jeudi 14 juillet 2011

Le rêve chez Epicure



Epicure est la grande figure du matérialisme antique. De son œuvre dont la tradition nous dit qu'elle comportait au moins 300 volumes ne nous sont malheureusement parvenu que trois lettres et quelques maximes. Heureusement, Epicure eut un brillant disciple, Lucrèce, qui constitue notre principale source de l'épicurisme.

Les sources de sa pensée

Epicure s'oppose à la fois à l'idéalisme platonicien et à la théorie aristotélicienne de la substance. Il s'inspire surtout de l'atomisme de Démocrite pour fonder son matérialisme. Selon Démocrite la réalité est composée d'atomes, fragments de matière insécables, et de vide.

 La vie d'Epicure 

La Grèce antique Epicure nait en 341 av J.C. dans l'île de Samos (au large de la Turquie actuelle). Les parents d'Epicure sont athéniens. Son père Néoclès est un clérouque, c'est-à-dire un colon. Il est aussi maître d'école et il n'est pas impossible qu'il ait donné à son fils les premiers rudiments du savoir. Sa mère pratiquait des rites propiatoires chez les pauvres (d'où peut-être sa haine de la superstition).
A 14 ans, peut-être même à 12 ans, il se consacre à l'étude de la philosophie, par irritation contre les maîtres d'école qui ne savaient pas lui expliquer convenablement le passage de la Théogonie d'Hésiode relative au chaos. Le premier maître d'Epicure fut peut-être, à Samos même, le platonicien Pamphile.
En 327, Epicure fut envoyé à Théos, sur le proche rivage d'Asie, pour suivre l'enseignement de Nausiphane, disciple de Démocrite. Il fut un élève particulièrement attentif, comme devait en témoigner, par vanité, Nausiphane lui-même.
En 323, Epicure part à Athènes s'acquitter de ses obligations militaires (le service de l'Ephébie qui durait deux ans). C'est peut-être à cette époque qu'il eut l'occasion d'écouter les leçons de Xénocrate à l'Académie. Il fait connaissance du futur poète comique, Ménandre, et gagne son amitié.
En 321, libéré de l'armée, il ne peut revenir à Samos d'où les colons athéniens venaient d'être chassés. Il fait alors l'apprentissage de l'exil et de la pauvreté. Il rejoint sa famille réfugiée à Colophon (Asie mineure). Aux difficultés matérielles s'ajoute la précarité de sa santé.
Nous ne connaissons que peu de choses de sa vie entre -321 et -310. Il ouvre vraisemblablement une école à Mytilène, dans l'île de Lesbos. Il n'y reste qu'un an mais y laisse quelques disciples.
Il aborde ensuite à Lampsaque (près de l'Istambul actuelle) où il restera cinq ans. Il y fonde une école (vers -310), et s'y attache des amis.
En -306, il s'installe définitivement à Athènes. Pour fonder son école il achète un jardin (d'où le nom d'école du jardin) et une maison au nord-ouest de la ville. La vie de l'école est en étroite relation avec les autres centres épicuriens. Au jardin, la vie est frugale. On cultive l'amitié. L'école était ouverte même aux femmes et parmi elles se trouvaient des prostituées et des esclaves. Epicure voulait conduire tous les hommes indistinctement sur le chemin de la sagesse et leur reconnaissait le droit et la capacité de philosopher. Le jardin se singularise ainsi fortement par rapport à l'Académie (élitiste) ou au lycée (centre de recherche érudite). Epicure meurt en 270 av J.C. à l'âge de 72 ans, en proie à la souffrance et à la maladie.


