mardi 28 décembre 2010

Structures et mécanismes responsables du cycle veille sommeil

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

L'encéphalite épidémique et Von Economo

Au cours de l'épidémie d'encéphalite qui envahit l'Autriche après la grande guerre en 1918 (la grippe espagnole), certains malades restaient dans un état de léthargie ou de coma, tandis que d'autres ne dormaient pas pendant plusieurs jours avant de mourir.
L'examen de leur cerveau permit à un neurologue viennois, d'origine grecque, Constantin von Economo, de décrire des lésions à des endroits différents selon l'allure clinique de la maladie. Les malades qui restaient comateux présentaient une lésion de l'hypothalamus postérieur ou de la partie haute du mésencéphale, tandis que le cerveau des malades insomniaques présentaient des lésions au niveau de l'hypothalamus antérieur (région préoptique). Von Economo donna le nom de Wachzentrum (centre de l'éveil) à la région de l'hypothalamus postérieur et de Schlafzentrum (centre du sommeil) à la région de l'hypothalamus antérieur. Ainsi, grâce à un neurologue de génie, confronté au hasard des expériences de la nature (une épidémie), l'attention fut attirée pour la première fois sur le rôle du tronc cérébral et de l'hypothalamus dans le contrôle de la veille et du sommeil.

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

La théorie réticulaire de l'éveil (1949)

En 1949, H.W. Magoun et G. Moruzzi démontrèrent que l'on pouvait supprimer l'activité rapide corticale d'éveil et entraîner un coma de longue durée chez le chat ou le singe en lésionnant par coagulation la partie centrale du tronc cérébral (formation réticulée mésencéphalique) (donc en détruisant à la fois les corps cellulaires et les voies ascendantes et descendantes). De plus, la stimulation de cette structure provoquait le réveil d'un animal endormi. Enfin, l'enregistrement de l'activité des cellules nerveuses de la formation réticulée révélait que certains neurones recevaient des informations du milieu extérieur (visuelles, auditives, somesthésiques), alors que d'autres pouvaient être excités par des variations du milieu intérieur (anoxie, hypoglycémie, etc...). La formation réticulée mésencéphalique devint bientôt le système réticulé activateur, puis le système réticulé et enfin le système d'éveil. Selon la théorie réticulaire (qui devait connaître son apogée dans le milieu des années 1960), l'éveil cortical (activation du cortex) était sous la dépendance du système réticulaire par l'intermédiaire de 2 systèmes ascendants, soit le réticulo-thalamo-cortical, soit directement réticulo-cortical. Le système d'éveil jouait également un rôle dans l'éveil comportemental car la stimulation de certaines zones du système réticulé pouvait augmenter le tonus musculaire. Enfin, d'autres expériences, plus récentes, démontrèrent que l'activation des neurones réticulaires (augmentation de la fréquence des décharges unitaires) pouvait précéder de quelques minutes l'éveil cortical et comportemental spontané d'un animal. Malgré toutes ces preuves concluantes, démontrant que la formation réticulée mésencéphalique constituait le système d'éveil, cette théorie s'effondra en 1983 lorsque apparu une nouvelle méthode permettant de ne lésionner que les corps cellulaires sans léser les voies nerveuses. L'injection in situ d'acide kaïnique ou iboténique dans le tronc cérébral entraîne en effet une dépolarisation intense des corps cellulaires (hyperexcitation) qui provoque leur mort après quelques heures, tandis que les axones de passage demeurent intacts. Il fut alors démontré, au milieu des années 1980, que la destruction totale des corps cellulaires de la formation réticulée mésencéphalique par micro-injection d'acide kaïnique ou iboténique n'entraînait aucun trouble de l'éveil comportemental, ni aucune altération de l'activation corticale. Il fallut donc bien convenir que le coma qui faisait suite à la destruction par coagulation de la formation réticulée mésencéphalique était dû à l'interruption de voies ascendantes ou descendantes d'autres systèmes ou réseaux responsables de l'éveil.

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

Les systèmes d'éveil

Le développement des nouvelles techniques neuro-anatomiques, l'histofluorescence et surtout l'immunohistochimie, ont permis de délimiter de nouveaux systèmes utilisant des neurotransmetteurs différents. Au début de la théorie réticulaire, seule l'acétylcholine était connue comme neurotransmetteur cérébral. En 1964, apparurent les systèmes monoaminergiques (noradrénaline, adrénaline, dopamine, sérotonine). Le système à histamine fut ensuite découvert, ainsi que de nouveaux systèmes cholinergiques. Enfin, des systèmes fonctionnant avec des acides aminés excitateurs (glutamate, aspartate) ou inhibiteurs (glycine, GABA) furent décrits en même temps qu'étaient découverts de nombreux systèmes de neurones peptidergiques. Certains systèmes peuvent même contenir et libérer plusieurs neurotransmetteurs. On admet actuellement qu'il existe une centaine de différents neurotransmetteurs ou neuromodulateurs. On conçoit donc qu'il soit devenu difficile de comprendre comment fonctionne la plupart de ces systèmes qui sont reliés en réseaux.
Les 2 exemples suivants, associant la neuro-anatomie, l'électrophysiologie, la neuropharmacologie, la biochimie, permettent de comprendre comment on peut distinguer la participation active d'un système donné aux mécanismes exécutifs de l'éveil.

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

Système noradrénergique

La partie principale de ce système est issue de groupes cellulaires situés dans le pont, au niveau du locus coeruleus. On peut montrer que l'activité unitaire des neurones du locus coeruleus augmente pendant l'éveil et diminue pendant le sommeil, que l'excitation de ces cellules (par des acides aminés excitateurs par exemple) augmente l'éveil, que le blocage de la libération de noradrénaline ou des récepteurs noradrénergiques peut diminuer l'éveil attentif, et enfin que la lésion spécifique du locus coeruleus par des poisons sélectifs entraîne des troubles de l'éveil temporaires. D'autres démarches utilisent la neuropharmacologie. Il est bien connu que l'amphétamine entraîne un éveil avec agitation, or l'inhibition de la synthèse des catécholamines (dopamine - noradrénaline) supprime complètement l'éveil amphétaminique. Cette constatation permet d'admettre que les amphétamines agissent de façon présynaptique (en libérant les catécholamines des terminales). On sait maintenant que les amphétamines agissent surtout en libérant de la dopamine de certains systèmes dopaminergiques (car il est devenu possible de déterminer la libération in situ et in vivo de dopamine grâce à de nouvelles techniques comme la voltamétrie).Cette action des amphétamines sur les systèmes dopaminergiques est responsable des réactions secondaires à l'emploi chronique de ces drogues : la tolérance qui oblige à augmenter les doses pour obtenir le même effet éveillant et la dépendance qui entraîne un "besoin" et des troubles de la vigilance à l'arrêt subit de la prise d'amphétamine. De nouvelles molécules (comme le Modafinil) entraîne un éveil sans agitation, même si la synthèse des catécholamines est inhibée. Le Modafinil n'entraîne ni tolérance ni dépendance. On admet que le Modafinil agit de façon postsynaptique sur les récepteurs a adrénergiques centraux.

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

Système à histamine

Récemment découvert, le système à histamine est considéré comme l'un des systèmes les plus importants de l'éveil. Les corps cellulaires à histamine sont tous situés dans l'hypothalamus postérieur et ils se projettent dans tout le cerveau (en particulier au niveau des autres systèmes d'éveil). On peut démontrer le rôle éveillant du système à histamine, soit en enregistrant les corps cellulaires pendant le cycle éveil-sommeil, soit en inactivant les corps cellulaires par injection in situ d'agonistes des récepteurs H3.
L'ensemble de ces expériences a démontré que les systèmes d'éveil étaient disposés en réseaux, c'est-à-dire que l'excitation pharmacologique de l'un est suivie par l' activation de tous. Cette organisation en réseau redondante explique également pourquoi l'inactivation d'un seul système est suivie après quelques jours par une récupération quasi complète de l'éveil. Il existe cependant à certains "noeuds" de ces réseaux, des endroits stratégiques dont l'inactivation peut inhiber tout le réseau (voir plus bas). On admet actuellement que l'organisation des réseaux exécutifs de l'éveil est la suivante :

