jeudi 8 novembre 2012



Le rêve peut nous informer sur l’état de la santé mentale

On a tous déjà fait l’expérience d’un mauvais rêve provoqué par un malaise physique ou par des problèmes de digestion. De la même façon qu’il reflète un état physiologique, le rêve peut aussi être révélateur de l’état de la santé mentale.Selon Roger Godbout, professeur au Département de psychiatrie et chercheur au Laboratoire du sommeil de l’hôpital Rivière-des-Prairies, le sommeil paradoxal, qui occupe de 20 à 25 % de nos nuits et pendant lequel se font la plupart des rêves, a d’abord pour fonction de nous faire mémoriser les expériences et les apprentissages diurnes.

Rejouer nos expériences
«Ce qu’on apprend pendant l’état de veille est enregistré sous forme de molécules dans la mémoire à court terme puis “rejoué” de façon synthétique durant le sommeil paradoxal pour que l’essentiel soit stocké dans la mémoire à long terme, explique-t-il. Pour employer un langage informatique, le vécu de la journée est compressé afin d’être emmagasiné et il est décompressé au besoin.» C’est cet exercice de stockage qui mettrait en place les conditions physiologiques permettant la manifestation des rêves.
À l’appui de cette hypothèse, des expériences effectuées avec des rats ont montré que le cerveau de l’animal reproduisait, durant son sommeil paradoxal, des tests de labyrinthe auxquels il avait été soumis. «Cela était observable par la décharge des mêmes neurones que celles activées au cours de l’expérience, mentionne le professeur. Même si nous n’en sommes pas conscients, les régions responsables de la mémoire et des émotions sont actives pendant le sommeil.»
Si c’est là une propriété du rêve, pourquoi observe-t-on si peu de liens entre notre vécu quotidien et le contenu de nos rêves? Il faut d’abord savoir que plusieurs réseaux cérébraux demeurent actifs lorsque nous dormons; la respiration, les battements cardiaques, les centres de la vue, de l’ouïe, de l’odorat et du toucher fonctionnent de façon autonome durant le sommeil paradoxal, indépendamment des stimulus externes.
«Le cerveau reçoit ainsi des pseudosensations autogénérées et cherche à établir des liens avec nos souvenirs. Le contenu du rêve est organisé et reconnaissable, mais le cortex frontal, responsable du raisonnement et du jugement, ne fonctionne pas. Le contenu des rêves est donc parfois bizarre, mais le rêveur ne s’en étonne pas.»

Les autistes rêvent moins
Cette façon étrange qu’a le cerveau d’agencer les rêves peut nous en apprendre sur la santé mentale d’un individu. C’est notamment le cas avec l’autisme; les travaux du professeur Godbout, menés en collaboration avec le Dr Laurent Mottron, ont en effet mis au jour plusieurs corrélations entre les rêves et les signes cliniques de cette maladie.

«Dans l’ensemble de la population par exemple, 80 % des rêves sont liés à des émotions négatives. Mais, chez les autistes, seulement la moitié des rêves présente cette caractéristique. Les enfants commencent habituellement à rapporter des rêves vers deux ans, mais l’autiste ne le fera pas avant trois, quatre ou même cinq ans.»
Chez les adultes, le nombre de rêves rapportés par les autistes est également moins élevé et les émotions telles la gêne, la confusion, la colère et l’excitation sexuelle sont moins fréquentes et moins intenses. De plus, le nombre moyen de mots utilisés pour décrire un rêve enregistré en laboratoire est d’environ 200 chez des sujets témoins alors qu’il est inférieur à 100 chez un autiste.
«La capacité d’évoquer des émotions et de les mettre en mots est corrélée de façon proportionnelle avec l’intensité de l’activité électrique du cortex visuel au cours du sommeil paradoxal, affirme Roger Godbout. Nous pensons que la perception des autistes procède par éléments parcellaires plutôt que par globalisation et qu’ils éprouvent plus de difficulté à rassembler les composantes d’un rêve en un tout. Cela expliquerait pourquoi ils ne rapportent pas de rêves épiques et pourquoi leurs récits sont moins poussés.»
Qualité du sommeil
La qualité du sommeil est également révélatrice du fonctionnement cérébral des personnes autistes: la phase d’endormissement est plus longue, les réveils sont plus fréquents et les différentes phases du sommeil présentent, à l’électro-encéphalogramme (EEG), un profil atypique par rapport à celui des non-autistes.
«Moins il y a de sommeil, plus les signes cliniques comme l’anxiété et les problèmes de communication sociale sont importants», indique le professeur Godbout.
Mais, à son avis, il n’y aurait pas de lien de cause à effet entre ces deux aspects. «Nous croyons que la corrélation s’expliquerait par un substrat commun au sommeil et à l’autisme plutôt que par un lien causal, précise-t-il. Un mécanisme neurologique ne fonctionne pas bien et cela a des répercussions à la fois sur la santé mentale et sur le sommeil.»
Dans d’autres maladies toutefois, un lien causal semble exister entre le manque de sommeil et l’aggravation des symptômes, notamment pour les troubles anxieux et le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité.
«L’EEG des personnes anxieuses ou hyperactives montre qu’elles ont un sommeil instable caractérisé par des mouvements moteurs et respiratoires brusques. Dans leur cas, il est possible que l’amélioration du sommeil diminue la gravité des symptômes et, inversement, que l’atténuation du trouble améliore le sommeil. C’est la même chose pour la plupart des maladies; le manque de sommeil retarde la guérison», souligne le chercheur.
Aux yeux du professeur, ces travaux illustrent que l’étude du sommeil et du rêve peut compléter le portrait clinique d’un problème de santé mentale et que les comparaisons entre l’état de veille et le sommeil chez ces personnes, comme chez les personnes saines, nous éclairent sur le fonctionnement du cerveau.
Daniel Baril