haut. Le débat sur la psychanalyse en tant que science ne doit-il pas alors se déplacer vers un débat sur les relations entre une pratique, qui serait ici une source potentielle de réfutation, et une théorie, en réalité « immunisée contre les réfutations » au sens de Popper ?
Cette référence à la pratique est nécessaire pour éclairer les relations entre la psychologie en tant que science du comportement et de l’esprit, d’une part, et la psychanalyse, d’autre part. D’une manière générale, la réalité dont s’occupe la science est une réalité idéalisée, qui n’est pas la réalité quotidienne et pratique. On ne peut appliquer directement à la pratique les lois établies à partir d’une théorie : les lois sont valables dans les conditions idéales prévues par la théorie. Il faut donc transformer le savoir théorique en savoir technologique, ce qui nécessite des hypothèses complémentaires spécifiant les conditions d’application à des cas particuliers. Les lois technologiques qui découlent de ce processus doivent ensuite être soumises à l’épreuve de l’expérience par la recherche clinique et principalement l’étude de cas (voir Huber, 1993).
La méthode d’étude de cas n’est pas propre à la psychanalyse, mais est largement utilisée dans d’autres secteurs de la recherche en psychologie, en neuropsychologie par exemple. Comme en neuropsychologie, d’ailleurs, la théorie psychanalytique ne sépare pas le normal du pathologique : le pathologique a servi à Freud de modèle conceptuel pour sa théorie du normal, puisque les rêves et les erreurs du sujet normal présentent pour lui les mêmes caractéristiques que les symptômes pathologiques. Pour Freud, en effet, la théorie se développe directement à partir de la situation thérapeutique en clinique, et l’activité clinique cherche à atteindre la réalité quotidienne : elle ne permet pas l’établissement de lois générales, mais seulement l’établissement de règles technologiques pour la justification et la planification des phénomènes. Son critère est l’efficacité vérifiée de ces règles, en vue de leur application pratique. Cette méthode naturaliste est dotée d’une valeur unique dans la mesure où elle permet d’accéder à des profondeurs du psychisme inaccessibles aux autres méthodes, d’où leur capacité à valider la théorie générale. Or, il est intéressant de constater que les critiques de Popper et Grünbaum semblent négliger la particularité de cette démarche, et s’adressent à la psychanalyse en tant qu’elle serait une science, et non d’abord une méthode.
3. La nature de l’explication en psychanalyse.
Ces critiques témoignent en effet d’une lecture historique de la théorie freudienne, et s’appuient sur deux présupposés qui rapprochent d’emblée, avant d’en critiquer la scientificité, la psychanalyse de la démarche scientifique. Le premier porte sur la nature de l’explication psychanalytique, supposée être une explication au sens causal, naturaliste, de l’action (pensée, langage, comportement), référée à l’inconscient et au refoulement. Le second porte sur la nature de l’activité mentale de l’analyste, supposé être un observateur objectif de l’activité mentale du patient. Or, il s’agit là de deux présupposés largement débattus à l’intérieur de la psychanalyse.
- l’explication par l’Inconscient  ou le déterminisme inconscient. La théorie psychanalytique dégage une intention inconsciente des symptômes et du rêve, et relie des contenus psychiques manifestes à des contenus latents, c’est à dire à des formations psychiques inconscientes et refoulées. On a vu que Grünbaum reproche à la psychopathologie freudienne, expliquant la production des symptomes par des représentations et désirs inconscients, de ne pouvoir faire la démonstration de cette causalité au sens d’une causalité physique. Cette impossibilité tient, selon Grünbaum (1984), non à la nature de la relation causale impliquée par l’hypothèse de l’inconscient, qu’il considère comme une causalité réelle, mais à la faiblesse de la théorie scientifique qui tente d’en rendre compte. En revanche, ranger la psychanalyse parmi les sciences de la pratique, pour lesquelles les critères de réfutation comme de démonstration de la preuve ne sont pas pertinents, plutôt que parmi les sciences naturelles et expérimentales, suppose de remettre en question la nature de l’explication psychanalytique par l’Inconscient, qui lui est propre. S’agit-il en effet d’une explication causale au sens où Grünbaum l’entend, celui des sciences naturelles, du déterminisme de la production du comportement et de l’activité psychique ?
La théorie rend compte de l’actualisation dans la situation psychanalytique des intentionnalités ou motifs inconscients de la parole et de l’activité mentale. Elle rend ainsi compte d’une pratique d’exploration du sens de la vie mentale, plus que de la production de celle-ci. Le présupposé selon lequel l’hypothèse de l’Inconscient et du refoulement prétendrait expliquer de manière causale la production des conduites et des symptômes est donc discutable. Certes, Freud décrit sa découverte du sens et les logiques de celui-ci, et la causalité particulière dont elle témoigne, dans les termes de la physiologie et de la psychologie naturaliste de son époque. On reconnaît dans les termes  de la métapsychologie les profondes racines de la formation de Freud au contact de l’Ecole de Meynert, lorsqu’il s’appuie sur les concepts de la psychologie associationniste. Mais les psychanalystes, depuis, ont largement critiqué une lecture mécaniciste de la métapsychologie, ne distinguant pas causalité psychique et causalité physique (Green, 1995), confondant modèles freudiens et modèles de production de la pensée ou du langage au sens des modèles cognitifs actuels. Or la critique de Grünbaum semble confondre un déterminisme mécanique de production de la vie psychique, reposant sur des relations causales entre des opérations mentales élémentaires, avec un déterminisme logique, reposant sur des relations d’implications entre les produits de l’activité mentale.
- Le problème de la preuve. Le modèle d’une science de l’observation. Le second présupposé sur lequel s’appuient les critiques est celui du statut d’observateur de l’analyste. Même si l’attention "flottante" crée chez celui-ci les conditions d’une réceptivité particulière à l’activité psychique du patient, l’observateur reste pour Grünbaum un observateur extérieur à ceel-ci. Cette vision de l’activité de l’analyste est directement liée au postulat précédent, selon lequel l’explication psychanalytique est causale au sens des sciences naturelles, et la théorie psychanalytique une théorie scientifique sommée de satisfaire les contraintes de la réfutation popperienne et de l’administration de la preuve.
C’est au terme de ce présupposé que Grünbaum (1984) peut exiger du psychanalyste des critères objectifs de véridicité de ses hypothèses. Seuls ceux-ci permettraient en effet d’écarter la critique de fond selon laquelle les explications psychanalytiques, formulées par l’analyste sous la forme d’interprétations et de constructions, sont acceptées par le patient grâce la suggestion. Cette suspicion invalide aux yeux de Grünbaum l’argument clinique « de l’adéquation » : les hypothèses psychanalytiques seraient donc invérifiables. D’où l’accent mis sur la nécessité de critères scientifiques, universels et publics, et non intersubjectifs et privés, de vérification et de falsification. Pour Popper, la non satisfaction de ces contraintes par la psychanalyse démontre que celle-ci ne peut prétendre devenir une science. Pour Grünbaum il s’agit des limites de la théorie psychanalytique sous sa forme actuelle, que les psychanalystes devraient se soucier de remplacer par une meilleure théorie, répondant à ces exigences scientifiques. Mais cette discussion repose bien sur une définition implicite, et qu’il faut mettre en question, de l’activité du psychanalyste, observateur étranger à son objet d’observation qui serait le psychisme du patient.
Là encore, il s’agit d’une problématique centrale pour la psychanalyse elle-même. Cette description de l’analyste comme observateur externe, fidèle au principe de l’observation scientifique et médicale, est soutenue par Freud. Il se trouve donc le premier confronté au problème, constamment soulevé après lui, de la preuve et de la démonstration scientifique de ses hypothèses. Freud est sensible à la critique selon laquelle il ne serait qu’un « lecteur de pensée » (Meehl, 1994), attribuant à son insu au psychisme inconscient du patient des constructions personnelles, notamment sous formes de reconstructions de l’histoire infantile dont la confirmation dans la clinique de la cure serait illusoire. Or il lui est nécessaire de répondre à cette objection pour défendre le statut scientifique de sa découverte. Il cherche pour cela des preuves objectives et publiques de la justesse de ses hypothèses, autres que l’argument clinique de l’adéquation, et entre ainsi dans le débat ultérieurement ranimé par les critiques de Grünbaum. De telles preuves ne peuvent en effet provenir seulement de la clinique c’est à dire de la relation entre le patient et l’analyste, suspecte d’être influencée par ce dernier, et doivent être recherchées hors du champ de la pratique, dans l’histoire événementielle (l’enfance du patient). Du point de vue de l’administration de la preuve (et non de la pratique), il devient essentiel que la construction psychanalytique soit la reconstruction d’une scène réellement perçue, qu’elle corresponde à un souvenir, inaccessible mais trace d’une réalité vécue. Freud s’interrogera cependant jusqu’à la fin de son oeuvre sur la nature, trace d’une réalité événementielle vécue ou d’origine phylogénétique innée, des fantasmes inconscients, c’est à dire sur le statut des représentations auxquelles donne accès l’exploration de l’inconscient et de la sexualité infantile.