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

Le réseau exécutif de l'éveil

La désynchronisation ou activation tonique des neurones peut être considérée comme la conséquence d'une part, de l'activation directe du télédiencéphale et, d'autre part, du blocage des "pacemakers" produisant les fuseaux et les ondes lentes caractéristiques du sommeil lent (voir plus loin).
Trois groupes de neurones projetant sur le cortex sont suffisants mais non nécessaires au maintien de l'activation de l'activité électrique corticale (encore appelée désynchronisation). On admet actuellement que la prise de conscience au cours de l'éveil dépend ou est accompagnée d'un rythme rapide à 40 Hertz dont le ou les générateurs corticaux font encore l'objet de discussion.
Le système diffus de l'hypothalamus postérieur. Un des maillons de ce système contient le seul groupe de péricaryons synthétisant l'histamine (H)(noyau tubéro- mammillaire). Ces neurones présentent une activité tonique d'éveil, de fréquence lente, diminuant au cours du sommeil. La pharmacologie de l'histamine soutient son rôle important dans l'activation corticale. D'autres neurones non histaminergiques, dont la spécificité histochimique est encore inconnue, sont actifs pendant l'éveil et le sommeil paradoxal. La stimulation électrique de l'hypothalamus postérieur déclenche un éveil hyperactif avec des comportements d'agression. Sa lésion électrolytique entraîne un coma prolongé avec des ondes lentes corticales, alors que cet effet n'est que transitoire après la lésion neurotoxique.
Le système diffus thalamique. Les neurones thalamiques intralaminaires se projettent à l'ensemble du cortex. Un de leurs neurotransmetteurs est un acide aminé excitateur (aspartate/glutamate, Asp/Glu).
Le système du télencéphale basal. Le maillon principal de ce système est constitué de neurones synthétisant l'Ach et/ou le GABA. Ces neurones envoient des projections à tout le cortex et aux noyaux thalamiques. Leur stimulation est éveillante mais leur lésion neurotoxique n'entraîne qu'une diminution très transitoire de l'éveil. Ce système serait lésé par des processus dégénératifs dans la maladie d'Alzheimer, c'est pourquoi des médicaments retardant l'inactivation de l'acétylcholine (en inhibant l'acétylcholinestérase) ont été proposés comme traitement de cette maladie.
Ces trois systèmes sont activés par d'autres systèmes venant du tronc cérébral.
Les noyaux mésopontins cholinergiques dont les neurones se projettent en partie sur le thalamus. L'acétylcholine exerce une double action : une action muscarinique inhibitrice par hyperpolarisation des neurones réticulaires (appartenant au système du sommeil - voir plus bas) et une action nicotinique activatrice par dépolarisation des neurones thalamocorticaux et corticaux.
La formation réticulée mésencéphalique (FRM)(neurones Asp/Glu) se projette massivement sur les noyaux thalamiques. La stimulation de ces neurones déclenche un éveil prolongé. Avec les neurones cholinergiques mésopontins, la FRM forme la voie réticulo-thalamo-corticale. Ainsi, la formation réticulée (l'ancien système d'éveil) est devenue une partie du réseau de l'éveil.
Le noyau réticulé bulbaire magnocellulaire (MC), dont les neurones sont cholinergiques ou Asp/Glu-ergiques, se projette sur la formation réticulée mésencéphalique, l'hypothalamus postérieur et les groupes cholinergiques mésopontins et du télencéphale basal. Cet ensemble forme la voie réticulo-hypothalamo-corticale. La stimulation du noyau magno-cellulaire provoque un éveil intense et prolongé.
Le noyau locus coeruleus pontique contient des neurones noradrénergiques (NA) qui envoient des projections directes vers le cortex, le thalamus et l'hippocampe. Ces neurones sont actifs au cours de l'éveil. L'inhibition de la synthèse de la NA (-MPT) entraîne une synchronisation corticale. Ces neurones reçoivent de nombreuses afférences activatrices et inhibitrices, confirmant leur rôle modulateur de l'éveil.
Le raphé antérieur contient des neurones contenant la 5-hydroxytryptamine (5HT) ou sérotonine. Il se projette vers l'hypothalamus et le cortex. Ces neurones sont actifs pendant l'éveil. Leur stimulation globale est éveillante et, contrairement aux autres groupes aminergiques, leur lésion non seulement n'entraîne pas de somnolence, même passagère, mais provoque une insomnie prolongée de plusieurs jours. Cette contradiction sera expliquée ultérieurement.
L'ensemble de ces structures du tronc cérébral reçoit des collatérales des afférences sensorielles et végétatives qui participent ainsi au maintien de leur activité.
On doit ajouter également à ces réseaux ascendants qui contribuent à l'éveil cortical (donc à la "conscience", à la mémoire et aux différents processus cognitifs), deux autres systèmes qui jouent un rôle majeur dans la régulation de la motricité et du tonus sympathique. Le premier est le système dopaminergique nigrostriatal, unissant la substantia nigra et le striatum (noyau caudé - putamen). La lésion dégénérative des neurones dopaminergiques de la substantia nigra (ou locus niger) est responsable de la maladie de Parkinson. Dans les cas les plus graves, on peut observer une akinésie totale (absence de mouvement ressemblant au coma). L'administration de L DOPA (précurseur de la dopamine) à ces malades peut les sortir de cet état et leur redonner un éveil normal (comme le montre de façon spectaculaire le roman ou le film "l'Eveil" de Oliver Sacks). Le deuxième système est situé au niveau du bulbe et commande le système sympathique : il contient de l'adrénaline et un peptide (NPY). Il est responsable de l'adaptation des réactions végétatives indispensables à l'éveil.
Signalons enfin le rôle "modulateur" de nombreux systèmes peptidergiques qui peuvent faciliter l'intensité de l'éveil. Parmi les plus importants, il faut signaler le corticotrophin releasing factor (CRF) et le système central à arginine vaso-pressine. Il faut enfin signaler que "l'éveil cortical" peut être étudié selon un aspect quantitatif et topographique :l'électroencéphalographie quantitative (analyse de fréquence, intégration de la puissance spectrale) et la magnétoencéphalographie permettent en effet de dessiner des cartes fonctionnelles du cortex cérébral en rapport possible avec des processus cognitifs, selon l'intensité des rythmes rapides. On ne connait pas encore le rôle des différents réseaux de l'éveil sur les processus cognitifs dont l'activation corticale est une condition nécessaire mais non suffisante. Il convient enfin d'insister sur le rôle important qui est joué par l'hippocampe dans les processus de mémorisation. L'activation de l'hippocampe par les réseaux de l'éveil se traduit par une activité régulière à 6-8 Hertz (rythme Thêta).
En résumé, la régulation de l'éveil est un phénomène complexe mettant en jeu des structures multiples et redondantes. Aucune des structures décrites, prise isolément, n'est indispensable à l'activation corticale, de même que la lésion neuronale combinée des deux structures principales (formation réticulée et hypothalamus postérieur). On peut donc dire que la condition nécessaire et suffisante de l'induction et du maintien de l'éveil est l'ensemble des conditions suffisantes qui mènent à l'éveil.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Du sommeil passif au sommeil actif

La découverte du "système d'éveil" au niveau de la formation réticulée mésencéphalique et la théorie réticulaire triomphante éliminait au début toute théorie active du sommeil. Celui-ci était expliqué, en vertu du "Principe d'économie", par une "non activation passive" du système d'éveil selon des processus ad hoc de "désactivation en avalanche". La découverte du sommeil paradoxal obligeait cependant à admettre qu'il existait des processus actifs responsables du sommeil et la démonstration d'insomnie par lésion du système du raphé devait faire abandonner l'hypothèse d'un sommeil passif.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

La théorie sérotoninergique du sommeil

Du neurotransmetteur synchronique hypnogène au processus homéostasique diachronique

La destruction du système du raphé, qui contient la majorité des neurones à 5HT, est suivie d'une insomnie totale de longue durée (10-15 jours) chez l'animal. Cette insomnie est corrélée avec la diminution de la 5HT cérébrale (due à la dégénérescence des voies sérotoninergiques). D'autre part, l'inhibition de la synthèse de la 5HT, grâce à la p-chlorophénylalanine qui inhibe la tryptophane hydroxylase (première étape de la synthèse de la 5HT), entraîne également une insomnie et une diminution de la sérotonine cérébrale. Cependant, une injection secondaire de 5-hydroxytryptophane (le précurseur immédiat de la 5HT) peut restaurer, après une latence d'environ 1 heure, de façon dose dépendante, plusieurs heures de sommeil normal (alternance de sommeil lent et de sommeil paradoxal). Les expériences effectuées dans les années 1970 furent à la base de l'hypothèse sérotoninergique du sommeil selon laquelle la 5HT était responsable du sommeil à ondes lentes (en inhibant le ou les systèmes d'éveil connus à cette époque).
Cependant (voir Tableau), on s'aperçut que l'activité unitaire des neurones à 5HT était maximum pendant l'éveil et le développement de la voltamétrie permit de montrer que la libération de 5HT était plus importante pendant l'éveil que pendant le sommeil. Il était donc impossible que la libération de 5HT fusse responsable synchroniquement de l'apparition du sommeil et la théorie sérotoninergique du sommeil fut alors abandonnée. Elle a ressuscité récemment sous une autre forme où la 5HT joue un rôle diachronique dans l'apparition du sommeil. D'une part, la cible "hypnogène" de la 5HT a été découverte. En effet, chez un animal insomniaque qui a été prétraité à la p-chlorophénylalanine, on savait que l'injection systémique ou intraventriculaire de 5HTP pouvait rétablir le sommeil, mais ces techniques ne permettaient pas de connaître le lieu exact où la 5HT nouvellement synthétisée pouvait rétablir le sommeil. Il fallut alors avoir recours à des micro-injections (de 0,5 à 0,1 ml) de 5HTP dans toutes les structures cérébrales. Les résultats furent d'abord négatifs jusqu'au jour où on s'aperçut que seule l'injection de 5HTP dans la région préoptique (le Schlafzentrum de von Economo) était suivie de la réapparition du sommeil. Il fut ensuite démontré que la lésion des corps cellulaires de cette région entraîne une insomnie de longue durée (semaine). La région préoptique était-elle le "Schlafzentrum" ou un simple relais au niveau duquel la libération de 5HT pouvait entraîner le sommeil ? Et par quel mécanisme ?
Nous avons vu que les systèmes d'éveil sont organisés en réseaux. Il est évident que le sommeil ne peut apparaître que si il existe quelque endroit stratégique ou carrefour situé au sein de ces réseaux, dont l'inhibition peut retentir sur tout le réseau. Il faut donc qu'un message parte de la région préoptique pour aller inhiber les réseaux de l'éveil. La recherche de ces carrefours s'effectua par micro-injection locale d'agonistes du GABA, le neurotransmetteur inhibiteur par excellence.
Pouvait-on encore court-circuiter l'étape hypnogène de la 5HT ? En d'autres termes, peut-on, par micro-injection de muscimol (un puissant GABA agoniste), faire réapparaître le sommeil lent (et/ou le sommeil paradoxal) chez un animal rendu insomniaque, soit par lésion du raphé ou après injection de p-chlorophénylalanine (la piste 5HT), ou après lésion de la région préoptique (c'est-à-dire après suppression de la cible hypnogène) ? Presque toutes les régions de l'encéphale ont à nouveau été explorées et deux endroits stratégiques ont été découverts à ce jour. Le premier est situé dans la région de l'hypothalamus postérieur et le second dans la substance grise périaqueducale. L'injection de faibles doses de muscimol dans ces régions est capable en effet de restaurer de longues périodes de sommeil physiologique .
Les mécanismes de l'endormissement peuvent donc être résumés ainsi : l'éveil provoque sa propre inhibition selon une régulation de type homéostasique et la chaîne d'événements conduisant au sommeil peut être résumée ainsi : pendant l'éveil, les neurones à 5HT du système du raphé rostral présentent des décharges régulières (1 à 2 Hertz), comme une horloge. Tout se passe comme si ce système (qui innerve également l'horloge circadienne endogène - voir plus bas) mesurait la durée et l'intensité de l'éveil. La libération de 5HT au niveau de la région préoptique entraîne, selon un mécanisme d'intégration encore mal connu, la mise en jeu d'un système descendant qui soit directement (voie GABAergique directe entre la région préoptique et l'hypothalamus postérieur), soit par l'intermédiaire d'inter-neurones à GABA, va inhiber le réseau exécutif de l'éveil en agissant au niveau des deux relais GABAceptifs de l'hypothalamus postérieur et de la substance grise périaqueducale. L'inhibition du réseau de l'éveil va alors libérer un système comparable à un pace maker, situé au niveau du thalamus, qui est responsable des phénomènes électriques corticaux du sommeil lent et qui contribue à la perte de conscience du sommeil. Il existe également un autre système responsable de l'endormissement. Ce système qui se projette au niveau de la région préoptique est situé dans le bulbe au niveau du noyau du faisceau solitaire et reçoit des signaux du milieu intérieur transmis par les afférences vago-aortiques. La stimulation du nerf vague ou l'injection in situ de sérotonine dans le noyau du faisceau solitaire peut en effet provoquer le sommeil.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Le système exécutif du sommeil lent

Le sommeil lent est seulement défini par les deux critères contenus dans son appellation : l'immobilité et la présence de fuseaux et d'ondes lentes cérébrales. Celles-ci dépendent du noyau réticulaire du thalamus. Ce noyau peut être comparé à un pace maker, car lorsqu'il est isolé de toute afférence, son activité continue à osciller rythmiquement.
Les fuseaux de sommeil sont générés par le noyau réticulaire du thalamus, dont les neurones GABAergiques présentent des décharges de potentiels rythmées à la fréquence des fuseaux. Recevant ces potentiels, les neurones thalamocorticaux présentent des hyperpolarisations cycliques suivies de bouffées de potentiels qui, transmises aux cellules corticales, y génèrent les fuseaux. Les hyperpolarisations cycliques sont à l'origine du blocage des messages sensoriels au début de l'endormissement. Ainsi s'explique la perte de conscience du sommeil.
Les ondes lentes : cette "synchronisation" de l'activité électrique, enregistrée dans de nombreuses structures corticales et sous-corticales, est produite par le néocortex. En effet, la néodécortication totale supprime cette activité lente. Les ondes lentes sont le résultat de la sommation des hyperpolarisations des cellules pyramidales de la couche V induites par des interneurones GABA. Ces hyperpolarisations de longue durée sont dues à un courant potassique sortant calcium dépendant. Ainsi le sommeil à ondes lentes est le résultat d'une part de l'inhibition du réseau de l'éveil et, d'autre part, de la "desinhibition" du pace maker thalamique dont l'activité rythmique empêche le cortex d'effectuer les processus cognitifs qui nécessitent une activité rapide thalamo-corticale comme pendant l'éveil ou le rêve.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Théorie peptidergique du sommeil