Apport conceptuel


1) La physique : atomes et agrégats  


Pour Épicure la physique reste subordonnée à l'éthique (c'est-à-dire à la morale). Il élaborera cependant sa physique avec soin parce qu'elle constituait à ses yeux le fondement de l'éthique.
Épicure emprunte à Démocrite la théorie de l'atomisme. Pour Épicure atteindre le bonheur imposait comme préalable de libérer l'homme de la crainte des dieux c'est-à-dire exclure le divin du monde et particulièrement de ce moment important qu'est la naissance du monde avec l'ordre qui va le régir. Aucune doctrine ne pouvait mieux répondre à cette exigence que l'atomisme de Démocrite.
Selon Démocrite, la matière est formée de particules, les atomes, dispersées dans une extension infinie, l'espace. Atomes et espaces sont les deux réalités éternelles. Comme dans l'espace infini il n'y a pas de centre vers lequel puisse tendre la matière, Épicure considère les atomes comme soumis à un mouvement éternel de chute, animé d'une vitesse uniforme puisque s'opérant dans le vide. De plus, ce qui suppose que la terre soit plate, un tel mouvement de chute suit la position verticale de l'homme et s'effectue du haut vers le bas.
Comme son caractère rectiligne l'empêche de rendre compte de la rencontre des atomes, Épicure confère aux atomes la capacité de modifier leur trajectoire, ne serait-ce que très légèrement. Cette déclinaison se fait au hasard, de façon imprévisible, en un instant et un lieu indéterminés. Ceci fait que les atomes peuvent se rencontrer, s'entrechoquer. Les atomes constituent des mondes puis peuvent se désassembler (s'ils déclinent à nouveau).
Il y a donc trois causes aux mouvements, assemblages et désassemblage d'atomes:
  • La pesanteur (chute).
  • Les chocs (qui modifient les trajectoires).
  • La déclinaison (encore appelée clinamen).
On peut imaginer dans l'extension infinie du temps passé et dans l'infinité de l'espace et de la matière, une série infinie d'unions et de rencontres d'atomes, le plus souvent infructueuses mais capables parfois de donner lieu à des ensembles stables lorsque des formes particulières d'atomes, en nombre particulier et dans des positions réciproques particulières viennent à se rencontrer.
D'où pour Épicure deux espèces de corps:
  • Les atomes éternels et immuables.
  • Les agrégats (combinaisons d'atomes) résistants mais, pour la plupart (nous verrons qu'il existe une exception), destinés à se décomposer.
Le caractère indestructible des atomes dérive de leur solidité c'est-à-dire de l'absence de vide à l'intérieur, mais cela entraîne leur extrême sensibilité aux chocs et donc l'éternité de leur mouvement, et ceci même lorsqu'ils se trouvent à l'intérieur des agrégats.
La quantité des formes que revêtent les atomes est très grande mais non infinie car, dans ce cas, les qualités sensibles dans les agrégats seraient aussi en nombre infini. La limitation du nombre des formes des atomes entraîne aussi celle de leur taille. Taille, forme et poids sont les seules qualités des atomes tandis que les autres qualités sensibles sont celles des agrégats et dépendent de la position des atomes qui les composent.
Les caractéristiques relevant des agrégats se retrouvent dans le monde entier et dans tous les autres mondes que l'on peut imaginer raisonnablement dans l'infinité de l'univers et qui, identiques au notre ou dissemblables, sont pourtant tous destinés à se désagréger.
On retiendra donc que, pour Épicure, existe d'autres mondes que le notre et qu'aucun monde n'est éternel puisqu'il s'agit d'agrégats.
Les dieux sont aussi des agrégats, mais ils appartiennent, eux et eux seuls, à une catégorie spéciale, unique, d'agrégats puisque leur béatitude suppose des qualités particulières: ils ne doivent pas être menacés de destruction et existent donc de façon immortelle. Ils vivent dans certaines régions de l'univers, échappant aux lois qui règlent la vie et la mort de notre monde et de tous les autres mondes. C'est pourquoi Epicure les situe dans les espaces entre un monde et un autre, dans les inter-mondes. Ils sont anthropomorphes (de forme humaine) car la forme humaine est la plus belle de tous. Ils ne subissent aucune perturbation dans leur parfait équilibre atomique et, en conséquence, ils ne connaissent aucune des passions telles que la colère, la haine, la pitié, ce qui signifie qu'ils n'ont aussi nulle colère ni du reste nul amour pour les hommes. Pour Épicure les dieux se désintéressent des hommes, ce qui est important pour la doctrine morale. Ils sont dotés d'un corps car le corps est instrument de bonheur. Encore que le leur soit d'une constitution particulière, il est pourtant fort semblable à celui des hommes. Enfin, ils ont à leur disposition tout ce qui est nécessaire à leur bonheur: ainsi, comblés de tous les biens et assurés que dans les temps futurs rien de cela ne leur fera défaut, ils jouissent du bonheur le plus parfait.
La physique épicurienne présente une vision matérialiste de l'univers, assimilé à une foule d'atomes se mouvant d'un mouvement éternel dans le vide infini. Tout est matière. Rien ne naît de rien (tout naît à partir d'atomes) et rien ne retourne au néant (la mort est décomposition de l'agrégat en atomes et ces derniers subsistent. À notre mort nos atomes se dispersent pour un jour reformer d'autres agrégats). Tout est connaissable, explicable. La nature est un mécanisme qu'on peut connaître et la science démystification.
L'âme elle-même est matérielle. Elle est un corps composé de particules subtiles disséminées dans l'agrégat que constitue notre organisme. Toutes les opérations mentales se résument selon Epicure à des déplacements d'atomes. Mais ceci nous renvoie à la seconde partie de sa philosophie : la théorie de la sensation.