On voit ici que la recherche d’une validation objective de l’hypothèse clinique, recourant à la réalité historique des événements mis en scène dans les représentations inconscientes reconstruites par l’analyse, découle de la même prémisse qui expose la psychanalyse aux critiques de Grünbaum. Si l’activité associative et la parole du patient sont supposées déterminées par l’Inconscient, en revanche celle de l’analyste constituerait la base d’une activité scientifique hypothético-déductive fondée sur l’observation. C’est parce que la psychanalyse est supposée être une science d’observation du psychisme du patient, et l’interprétation une hypothèse sur celui-ci, qu’il est crucial de vérifier ces hypothèses par des arguments objectifs extérieurs au champ de la pratique. Une autre manière d’aborder le problème de la démonstration consiste à prendre en compte les difficultés rencontrés par la théorie pour démontrer sa propre validité hors du champ de la pratique, et à reconnaître que la manière dont elle décrit et explique la vie mentale est étroitement liée à cette pratique. Il faut alors reconsidérer l’extériorité supposée de l’analyste à son objet d’investigation, c’est à dire prendre pour objet la nature du processus psychanalytique en y incluant l’activité psychique de l’analyste. Que recouvre en effet le principe d’une « observation » ou d’une « perception » de l’activité psychique d’autrui dans une relation interindividuelle, et plus encore dans la situation psychanalytique ?
On rejoint ainsi une problématique purement psychanalytique. La nature de l’implication de l’analyste dans la situation psychanalytique a en effet donné lieu à de constantes recherches des psychanalystes après Freud, qui ont progressivement éclairé l’importance du contre-transfert. La difficulté posée par le rôle de l’analyste dépasse le problème classique de la relation entre observateur et objet observé dans la pratique scientifique : c’est celle de la reconnaissance d’une relation intersubjective, d’un échange interindividuel de pensée et de parole de nature particulière. Il faut donc redéfinir le statut des interprétations et des constructions produites par la psychanalyste. Il ne s’agit plus de confronter un certain type d’hypothèse et d’explication aux critères de validation des sciences objectives, mais de reconnaître l’originalité d’un mode communication, de pensée à deux. L’interprétation psychanalytique n’est plus de ce point de vue une explication de l’action du sujet, une hypothèse sur un objet d’investigation qui serait le psychisme du patient, construite par un observateur externe à celui-ci. Elle devient un fait clinique, c’est à dire une partie de cet objet, lui-même redéfini dans la mesure où il englobe à la fois les activités psychiques du patient et de l’analyste, et ce qui les relie.
Interprétations et constructions seraient le produit d’une interaction psychique spécifique entre l’analyste et le patient, pour laquelle Freud a proposé les termes de transfert et contre-transfert, et qui resterait à définir au regard des sciences fondamentales. Leur déterminisme échappe en partie à l’intention consciente du psychanalyste, comme leurs effets échappent à la volonté du patient. Elles constituent des faits particuliers de communication, un processus psychique mutuel ou une fusion de pensée entre analyste et patient, engagés ensemble dans ce que D. Widlöcher (1996) propose de nommer une « co-pensée ». La relation entre l’analyste et le patient n’est plus un mode d’observation de ce dernier, mais un objet psychique commun spécifiquement éclairé par la psychanalyse. La construction conçue par l’analyste est constitutive de cet objet, elle est moins un savoir hypothétique (vérifiable et réfutable) qu’un fait, qui en revanche ne peut être soumis à une validation selon des critères de véridicité externes à l’échange entre le psychanalyste et son patient. Elle n’autorise donc pas de démonstration au sens de Popper. La critique de ce dernier serait donc juste, mais elle témoignerait d’une ignorance de la nature même de la psychanalyse. Les critères de pertinence de l’interprétation ou de la construction doivent être recherchés dans l’événementialité de l’échange entre l’analyste et son patient. Il ne s’agit pas de vérifier une hypothèse mais d’évaluer les effets d’un acte de langage sur l’activité mentale du patient. On retrouve « l’argument d’adéquation » freudien critiqué par Grünbaum. Il s’inscrit certes lui-même dans le processus qu’il valide, puisqu’il renvoie à la pratique, mais il est manifeste ici qu’il a pour fonction de valider cette pratique sur des arguments cliniques, et non de démontrer une hypothèse explicative générale comme le suppose Grünbaum. A ce titre, l’argument ne peut, en effet, permettre la démonstration de la théorie en dehors de son champ d’application qui est la pratique psychanalytique, ni valider en dehors de celle-ci l’explication de la vie mentale du patient liée à cette pratique. La référence freudienne à l’événement vécu dans l’enfance se comprendrait également du point de vue de la pratique. Relier la représentation inconsciente au passé du sujet répondrait à une exigence clinique (l’inconscient serait constitué de représentations d’expériences sexuelles infantiles), non à une logique d’administration scientifique de la preuve. La réalité des événements vécus par le sujet n’est pas en effet l’objet direct de l’investigation, et ne peut être la garantie de son exactitude, une fois l’accent mis sur la logique propre de l’activité psychique qui représente ces événements.
Ces difficultés ont été largement débattues au sein de la psychanalyse et ont justifié plusieurs reformulations théoriques qui réduisent la portée des critiques de Popper et de Grünbaum, dans la mesure où elles en invalident certaines des prémisses, dont celle portant sur nature de l’explication causale. Une autre critique, l’impossibilité de démontrer l’absence d’influence de l’analyste dans le processus, ne vaut également que tant que le psychanalyste est supposé être un observateur de l’activité psychique du patient, et non un acteur participant avec celui-ci à la construction d’un objet spécifique. Une partie des critiques de Grünbaum naîtraient alors d’un malentendu sur la nature même de la psychanalyse, et témoigneraient d’un problème mal posé, confondant une théorie de la pratique et une théorie scientifique du fonctionnement psychique, la production de l’interprétation dans la situation psychanalytique et  l’élaboration de la théorie psychanalytique en dehors de celle-ci.
Entre herméneutique et naturalisme.
Ces changements de perspective sur la psychanalyse transforment le problème de sa scientificité. Les critères de Popper, qui, comme on l’a vu, s’appliquent aux sciences expérimentales, pourraient ne pas être pertinents pour d’autres catégories scientifiques. Grünbaum lui même, dans sa critique de la lecture herméneutique de la psychanalyse, souligne que les défenseurs de celle-ci se référent à une vision idéale de la notion de relation causale, peu pertinente en psychologie. D’autres visions sont sans doute possibles, qui pourraient offrir des garanties de scientificité tout en quittant le modèle contraignant de la réfutabilité. L’incapacité de la théorie à opérer sa propre démonstration hors de son champ n’est pas propre à la psychanalyse. Les sciences reposant sur l’accumulation de connaissances issues de la pratique ne satisfont  pas aux principes de validation des connaissances, ni d’administration de la preuve, propres aux sciences expérimentales. Widlöcher (1996) propose ainsi de placer la psychanalyse dans la même catégorie que d’autres sciences inductives, comme les sciences économiques, l’histoire ou les sciences de l’éducation, c’est à dire des sciences qui interviennent pour décrire et modéliser des phénomènes complexes et ne peuvent soumettre leurs hypothèses à la falsification. Ces disciplines n’ont donc pas de caractère prédictif au sens expérimental du terme, mais leur scientificité relève d’une vérification par la pratique. Elles ne permettent pas de vérifier une hypothèse par sa mise à l’épreuve des faits, mais tirent de l’observation répétée de la réalité un modèle qui éclaire la pratique. Widlöcher rappelle qu’une pratique peut  être théorisée avant que la science ne permette de rendre compte de ses lois, et d’en révéler les logiques explicatives au sens causal : les croisements entre espèces opérés par les botanistes ont été l’objet d’une pratique efficace et d’un savoir rationnel bien avant la découverte des lois de la génétique mendelienne. Il pourrait en être de même pour d’autres disciplines comme la psychanalyse, science d’une pratique en attente d’une science fondamentale capable d’en proposer des explications scientifiques au sens de Popper et de Grünbaum.
Ce changement de perspective transforme le débat classique sur le statut de la psychanalyse entre herméneutique et sciences positives. Différents courants se sont en effet appuyés sur ce qui distingue, comme on l’a vu, la psychanalyse de la démarche scientifique du point de vue de la preuve, de la causalité et de l’universalité de la connaissance, non seulement pour souligner sa portée descriptive plutôt qu’explicative, mais pour récuser, au nom du primat de la pratique dont l’objet est le sens, la portée scientifique et naturaliste de la psychanalyse. La reconnaissance de la nature logique de sa causalité, et donc de sa valeur descriptive, a conduit certains (comme Ricoeur) à voir dans la psychanalyse seulement une herméneutique (Ricoeur, 1965), dérive que Grünbaum, qui défend l’ancrage de la psychanalyse dans les sciences naturelles, critique tout aussi sévèrement. En démontrant quant à lui la nature construite des « objets » psychanalytiques, comme la représentation inconsciente, Viderman (1970) souligne également les faiblesses d’une lecture psychologique naïve de la théorie freudienne. Avant de constituer l’un des éléments d’un hypothétique appareil psychique du sujet, le fantasme inconscient par exemple est le produit d’une pratique qui fabrique une réalité particulière dans l’ici et maintenant de l’échange psychique entre l’analyste et le patient. Viderman dénonce le caractère selon lui illusoire d’une vision psychologique naturaliste de cette réalité construite, comme de la référence supposée historique à la réalité du passé infantile. Dans tous les cas, c’est la portée psychologique et naturaliste de la métapsychologie, sa contribution à la connaissance de la réalité du fonctionnement psychique, qui est récusée, jusqu’à suggérer, comme le fait R. Schäfer (1983), l’abandon par la psychanalyse de la métapsychologie et de son projet. Devenue une herméneutique ou une phénoménologie de l’action, la psychanalyse justifierait seulement une théorie de sa pratique, qui abandonne toute prétention scientifique explicative et donc métapsychologique (Ref).