Historiquement, cette théorie remonte aux expériences de Piéron (1913). L'injection de liquide céphalo-rachidien d'un chien privé de sommeil pendant 48 heures dans le système ventriculaire d'un chien normal provoque un sommeil profond chez le receveur. Ainsi naquit l'hypothèse que pendant un éveil prolongé (ou la privation de sommeil) devrait s'accumuler un "facteur hypnogène" qui soit responsable du sommeil. Un premier facteur hypnogène, le delta sleep inducing peptide (DSIP) fut isolé chez le lapin. Depuis cette époque, la liste des peptides hypnogènes s'est allongée (voir Tableau). Une théorie récente fait jouer un rôle important aux prostaglandines (PG) la PGD2 étant responsable du sommeil et la PGE2 responsable de l'éveil. Il est évident que le sommeil est soumis à des régulations homéostasiques multiples et que dans certaines infections, par exemple, les cytokines peuvent entraîner une augmentation du sommeil et ainsi contribuer à augmenter les défenses immunitaires mais il n'existe aucune preuve que l'absence d'un peptide (par blocage de sa synthèse) entraîne une insomnie prolongée. A l'heure actuelle, il semble que le GABA puisse constituer un neuromodulateur hypnogène fort convenable. Le problème est d'isoler un phénotype particulier des sous-unités de récepteurs GABA A aux endroits stratégiques des réseaux de l'éveil. On sait d'ailleurs que les benzodiazépines agissent par l'intermédiaire de récepteurs voisins des récepteurs GABA. Cependant, la cascade des événements qui conduisent de l'éveil au sommeil est tellement complexe qu'il est vain d'espérer isoler un jour une substance qui soit nécessaire et suffisante pour provoquer le sommeil. Ainsi, des molécules hypnogènes peuvent fort bien agir en diminuant l'activité des récepteurs aux acides aminés excitateurs ou en régulant l'activité des récepteurs GABAceptifs.

Structures et mécanismes responsables du sommeil paradoxal

Le réseau exécutif du sommeil paradoxal

L'intérêt porté au phénomène du rêve en neurophysiologie remonte aux années 1960. Pendant longtemps, le rêve fut tenu pour une activité permanente de l'esprit restant éveillé, alors que le corps se repose dans le sommeil. Les expériences de A. Maury (1878) démontrèrent qu'il n'était pas un phénomène continu au cours du sommeil ; en effet, le réveil ne s'accompagne que rarement de souvenir de rêve. Pour Maury, le rêve était considéré comme un phénomène épisodique, induit par des stimulations internes ou externes, un état de demi-éveil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil. Les découvertes de l'école de Chicago (Dement et Kleitman), en révélant l'existence de mouvements oculaires périodiques au cours du sommeil, permirent un abord objectif de l'activité onirique, mais ne changèrent pas radicalement cette conception. Le rêve restait assimilé à un demi-sommeil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil, d'où la dénomination : emergent stage one. On tend à penser actuellement que l'activité onirique correspond, au contraire, à un état du système nerveux central aussi différent du sommeil que celui-ci diffère de l'éveil ..
La mise en évidence des structures responsables du sommeil paradoxal fut facilitée par l'existence de signes comportementaux et centraux pathognomoniques de cet état : en particulier l'association d'une atonie totale des muscles de la nuque, de mouvements oculaires et de pointes PGO. Des expériences de section étagée du tronc cérébral établirent d'abord que la formation réticulée pontique était suffisante et nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal : le pont est en effet suffisant puisque l'ablation de toutes les structures cérébrales situées en avant du pont, y compris l'hypothalamus et l'hypophyse, laisse persister, chez l'animal pontique chronique, l'apparition périodique de phases de sommeil paradoxal caractérisées par l'abolition totale du tonus des muscles de la nuque et par l'existence de mouvements oculaires latéraux. En revanche, après une section situées en arrière du pont, on n'observe plus l'apparition de période d'atonie périodique. Ainsi, les deux tiers antérieurs du pont semblent contenir les structures déclenchantes du sommeil paradoxal. La formation réticulée pontique est également nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal puisque des lésions bilatérales et symétriques de la partie dorso-latérale du pont peuvent supprimer sélectivement et définitivement le sommeil paradoxal sans entraîner de troubles notables du sommeil lent.
Une fois de plus, c'est l'association de la neuropharmacologie et de l'histochimie qui permit de délimiter de façon précise les "réseaux exécutifs" qui sont mis en jeu au cours du sommeil paradoxal.

Le réseau exécutif du sommeil paradoxal

L'intérêt porté au phénomène du rêve en neurophysiologie remonte aux années 1960. Pendant longtemps, le rêve fut tenu pour une activité permanente de l'esprit restant éveillé, alors que le corps se repose dans le sommeil. Les expériences de A. Maury (1878) démontrèrent qu'il n'était pas un phénomène continu au cours du sommeil ; en effet, le réveil ne s'accompagne que rarement de souvenir de rêve. Pour Maury, le rêve était considéré comme un phénomène épisodique, induit par des stimulations internes ou externes, un état de demi-éveil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil. Les découvertes de l'école de Chicago (Dement et Kleitman), en révélant l'existence de mouvements oculaires périodiques au cours du sommeil, permirent un abord objectif de l'activité onirique, mais ne changèrent pas radicalement cette conception. Le rêve restait assimilé à un demi-sommeil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil, d'où la dénomination : emergent stage one. On tend à penser actuellement que l'activité onirique correspond, au contraire, à un état du système nerveux central aussi différent du sommeil que celui-ci diffère de l'éveil ..
La mise en évidence des structures responsables du sommeil paradoxal fut facilitée par l'existence de signes comportementaux et centraux pathognomoniques de cet état : en particulier l'association d'une atonie totale des muscles de la nuque, de mouvements oculaires et de pointes PGO. Des expériences de section étagée du tronc cérébral établirent d'abord que la formation réticulée pontique était suffisante et nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal : le pont est en effet suffisant puisque l'ablation de toutes les structures cérébrales situées en avant du pont, y compris l'hypothalamus et l'hypophyse, laisse persister, chez l'animal pontique chronique, l'apparition périodique de phases de sommeil paradoxal caractérisées par l'abolition totale du tonus des muscles de la nuque et par l'existence de mouvements oculaires latéraux. En revanche, après une section situées en arrière du pont, on n'observe plus l'apparition de période d'atonie périodique. Ainsi, les deux tiers antérieurs du pont semblent contenir les structures déclenchantes du sommeil paradoxal. La formation réticulée pontique est également nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal puisque des lésions bilatérales et symétriques de la partie dorso-latérale du pont peuvent supprimer sélectivement et définitivement le sommeil paradoxal sans entraîner de troubles notables du sommeil lent.
Une fois de plus, c'est l'association de la neuropharmacologie et de l'histochimie qui permit de délimiter de façon précise les "réseaux exécutifs" qui sont mis en jeu au cours du sommeil paradoxal.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Répartition circadienne

L'homme est éveillé le jour et dort la nuit. C'est l'inverse pour le rat. Placé dans l'obscurité ou la lumière continue, en l'absence de tout repère temporel, un homme isolé dans une grotte ou un bunker va s'endormir chaque soir à peu près à la même heure. Il existe donc une horloge endogène responsable de l'homéostasie prédictive qui est capable de mesurer à peu près un jour (circa-dies). Cette répartition circadienne du cycle veille-sommeil est sous la dépendance des noyaux suprachiasmatiques. Ces noyaux, pairs et symétriques, reçoivent des informations lumineuses de la rétine. Seulement 0,1 % des cellules de la rétine sont sensibles à un éclairage de l'ordre de 1000 à 2000 lux et envoient des informations au noyau suprachiasmatique. Celui-ci à son tour peut agir sur notre cerveau par l'intermédiaire du "système photique", soit par des voies nerveuses, soit par voie humorale. Le noyau suprachiasmatique peut en effet libérer certains peptides dans le liquide céphalo-rachidien, comme l'arginine vaso-pressine pendant le jour (et donc l'éveil) et du vaso-active intestinal peptide (VIP) pendant la nuit. Ces peptides peuvent faciliter les processus d'éveil et d'endormissement. L'horloge circadienne agit aussi sur la température centrale. Il est possible qu'il existe d'autres horloges circadiennes dans l'organisme. Il convient de noter également que les noyaux suprachiasmatiques sont innervés par le système du raphé et que la sérotonine semble indispensable à la synthèse du VIP. Ainsi, la région préoptique et les noyaux suprachiasmatiques voisins sont responsables des régulations homéostasiques réactives et prédictives (circadiennes) du cycle veille-sommeil.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Eveil-sommeil-rêve

Le rythme ultradien du sommeil paradoxal (c'est-à-dire l'intervalle qui sépare le début d'une période de sommeil paradoxal jusqu'au début de la suivante) est relativement fixe chez l'homme (90 minutes). Ce rythme est fonction de la taille de l'animal (10 minutes chez la souris, 24 minutes chez le chat, 60 minutes chez le chimpanzé, 120 minutes chez l'éléphant). Il est donc également fonction du métabolisme et c'est sans doute à ce niveau qu'il faut chercher l'explication du fonctionnement du pace maker. Il semble donc utile de rappeler ici quelques éléments concernant les données énergétiques du cycle veille-sommeil. Celles-ci ont été apportées soit chez l'animal par la méthode du C14 déoxyglucose, soit chez l'homme par la caméra à positons ou l'imagerie à résonance magnétique fonctionnelle. Rappelons d'abord que le cerveau utilise presque essentiellement le glucose pour son énergie. Ce glucose est transporté dans les cellules gliales où il a être transformé en pyruvate, qui constitue l'essentiel donneur d'énergie des cellules nerveuses. Au cours de l'éveil, la consommation de glucose augmente au niveau des aires corticales visuelles ou auditives dans le cas d'attention visuelle ou auditive. Cependant, l'oxygène n'augmente pas de façon parallèle, si bien qu'il existe un découplage entre l'augmentation du glucose et de l'oxygène. Dans ce cas, l'énergie est donc orientée vers la voie anaérobie et il y a production de lactate grâce à une enzyme, la lactate deshydrogenase. Au cours du sommeil, il y a diminution progressive de la consommation de glucose et d'oxygène et surtout les réserves d'énergie vont s'effectuer au niveau de la glie (les astrocytes) sous forme de glycogène.
Le sommeil paradoxal va à son tour consommer les réserves énergétiques, au moins autant que l'éveil. On suppose actuellement que l'utilisation du glucose se fait sans découplage par la voie aérobie du cycle de Krebs (phosphorylation oxydative). Dans ce cas, la pyruvate deshydrogenase jouerait un rôle clé car cette enzyme peut être activée et désactivée périodiquement. Le sommeil paradoxal est en effet supprimé dès qu'il y a diminution de l'apport d'oxygène. On peut ainsi provoquer une anoxie relative en mettant un animal dans un caisson hypobare. La diminution d'oxygène provoque une suppression du sommeil paradoxal et une augmentation "homéostasique" du sommeil à ondes lentes. Bien entendu, si la diminution d'oxygène augmente, il y a augmentation de l'éveil.
Les phénomènes énergétiques du cycle veille-sommeil (ou la glie, et en particulier les astrocytes jouent un rôle important) commencent seulement à être étudiés. Il est intéressant de remarquer que la plupart des neurones des systèmes d'éveil sont riches en lactate deshydrogenase alors que les systèmes responsables du sommeil paradoxal sont particulièrement riches en pyruvate deshydrogenase. Des recherches vont de plus en plus explorer les relations entre neurotransmetteur, la neuroglie et les processus énergétiques au fur et à mesure du développement des nouvelles méthodes d'investigation comme l'imagerie à résonance magnétique fonctionnelle et les capteurs à fibres optiques utilisant des lasers.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Les fonctions du sommeil et du rêve