2) La théorie de la connaissance : fidélité aux sensations

Si le bonheur doit être un état de sécurité sereine, cette sécurité s'obtiendra d'abord par la connaissance qui est le préalable et le fondement de toutes les autres activités humaines en ce qu'elle rétablit un contact confiant avec la réalité. La connaissance (et la physique) sont pacifiantes (ainsi par exemple elle nous apprend qu'il ne faut pas craindre les dieux).
Le premier intermédiaire du contact avec la réalité est la sensation et c'est sur l'exactitude des informations qu'elle fournit qu'Épicure fonde son système.
La véracité des sensations tient à deux raisons:
  • Nous sommes dans l'impossibilité de démontrer qu'elles sont erronées.
  • Elles procèdent par mode de contact et prouvent ainsi leur capacité à nous faire connaître la réalité telle qu'elle est.
Étant donné que pour la vue, l'ouïe et l'odorat un tel contact ne peut s'établir directement, Épicure, reprenant là encore la théorie de Démocrite, pense à l'existence d'émanations allant des objets aux organes sensitifs.
La sensation visuelle, par exemple, s'expliquerait ainsi : le martèlement continuel des atomes à l'intérieur des corps détache sans interruption de leur surface des espèces de membranes ou " simulacres " qui conservent une structure identique à celle de l'objet dont elles partent et sont donc capables de le faire percevoir tel qu'il est à l'organe de la vue. Les simulacres se meuvent à très grande vitesse car leur constitution est très ténue et ils ne rencontrent que peu d'obstacles sur leur chemin.
Il existe une seconde catégorie de simulacres, ceux, par exemple, qui proviennent des dieux, plus subtils encore que les premiers, capables de frapper directement l'esprit, sans solliciter les sens.
Quand nous émettons des sons (par la voix), l'expulsion de certaines particules hors de nous qui viennent frapper l'oreille explique que nous entendons.
Outre la sensation, il y a d'autres critères de vérité:
  • Les affections, c'est-à-dire le plaisir et la douleur.
  • Les prolepses ou anticipations.
Les affections concernent le domaine de l'éthique.
Les prolepses sont étroitement liées au domaine de l'activité connaissante. Ce sont des espèces d'idées générales, fixées dans l'esprit à la suite d'innombrables perceptions d'un même objet. Elles sont toujours liées à un nom qu'il suffit de prononcer de sorte que, grâce à la prolepse correspondante, on parvienne à penser l'objet que ce nom désigne.
Le mécanisme des prolepses paraît s'expliquer chez Épicure par la capacité mentale de reproduire, sous l'impulsion des sens ou de quelques autres excitations, un certain mouvement particulier qui s'était produit en corrélation avec la perception d'un certain type d'objet; ainsi pourraient être ressaisis, parmi les simulacres qui frappent directement l'esprit, ceux qui correspondent à l'objet qui doit être pensé.
On peut se référer, à ce propos, à la théorie de l'imagination et du rêve: imagination et rêves se produisent sous l'impact des simulacres. L'esprit demeure réceptif aux images vues les jours précédents, ce qui explique qu'on puisse en rêver. Si les défunts nous visitent en rêve, c'est que des simulacres émanés d'eux durant leur vie atteignent notre esprit. Nos sens assoupis n'arrivent pas à corriger l'erreur de l'esprit.