Faut-il alors abandonner le projet freudien d’une psychanalyse appartenant aux sciences de la nature, pour ranger celle-ci dans le champ des sciences humaines et sociales, voire littéraires ? Il est pourtant possible d’interpréter autrement les particularités de la théorie psychanalytique. Les points de vue que nous venons d’évoquer postulent que la psychanalyse ne peut prétendre être une science naturelle à cause de son objet : sens plutôt que mécanisme, ou construction intersubjective plutôt que réalité. Or on peut interpréter différemment la spécificité de la psychanalyse par rapport à une science objective en y repérant les propriétés, comme nous l’avons suggéré, d’une théorie issue d’une pratique particulière de l’esprit, ce qui n’exclut pas que celui-ci soit également l’objet d’une autre approche, naturaliste et positiviste. Il reste alors à inscrire la pratique psychanalytique elle-même, et le niveau d’organisation spécifique des actes mentaux qu’elle révèle, dans une théorie générale de la vie mentale.
Dans un cadre scientifique pluridisciplinaire, on ne peut en effet négliger la réalité de l’activité psychique qui assure le développement et la lecture du sens, ou la construction de l’Inconscient. De ce point de vue, la psychanalyse ne peut se réduire à une herméneutique ni à une phénoménologie. Si les logiques du sens ne se laissent pas réduire aux mécanismes biologiques ni psychologiques, la production comme l’interprétation du sens dépendent de ces mécanismes. Il n’est plus justifié d’opposer aujourd’hui l’approche clinique dont l’objet est le sens, à l’approche objective, biologique ou cognitive, expérimentale et positiviste des mécanismes de la vie mentale. L’objet de cette dernière n’est pas le sens lui-même mais les opérations neurobiologiques et mentales qui participent à son actualisation, à sa construction et à sa lecture. Le fonctionnalisme auquel souscrivent, pour une large part, les sciences cognitives récuse autant l’élimination de la psychologie (« l’éliminativisme cognitif ») que la réduction au déterminisme ou à la réalité biologique élémentaire. De la même manière, reconnaître la nature construite des représentations inconscientes ne permet pas d’écarter  la réalité de l’interaction entre l’analyste et le patient assurant cette construction, et donc l’activité psychique de l’un et de l’autre.
La psychanalyse, objet pour les sciences ?
Le problème est donc d’identifier l’objet d’une approche naturaliste pertinente pour la psychanalyse. Une fois l’activité psychique de l’analyste considérée non plus comme celle d’un observateur, mais constitutive de l’objet de la psychanalyse, la question de l’approche scientifique naturaliste en psychanalyse persiste, et voit son champ seulement déplacé. Elle porte seulement sur ce qui, dans la psychanalyse, peut donner lieu à une objectivation : les mécanismes de production de ces formations et de l’échange, mis en jeu dans la situation psychanalytique, notamment l’activité mentale de l’analyste et les modalités particulières de la communication psychanalytique entre le patient et lui (Widlöcher, 1994).
Si l’Inconscient, le refoulement, témoignent d’une vision en négatif du psychisme éclairée par la psychanalyse, que l’on peut opposer à la vision positive de la démarche scientifique, cette vision en négatif est cependant la propriété d’une activité psychique sous-jacente. Celle-ci constitue une réalité objective du processus psychanalytique et peut devenir l’objet d’une science qui en éclairera, d’un autre point de vue, le caractère positif : une science des événements mentaux, chez l’analyste et le patient, sur lesquels repose la pratique psychanalytique. La construction, dans la cure, des représentations inconscientes, leur communication et les effets de celle-ci au cours d’un échange particulier de pensée et de paroles, pourraient constituer ainsi, en principe, un objet pour une science générale de l’esprit au sens objectif de Popper et Grünbaum, étudiant les mécanismes de l’activité mentale partagée dans la situation psychanalytique.
Mais la contrainte est double. Maintenir la psychanalyse en relation avec la réalité du fonctionnement psychique suppose également de respecter l’écart entre la description psychanalytique et une explication scientifique objective du fonctionnement mental. De ce point de vue, on l’a vu, la métapsychologie n’est pas une psychologie explicative. Les termes métapsychologiques (la représentation inconsciente, le refoulement) désigneraient des réalités psychiques complexes tels que la pratique les découvre, des actes ou états mentaux de nature particulière, et non des opérations mentales élémentaires de production comparables aux mécanismes cognitifs de la psychologie objective. C’est en ce sens que l’Inconscient psychanalytique est d’une autre nature que le non-conscient de la psychologie cognitive constitué d’opérations mentales élémentaires. Les concepts psychanalytiques ne peuvent trouver de traduction directe dans le langage de la psychologie scientifique actuelle décrivant les opérations non conscientes assurant l’exécution de l’activité mentale et de l’action. Les objets de la métapsychologie (le refoulement par exemple) sont plutôt, de ce point de vue, des objets cliniques complexes produits par ces mécanismes, des actes mentaux certes de nature particulière, mais qui à ce titre doivent être eux-mêmes décomposés au regard des opérations et fonctions décrites par les sciences objectives du fonctionnement mental.
Selon cette perspective, l’approche objective, voire expérimentale, du fait psychanalytique (par exemple des opérations mentales élémentaires mises en jeu dans l’oubli du refoulement, la remémoration, la pensée associative, etc.) ne repose pas sur le niveau d’observation de la pratique psychanalytique, mais sur celui de l’explication naturaliste des mécanismes de production de la vie psychique, comme l’analyse cognitive de l’oubli, de l’activité associative, etc.... Des travaux récents de recherche théorique ou empirique (sur l’oubli, la pensée associative, etc.) s’inscrivent dans cette perspective (Luborsky et al, 1981 ; Horowitz, 1988 ; Bucci, 1997). La question qui se pose alors est celle de l’intérêt pour la psychanalyse de ce type de recherches qui ne parlent pas son langage : il faut distinguer ici l’intérêt pour la pratique, évidemment réduit puisque ces recherches se situent en dehors de son champ, et l’intérêt scientifique d’une description des processus sur lesquels cette pratique repose.
Métapsychologie et psychologie.
Reconnaître la nature de la théorie psychanalytique et chercher à mieux définir son objet transforme ainsi le débat entre psychanalyse et sciences. Celui-ci s’écarte du problème de la scientificité de la théorie et de la validation de la méthode, et s’oriente selon deux axes. Comme on vient de le voir, il s’agit d’abord de définir l’objet (l’activité mentale de l’analyste et du patient, et ce qui les relie, plutôt que le psychisme du patient) et les modalités d’une démarche scientifique extérieure à la psychanalyse mais qui s’appliquerait à celle-ci. Cette approche peut offrir à la démarche psychologique scientifique des objets de connaissance spécifiques, issus de la pratique psychanalytique et nécessaires à la compréhension de l’esprit, tandis que la psychanalyse trouverait dans ces travaux des méthodes d’évaluation externes, et peut-être une source de connaissance objective et explicative, au sens des sciences expérimentales, des processus sur lesquels repose sa pratique.
Mais il faut évaluer la contribution de la psychanalyse aux sciences contemporaines, non seulement en tant que sa pratique peut être un objet pour ces sciences, mais aussi en tant que théorie du psychisme. Il s’agit alors d’examiner la portée de la métapsychologie, et de la psychopathologie générale que Freud induit de ses découvertes cliniques, au regard des sciences de l’esprit. L’ambition de la psychanalyse ne se réduit pas en effet à la théorisation d’une pratique du point de vue du psychanalyste. S’il apparaît pertinent de juger réductionniste une lecture biologiste ou psychologique de la métapsychologie freudienne, celle-ci répond cependant pour Freud au projet de fonder, à partir de la méthode clinique, une théorie générale du fonctionnement psychique rendant compte des faits observés, et dont l’intérêt scientifique dépasserait sa seule valeur pour la pratique.
Le problème de la scientificité de la théorie se transforme : il s’agit de déterminer si elle est compatible avec les modèles des sciences contemporaines de l’esprit, et si oui, comment. Chaque pratique, chaque méthode d’investigation du psychique en construit une représentation, en révèle des propriétés. Si on accepte ce principe de compatibilité (mais aussi de spécificité), la réponse passe par une définition précise du niveau d’organisation de la vie psychique visé par la psychanalyse, permettant de l’articuler ensuite avec ceux révélés par d’autres modes de description et d’explication. Dans ce sens, D.Widlöcher (1996) propose de distinguer dans la théorie freudienne une métapsychologie qui constitue une théorie de la découverte de l’Inconscient, de la lecture du sens, c’est à dire une théorie liée à la pratique psychanalytique et validée par elle,  et une psychologie psychanalytique, qui tente de décrire dans une démarche naturaliste les mécanismes et extrapole, à partir de la pratique psychanalytique, une psychologie générale. La première serait une théorie du sens, rendant compte de la manière dont se développent dans l’échange clinique les motifs ou intentionnalités conscientes et inconscientes de la parole et des représentations, la seconde serait une théorie des mécanismes proposant des modèles des opérations mentales sous-jacentes.
De nombreux points de la théorie se prêtent à cette double lecture. Les deux théories freudiennes successives de l’angoisse en sont un exemple : la première propose une compréhension de la production de l’angoisse en situation, la seconde lui donne un sens dans le jeu des instances psychiques en rapport avec le désir inconscient. Le sens donné à la théorie de la pulsion est sans doute différent lorsqu’elle tente de rendre compte dans le contexte scientifique de l’époque de la relation entre psychique et somatique, et lorsqu’elle décrit les logiques de la vie psychique telles qu’elles s’actualisent dans la pratique. On pourrait de la même manière distinguer dans la notion de représentation inconsciente ce qui rend compte d’une modalité particulière d’événementialité psychique (« primaire » ou hallucinatoire), et ce qui relève de la construction du sens des actes mentaux du sujet dans la cure. La fonction d’accomplissement de désir du rêve postulée par Freud pose le même problème, selon qu’on la comprend comme une hypothèse naturaliste générale ou comme une hypothèse clinique référée au sens, à l’intention et non à la production, du rêve.