Les régulations homéostasiques prédictives et réactives que nous avons résumées permettent de comprendre que le sommeil des mammifères (celui de l'homme en particulier) dépend de nombreux mécanismes acquis successivement au cours de l'évolution.
L'horloge circadienne endogène semble être apparue au début de la vie, il y a 3 milliards d'années chez des organismes primitifs (Euglena - algues bleues). Il existe une organisation circadienne en libre cours de l'activité et du repos chez les insectes. Il semble également qu'une certaine homéostasie réactive existe chez les scorpions ou les blattes puisque si on empêche leur repos (en les agitant continuellement) la période de repos compensatoire sera plus longue. Il est évident également que les fonctions du sommeil sont adaptées selon la niche écologique des différentes espèces animales. Quatre principales théories, non obligatoirement contradictoires essayent d'expliquer les fonctions du sommeil (en particulier du sommeil orthodoxe ou sommeil à ondes lentes).
1) Théorie éthologique ou instinctive : le sommeil est une réponse innée comportementale adaptative. Lorsqu'un animal a accompli les tâches indispensables à sa survie et à celle de l'espèce, il peut passer son temps dans un endroit caché et perdre conscience de l'environnement.
2) Théorie restauratrice : comme la faim et la soif, la fatigue mentale et physique entraînent une réponse homéostasique destinée à restaurer un équilibre dans le système nerveux central. Alors que l'éveil est ergotrope, le sommeil est trophotrope selon l'expression de Hess. Il reste cependant à démontrer à quel niveau du système nerveux central s'effectue cette restauration. Il est possible que la libération de certains acides aminés excitateurs au cours de l'éveil rend nécessaire le recyclage du glutamate par la GLIE, mais aucune expérience probante n'est venue confirmer cette théorie qui remonte à Aristote et à Shakespeare.
3) Théorie protectrice : elle représente l'autre aspect de la théorie restauratrice. Nous dormons pour protéger l'organisme des inconvénients de l'éveil prolongé (Pieron - Pavlov).
4) Conservation de l'énergie : nous avons vu, dans le chapitre précédent, que le sommeil à ondes lentes s'accompagnait d'une diminution de la consommation de glucose et d'oxygène, aussi bien au niveau cérébral qu'au niveau de l'organisme (métabolisme de base). Ainsi, le sommeil permettrait d'économiser de l'énergie. S'il a existé des animaux perpétuellement éveillés, ils auraient eu besoin de consommer plus de nourriture que ceux qui pouvaient dormir (ou hiberner), et la sélection Darwinienne n'aurait conserver que les dormeurs pour des raisons malthusiennes.
Cette hypothèse se heurte actuellement à des résultats expérimentaux paradoxaux. En effet, les animaux qui hibernent peuvent conserver une température centrale de 1°ree;C ou 2°ree;C pendant plusieurs semaines (au cours desquelles la consommation d'énergie du cerveau et de l'organisme est réduite au minimum).
Périodiquement, l'hibernation est interrompue par des épisodes de "réveil" au cours desquels la température remonte à 38°ree;C : lorsque l'animal a atteint cette température, il s'endort, et l'analyse de fréqence de son sommeil révèle une augmentation importante des ondes lentes (similaire à celle que l'on obtiendrait après une privation de sommeil prolongé dans des conditions de température normale, lors de la régulation homéostasique réactive). Etant donné l'absence totale de dépense d'énergie qui précède l'augmentation du sommeil, on comprend mal comment ce sommeil de récupération aurait une fonction de conservation d'énergie. Il est cependant possible que l'augmentation de la puissance des ondes lentes au cours du sommeil post hibernatoire soit la traduction de phénomènes de régulations au niveau des membranes synaptiques dont les processus de transfert ioniques passent rapidement de 1°C à 37°C.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Les fonctions du sommeil paradoxal

Apparu tardivement au cours de l'évolution avec l'homéothermie, il semble évident que le sommeil paradoxal effectue d'autres fonctions que celle du sommeil lent (ou parachève celles-ci).
Les théories psychodynamiques considérent le sommeil paradoxal (ou le rêve) selon la théorie freudienne. Le rêve serait l'expression d'une "libération des pulsions instinctives" bloquée normalement par le préconscient en même temps qu'il serait le gardien du sommeil.
Selon d'autres théories, le sommeil paradoxal jouerait un rôle important, soit dans la mémorisation, soit dans l'oubli.
Il pourrait, d'autre part, par un processus de "stimulation endogène" du cerveau, jouer un rôle dans le développement du cortex au cours des premières années de la vie.
Un rôle de programmation a été suggéré dans le sens de la programmation d'un ordinateur pour consolider et vider certaines mémoires.
Enfin, le sommeil paradoxal a été comparé à un processus de programmation itérative destiné à maintenir les bases génétiques de la personnalité (l'hérédité psychologique) (voir détail in JOUVET 1992).
Cette brève revue de la diversité et des contradictions entre les fonctions éventuelles du sommeil et du rêve illustre bien la place à part occupée par l'hypno-onirologie au sein de la physiologie. En effet, pour la grande majorité des physiologistes qui étudient la régulation de la prise alimentaire, l'homéostasie liquidienne de l'organisme, les comportements sexuels, la vision, la motricité ou même la mémoire, le problème de la fonction est implicitement résolu. La fonction devient alors une variable dépendante qui permet d'analyser les mécanismes. Mais le neurophysiologiste qui étudie le sommeil ou le rêve ne possède ni cause ni fonction. Par exemple, les paramètres concernant le sommeil paradoxal (durée, périodicité ultradienne) sont des quantités aussi étranges que des nombres irrationnels. La fréquence respiratoire a une signification pour l'organisme que connait le physiologiste. La durée du rêve n'en a encore aucune. Rarement dans l'histoire de la physiologie, il y aura existé un tel contraste entre l'importance des données acquises concernant les mécanismes du sommeil et des rêves (le comment) et l'ignorance quasi-totale de leurs fonctions (le pourquoi).

Tableau

NADAHACH5HTFRM
1++++++
2+++++?
3++++++
4+++?0?
5++++0?
6000000
70000+0
Participation des systèmes noradrénergiques (NA - locus coeruleus), dopaminergiques (DA - système nigrostriatal), histaminergiques (H), cholinergiques (ACH - mesopontin), sérotonergique (5HT - raphé dorsalis) et de la formation réticulée mésencéphalique (FRM) aux processus de l'éveil.
  • Augmentation de l'activité unitaire pendant l'éveil.
  • Augmentation de la libération du neurotransmetteur pendant l'éveil.
  • La stimulation du système par des acides aminés excitateurs peut augmenter l'éveil.
  • L'inhibition de la synthèse du neurotransmetteur diminue l'éveil (effet présynaptique).
  • L'injection d'antagonistes de certain récepteurs peut diminuer l'éveil cortical/et ou comportemental.
  • La lésion des corps cellulaires peut diminuer l'éveil de façon durable.
  • La lésion des corps cellulaires peut augmenter l'éveil.
Cette "table de vérités" démontre, d'une part qu'aucun système particulier n'est qualifié pour obéir aux conditions de 1 à 6 et qu'ils agissent donc en réseau, et que d'autre part, le système à 5 HT possède un statut ambigu qu'explique son rôle homéostasique.
Le signe + indique que la condition est réalisée, le signe 0 indique que la condition n'est pas réalisée. Le signe ? indique qu'il n'a pas été possible de tester la condition.

Michel Jouvet

Eveil, sommeil, rêve

Notre cerveau subit l'alternance de trois états de vigilance principaux: l'éveil, le sommeil et le rêve. Si les fonctions du sommeil et de l'éveil sont connues, en revanche la fonction de ce troisième état du cerveau qu'est le rêve demeure l'une des énigmes les plus irritantes de la biologie.
L'alternance activité-repos appartient au monde vivant végétal ou animal et nous semble ainsi naturelle. L'éveil est nécessaire à notre survie et s'accompagne des dépenses d'énergie demandées par la satisfaction des besoins immédiats de l'individu ou de l'espèce. Deux notions intuitives expliquent le sommeil: la première est écologique et rend compte d'un héritage génétique que nous tenons de nos ancêtres, les premiers vertébrés à sang chaud (Homéothermes). Comme ils étaient placés dans des conditions où la nourriture leur était insuffisante, l'évolution a d'abord "inventé" l'hibernation, puis la torpeur. Ainsi, la diminution de température centrale permettrait une économie d'énergie et une survie prolongée en l'absence de nourriture. Le sommeil serait l'héritier de ces mécanismes. La seconde notion est fondée sur le concept subjectif de fatigue: l'activité cérébrale ou musculaire entraîne la fatigue et nécessite donc une période de "repos" cérébral pendant lequel les cellules nerveuses pourraient devenir inactives. Activité-repos, éveil-sommeil apparaissent ainsi rentrer dans un cadre naturel logique. En fait, ce schéma est trop simple et ne tient pas compte de la réalité. Il faut admettre, d'une part, que notre cerveau (comme celui de tous les Homéothermes: des oiseaux à l'homme) subit l'alternance non de deux mais de trois états de vigilance principaux: l'éveil, le sommeil et le rêve. D'autre part, nous savons que le sommeil n'est pas un repos du cerveau, stricto sensu, mais un phénomène actif puisque celui-ci consomme au moins autant de glucose et d'oxygène que pendant l'éveil.