Les opérations de la pensée sont de nature matérielle. Les simulacres ont pénétré notre esprit comme nos yeux. La pensée est vision mentale.
Ceci montre la puissance mais aussi la faiblesse de la pensée. Par exemple nous pouvons nous représenter l'idée de centaure. Le hasard a rapproché les simulacres déformés et usés d'un cheval et d'un homme pour former une image composite. Ainsi mythes, fictions, peuvent s'expliquer par la physique, par la théorie des simulacres. La raison peut de toute façon vaincre l'imagination quand elle nous effraie. Inversement c'est l'imagination qui peut nous aider lorsque nous souffrons.
L'âme, de nature corporelle, et donc exposée à la mort, est composée de 4 éléments dont 3 sont respectivement semblables à l'air, au vent et au feu. Le quatrième, qui ne porte pas de nom, est le plus subtil et le plus mobile et permet la pensée. Ces éléments expliquent les diverses réactions émotives par la prédominance de tel ou tel d'entre eux (le feu dans la colère, par exemple), et ils représentent l'intermédiaire par lequel le mouvement sensitif se transmet graduellement au corps en partant de l'élément le plus subtil.
L'âme est, de plus, divisée en deux parties:
  • L'une est diffuse à travers tout le corps et intimement lié à lui. Elle rend compte des sensations.
  • L'autre, enfermée dans la poitrine, est sans rapport direct avec le corps, en sorte que l'âme peut rester étrangère à ce qui affecte ce dernier. Cette seconde partie préside aussi à l'activité de la volonté. Mais, puisqu'on ne peut vouloir que ce que l'on connaît, tout acte de volonté doit présupposer un acte de connaissance, c'est-à-dire, du côté de l'esprit, un choix de certains simulacres particuliers parmi d'autres. Pour Épicure, la réussite d'un tel acte suit la règle de tout progrès humain, individuel ou collectif : une série de tentatives, effectuées par l'esprit et de plus en plus perfectionnées jusqu'au niveau de la conscience de ce qu'on doit vouloir (conforme à la morale) et du comment le vouloir. L'homme est ainsi libre même malgré certaines circonstances comme l'âge ou telle ou telle constitution particulière de l'âme.
Dans un système rigoureusement matérialiste comme celui d'Épicure où l'âme elle-même est corporelle, où les actes et comportements ne sont que des mouvements particuliers des atomes qui la composent, le fait d'admettre chez l'homme un principe de liberté revient à reconnaître l'action de ce principe dans le mouvement des atomes, principe en vertu duquel Épicure s'affranchit du déterminisme strict de Démocrite, de la causalité nécessaire.
Selon Démocrite, tout est nécessaire, tout effet à une cause. Il n'y a pas de liberté.
Pour Épicure, au contraire, le monde est issu du hasard et de la nécessité. La nécessité vient de la chute nécessaire des atomes et le hasard de la déclinaison des atomes. Nous avons vu que celle-ci s'opère au hasard. Elle permet donc d'expliquer la liberté possible de l'homme dans un monde où la causalité intervient aussi. C'est l'idée de la liberté humaine qui oblige le matérialiste Épicure à élaborer la théorie de la déclinaison des atomes. Le mouvement des atomes aussi a une certaine liberté et par là même comporte de l'imprévisible, ce qui explique la liberté de l'homme puisque son âme est faite d'atomes.