Cette désintrication peut éclairer le débat avec la psychologie contemporaine. L’interface entre psychanalyse et sciences ne se réduirait pas à la démarche soumettant la pratique psychanalytique et des objets définis par celle-ci à des approches scientifiques objectives. Elle impliquerait également une partie de la métapsychologie qui propose, à partir de la pratique clinique, des représentations générales du fonctionnement psychique. Comme l’étude objective des processus psychanalytiques mais dans un autre cadre méthodologique, cette démarche appartiendrait au champ d’une « psychologie psychanalytique » élargie, par nature pluridisciplinaire et ouverte aux sciences de l’esprit. S’y inscrit par exemple la théorie de l’attachement, qui rend compte de mécanismes de base d’organisation du comportement et de la vie relationnelle (Bowlby, 1969), et non de la représentation de celle-ci accessible au plan clinique.
La théorie psychanalytique n’est donc pas homogène. Il faudrait y distinguer une théorie étroitement liée à la pratique qui renvoie seulement à elle, et une extrapolation à partir de celle-ci, à portée psychologique générale, qui s’inscrit dans un contexte pluridisciplinaire et serait amenée à se modifier au regard du mouvement des sciences, au progrès des connaissances. Réciproquement, si les connaissances issues de la méthode psychanalytiques n’appartiennent pas elles-mêmes au niveau de description d’une psychologie naturaliste des mécanismes mentaux, elles ont cependant des implications pour cette dernière. Avec l’empathie déjà  évoquée, la question de l’action en donne un autre exemple. La notion psychanalytique d’intentionnalité inconsciente pose en effet, comme les sciences cognitives de l’action aujourd’hui, le problème de la relation entre sens et acte. Dans une perspective scientifique, il est en effet aussi injustifié d’expliquer la production d’un acte par son intention consciente volontaire, que par une intention inconsciente (d’autant que celles-ci sont multiples), ce qui est en revanche la règle du point de vue de la « psychologie populaire » mais revient à confondre déterminisme causal et intentionnalité de l’acte. La psychanalyse et les sciences de l’action, dans la mesure où elles récusent ce type d’explication intuitive (l’interprétation freudienne n’est pas une explication causale de l’acte), se rejoignent dans une interrogation sur la cause réelle du comportement ou de l’activité psychique. C’est le sens de la référence de Freud à Brentano sur l’intentionnalité, qui inspire aujourd’hui aussi les sciences de l’action :  l’acte ne peut être dissocié de l’intention, ce qui impose une remise en question des prémisses de la psychologie populaire, mais aussi scientifique. On rejoint ici les avancées des sciences cognitives de l’action, révisant les liens entre action, intention et représentation (Jeannerod, 1994).
Une dernière difficulté apparaît alors. A côté de la nécessaire compréhension de l’interaction entre deux psychismes, sous-jacente à la méthode d’investigation psychanalytique, se pose également le problème de la réalité psychique individuelle à laquelle la méthode donne accès. En effet, quelle réalité du fonctionnement psychique est-elle visée par cette démarche psychologique naturaliste présente dans la théorie psychanalytique ou liée à elle : les processus psychiques interindividuels ou mutuels sur lesquels repose, chez l’analyste et le patient, la psychanalyse (la construction des représentations inconscientes, par exemple), ou également le fonctionnement psychique du patient auquel cette pratique est supposée donner accès ? Le même problème se pose pour une approche scientifique objective « externe » de la psychanalyse. Au delà du processus interindividuel que constitue la méthode psychanalytique, approche-t-on grâce à elle, une réalité psychique individuelle ?
Plus largement, remarquons que la question se pose de savoir si toute psychologie portant sur des processus complexes doit être une approche de la communication entre individus. N’est-ce pas nécessairement par l’interindividuel qu’on atteint un psychisme supposé individuel, dans les sciences de l’esprit également, comme l’illustre l’orientation progressive des sciences cognitives vers les processus sociaux et l’empathie ? En ce qui concerne la théorie psychanalytique, la réponse peut-être que, même si la métapsychologie rend probablement compte de processus interindividuels, la réalité psychique individuelle reste visée au delà de l’interaction. Ainsi, pour reprendre l’exemple de l’Inconscient, on peut supposer que les représentations inconscientes construites dans l’échange psychique pendant la séance sont l’expression d’une réalité psychologique individuelle, un système ou une modalité de représentation psychique de nature particulière, en somme un Inconscient inaccessible comme tel et devant certes être reconstruit, mais réel cependant. On retrouve ici deux approches théoriques distinctes de l’Inconscient, dont le problème des relations avec les approches scientifiques actuelles se pose différemment pour chacune : par les processus d’organisation et construction du sens dans l’échange entre psychanalyste et patient, et par l’hypothèse d’une mode de représentation ou d’activité mentale spécifique.
Conclusion.
On doit s’interroger sur le mouvement qui conduit sciences et psychanalyse, depuis la naissance de celle-ci, tour à tour à se rencontrer et à s’éloigner. Il est plus facile de désigner ce qui les sépare. L’écart entre approche scientifique et approche clinique demeure irréductible, dans la mesure où le clinicien peut récuser la démarche scientifique, par exemple celle des sciences cognitives, au prétexte qu’elle n’aborde pas la relation intersubjective, mais seulement la relation interindividuelle, ou que la dimension biologique n’inclut pas le subjectif. Parmi les scientifiques, les évolutionnistes en particulier critiqueront ce point de vue, d’une part, parce que Freud lui-même plaçait sa théorie dans la démarche darwinienne (Sulloway, 1979), et d’autre part, parce que les éléments constitutifs de l’intersubjectivité, comme l’attachement, font légitimement partie des traits adaptatifs, selon Darwin. Le clinicien récuse le réductionnisme méthodologique de l’approche scientifique, dont il craint qu’en décomposant l’objet de sa pratique pour en dégager les éléments constitutifs et les soumettre à son investigation (par exemple en étudiant les mécanismes élémentaires mis en jeu dans l’intersubjectivité), elle le fasse simplement disparaître, ce qui enlèverait toute pertinence aux connaissances qu’il prétend tirer de sa méthode. Réciproquement, le chercheur reste convaincu du bien fondé de cette démarche, et de la réalité d’un objet d’investigation commun, au delà des représentations que chaque méthode en construit. Il sera tenté de mettre en doute en revanche la valeur des connaissances issues d’une méthode qui refuse les critères habituels de la validation scientifique.
La confrontation risque d’être sans issue, car au delà de la validation des théories, il s’agit de juger la pratique de l’autre au regard de ses propres critères. Or, l’une, la démarche scientifique, est destinée à générer et valider des connaissances, l’autre est une méthode thérapeutique qui repose sur une pratique interindividuelle de nature particulière. Si elle apparaît volontiers dans la culture contemporaine comme une théorie de la vie psychique, la psychanalyse est en effet d’abord une méthode, une pratique intersubjective dont l’objectif est d’induire des transformations de la vie psychique du sujet dans un but thérapeutique. A partir de cette méthode s’élabore une théorie étroitement liée à son enjeu thérapeutique, qui diffère d’une théorie scientifique visant à comprendre l’esprit. De par son lien avec sa pratique, la théorie psychanalytique  répond enfin à des logiques de démonstration et de validation des connaissances différents de ceux des sciences expérimentales. On ne peut construire une hypothèse qu’en la validant au risque, certes, de la rejeter. De ce point de vue, la psychanalyse ne se voit pas en effet comme science, mais comme une démarche rationnelle appliquée sur des faits et éclairant ceux-ci, plutôt que construite à partir d’eux. La question des rapports de la science à la psychanalyse (ou l’inverse) est donc, par essence, une question mal posée.
C’est à partir de ce constat que peut s’ouvrir un débat. Le problème aujourd’hui n’est pas d’opposer deux représentations concurrentes de l’esprit dans le cadre d’une polémique idéologique, mais de déterminer l’intérêt et les possibilités d’un échange entre des démarches distinctes, qui génèrent des connaissances de nature différente dans des buts également différents. Ce qui rassemble les deux approches est sans doute l’existence d’un objet réel commun, au delà des objets construits par les méthodes, objets bien sûr différents pour chacune. Le psychisme n’est pas réservé à une approche, quelle qu’elle soit. Il se laisse saisir par des approches hétérogènes. La confrontation des théories psychanalytique et scientifique au sens des sciences objectives, trop souvent considérée comme le corps même du débat, devient de ce point de vue l’indice d’une hétérogénéité des méthodes d’investigation du psychisme. En effet, le problème posé par la théorie psychanalytique est celui de la nature des connaissances sur l’esprit liées à une méthode inter, ou plutôt, co-subjective, et non à une démarche d’observation ou d’expérimentation portant sur le fonctionnement mental. D’autres sciences s’intéressant aux phénomènes de grande complexité comme l’action, l’intentionnalité et la communication, partagent le statut de la psychanalyse de ce point de vue. Cette méthode est liée à la nature de l’esprit et du lien interhumain, et à ce titre s’inscrit elle-même dans le champ d’étude des sciences contemporaines de l’esprit.