L'éveil et ses degrés

L'aventure de l'homme pourrait être celle de la conquête de l'éveil. La tendance naturelle de l'homme est, en effet, de s'endormir spontanément si aucune tâche physique ou intellectuelle ne lui est proposée. C'est pour conquérir un éveil plus durable et plus efficient que l'homme a découvert le thé, le café qui augmentent l'efficacité du système d'éveil. Ce système d'éveil est situé au niveau du tronc cérébral (dans la formation réticulaire du mésencéphale): les cellules réticulaires reçoivent, par l'intermédiaire de collatérales des voies sensorielles, des informations du milieu extérieur. Ces informations peuvent venir converger sur un seul neurone. Elles perdent alors leur signe spécifique d'origine pour acquérir la propriété non spécifique de mettre en jeu le réseau de neurones qui va venir exciter le cortex cérébral et déclencher la réaction d'éveil qui se caractérise par une accélération du rythme de l'activité électrique du cortex cérébral. D'autres cellules réticulaires augmentent le tonus musculaire. Ainsi, les mécanismes de base de l'éveil sont effectués par ce système nécessaire, mais non suffisant, pour l'attention, l'apprentissage ou l'exécution d'un geste. En effet, si on enlève le cortex cérébral d'un animal, il conserve la possibilité d'être éveillé, mais ne peut apprendre. On admet actuellement que la formation réticulaire mésencéphalique accélère l'activité corticale par l'intermédiaire d'un neuro transmetteur, l'acétylcholine. Celle ci est contrôlée au niveau réticulaire et cortical par un autre médiateur, la noradrénaline. La dopamine joue également un rôle dans la facilitation de l'initiation des mouvements au cours de l'éveil. L'expérience suivante illustre le rôle éveillant de ces deux neurotransmetteurs: on sait que les amphétamines provoquent un éveil intense et durable en augmentant la libération de la noradrénaline et de la dopamine. Si l'on empêche la synthèse de ces deux neurotransmetteurs (en inhibant une enzyme de leur chaîne de synthèse), l'injection secondaire d'amphétamine n'a alors plus aucune action éveillante. La caféine possède une action éveillante différente des amphétamines car elle peut agir directement sur le cortex cérébral. Aussi, son action éveillante se double-t-elle d'une action psychoto nique bien connue.
Récemment, un système de neurones histaminergiques a été découvert dans l'hypothalamus ventrolatéral. Il semble également jouer un rôle important dans l'éveil (ce qui explique que des drogues anti-antihistamines aient un pouvoir "anti-éveil" bien connu).
Acétylcholine, catécholamines, sérotonines (voir plus loin), histamine ne sont pas les seuls "médiateurs" de l'éveil. Il faut leur ajouter certains peptides comme le TRH ou le MIF dont les mécanismes intimes d'action sont encore inconnus. En fait, l'éveil est tellement important pour la survie de l'espèce qu'il est fort probable que de nombreux systèmes, plus ou moins redondants, ont été acquis successivement. Ils entrent en jeu pour assurer les mécanismes complémentaires survenant au cours de l'éveil: faim, soif, activité sexuelle, apprentissage, mémoire, etc.
S'il est possible d'augmenter la qualité de l'éveil par des drogues, il est plus difficile d'en augmenter la durée sans se heurter à des phénomènes d'accoutumance (nécessité de doses plus grandes), d'assuétude (dépendance du sujet vis-à-vis de la drogue) ou de toxicité (de fortes doses d'amphétamines provoquent un tableau de psychose aiguë). Enfin, tout éveil prolongé est suivi d'une augmentation secondaire du sommeil, car c'est pendant l'éveil que nous produisons les facteurs responsables du sommeil.

Le sommeil

Diminution réversible naturelle et périodique de la perceptivité du milieu extérieur avec conservation d'une réactivité et conservation des fonctions végétatives. Cette vieille définition reste valable car elle permet de distinguer le sommeil du coma: un bruit violent réveille un dormeur mais pas un comateux. Depuis vingt ans, grâce à la polygraphie, la neurochimie et la polarographie, des progrès considérables ont été accomplis dans la connaissance du sommeil. Nous savons ainsi que le sommeil n'est pas un processus homogène, mais qu'il s'agit de la juxtaposition périodique de deux états: le sommeil proprement dit et le sommeil paradoxal (qui correspond au rêve et que nous étudierons plus loin).
Chez l'homme, les différents stades du sommeil, selon la "profondeur", c'est-à-dire l'intensité d'un stimulus capable de réveiller un dormeur, s'enchaînent dans le temps, depuis le stade I ou sommeil léger de l'endormissement, jusqu'aux stades II, III et IV caractérisés par le ralentissement de la fréquence de l'activité électrique cérébrale d'où le terme de "sommeil lent". Le sommeil s'accompagne de concommitants végétatifs; par exemple, la tension artérielle et le rythme cardiaque diminuent ainsi que la température centrale; la respiration également qui peut s'accompagner de ronflements. Les modifications respiratoires du sommeil sont parfois dramatiques chez le nourrisson puisque les commandes végétatives des centres respiratoires peuvent alors se dérégler (mort subite du nourrisson). On sait également que les stades III et IV du sommeil commandent la sécrétion d'hormones de croissance. Ce phénomène est important chez l'enfant puisqu'on a pu mettre sur le compte d'un mauvais sommeil dû à des conditions socio-économiques mauvaises (bruit, promiscuité) certains retards de croissance qui cèdent si l'enfant peut dormir correctement.
Le sommeil n'est pas la conséquence d'un repos passif du système d'éveil mais il est provoqué par l'intervention d'un mécanisme actif. L'activité des neurones corticaux ne s'arrête pas au cours du sommeil mais subit des modifications particulières (synchronisation) que l'on a pu interpréter comme la mise en marche de circuits empêchant l'intégration des signaux du monde extérieur. Les mécanismes de l'endormissement et du sommeil ne sont sans doute pas univoques. On s'endort au cours d'une conférence ennuyeuse, après un bon repas ou si l'on reste trop longtemps éveillé. Deux théories complémentaires expliquent actuellement de nombreux faits, mais pas tous. Selon la première, qui remonte à Piéron, il y aurait accumulation dans le liquide céphalo-rachidien, au cours de l'éveil, de substances hypnogènes (appelées au début hypnotoxines). On pense actuellement qu'il pourrait s'agir de peptides d'origine hypothalamique qui pourraient inhiber les neurones du système d'éveil (l'injection du liquide céphalo-rachidien d'un animal donneur, privé de sommeil, dans le système ventriculaire d'un animal receveur peut augmenter la profondeur et la durée de son sommeil). Un neuromédiateur libéré au cours de l'éveil, la sérotonine, synthétisée par des cellules situées sur la ligne médiane du tronc cérébral (le système du Raphé) serait responsable du sommeil. La destruction des cellules qui synthétisent la sérotonine au niveau du système du Raphé entraîne, en effet, une insomnie de très longue durée (plusieurs jours). D'autre part, le blocage de la synthèse de la sérotonine entraîne aussi une insomnie - qui peut être réversible en sommeil physiologique si l'on injecte le précurseur immédiat de la sérotonine. Il est possible que la sérotonine agisse comme une véritable hormone cérébrale. En pénétrant dans certains neurones, elle déclencherait la synthèse de peptide hypnogène. L'action endormante du précurseur de la sérotonine peut, en effet, être supprimée par blocage de la synthèse des protéines. L'incertitude concernant les mécanismes du sommeil empêche la réalisation de véritables drogues hypnogènes physiologiques. Alors que l'homme a su trouver dans la nature des produits augmentant l'éveil, il n'a pas encore trouvé de molécules hypnogènes naturelles. Les opiacés et leurs dérivés ne sont pas de véritables hypnotiques. Les barbituriques entraînent le sommeil en déprimant l'activité du système d'éveil, mais leur excès entraîne une narcose ou un coma. Les benzodiazépines sont moins dangereuses, mais ont l'inconvénient de diminuer le rêve.

Le sommeil paradoxal

La dualité des états du sommeil avait été déjà devinée par les mystiques Hindous qui opposaient au sommeil sans rêve (Prajna), l'éveil intérieur du rêve (Taijasa). Cependant, l'activité onirique ne fait son entrée en physiologie comme troisième état du cerveau il y a une vingtaine d'années seulement. Comme le montre l'enregistrement polygraphique du sommeil (hypnogramme), 4 à 5 périodes de sommeil paradoxal, d'une durée de 15 à 20 minutes (soit environ 100 minutes, soit 20 % de la durée totale du sommeil), surviennent chaque nuit. Elles sont caractérisées par une accélération du tracé cortical (qui redevient similaire au stade I de l'endormissement). En fait, il ne s'agit pas du retour du stade I de sommeil léger, car le sommeil paradoxal est aussi "profond" que les stades III et IV. D'autre part, une constellation de signes périphériques vient affirmer qu'il s'agit d'un autre état: apparition de mouvements oculaires rapides, qui contrastent avec l'atonie musculaire totale (ce qui explique l'absence de réflexes tendineux à ce moment, ou la chute brusque de la tête d'un individu qui dort assis). La respiration devient irrégulière, la tension artérielle subit des variations brusques (qui peuvent expliquer les accidents vasculaires, ramolissements. ou infarctus survenant au cours du sommeil). Il existe enfin une érection, manifestation végétative dont le contenu sexuel est peu probable puisqu'on l'observe aussi bien chez le nouveau-né que chez le vieillard. Réveillé au cours d'une période de mouvements oculaires, le dormeur racontera en détail des souvenirs de rêve, alors que réveillé à d'autres moments du sommeil, ces souvenirs sont soit absents,soit plus estompés et surtout ont perdu le caractère fantastique de l'imagerie onirique.
La découverte de ce troisième état du cerveau qu'est le rêve ou sommeil paradoxal chez l'homme et les mammifères a plongé les neurophysiologistes dans un grand étonnement. L'alternance veille-sommeil peut s'expliquer naturellement, mais pourquoi un troisième état qui semble traduire un besoin ? En effet, si l'on supprime le rêve (en réveillant un dormeur au début du sommeil paradoxal), celui-ci tend à revenir de plus en plus souvent. Il existe aussi, après cessation des privations pharmacologiques de rêve (par exemple avec les hypnotiques ou les inhibiteurs des monoamines-oxydases) une augmentation considérable du sommeil paradoxal qui peut alors survenir directement au cours de l'éveil. Ce qui se traduit par la narcolepsie (ou maladie de Gélineau) avec effondrement cataplectique (perte subite du tonus musculaire et brève période d'activité onirique).
L'exploration du sommeil paradoxal (ce nouveau continent du cerveau) est loin d'être terminée, mais la moisson de résultats obtenus depuis vingt ans peut être résumée ainsi: il semble que le sommeil paradoxal apparaisse au cours de l'évolution avec l'acquisition de l'homéothermie (c'est-à-dire avec les oiseaux et les mammifères) Il n'a pas été possible, en effet, de déceler le sommeil paradoxal chez les poissons, les amphibiens ou les reptiles, qui sont des Poïkilothermes. Le sommeil paradoxal est donc une "acquisition phylogénétique" relativement récente. En revanche, c'est un phénomène ontogénétiquement précoce. L'étude des embryons d'oiseaux in ovo, des foetus in utero semble bien montrer que le sommeil paradoxal constitue la majeure partie, sinon la totalité du sommeil au cours de la maturation du système nerveux. Il existe ensuite, après le sevrage, des différences considérables entre les différentes espèces qui peuvent être expliquées en partie par des considérations éco-éthologiques. Le sommeil paradoxal dépend étroitement du sommeil profond qui le précède.
Le facteur "sécurité" joue alors un grand rôle (l'insécurité entretenant les mécanismes de l'éveil et empêchant le sommeil) ainsi que les conditions de vie. L'herbivore doit passer beaucoup de temps éveillé pour absorber une nourriture peu énergétique, ce qui n'est pas le cas des carnivores. Ainsi, la durée quotidienne du sommeil paradoxal, qui n'est que de 10 à 15 minutes chez la vache, atteint 180 à 200 minutes chez le chat domestique.