3) L'éthique : se libérer de toute crainte

Épicure subordonne la recherche du vrai à la poursuite du bonheur. La science est en vue de l'éthique. La connaissance de la physique a pour but la paix de l'âme : dissiper les terreurs de l'esprit.
Si la théorie de la connaissance ne fait que développer les conséquences nécessaires et logiques du principe de la fidélité aux sensations, de même l'éthique épicurienne est fondée sur le postulat suivant: le plaisir est le bien, la douleur est le mal. Les douleurs et plaisirs de l'âme sont nettement séparés de ceux du corps, en sorte que l'état de plaisir ou de douleur du corps peut n'avoir aucune conséquence pour l'âme et vice versa; mais tous les plaisirs et toutes les douleurs, même ceux de l'âme, peuvent se ramener à des plaisirs et à des douleurs du corps. L'application pratique la plus connue de cette doctrine est celle qui concerne l'amitié et les plaisirs qu'elle fait naître, lesquels n'ont rien à voir avec le corps. L'amitié apparaît comme une attitude intéressée, soit qu'on recherche la sécurité qu'assure la présence d'un ami, soit qu'on ait besoin de son appui ou de ses secours. Une telle affirmation est cependant dépourvue de toute bassesse dans la perspective de l'idéal de sagesse : si le sage a besoin d'un ami ce n'est pas dans le sens où on l'entend de prime abord. Il n'a pas besoin d'appui politique (il ne participe pas à la vie politique), ni de protection complaisante (il ne commet aucune action contraire aux coutumes et aux lois), ni d'argent (il se contente de peu pour vivre). Si, toutefois, et pour des raisons indépendantes de sa volonté, il se trouve dans le besoin, alors il pourra recourir à son ami, mais n'est-ce pas naturel si l'on admet l'existence de l'amitié? " Le sage, confronté aux nécessités de la vie sait plutôt donner que prendre."
Pour Épicure tous les plaisirs puisent leur origine dans ceux du ventre. Mais le plaisir dont il parle n'est pas celui du vulgaire. C'est la conséquence logique de l'atomisme qui veut que tout ce qui existe, si rien ne le trouble, doit exister dans la plénitude de son être, c'est-à-dire avec l'accompagnement du plaisir. Quand le corps possède tout ce qui lui est nécessaire (et ce nécessaire est infime), il jouit du plaisir dans une quiétude qui dérive du parfait équilibre des atomes qui le composent (plaisir stable). L'autre type de plaisir, celui du mouvement, provient d'un mouvement quelconque affectant les sens ou s'exerçant sur les atomes qui les composent sans cependant les troubler; en conséquence il s'agit là d'un type de plaisir qui n'est pas nécessaire au bonheur.
Épicure ne pense pas que le désir du plaisir doit être satisfait en toutes circonstances. Il peut exister des plaisirs dont la conséquence est une douleur et qu'il faudra donc repousser. Par exemple trop manger peut paraître agréable mais l'indigestion qui suit est douleur. Ce plaisir est donc à rejeter, d'autant plus qu'à force de trop manger on peut avoir des maladies très douloureuses.
En revanche il ne faut pas fuir certaines douleurs qui, une fois surmontées, peuvent provoquer un plaisir: jeûner pour avoir ensuite le plaisir de manger du pain et de boire de l'eau, par exemple.
C'est alors la raison qui doit intervenir pour imposer son choix à l'impulsion animale qui aurait tendance à accepter tous les plaisirs et à fuir toutes les douleurs.
Épicure classe les désirs en trois catégories:
  • Les désirs naturels et nécessaires comme par exemple le fait de boire quand on a soif. Ces plaisirs sont bons: on peut boire jusqu'à ne plus avoir soif, manger à satiété.
  • Les désirs naturels mais non nécessaires comme ceux qui diversifient les plaisirs mais sont impuissants à éliminer les douleurs (par exemple les mets recherchés)
  • Les désirs ni naturels ni nécessaires à savoir ceux qui naissent des jugements illusoires, comme le désir de richesses et d'honneurs.
Les deux derniers types de désir sont insatiables. On peut à l'infini chercher des mets recherchés ou de l'argent. L'amour aussi est insatiable et c'est pourquoi le sage lui préfère l'amitié.
Les seuls désirs qui doivent être obligatoirement satisfaits sont ceux du premier groupe puisque la condition du véritable et parfait plaisir consiste d'abord à ne manquer d'aucune des choses qui sont nécessaires à la plénitude de l'être. On voit donc que le bonheur est facilement atteint.
Contrairement à ce que dit le langage courant, l'épicurien n'est pas le bon vivant et encore moins le viveur. Le sage épicurien poursuit un bonheur stable, caractérisé par la disparition de toute tension dans le désir. Aussi bien le plus grand plaisir est celui que procure la connaissance, la philosophie qui nous procure la vie heureuse.
Épicure énonce quatre remèdes qui résument à eux seuls toute sa doctrine du bonheur:
  • Il ne faut pas craindre les dieux.
  • L'idée de la mort ne doit pas troubler l'âme.