C’est de ce point de vue, c’est à dire indirectement, que la psychanalyse interroge les sciences en tant qu’elle offre des faits nouveaux,  décrit des propriétés de l’esprit et éclaire des objets interindividuels inaccessibles à d’autres approches. En tant que méthode thérapeutique également, elle génère des processus spécifiques, dont la prise en compte est susceptible d’enrichir la compréhension générale de l’esprit. Elle pourrait donc ouvrir un champ d’investigation spécifique aux sciences de l’esprit, du langage, ou de la communication. Nous avons vu que le problème est alors de définir précisément l’objet particulier, différent de la seule activité psychique du patient, que constitue la psychanalyse. Si elle n’objective pas l’esprit conformément aux principes de la démarche scientifique, dans la mesure où elle constitue un mode propre d’activité psychique impliquant deux individus, elle pourrait en revanche elle-même être objectivée par la démarche scientifique.
Réciproquement, malgré sa spécificité, la théorie psychanalytique implique des représentations générales du fonctionnement mental qui l’inscrivent dans une relation fonctionnelle avec les sciences de l’esprit et la relient indirectement aux transformations de celles-ci, l’inscrivent donc dans le temps des sciences, de l’évolution des connaissances. Une partie de la théorie freudienne est-elle alors amenée à devoir se transformer au regard du mouvement des sciences ? De tels changements auraient-ils des conséquences sur la pratique de la psychanalyse ? C’est un des enjeux du débat ouvert ici sur les relations entre pratique et théorie psychanalytique, puis entre pratique et théorie psychanalytique d’une part, et sciences d’autre part (Jones, 1993).
Cette question s’illustre actuellement par un important débat dans la psychanalyse sur le statut des recherches cliniques en psychanalyse, et sur les modalités d’évaluation de sa pratique (Fonagy, 1999). Il faut distinguer la question de l’évaluation objective des changements induits par la méthode, qui ne concerne pas directement l’étude du processus psychanalytique, et l’étude objective des processus psychanalytiques eux-mêmes au regard d’autres modèles et théories scientifiques (Sipos, 1999). Mais dans les deux cas, la question est de savoir s’il est légitime et possible de porter sur la pratique un autre regard que celui du psychanalyste, d’utiliser un autre langage théorique. La recherche en psychanalyse ne peut-elle être que clinique, c’est à dire fondée sur la pratique et posée dans les termes de sa théorie propre, ou peut-elle trouver appui dans les sciences de l’esprit en dehors de la psychanalyse, prenant pour objet la pratique psychanalytique ?  On retrouve ici l’une des principales critiques de Grünbaum, qui jugeait nécessaire d’un point de vue strictement scientifique que la psychanalyse puisse se soumettre à une démonstration externe au seul champ de sa pratique.
Se pose ainsi, à différents niveaux, théoriques, pratiques mais aussi culturels et sociaux, la question de l’intérêt, pour la vitalité du mouvement psychanalytique, du maintien de liens avec les sciences. Privilégier la pratique de la psychanalyse, reconnaître le statut original de sa théorie en la recentrant sur cette pratique plutôt que sur la méthode scientifique objective, pourrait conduire les institutions psychanalytiques à un relatif isolement vis à vis des sciences. Pourtant, nous l’avons vu, la psychanalyse s’inscrit de différentes manières dans le mouvement scientifique. Et jusqu’à quel point intérêt scientifique et intérêt pour la pratique sont-ils réellement distincts ?
Marc Jeannerod et Nicolas Georgieff
Institut des Sciences Cognitives,
67 Boulevard Pinel, 69675, Bron 

Décharge


Selon Freud, terme économique désignant l’évacuation à l’extérieur de l’énergie apportée à l’appareil psychique par les excitations, qu’elles soient d’origine interne ou externe.

C’est au médecin-philosophe-physicien allemand G.T. Fechner que Freud a emprunté le terme physiologique d'« excitation », lui conférant ainsi une nouvelle dimension dont les développements métapsychologiques s’avéreront rapidement fondamentaux. Dès les « études sur l’hystérie » en 1895, Freud et Breuer développent leur conception de l’abréaction qui laisse apparaître déjà la notion « d’excitations pathogènes » à décharger. C’est à la fin de cette même année que Freud rédige « l’esquisse d’une psychologie scientifique » ; l’étude de l’excitation est au tout premier plan au côté du « principe d’inertie » et de la fonction régulatrice et apaisante de la décharge.
Pour Platon, la recherche de la satisfaction du corps était vaine et l’excitation, mère de l’illusion. Seule l’âme pouvait calmer le corps grâce à une démarche vertueuse fondée sur le recueillement qui conduit à la sagesse. Dans cette démarche ascétique, il s’agissait de tenter d’abolir la tension et de transcender les contraires ; il faut s’élever, se purifier et réduire les différences…
Depuis l’arc réflexe, la décharge est associée à l’excitation, mais la décharge n’est pas le seul moyen d’accéder à la satisfaction : par exemple, l’augmentation de la tension permet le nécessaire prélude à toute satisfaction et elle doit être investie en elle-même – plaisir préliminaire, masochisme minimal indispensable – afin d’assurer l’attente de la satisfaction hallucinatoire comme l’investissement de la représentation objectale qui constituent le désir. Les comportements autoérotiques visent à obtenir une satisfaction sexuelle, une décharge d’excitation, sans la participation d’une autre personne. Du fait du développement psychosexuel depuis l’enfance, les conduites autoérotiques sont susceptibles de concerner de nombreuses parties du corps tout comme l’activité intellectuelle.
Comment rendre compte du fait que ce qui excite peut aussi calmer ? Freud, dans les « trois essais sur la théorie de la sexualité » s’en étonnait déjà : « Cela nous paraît quelque peu étrange, dans la mesure où il semble que pour être suspendue, la stimulation en exige une autre, appliquée au même endroit ». Les procédés auto-calmants, décrits par C.Smadja et G.Szwec, ont également la particularité d’être auto-excitants (« Les auto-calmants ou le destin inachevé du sadomasochisme » C.Smadja, Revue Française de Psychosomatique, N°8, Psychosomatique et modèles théoriques II)
A cette dimension quantitative, économique, s’associent des aspects qualitatifs orientés par les sensations de plaisir / déplaisir. Dès lors, l’intervention de l’objet externe s’avère nécessaire à la réalisation de l’ « expérience de satisfaction » qui peut prendre le masque de la souffrance, selon la nature de la réponse objectale. La dialectique du quantitatif et du qualitatif rejoint la réflexion de J.F.Lyotard (« Emma », Nouvelle Revue de Psychanalyse, n°39, Excitations) qui considère que l’articulation de la force et du sens constitue une articulation épistémologique fondamentale dans laquelle le pulsionnel donne délégation à la représentation pour le représenter dans le psychisme, spécifique à la psychanalyse, qui la distingue des sciences et la rapproche de l’art de la médecine.
L’excitation parait être d’origine externe ou interne. Le pare-excitation représente un des éléments constitutifs d’une barrière dynamique complexe située entre le dehors et le dedans et qui protège des excitations externes. Quant à l’excitation interne, elle est traitée par le « travail psychique » dans le jeu pulsionnel. En tant que représentant psychique de l’excitation interne corporelle, la pulsion apparaît comme un concept limite entre le psychique et le somatique ; à moins qu’elle ne soit un « …concept de l’interface entre le soma et la psyché, concept d’un « transfert » premier des biologiques somatiques en psycho-logique psychique… » (R. Roussillon, « Le plaisir et la répétition », Dunod 2001) ?
En 1915, dans « le refoulement », Freud distingue deux composantes constitutives de la pulsion (en tant que représentant psychique de l’excitation interne) : la représentation proprement dite (représentant – représentation) et la charge énergétique qu’est le « quantum d’affect ». Seul le représentant-représentation est soumis au refoulement. Le destin de ces deux composantes peut donc différer, comme en témoigne l’écart entre les registres de la répression et celui du refoulement. Le jeu des liaisons et des déliaisons entre la représentation et le quantum d’affect rend compte de l’essentiel de la vie psychique et se retrouve dans la dynamique de la cure. La référence à la notion de pulsion conduit également à rappeler la nécessité de différencier la source, la poussée, le but….et de faire sa place à l’objet, même si Freud le considère comme assez contingent.
En 1894 (« les psychonévroses de défense »), Freud propose une première ébauche de la pulsion sexuelle. Sa reconnaissance théorique rapide, confirmée en 1895 permet de rendre compte des mécanismes en jeu dans la névrose d’angoisse (« qu’il est justifié de séparer de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de névrose d’angoisse »). La pulsion sexuelle est le fruit de la transformation de l’énergie des processus sexuels organiques en énergie sexuelle psychique : c’est la libido. La pulsion sexuelle se décompose en pulsions partielles dont les sources correspondent aux diverses zones corporelles érogènes. L’investissement d’une zone érogène par la pulsion libidinale est source d’excitation. Cette excitation sera bien plus perceptible dans l’investissement des objets partiels qui permettent d’atteindre le but – la satisfaction – sans les inhibitions qui accompagnent l’investissement de l’objet total. Les perversions polymorphes de l’enfance et les perversions sexuelles de l’adulte y démontrent leur efficacité et leur caractère de fixité, mais aussi leur valeur défensive.
Dans la voie vers la satisfaction objectale ou narcissique et dans leurs combinaisons, l’excitation va aussi permettre de connaître la joie et l’exaltation en leur conférant une intensité très importante, dissolvant les limites du moi et alimentant également des possibles expériences mystiques et le sentiment océanique.