Mécanismes du sommeil paradoxal

Bien que lié étroitement au sommeil lent, le sommeil paradoxal dépend de structures nerveuses différentes. Trës schématiquement, on peut admettre que le sommeil paradoxal met en jeu deux systèmes différents dont le point de départ se situe dans la formation réticulée du pont (au-dessous du mésencéphale). Le premier système peut être comparé à un "générateur" endogène qui met en jeu les mouvements oculaires et vient exciter la grande majorité des neurones cérébraux, que ce soit des aires sensorielles ou motrices. Cependant, mis à part les mouvements oculaires, la mise en jeu des systèmes moteurs cérébraux n'entraîne pas de mouvements globaux des membres ou du corps, car il existe un deuxième système responsable de l'atonie qui vient bloquer l'excitation de la voie finale motrice commune au niveau de la moelle; c'est pourquoi le somnambulisme ne correspond pas à l'activité onirique mais traduit un éveil incomplet au cours du sommeil lent. La destruction chez le chat du système responsable de l'atonie a permis de dévoiler l'apparition de "comportements oniriques" stéréotypés de jeu, de chasse, d'attaque et de rage contre d'imaginaires partenaires au cours du sommeil paradoxal.
Les mécanismes biochimiques du rêve sont complexes, car l'apparition du rêve est inhibée à la fois par le système d'éveil et certains systèmes mis en jeu au cours du sommeil. On pense actuellement que des facteurs situés dans les systèmes hypothalamo-hypophysaires joueraient un rôle décisif dans le déclenchement du sommeil paradoxal. L'action de ce (ou ces) facteur(s) et la levée de l'inhibition due aux neurones à sérotonine viennent libérer les "mécanismes exécutifs" du rêve au sein desquels l'acétylcholine joue un rôle primordial. Toutes ces étapes complexes rendent le rêve très susceptible à de nombreuses drogues qui sont capables de le supprimer, alors qu'on ne connaît pas (chez l'homme) de drogues capables de le provoquer bien qu'on puisse le faire chez le chat par injection intracérébrale de drogues agissant sur l'acétylcholine, ou par injection intraventriculaire des facteurs hypothalamiques.

Horloge biologique et cycle éveil-sommeil-rêve

Le cycle éveil-sommeil, chez la plupart des espèces, est sous la dépendance du rythme nycthéméral (le jour et la nuit). Ce rythme agit comme synchroniseur ou donneur de temps (Zeitgeber) sur une horloge biologique interne située dans l'hypothalamus, au niveau des noyaux suprachiasmatiques qui reçoivent l'information lumineuse par des voies venant de la rétine. Cette horloge biologique interne, en l'absence de synchroniseur externe (par exemple un séjour prolongé dans un abri ou une grotte) fonctionne "en libre cours" avec un petit retard ou une avance sur le rythme de 24 h, donc à peu près 24 h (circadies), d'où le terme de rythme circadien. Or, cette horloge interne tient sous sa dépendance de nombreuses autres horloges qui contrôlent la synthèse d'enzymes et d'hormones, la température centrale et indirectement le rythme d'éveil et de sommeil. Cela n'a pas eu d'importance autrefois, mais la civilisation industrielle avec le travail posté (rythme des 3 x 8), les horaires irré guliers (les routiers), et surtout l'apparition des Jets et des voyages intercontinentaux, ont placé le cerveau humain dans des conditions que l'évolution n'avait pas prévues. Ainsi, un voyageur quittant Lyon pour Los Angeles conserve le rythme circadien endogène de son horloge interne, alors qu'il reçoit les informations jour-nuit décalées de 8 ou 9 heures. Il en résulte une inadéquation (désynchronisation) entre son besoin de sommeil ou d'éveil et le temps légal (d'où réveil au milieu de la nuit et endormissement le jour). Cette désynchronisation entre l'horloge circadienne endogène et le temps réel peut entraîner, surtout si elle est répétée souvent, des dérèglements du cycle éveil-sommeil (endormissement invincible) et parfois des troubles psychiatriques (dépression). Si le rythme circadien commande l'alternance veille-sommeil, c'est un rythme ultradien de l'ordre de 90 minutes qui règle la périodicité du sommeil paradoxal. Chez l'homme, il est possible que ce rythme ultradien soit l'expression d'un rythme fondamental (Basic Rest Activity "BRAC"). Ce rythme serait alors prédominant chez le nouveau-né, mais serait ensuite masqué au cours de l'éveil chez l'adulte. Il réapparaîtrait alors au cours de la narcolepsie dont les accès diurnes ont souvent une périodicité de 90 minutes. On conçoit ainsi combien apparaît important, en ergonomie et en clinique, de surveiller les possibles asynchronies entraînées par les horaires alternants ou les répétitions de voyages intercontinentaux.

Les fonctions des états de vigilance

Si les fonctions de l'éveil sont la condition nécessaire de la survie de l'individu et de l'espèce, les fonctions du sommeil et surtout du rêve demeurent l'une des énigmes les plus irritantes de la neurobiologie. Il est possible que le sommeil soit l'aboutissement actuel des mécanismes de conservation de l'énergie, mais les retentissements hormonaux du sommeil lent font supposer que des processus de synthèse protéique peuvent également survenir et jouer sans doute un rôle à la fois au niveau du système nerveux central (phénomènes de mémoire à long terme) et de l'organisation (nanisme par déficit de sommeil). Cependant, l'existence de sujets en très bonne santé n'ayant dormi que 3 à 4 h par nuit pendant des décennies permet de supposer que deux cycles de sommeil (180 minutes) pourraient être suffisants et qu'il existe un quota nécessaire et un quota de luxe dans notre sommeil.
L'autre fonction du sommeil est de préparer et d'ouvrir les portes du rêve: mais les fonctions supposées de l'activité onirique sont aussi nombreuses que les chercheurs qui l'étudient. Il est difficile de supprimer sélectivement le rêve sans provoquer des effets non spécifiques dus au "stress" de la méthode instrumentale ou dus à la multiplicité d'action des diverses drogues qui suppriment le sommeil paradoxal. D'autre part, on sait maintenant que la plupart des méthodes instrumentales ou pharmacologiques supprimant le sommeil paradoxal provoquent une augmentation du ou des "facteurs onirogènes". Les troubles observés ne sont donc pas dus à la suppression du rêve mais au contraire à l'augmentation de ces facteurs. Certains résultats sont en faveur du rôle du sommeil paradoxal sur la mémoire chez le rat, mais cela n'a pas été vérifié chez l'homme. Selon une autre hypothèse, le rêve correspondrait à une programmation périodique génétique du cerveau qui serait responsable de l'entretien de l'hérédité psychologique qui constitue la partie héritable de la typologie d'un individu. Au cours de l'éveil, une grande partie des circuits nerveux de notre cerveau est influencée par l'environnement et l'apprentissage du fait de la plasticité cérébrale. Afin de conserver le programme établi au cours de la maturation cérébrale, et qui rend chaque individu différent des autres, malgré un environnement identique, on a supposé que le générateur qui entre en jeu au cours du rêve viendrait modifier périodique ment certains circuits selon une programmation où les facteurs génétiques joueraient un rôle important. En ce sens, le rêve serait le retour à la nature (un éveil génétique) qui s'opposerait, chez l'homme, à l'éveil lié à l'environnement épigénétique culturel.
Ainsi, le cycle éveil-sommeil-rêve nous fait peut-être, chaque jour, reparcourir sans que nous le devinions l'aventure de l'évolution de notre cerveau.
Les hypnogrammes se pratiquent habituellement pendant une durée de 24 h. Ils permettent de repérer les troubles majeurs du cycle éveil-sommeil-rêve chez certains sujets.

Eveil, sommeil, rêve
Michel Jouvet
Le courrier du CNRS

Le sommeil des animaux

Phylogenèse des états de sommeil

Le sommeil de l'homme est l'aboutissement d'une très longue évolution phylogénétique qui a intégré les mécanismes suivants:
  1. L'"invention" chez les êtres unicellulaires de mécanismes "d'homéostasie prédictive". Ces mécanismes sont commandés par une horloge interne, d'à peu près 24 heures (circadienne).
  2. Des processus d 'économie d'énergie: Inactivité, repos et sommeil, permettent en effet de réduire la consommation d'énergie et de nourriture. Dans certaines niches écologiques, un processus saisonnier, l'hibernation remplace l'alternance quotidienne du sommeil en réduisant considérablement la consommation d'énergie par diminution de la température corporelle jusqu'à 1 à 2°C.
  3. Des processus d'homéostasie réactive. Plus la période d'activité est Iongue ou intense, plus le sommeil "récupérateur" sera également long ou intense.
  4. Enfin, depuis l'apparition de l'homéothermie avec les oiseaux, le sommeil sert également à protéger et préparer un nouvel état survenant avec une périodicité ultradienne, le sommeil paradoxal, (SP) ou sommeil avec mouvements rapides oculaires, qui est chez l'homme le substratum neurobiologique de l'activité onirique. Nous passerons d'abord en revue l'apparition et l'évolution de ces mécanismes au cours de l'évolution phylogénétique, avant de montrer comment on en retrouve les traces au niveau du sommeil d'un sujet humain.

    I. Phylogenèse des états de sommeil

    A) Les êtres unicellulaires et les plantes

    En 1729, un astronome, Jean-Jacques d'Ortous de Mairan, enferme une sensitive (mimosa pudica) dans un cabinet noir. Il remarque alors que, même en l'absence d'alternance lumière-obscurité, les feuilles de la sensitive continuent à se redresser ou de se replier toutes les 24 heures. Il en conclut donc que cette plante avait une "horloge interne" qui lui donnait l'heure.
    Ce phénomène est universel puisqu'il existe également au niveau de l'activité de certaines enzymes chez des êtres unicellulaires (Acetabularia Euglena). Les mécanismes moléculaires de cette horloge sont encore inconnus. Ainsi, bien qu'il soit évidemment impossible de parler d'activité repos chez les algues et les plantes, il faut savoir qu'il existe dès l'apparition de la vie une horloge moléculaire circadienne chez tous les êtres vivants.

    B) Les états "voisins du sommeil" chez les invertébrés


    Il est bien connu que les insectes ont un rythme journalier de repos et d'activité. Ce rythme n'est pas simplement le reflet de l'alternance lumière obscurité car il peut continuer à être observé même si l'environnement ne fournit aucune indication de temps qui puisse servir de synchroniseur (ou Zeitgeber). Les preuves de l'existence d'un état proche du sommeil ont été trouvées sur des critères comportementaux et physiologiques, aussi bien chez le scorpion que chez l'abeille. Les corrélats du repos sont l'immobilité, une posture caractéristique, la diminution de la température, la baisse du tonus des muscles de la nuque, l'élévation du seuil d'éveil et une augmentation de la sensibilité des neurones visuels. Le scorpion ou la blatte passe de la position érigée, abdomen et tête redressés, à une position où le corps et la tête reposent à plat sur le sol. Chez l'abeille, la tête est inclinée et le tonus musculaire de la nuque réduit. Le seuil d'éveil, par des stimulations extérieures, s'élève. Dans le stade d'immobilité le plus profond, les antennes de l'abeille sont repliées contre la tête. Il semble qu'une régulation homéostasique commence à apparaître chez les insectes puisque des indices de mécanismes compensatoires ont été constatés aussi bien chez la blatte que le scorpion. En effet, le repos comportemental est plus long au cours de la récupération chez ces 2 espèces si la période d'activité est allongée (par des stimulations mécaniques, par exemple).