  • On peut facilement atteindre le bonheur.
  • Le mal est aisément supportable.
a] Il ne faut pas craindre les dieux.
Étant données la nature et l'essence de la divinité, l'homme ne devra redouter de la part de celle-ci aucun mal, ni colère, ni châtiment. Mais il ne pourra non plus en attendre aucun bien, du moins dans l'ordre de ce qu'espère le commun des mortels (miracles, faveurs etc.). On ne doit pas craindre de châtiment après la mort de leur part, puisque pas d'immortalité de l'âme. Or c'est l'argument le plus souvent invoqué pour limiter les plaisirs. On nous dit que ceux qui cherchent les plaisirs seront châtiés après la mort par les dieux. La physique est pacifiante. Les dieux ne nous veulent aucun mal. Jouissons de la vie!
Épicure ne pense pas, néanmoins, qu'on doive se comporter comme si les dieux n'existaient pas. Il estime au contraire que le sage peut nourrir un sincère et profond sentiment religieux, dépouillé de toute superstition perturbatrice. Épicure avait trouvé chez Aristote cette conception de la divinité comme perfection, qui précisément pour cette raison doit rester étrangère aux vicissitudes du monde, mais il avait en même temps humanisé cette perfection en attribuant à la divinité la pleine possession de toutes les vertus et de toutes les qualités qui sont, à un degré inférieur, la prérogative du sage épicurien. Progresser sur la voie de la sagesse n'est donc rien d'autre qu'une approche de la perfection divine et c'est pourquoi le sage considère la divinité comme un modèle à imiter. Épicure recommandait de participer à la vie religieuse même dans ses manifestations les plus extérieures, pour y trouver des occasions d'élever l'esprit dans la contemplation de la perfection absolue. Dans les fêtes, dans la prière, en toutes circonstances solennelles, le sage sait jouir plus que les autres car il sait mieux que les autres contempler la béatitude éternelle des dieux avec une âme débarrassée de toute crainte mensongère et absurde et de cette contemplation il sait tirer les meilleurs fruits. Cela constituait d'ailleurs l'un des principes du système pédagogique épicurien: il était recommandé de méditer sur les modèles de perfection qu'on devait chercher à égaler. Ainsi Epicure résolvait le problème religieux en parfaite cohérence avec les buts et les principes qui justifiaient pour lui toute activité philosophique à savoir le bonheur.
b) L'idée de la mort ne doit pas troubler l'âme.
La mort n'est point où nous sommes (puisque nous sommes vivants) et nous ne sommes pas là où est la mort (puisque par définition nous ne serons plus). Puisque l'âme est matérielle, la mort est fin de cette âme, privation de sensation (et donc aussi de douleurs). Pourquoi craindre ce qui ne nous causera nulle douleur.
De plus le plaisir est parfait en un seul instant tout comme au long d'une durée de 100 ans. Par conséquent vivre plus longtemps n'y ajoute rien. Le tout n'est pas de vivre longtemps mais de vivre heureux. Cela seul compte: le désir d'une vie illimitée vient au premier rang des désirs vains des hommes.
c) On peut facilement atteindre le bonheur.
Nous avons vu pourquoi: le sage se contente de fort peu, d'une vie frugale, du strict nécessaire.
d) Le mal est aisément supportable.
Épicure affirme que lorsque la douleur est intense elle est également brève, car elle conduit à la mort. Si elle se prolonge, les sens s'émoussent et ne la ressentent plus. De plus, lorsqu'on est dans la douleur, on peut toujours se souvenir des plaisirs passés ou à venir, ce qui atténue la douleur. L'imagination est au service de la lutte contre la douleur (alors que, l'on s'en souvient, elle devait être vaincue par la raison quand elle était source de crainte).
Le but de la vie est donc le bonheur c'est-à-dire finalement parvenir à l'absence totale de trouble de l'âme. C'est l'ataraxie, état de l'âme que rien ne trouble. Cela suppose l'ascétisme, la frugalité. On ne recherche pas les plaisirs effrénés.

4) La politique

Le sage aspire surtout à préserver son indépendance ainsi que sa sécurité vis à vis des hommes. Pour cela il vit loin des foules.
Quoique libératrice, la philosophie épicurienne n'est pas révolutionnaire. Épicure méprise le tumulte politicien d'un temps où la cité grecque, sous tutelle, n'est plus qu'une fiction juridique, une parodie d'état souverain. L'épicurisme présente une morale avancée (philosophie en commun avec les esclaves et les femmes) mais son modèle politique est la petite société d'atomes individuels liés par l'amitié et déviant à plusieurs par rapport au reste des hommes. Cet apolitismei ne conteste jamais les pouvoirs établis sinon par le mépris du pouvoir en tant que tel. " Cache ta vie ", disait Epicure.

Les principales œuvres

De son oeuvre immense (au moins 300 titres), il ne nous reste que peu de choses:
Lettre à Hérodote
Lettre à Pythoclès
Lettre à Ménécée

Il faut y rajouter quelques maximes.