L’articulation de l’excitation avec la pulsion doit rappeler la place de la coexcitation libidinale. Elle rend compte d’au moins trois mécanismes : de l’étayage de la fonction sexuelle sur une fonction physiologique, de l’émergence d’une excitation sexuelle au cours d’une activité non sexuelle, de la liaison de la douleur avec l’excitation au niveau de l’organe - dont la reprise psychique est le masochisme érogène dans la seconde théorie des pulsions.
Face à la démesure toujours possible de l’excitation, du quantitatif, le psychisme a inventé le « contre-investissement ». Il permet le « transfert d’énergie » de l’investissement d’une représentation « inconciliable » vers une représentation plus ou moins proche, moins conflictualisée ou affectée de manière moins pénible. La phobie reste l’exemple princeps et historique dans le champ de la psychanalyse au côté d’autres symptômes. Il maintient le refoulement de la représentation conflictuelle – d’où sa valeur fonctionnelle d’interface entre l’inconscient et le préconscient – mais au prix d’une énergie considérable. Cela a cependant un prix car ce système du contre-investissement « s’épuise à immobiliser de l’énergie pour tenter de contrer les retours excitants du refoulé » (J. Cournut « L’ordinaire de la passion »,p 175, Puf 1991)
La question de l’excitation interroge également certaines propositions théorico-cliniques, comme pour R.Angelergues : « Il n’est pas d’excitation interne qui ne soit aussi induite du dehors ; il n’est pas davantage d’excitation qui ne prenne forme dans l’intérieur. Le sujet s’approprie qualitativement et quantitativement l’excitation qui a été conçue à deux. Nous retrouvons là tout entier le paradoxe du psychisme » (« Brouillon d’un essai psychiatrique sur la question de l’excitation » cahier du Centre de Psychanalyse et de Psychothérapie, n°6 ASM13).
Comme l’excitation, la pulsion ne cesse d’interroger la place des racines biologiques dans la psyché humaine. De nombreux auteurs considèrent que la place du corps biologique est indispensable dans la théorie du développement psycho-sexuel. D’autres récusent le rôle d’un processus biologique et se réfèrent au langage (fondements structuralistes) ou au relationnel, à l’interpersonnel, considérant alors le sujet comme constitué exclusivement par les relations qu’il a entretenues avec son entourage. Dans le même axe de réflexion, qu’en est-il de nos jours du « fourvoiement biologisant de la sexualité chez Freud » tel que J. Laplanche l’énonce en 1993 ? Tout comme son concept des « signifiants énigmatiques » qui postule que les « objets-sources de la pulsion » sont implantés au dehors du psychisme naissant de l’enfant ?
Ce rapide survol de la séquence qui va de l’excitation à la représentation, via la pulsion, ouvre à d’autres développements : la vie fantasmatique, garante de la mentalisation, illustre la nécessaire articulation de la symbolisation et de la figuration – et de la figurabilité – dans ce travail de représentation.
La question de l’excitation s’envisage aussi selon les modalités différentes de lutte contre la dépression : c’est le registre maniaque. Si, avec Mélanie Klein, on considère la position dépressive comme une étape universelle, la défense par l’excitation, dans la manie, peut devenir une défense psychotique contre le pouvoir mortifère du surmoi. La manie implique bien plus le Moi idéal dans sa composante narcissique que l’Idéal du moi.
En 1935 Winnicott se démarque de Mélanie Klein par une attention particulière aux problématiques identitaires et dépressives qui annoncent la suite de son œuvre. Il définit la défense maniaque comme une fuite vers la réalité externe manipulée de manière omnipotente pour dénier la réalité interne. Il se sépare de Mélanie Klein en considérant que les fantasmes sont des efforts pour affronter la réalité interne – et ne sont pas, comme chez Klein, la réalité interne, elle-même. Le fantasme est « personnel et organisé et relié historiquement aux expériences physiques, excitations plaisirs et douleurs de la petite enfance ». (« De la Pédiatrie à la psychanalyse », p.16, Petite Bibliothèque Payot. 1983). Défense anti-dépressive où la sexualisation jouerait un rôle assez secondaire, la défense maniaque est aussi une composante de la vie ; Winnicott la montre à l’œuvre, par exemple, dans le plaisir pris au spectacle d’un music-hall. On doit aussi à Winnicott d’avoir décrit la défense maniaque de l’enfant contre la dépression de l’objet.
L’excitation chez l’enfant, dans son expression symptomatique, est un motif fréquent de consultation en pédopsychiatrie. L’excitation déborde souvent les capacités du moi de l’enfant, qu’elle soit d’origine endogène ou exogène, et peut devenir traumatique. Les potentialités traumatiques sont d’autant plus manifestes qu’elles rencontrent un appareil psychique inachevé et fragile. Si les conséquences sont diverses au plan de l’expression symptomatique, les atteintes du fonctionnement psychique le sont également : on redoute surtout les effets d’inorganisation avec des instances psychiques insuffisamment constituées et mal différentiées. Il s’y associe une fragilisation du pare excitation et une altération des capacités de représentations. L’ensemble conduit à une incapacité à réguler les excitations qui restent non liées. Il se crée un cercle vicieux où le quantitatif continue à déborder, accentuant la déliaison pulsionnelle : la démentalisation ouvre à la seule issue de la décharge qu’elle soit dans le comportement ou dans le corps. C’est d’ailleurs à partir d’observations cliniques approfondies que, très tôt, les psychosomaticiens ont décrit des inorganisations psychiques de cette nature chez certains patients souffrants d’affections somatiques. Dès les années soixante, Michel FAIN s’intéresse particulièrement au traumatisme et souligne le facteur économique en jeu dans les premières descriptions du fonctionnement opératoire. Il met l’accent sur la fonction pare-excitante de la mère. C’est à partir de ces fondements théoriques qu’il aborde, avec Léon KREISLER et Michel SOULE, la clinique psychosomatique et les troubles fonctionnels du très jeune enfant.
La civilisation semble évoluer vers une relative désymbolisation dont témoigne l’évolution des patients, moins névrosés, aux prises avec des problématiques narcissiques ou dépressives. La culture semble avide de plus d’excitation, de musiques plus rapides, de communications plus percutantes, d’images toujours plus violentes, dans une véritable traumatophilie. Cette évolution s’accompagne d’un recours accru aux toxicomanies et aux addictions diverses. La psychanalyse a-t-elle une responsabilité dans l’affaiblissement du surmoi culturel ? Si l’excitation participe à la folie érotique dont André Green souligne qu’elle est inhérente à la sexualité humaine, elle alimente aussi la violence des mouvements psychiques projectifs des états-limites qu’il s’est attaché à étudier, avec les difficultés contre-transférentielles qu’ils suscitent.
Comment l’analyste va-t-il utiliser le cadre pour pallier aux carences internes du pare-excitation ? En l’aménageant ou en s’impliquant contre-transférentiellement d’une manière différente : la technique interprétative doit-elle être modifiée comme le propose Winnicott dans sa conception de la régression dans la cure ou faut-il privilégier la contenance, au sens de Bion, face à l’excitation ? Souvent, ne faut-il pas, au contraire, tenir fermement le cadre « classique » sans se laisser duper par des manœuvres qui viseraient à masquer la conflictualité à l’œuvre dans le transfert ?
Que fait l’analyste de sa propre excitation, lui qui se laisse parfois, comme l’avoue déjà Freud, dévorer par le travail ? Comment joue-t-elle dans le surgissement – adéquat ou intempestif – de l’interprétation ? Elle alimente en tout cas de sa vérité pulsionnelle le fantasme de séduction à l’œuvre dans toute cure et le risque de son agissement…

Décharge et passage à l'acte

Le passage à l’acte est communément admis comme un terme désignant un acte violent, impulsif, immédiat, abrasant toute activité de mentalisation sur le modèle tension-décharge.
D’un point de vue historique, en psychiatrie, le passage à l’acte figurait dans les écrits des aliénistes sous les rubriques d’ « impulsivité », de « défaut d’inhibition de la volonté », de « passage trop prompt à l’acte », de « retour vers le pur réflexe » …
Dans le passage à l’acte impulsif sont évoquées des modifications franches de l’état de conscience et de la dynamique intra psychique, des « moments psychotiques », des états crépusculaires, oniroïdes qui débordent le moi.
Souvent le passage à l’acte est également relié à un traumatisme déstructurant et provoquant une rupture des limites entre le monde interne et externe. La scène psychique est envahie par le fantasme inconscient. « Etat limite sans limite », confusion du réel et de la réalité.
La psychanalyse s’est intéressée à la place de la pensée au moment de la réalisation de l’acte. Le Passage à l’acte rend alors compte de la puissance d’un certain type de pensée, tendue et organisée vers un objectif fixe. C’est souvent sous l’angle d’une défection du fantasme qu’est alors considéré le passage à l’acte. Tandis que la pensée de fantasme est éradiquée, le fantasme inconscient déborde de son espace usuel (l’inconscient). Il se lie avec une pensée de la réalité qui permet la réalisation de l’acte. Une autre manière de voir est de considérer que si, pour qu’il y ait fantasme, il faut que soient envisagés un sujet, un objet et une action, on peut penser qu’à certains niveaux archaïques de désorganisation du fantasme le lien sujet-objet défaille et ne subsisterait que la représentation d’action qui perd alors sa fonction métaphorique et se traduit dans la décharge agie.
Mais s’il nous faut considérer la place de l’acte en psychanalyse, nous nous devons d’abord de rappeler que l’acte n’est pas un concept psychanalytique. Il est bien sûr présent dans bien des termes du corpus analytique. On pourrait dire qu’il est d’abord acte manqué chez Freud. Mais on peut aussi bien citer les termes de passage à l’acte, acting out, acte analytique, « agieren », décharge motrice, mise en acte dans le transfert etc.