    C) Les états d'activité et d'inactivité chez les vertébrés polkilothermes


    Les poissons:
    Dans ce domaine, la majorité des recherches est seulement comportementale. L'existence d'états ressemblant au sommeil a été prouvée chez de nombreuses espèces. Certaines s'enfoncent dans le sable pour y passer la nuit. D'autres changent de couleur la nuit. Certains poissons perroquets peuvent secréter une enveloppe muqueuse dans laquelle ils restent sans bouger toute la nuit. Au cours de ces états de repos, les poissons réagissent plus lentement à des stimulations sensorielles. Chez la tanche (Tinca Tinca), on a pu enregistrer à la fois l'activité électrique du cerveau en même temps que l'activité des branchies et des différents muscles, le rythme respiratoire, le rythme cardiaque et enfin la réactivité à des stimulations sensorielles. Il n'existe pas de différences notables entre l'activité électrique rapide et de bas voltage du cerveau pendant l'éveil (nocturne) ou pendant le repos (diurne). D'autre part, à aucun moment il n'a été vu, au cours des longues périodes d'inactivité chez la tanche, de critères permettant de supposer qu'il puisse exister des périodes de mouvements oculaires accompagnées de variations végétatives. Rien ne permet donc d'afffirmer qu'un état périodique, analogue au sommeil paradoxal, soit présent chez les poissons.
    Les amphibiens: Les données concernant le sommeil des amphibiens sont encore rares. Certaines espèces ne manifestent pas de baisse de la vigilance pendant le repos comportemental (la grenouille-taureau), tandis que chez la grenouille arboricole, la réactivité aux stimulations sensorielles décroît au cours du repos. Comme chez les poissons, l'enregistrement de l'activité électrique cérébrale n'a pas permis de découvrir des différences significatives entre les périodes d'activité et d'inactivité, et il n'a pas été possible non plus de mettre en évidence de périodes de mouvements oculaires au cours des stades de quiescence.
    Les reptiles: Le sommeil de certains chéloniens (tortues), crocodiliens (alligators et caïmans), sauriens (lézards et serpents), a été étudié avec des enregistrements polygraphiques continus de l'électroencéphalogramme, du tonus musculaire, des mouvements oculaires et des rythmes cardiaques et respiratoires. L'EEG des reptiles présente quelques différences entre l'éveil et l'inactivité. Il devient alors plus lent et surtout apparaissent des ondes pointues de grande amplitude. Il est donc possible, chez les reptiles, de reconnaître le sommeil par le seul examen de l'EEG (ce qui est impossible chez les poissons et les amphibiens). Des épisodes associant mouvements oculaires rapides et variations du rythme cardiaque, d'une très grande brièveté (quelques secondes) et d'une grande rareté (quelques minutes sur des enregistrements de plusieurs semaines), ont été enregistrés chez des crocodiliens et des lézards. L'analogie de ces épisodes avec le sommeil paradoxal est encore très discutée.
    En conclusion, poissons, amphibiens et reptiles ne règlent pas leur température centrale, ils sont donc appelés poikilothermes ou ectothermes. Il existe de très fortes présomptions pour que l'état d'inactivité chez ces animaux soit déjà du sommeil puisque l'on a pu mettre en évidence des indices de régulation homéostatique chez des perches, des carpes et des goujons soumis à des privations de repos. L'activité forcée pendant des durées de 6 à 24 heures a ensuite été suivie d'un allongement de repos chez les 3 espèces. De même, des reptiles (caïmans, tortues, iguanes) présentent à la fois une augmentation de la durée du repos et peut-être de l'intensité du sommeil (augmentation de la fréquence des pointes au niveau de l'EEG) après des périodes d'activité prolongées artificiellement. Cependant, il n'existe aucune preuve comportementale ou polygraphique de l'existence de sommeil paradoxal chez les poikilothermes.

    Le sommeil chez les oiseaux

    1) Le sommeil chez les oiseaux:

    Les oiseaux (comme les mammifères) sont des homéothermes, c'est-à-dire qu'ils régulent leur température interne autour de 42 °C pour la plupart des espèces.
    Une douzaine d'espèces d'oiseaux a été étudiée avec des méthodes polygraphiques. Il existe des différences EEG notables entre l'éveil (activité rapide et de bas voltage) et le sommeil (activité lente de haut voltage). Au cours du sommeil comportemental, il existe des preuves indiscutables de l'apparition périodique du sommeil paradoxal. Il se caractérise, comme chez les mammiferes, par une activation de l'EEG, par des mouvements oculaires rapides et par une diminution, parfois non totale, du tonus musculaire. Ces épisodes sont très brefs (10 à 20 secondes) mais se répètent souvent au cours de la nuit.
    Il existe des différences importantes dans l'organisation du sommeil chez differentes espèces. Pendant les migrations, l'albatros ou le martinet peuvent voler sans arrêt pendant de très longues périodes. Il est alors possible que ces oiseaux ne dorment alors que d'un oeil et presentent un sommeil hémisphérique unilatéral (comme le dauphin, voir plus bas).
    L'horloge biologique des oiseaux est située au niveau de la glande pineale. Elle est responsable de l'organisation circadienne du rythme activité-sommeil chez de nombreuses espèces. La régulation homéostasique du sommeil a été mise en évidence, après veille prolongée, chez des colombes et le pigeon.
    En conclusion, puisque les oiseaux et les mammifères semblent avoir évolué indépendamment sans ancêtre reptilien commun, l'apparition certaine du sommeil paradoxal chez les oiseaux implique que cet état soit apparu indépendamment au cours de l'évolution.

    Le sommeil chez les mammifères

    2) Le sommeil chez les mammifères: Un point crucial dans l'évolution est la divergence entre les phylums des thériens, ou mammifères vivipares (marsupiaux et placentaires) et des non-thériens, ou mammiferes ovipares (monotrèmes).
    a) Mammiferes ovipares (monotrèmes): chez l'echnidé et l'ornithorynque, il n'a pas été possible de mettre en évidence d'apparition périodique de sommeil paradoxal alors que le sommeil à ondes lentes est évident.
    b) Mammiferes vivipares terrestres (marsupiaux et placentaires): Chez les marsupiaux (oppossum et kangourous) et 14 des 18 ordres de mammiferes placentaires étudiés par des techniques polygraphiques, le sommeil s'accompagne de variations électroencéphalographiques évidentes permettant de distinguer 2 stades à l'intérieur du sommeil "orthodoxe" (sommeil léger et profond). Chez les primates (gorilles, chimpanzés), l'organisation du sommeil orthodoxe est presque identique à celle de l'homme et comprend 4 stades.
    Chez tous les ordres étudiés, le sommeil paradoxal existe. Il est très facile à reconnaître par ses critères classiques: activation de l'EEG, suppression du tonus musculaire, mouvements rapides des yeux.
    Selon les espèces, il existe une grande variété dans l'organisation du sommeil par rapport à l'alternance lumière-obscurité, la durée totale du sommeil et enfin la durée de la période ultradienne du sommeil paradoxal (appelé encore T').
    Chez l'homme adulte, aussi bien que chez la plupart des primates (chimpanzés, gorilles et orangs-outans), le sommeil ne comporte en général qu'une période nocturne, il est dit monophasique. Contrastant avec le sommeil monophasique des primates, celui de la plupart des autres mammiferes est polyphasique, c'est-à-dire que la période d'activité est entrecoupée d'épisodes de sommeil. Par exemple, les chats dorment beaucoup dans la journée mais ils passent également une bonne partie de la nuit à dormir. Les rats, qui sont des animaux nocturnes, dorment environ 80% des heures diurnes mais aussi 20% la nuit. On voit rarement les gros herbivores, tels que les vaches, chevaux et moutons, en train de dormir dans la journée.
    c) Durée totale du sommeil  : Il existe des différences importantes entre la durée totale du sommeil selon les espèces, même à l'intérieur d'un même ordre. Ainsi, dans l'ordre des rongeurs, le sommeil total (en % du nycthémère) occupe 50% et 65% chez le rat et le hamster et seulement 32% chez le cobaye.
    De nombreuses corrélations ont été cherchées entre la durée du sommeil et certaines caractéristiques. En général, les animaux chasseurs (carnivores) ont un sommeil plus long que les chassés (herbivores).
    d) Durée des cycles de sommeil (T')  : Cette variable est en général calculée depuis le début d'un épisode de sommeil paradoxal jusqu'au début du prochain épisode. Il existe une corrélation négative entre la durée du T' et le métabolisme alors que celui-ci est corrélé inversement avec le poids du corps ou du cerveau. Ainsi, le T' d'une souris est de 10 minutes, d'un chat de 24 minutes, d'un chien de 30 minutes, de l'homme de 90 minutes et de l'éléphant de 120 minutes.
    e) Rapport cyclique : Ce rapport s'obtient en divisant la durée de la période T' par la durée moyenne des épisodes de SP. Il est voisin de 4 dans la grande majorité des espèces (sauf le lapin et les macaques). Il existerait ainsi une constante biologique selon laquelle il existerait, à l'intérieur d'un cycle de sommeil, une période "réfractaire" qui serait 3 fois plus longue que la durée du SP.
    f) Régulation homéostatique des états de sommeil : L'allongement de l'éveil (par des méthodes instrumentales ou pharmacologiques) entraîne chez tous les mammiferes une augmentation secondaire de la durée ou de l'intensité du sommeil. Il est possible également de ne supprimer que le sommeil paradoxal en gardant les animaux dans des conditions où ils ne peuvent relâcher totalement leur tonus musculaire (par exemple sur un petit support entouré d'eau, un rat ou un chat peut dormir sans présenter de sommeil paradoxal). Après une telle privation "spécifique", il existe une augmentation sélective du sommeil paradoxal alors qu'il n'y a pas de mécanisme compensateur au niveau de l'intensité des ondes lentes.

    Sommeil et hibernation

    3) Sommeil et hibernation : L'hibernation est considérée comme une adaptation physiologique qui permet aux hibernants de survivre en hiver à des périodes d'absence de nourriture, grâce à une diminution de la température centrale et donc du métabolisme. L'hibernation est un état qui se reproduit chaque année à la même saison chez des espèces de mammifères tels que les hamsters, marmottes, hérissons et certains ecureuils. Elle s'accompagne d'une baisse considérable de la température interne, jusqu'à 1°. Seuls les hibernants peuvent survivre à une telle température, alors qu'une température au-dessous de 17°C est léthale pour tous les autres mammiferes. Les animaux entrent en hibernation par augmentation du sommeil orthodoxe, tandis que le sommeil paradoxal disparaît graduellement. Quand la température centrale descend au-dessous de 25 °C, l'EEG devient plat. Les périodes d'hibernation peuvent durer plusieurs jours pendant la saison froide mais elles sont interrompues par des éveils périodiques "imprévisibles" au cours desquels la température centrale remonte jusqu'à 37 °C.