On pourrait aussi rappeler toutes les variantes de la cure type qui font entrer l’acte dans le déroulement des séances, de la technique active de Ferenczi au « squiggle » de Winnicott en passant par toutes les élaborations sur le rapport au corps dans la cure, le non verbal etc.…
En même temps, on rappellera, de la cure, son « setting », lequel suppose en principe le suspend de l’acte, le seul agir, mal nécessaire, étant celui du transfert. On en retiendra chez Freud un indéniable bannissement de l’agir dans une psychanalyse conçue quasiment comme un combat entre dire et faire.
Tout ceci ne doit pas nous empêcher d’évoquer quelques points de la théorie psychanalytique entretenant un lien particulier avec la question de l’acte.
Dès l’Esquisse, Freud développe la notion d’ « action spécifique » (selon le modèle énergétique) qui vise la décharge des excitations internes.
• Soit une action non spécifique par voie motrice réflexe immédiate.
• Soit une action spécifique, par voie de frayage associatif, permettant la résolution durable.
Quant à la pensée, elle y est conçue comme une action d’essai exigeant une moindre dépense d’énergie.
Pour ce qui est de la « Psychopathologie de la vie quotidienne », on ne manquera pas de souligner avec Lacan le caractère particulièrement réussi de tout acte manqué.
Quant à «L’interprétation des rêves », c’est là que Freud instaure le cadre de la cure par le principe de l’abstinence (tout dire et ne rien faire).
De même la cure se spécifiera alors de l’abandon de l’abréaction propre à l’hypnose, considérée comme trop proche de la décharge et ce au profit de l’élaboration de la représentation inconsciente.
On a déjà évoqué la place du transfert qui est considéré par Freud comme une mise en acte (agir au lieu de se souvenir).
Avec l’ « Au-delà du Principe de Plaisir », l’acte n’est plus relié à la traduction du refoulé, il est rattaché à la compulsion de répétition. Le Moi y apparaît passivé par la force du traumatisme, le sujet est agi par la motion pulsionnelle. La répétition agie et le rêve traumatique ne sont plus réalisation de désir mais mode de décharge et de reproduction de traces non symbolisées d’un passé traumatique clivé, visant à le maîtriser. Mais l’agir peut empêcher la mentalisation et servir la résistance. (c’est ce qu’on verra en particulier dans la réaction thérapeutique négative)
Dans « Inhibition, Symptôme et Angoisse », l’inhibition évite la rencontre avec le traumatisme. Mais cette limitation fonctionnelle du Moi traduit-elle sa force ou son impuissance face à la force du Ca ou à la sévérité du Surmoi ?
Enfin on sait que Freud dans « L’inquiétante étrangeté et autres essais » traitera du geste criminel déterminé par le sentiment de culpabilité. Le crime y est référé au complexe œdipien et son approche correspond finalement à une névrotisation de la problématique de la violence.
Au vu de ces quelques points, on ne peut s’empêcher de considérer que l’acte dans la théorie freudienne garde son caractère pulsionnel, impulsif qui traduit dans sa manifestation même un défaut de symbolisation. (il est le plus souvent appréhendé par opposition à toute élaboration mentale)
Pour Lacan, par contre, l’acte a d’abord une valeur signifiante et en tant que tel il n’est pas sans effet sur le sujet. Mais on retrouvera dans la clinique des formes d’acte qui traduisent un trouble dans le processus de symbolisation. Ainsi l’Acting Out surgit-il dans la cure quand la parole n’a pas été reçue comme vérité à déchiffrer mais mise en doute sur le seul plan d’une rationalité objectivée. S’en suit un agir compulsif qui vient dire dans le réel ce qui n’a pu être symbolisé ni reconnu. L’acting out est alors un avatar transférentiel qui consiste à montrer sur la scène l’objet cause de son désir.
Le passage à l’acte, lui, consisterait à s’y identifier et traduirait ainsi un moment de vérité du sujet.
Après le très bref rappel de ces quelques repères que pouvons-nous ajouter à l’examen de la phobie d’impulsion ? Si la phobie d’impulsion est une occasion d’interroger l’acte, c’est une occasion également, pour nous, de la confronter à un autre trouble du registre de la névrose obsessionnelle et qui se trouve être en une position quasi symétrique vis-à-vis de la première. Il s’agit de la vérification compulsive obsessionnelle.
Le vérificateur obsessionnel compulsif-qui entre aujourd’hui dans la catégorie de TOC- est torturé par la pensée qu’il aurait pu accomplir un acte dommageable dans un passé tout récent. Il faut donc qu’il s’assure que cet acte n’a pas eu lieu. La phobie d’impulsion, elle, est la peur d’accomplir un acte, tout aussi dommageable et radical, dans un futur immédiat. On voit donc ces deux formes de manifestations psychopathologiques exprimer une crainte vis-à-vis d’un acte accompli dans une symétrie temporelle parfaite, l’une juste après l’acte, l’autre juste avant, mais les deux dans la même imminence de sa réalisation.
Cette familiarité dans les manifestations de deux tableaux relevant cependant de dénominations différentes-la phobie pour l’un, la névrose obsessionnelle pour l’autre-ne peut manquer de nous interroger sur la position du sujet vis-à-vis de l’acte de même que sur la nature de cet acte. Cette proximité au niveau de la symptomatologie, nous allons voir qu’elle avait toujours été perçue. Rappelons l’étymologie des termes et leur histoire dans la psychopathologie récente.
Obsession vient d’obsessio : terme militaire, le « siège » ou « assiégé ». Il conduira, en terme religieux, à désigner les tourments exercés par le démon, de l’extérieur, par opposition à « possession » qui sont ceux exercés de l’intérieur. Il désigne alors une contrainte.
En psychiatrie classique, les phénomènes obsessionnels sont décrits sous des appellations diverses : monomanies raisonnantes (Esquirol), idée fixe, folie lucide (Trelat), délire émotif (délire sans folie) (Morel), folie du doute (Falret) … Westphal, Krafft-Ebing introduiront le terme de « Zwangvorstellung » en Allemagne : « représentation de contrainte ». On sait que Freud emploiera le terme de « Zwang neurose » (qu’il traduira en français par « névrose des obsessions »)
Mais avant cela, (début-milieu du 19è siècle) les impulsions, compulsions et les phobies sont souvent réunies dans les états obsessionnels. Deux théories s’affrontent alors pour la genèse de ces troubles, la théorie émotionnelle et la théorie intellectualiste (cette dernière privilégiant l’idée, la représentation dans le déterminisme du trouble). Si, comme l’a évoqué Delphine Redler, l’histoire de la psychiatrie est alimentée par de nombreux débats autour de ces questions, on retiendra cependant que classiquement la phobie d’impulsion fait partie des troubles obsessionnels au même titre que les vérifications compulsives (et que cliniquement d’ailleurs on a pu observer que ces deux manifestations pouvaient se succéder).
Ce n’est qu’à la fin du 19è siècle que Janet et Freud proposent une réorganisation radicale du champ des névroses en s’appuyant chacun sur des conceptions psycho-dynamiques originales. Pour Janet, hystérie et psychasthénie sont les deux grandes entités concernées par la névrose. Il s’agit, pour la psychasthénie, soit la névrose obsessionnelle, d’en rendre compte selon une conception essentiellement dynamique-énergétique. La psychasthénie correspondrait à une baisse de la tension psychologique à l’origine de désordres dans les fonctions psychiques. Ici prime le déficit sur la notion de conflit psychique.
Avec Freud, c’est, bien sûr, la notion de conflit psychique qui est au premier plan avec les mécanismes de défense qui spécifieront la névrose obsessionnelle (déplacement, isolation, annulation rétroactive…) C’est lui qui séparera d’emblée les obsessions des phobies (1895) alors que Janet les maintient dans un même ensemble de manifestations pathologiques. A partir de Freud et du modèle analytique, trait de personnalité et symptômes obsessionnels sont les manifestations d’une même entité : la névrose obsessionnelle, et on verra la clinique analytique mettre d’avantage l’accent sur la structure que sur les symptômes.
Quant à la phobie (Phobos : crainte soudaine, effroi, « peur de la peur »), elle est également une notion peu stable, ayant donc subi des destins divers en psychiatrie classique, se dispersant en fonction du nombre d’objets et situations pathogènes et se mêlant aux troubles obsessionnels. Freud, quand il s’empare de cette question, écrit à ce propos : « cette série de phobies présentée sous de pimpants noms grecs… ressemble à l’énumération des dix plaies de l’Egypte avec cette différence que les phobies sont beaucoup plus nombreuses. » De plus, rien ne permet de distinguer cliniquement les rituels conjuratoires obsessionnels des comportements d’évitement phobique. (ce qui justifie Janet dans leur fusion)
On ne détaillera pas ici les hésitations et les allers et venues de Freud qui l’ont cependant conduit à isoler la phobie comme une catégorie nosographique autonome. On en retiendra simplement qu’elle entrera ainsi dans la grande catégorie des névroses de transfert sous le titre d’hystérie d’angoisse se démarquant ainsi des névroses d’angoisse et névroses actuelles. On sait aussi qu’après Freud, dans le milieu analytique, c’est le terme de névrose phobique qui lui a été finalement préféré.
De cette élaboration freudienne vis-à-vis de l’angoisse on retiendra cependant encore un temps éminemment important, celui que constitue le remaniement auquel on assiste à partir de « Inhibition, symptôme et angoisse ». A partir de ce moment l’angoisse n’est plus issue du refoulement, c’est l’inverse. C’est l’angoisse du Moi face aux motions pulsionnelles qui le conduit au refoulement. « Jamais l’angoisse ne nait de la libido refoulée ». C’est alors la castration qui est au centre de toutes les formations névrotiques. Ainsi, dans la phobie proprement dite, assiste-t-on à la substitution de l’objet phobique à l’horreur qu’inspire la castration.
Si nous retenons cette option, c’est parce que c’est bien ce temps de la castration qui semble impliqué dans cette symptomatologie de l’acte que nous examinons ici. Le sujet paraît arrêté devant un abîme, celui de l’irréparable d’un acte à venir ou venant d’avoir lieu et dont il serait l’agent de surcroît. Cet acte, par sa gravité aurait pour conséquence de bouleverser sa vie, aurait pour effet de le changer radicalement. (il deviendrait un assassin par exemple) Au-delà de la composante agressive refoulée si caractéristique de la névrose obsessionnelle s’exprime le fantasme d’un temps maîtrisé de la constitution subjective, précisément de l’acte fondateur du sujet désirant. Ce temps de la castration (symbolisé ici, comme souvent, par un acte violent) à jamais recouvert par le refoulement originaire puisque constitutif de l’inconscient, le sujet pourrait encore en craindre l’imminence, et en éviter finalement le couperet. Mais cet acte inaugural du sujet désirant il est bien évident qu’il l’a subi, sinon il ne serait pas en mesure d’en fantasmer la levée (et d’exposer ainsi son moi à cette angoisse d’annihilation).
Finalement, que le sujet s’en trouve radicalement transformé et donc incapable d’en éprouver les effets ou qu’il soit arrêté par la question de ce qu’est un acte montre bien la part de réel qui nous échappe toujours dans l’acte et qu’aucune représentation ne peut donc cerner. L’acte est-il réservé aux dieux ? C’est ce que semblent nous dire ces patients et ce Dieu a un nom : Kairos. En effet ce dieux du « bon moment », de l’opportunité, qui présidait aussi bien au domaine médical que militaire (voire artistique ou rhétorique) pour désigner le « bon moment pour agir » était représenté dans la Grèce du Vè et IVè siècle av. JC par un jeune éphèbe tenant dans une main une balance sur laquelle il est penché et qu’il observe et de l’autre un rasoir. Il attend que le fléau penche du bon coté pour trancher.

La décharge selon Sandor Ferenczi

Psychanalyse des habitudes sexuelles
Métapsychologie des habitudes en général
                                                            Sandor Ferenczi
« L’habitude est une seconde nature », ce proverbe forgé par la sagesse populaire résume à peu près tout ce que nous savons jusqu’à présent de la psychologie des habitudes. La théorie selon laquelle c est la répétition qui fraye la voie de décharge à l’excitation ne nous dit rien de plus que ce proverbe, elle se borne à exprimer la même chose dans une terminologie physiologique. La théorie des pulsions selon Freud nous permet pour la première fois d’entrevoir la motivation psychique de la tendance à répéter par habitude les premières expériences vécues ; sa « compulsion de répétition »est un rejeton des pulsions de vie et de mort qui s’efforcent de ramener tout ce qui existe à un état antérieur d’équilibre.
En tout cas, la répétition est liée à une « économie de la dépense psychique» et, en comparaison, la recherche de nouvelles voies de décharge représenterait un nouveau mode d’adaptation, c’est-à-dire quelque chose de relativement plus déplaisant. Cependant le dernier ouvrage de Freud, Le Moi et le Ça, donne une certaine idée de la topographie psychique des processus qui sont impliqués dans la formation et la disparition des habitudes; quant aux aspects dynamiques et économiques de ces processus, Freud les indiquait déjà dans la théorie des pulsions.
A mon avis, sa division du Moi - conçu auparavant comme une entité - en Moi proprement dit, Surmoi et Ça permet de définir plus précisément le lieu du système psychique concerné par la transformation des actions volontaires en automatismes (formation des habitudes) et d’autre part d’entrevoir l’instance qui permet à des automatismes de prendre une nouvelle orientation ou même de changer (pertes des habitudes). Le lieu de l’appareil psychique où nous pouvons supposer l’accumulation des tendances à l’habitude est bien sûr le grand réservoir des pulsions et de la libido, le Ça, tandis que le Moi n’intervient qu’au moment où il faut s’occuper d’un nouveau stimulus perturbant, c’est-à-dire précisément quand il s’agit d’un acte d’adaptation.
Sous cet angle, le Moi agit ici comme un « appareil de circonstance», au sens de Bleuler. Toute adaptation nouvelle exige de l’attention, un travail de la part de la conscience et des surfaces perceptives, tandis que les habitudes sont déposées dans l’inconscient de l’individu. Acquérir une habitude signifie donc livrer au Ça un ancien acte (d’adaptation) du Moi, tandis que, inversement, rompre une habitude implique que le Moi conscient s’est emparé d’un mode de décharge auparavant automatique (dans le Ça) en vue d’un nouvel usage.
Il est évident que cette conception met sur le même plan habitudes et instincts; ce qui est justifié par le fait que les instincts eux-mêmes tendent toujours à rétablir un état ancien et dans ce sens ne sont que des « habitudes», soit qu’ils conduisent directement à la paix de la mort, soit qu’ils parviennent à ce même but par le détour de la « douce habitude d’être ». En fait, il est peut-être préférable de ne pas identifier totalement habitudes et instincts et de concevoir plutôt l’habitude comme une sorte d’intermédiaire entre les actions volontaires et les instincts proprement dits, en réservant le terme d’instinct uniquement à ces très anciennes habitudes qui ne sont pas acquises par l’individu mais héritées des ancêtres.
Les habitudes seraient en quelque sorte la couche de mutation où se forment les instincts, le lieu où aujourd’hui encore se produit la transformation d’actions volontaires en un faire instinctif et dont l’investigation est possible. Les sources d’une action volontaire sont des actes de perception, des stimuli qui rencontrent la surface perceptive de l’individu, seule à contrôler, selon Freud, l’accès à la motilité. Dans la formation des habitudes, les stimuli externes sont pour ainsi dire introjectés et agissent du dedans à l’extérieur soit spontanément, soit sur des signes infimes issus du monde extérieur.
Dans ce sens donc la psychanalyse, comme nous l’avons dit, est un véritable combat contre les habitudes et vise à substituer une adaptation nouvelle et réelle à ces méthodes habituelles et inadéquates pour résoudre les conflits que nous appelons symptômes : elle devient « l’instrument qui va permettre au Moi la conquête progressive du Ça » (Freud).
La troisième composante du Moi, le Surmoi, a également des fonctions importantes à remplir dans les processus d’acquisition et de perte des habitudes. Il est certain qu’on ne réussirait pas aussi facilement à acquérir ou à perdre des habitudes s’il n’y avait au préalable une identification aux puissances éducatives dont l’exemple est érige intérieurement en norme de conduite.
Inutile de revenir ici sur les tendances libidinales et les liens sociaux qui sont impliqués dans ce processus. Cependant, nous pouvons considérer cette manière d’intérioriser l’influence externe des autorités éducatives comme le modèle de la formation d’une nouvelle habitude ou d’un nouvel instinct. Sur ce point, le problème de la formation de l’instinct a des rapports étroits avec celui de la formation des impressions mnésiques durables dans le psychisme et dans la matière organique en général; peut-être y a-t-il avantage à expliquer la formation du souvenir à l’aide de la théorie des instincts que d’exprimer cette dernière en termes irréductibles de « Mnemen ».
La psychanalyse se propose de ramener sous la domination du Moi certaines composantes du Ça qui sont devenues inconscientes et automatiques, et le Moi, du fait de ses étroites relations avec toutes les forces du réel, peut frayer la voie à une nouvelle orientation, plus conforme au principe de réalité. La liaison entre la conscience et le Ça inconscient se fait dans l’analyse « par l’entremise de chaînons intermédiaires préconscients » (Freud). Toutefois, cela n’est possible qu’en ce qui concerne le matériel inconscient de représentations; les impulsions internes inconscientes qui «se comportent comme le refoulé », c’est-à-dire ne parviennent à la conscience ni sous la forme d’émotions ni sous celle de sentiments, ces impulsions ne peuvent pour leur part parvenir à la conscience par l’entremise de ces chaînons intermédiaires préconscients.
Par exemple, les sensations internes et inconscientes de déplaisir peuvent « développer des forces motrices sans que le Moi s’aperçoive de la contrainte qu’il subit. Seule la résistance à cette contrainte, un obstacle à la réaction de décharge peuvent faire accéder ce « quelque chose » à la conscience sous forme de déplaisir ». Considérée sous cet angle, notre « activité » dans la technique analytique, qui justement, en faisant obstacle aux réactions de décharge (abstinence, privation, interdiction d’activités agréables, imposition d’activités désagréables), accroît les tensions liées aux besoins internes et porte ainsi à la conscience le déplaisir jusque-là inconscient, notre activité apparaît donc comme un complément nécessaire de la technique purement passive des associations, qui part de la surface psychique donnée et cherche l’investissement préconscient du matériel de représentations inconscientes.
On pourrait appeler cette dernière « analyse par le haut » pour la distinguer de la première que je voudrais nommer « analyse par le bas». La lutte contre les « habitudes », en particulier contre les modes larvés et inconscients de décharge libidinale qui passent généralement inaperçus, constitue un des moyens les plus efficaces d’accroître les tensions internes.