    Le sommeil des mammifères marins

    4) Le sommeil des mammifères marins :

    L'adaptation écologique des mammifères marins a entraîné de très remarquables singularités de leur sommeil. Ainsi, les cétacés ont une respiration volontaire (un dauphin anesthésié meurt). L'évolution a donc dû choisir entre le dilemme de rester éveillé pour respirer ou de mourir en dormant. Chez la baleine globicéphale, certains dauphins d'eau douce ou de milieu marin et chez un sirénien (dugong), le sommeil est unilatéral. L'EEG d'un hémisphère présente des ondes lentes alors que l'oeil controlatéral est fermé, tandis que l'EEG de l'autre hémisphère présente une activité rapide caractéristique (et que l'oeil controlatéral est ouvert). En général, un épisode de sommeil unilatéral dure 20 à 30 minutes et vice versa. Ces animaux peuvent ainsi contrôler leur respiration avec l'hémisphère éveillé. Bien qu'ils présentent des signes de sommeil unilatéraux évidents au point de vue EEG, les dauphins peuvent continuer à nager et ils n'arrêtent jamais leurs mouvements. Il n'a pas été possible de prouver l'existence de sommeil paradoxal chez les dauphins. Cependant, on peut se demander si des périodes de sommeil paradoxal unilatérales ne pourraient pas coexister avec un éveil controlatéral car les autres signes spécifiques du sommeil paradoxal pourraient ne pas apparaître chez ces animaux qui n'ont pas de mouvements oculaires. L'absence possible de sommeil paradoxal chez les cétacé représente une des énigmes les plus importantes de la phylogenèse du sommeil. Il ne semble pas que cela soit dû à la niche écologique où vit le dauphin puisque le sommeil paradoxal peut être présent chez certains phoques quand ils dorment, non seulement à terre mais aussi dans l'eau.

    Ontogenèse du sommeil et du rêve

    5) Ontogenèse du sommeil et du rêve : L'évolution pré- ou post-natale des états de sommeil a seulement été étudiée par des méthodes polygraphiques chez les oiseaux et les mammi feres. Plus un mammifere est immature à la naissance (nidicole) (chaton raton), plus il présente un état particulier, appelé "sommeil sismique". Cet état est caractérisé par des petites secousses des muscles du corps, des mouvements des yeux et une certaine hypotonie. Il existe également un "sommeil calme" et enfin de courtes périodes d'éveil, au cours desquelles le chaton ou le raton peut s'approcher de sa mère et téter. Pendant la première semaine post-natale, il n'existe pas de modification de l'EEG permettant de dissocier l'éveil des 2 états de sommeil. A partir du 8ème jour, il devient plus facile de caractériser à la fois le sommeil paradoxal (qui prend la place du sommeil sismique) et le sommeil orthodoxe qui prend la place du sommeil calme. Chez les espèces dites nidifuges, comme le cobaye, il est facile de reconnaître les 2 états de sommeil, grâce à l'EEG, dès la naissance car le cerveau est presque achevé. Par contre, un foetus de cobaye, présente égale ment un sommeil sismique. Chez le poussin qui vient d'éclore, on constate également une augmentation très nette du sommeil paradoxal.
    Le sommeil paradoxal du nourrisson humain est très important après la naissance puisqu'il peut constituer jusqu'à 60% du sommeil comporte mental. Il s'accompagne, quelques heures après la naissance, de mimiques de sourire, de tristesse ou de dégoût, alors qu'un nouveau-né humain ne sourit à sa mère que quelques semaines plus tard.
    Enfin, même chez les espèces monophasiques (comme l'homme), le sommeil est polyphasique au cours des premières années.
    En résumé, l'ontogenèse ne semble pas récapituler la phylogenèse des états de sommeil. Il semble en effet que le sommeil paradoxal soit très augmenté quelques jours après la naissance pour décroître à des valeurs adultes en 3 semaines chez le chaton et en 4 à 5 ans chez l'homme.
    La nature du sommeil sismique, qui existe au cours des derniers jours de l'organisation du cerveau, fait encore l'objet de discussion. Pour certains, il s'agirait déjà du sommeil paradoxal. Pour d'autres, il s'agit d'un état particulier accompagnant la fin de la maturation (et de la neurogenèse cérébrale). Il ne semble pas, en tout cas, exister encore de régulation homéostasique du "sommeil sismique", qui est impossible à supprimer par des drogues ou des lesions qui suppriment le sommeil paradoxal quelques jours plus tard chez le chaton.

    II. Une nuit de sommeil chez un homme de 20 ans

    Selon l'aspect du tracé EEG, et de l'activité des muscles, on peut reconnaître la succession des différents stades ou états suivants au cours du sommeil comportemental. L'endormissement (stade I) s'accompagne d'une disparition du rythme alpha de l'éveil et d'une activation de l'électroencéphalogramme. Dès ce stade, la conscience est abolie et nul ne peut apprendre au cours du sommeil. Ce stade ne dure que quelques minutes. Progressivement, au cours des 90 premières minutes, des stades de plus en plus profonds de sommeil vont apparaître: le stade II, qui s'accompagne de grandes ondes phasiques, appelées K complexes, suivi des stades III et IV (appelés encore sommeil profond). Le stade II se caractérise aussi par l'apparition d'ondes rythmiques, appelées "fuseaux", tandis que les stades III et IV sont occupés par l'apparition d'ondes lentes de haut voltage, d'une fréquence comprise entre 0,5 et 3 hertz. Cette période de sommeil s'accompagne d'une persistance du tonus musculaire, de l'absence de mouvements oculaires et d'érection, d'une diminution des fréquences cardiaque et respiratoire, d'une diminution de la température centrale aux dépens d'une élévation de la température cutanée par vasodilatation.
    Vers la 90ème minute, apparaît un nouvel état appelé sommeil paradoxal. Il se caractérise par l'activation de l'électroencéphalogramme, comparable au stade de l'endormissement (stade I), par une disparition totale du tonus musculaire, par des irrégularités respiratoires et cardiaque et surtout par des mouvements oculaires rapides, latéraux ou verticaux. La peau devient froide. Enfin, s'installe une érection (*) Pendant cet état, le seuil d'éveil est au moins aussi élevé que pendant le stade de sommeil le plus profond qui le précède (stade IV). La période de sommeil paradoxal dure environ 20 minutes et se termine souvent par un bref mouvement du corps tandis que l'érection disparaît rapidement. Ainsi se termine le premier cycle de sommeil.
    Le sommeil "orthodoxe" survient à nouveau (pendant 90 minutes) avec réapparition des stades III et IV. La durée du deuxième épisode de sommeil paradoxal est de 25 minutes. En général, le sommeil lent profond III et IV ne réapparaît plus ensuite au cours des 3ème et 4ème cycles de sommeil.
    Ainsi, une nuit de sommeil de 8 heures s'accompagne de 4 à 5 périodes de sommeil paradoxal, d'une vingtaine de minutes environ soit 100 minutes. Le sommeil profond du début de la nuit dure également à peu près 100 minutes.
    On sait maintenant que le sommeil paradoxal est un état différent du "sommeil orthodoxe" qui le précède. Cet état correspond à l'activité onirique. Sa périodicité ultradienne (90 minutes) est remarquablement stable. Les exemples suivants vont nous permettre de retrouver chez l'homme les autres mécanismes acquis au cours de l'évolution.
    * Pendant longtemps on a pensé que l'érection pénienne au cours du sommeil paradoxal n'existait que chez l'homme. En fait, el]e vient d'être également démontrée chez le rat. Les mécanismes et la fonction de l'érection au cours du sommeil demeurent inconnus.

    A) L'horloge circadienne endogène

    Nous allons nous coucher lorsqu'il fait nuit mais ce n'est pas l'alternance jour-nuit qui règle notre sommeil nocturne. Des expériences d'isolement "hors du temps", dans des grottes ou des bunkers, ont révélé qu'un sujet humain, sans repère temporel, s'endort chaque jour à peu près à la même heure. Il existe donc une horloge interne circadienne qui est réglée à peu près à 24,5 heures et qui est responsable du rythme veille-sommeil. Cette horloge, chez tous les mammifères, est située au niveau des noyaux suprachiasmatiques et reçoit des informations "photiques" de la rétine. Normalement, la vie sociale et l'alternance jour-nuit n'est qu'un synchroniseur de cette horloge ou un "donneur de temps" (Zeitgeber). La désynchronisation entre le temps local et celui de l'horloge interne, qui apparaît au cours des voyages intercontinentaux, entraîne l'apparition du sommeil au cours de la journée (JET LAG). Chez l'homme, l'horloge est responsable de processus "d'homéostasie prédictive". Comme sur les appareils extrêmement complexes, il faut que de nombreux systèmes soient mis en marche progressivement avant d'être efficaces. Ainsi, la sécrétion de cortisol est déclenchée vers 3 heures du matin par l'horloge interne pour atteindre un niveau maximum lors de l'éveil et permettre ainsi à l'organisme de faire face à toutes les demandes accrues d'énergie .

    B) Economie d'énergie

    Les premiers cycles de sommeil s'accompagnent d'une diminution de la température et de la consommation de glucose et d'oxygène par le cerveau. Le métabolisme général de l'organisme est plus bas que pendant le repos au cours de l'eveil. En outre, le début du sommeil s'accompagne de libération d'hormones de croissance qui jouent un rôle anabolique important.

    C) Régulation homéostatique du sommeil

    Chacun de nous sait bien que s'il n'a pas dormi pendant 24 heures, il dormira ensuite à la fois plus longuement et plus profondément. Ce facteur intensité peut être mesuré à la fois par des analyses de fréquence (Transformé de Fourier) et de la "puissance" des ondes lentes du sommeil "récupérateur". Dans certains cas, cette régulation homéostatique va se faire aussi bien aux dépens de l'intensité du sommeil à ondes lentes que de la durée du sommeil paradoxal. L'augmentation compensatrice de celui-ci, qui est appelée "rebond", se fait aux dépens de la durée des épisodes sans altérer la période de 90 minutes chez l'homme .

    III. Conclusion

    Mis à part les cétacés et les monotrèmes, on peut admettre que la totalité des mammifères présente un sommeil comportemental qui comporte 2 états: le sommeil à ondes lentes, ou sommeil orthodoxe, et le sommeil paradoxal. Chez la plupart des mammifères, il existe également une régulation homéostasique du sommeil. Elle peut prendre différents aspects, soit par l'intensité de l'activité lente au début de la récupération, soit par l'augmentation de la durée du sommeil paradoxal, soit aux dépens des 2 états de sommeil.
    Pourquoi le sommeil paradoxal apparaît-il chez les oiseaux et les euthériens, sans doute à partir de l'endothermie ? L'endothermie, qui permet une plus grande liberté par rapport à l'environnement, s'accompagne de la perte d'une faculté particulière, que possède les ectothermes adultes, c'est-à-dire a persistance de la division des cellules nerveuses ou neurogenèse. Une neurogenèse persiste chez les espèces poïkilothermes adultes (poissons, amphibiens et reptiles). Elle pourrait ainsi assurer la programmation génétique des différences inter-individuelles (phénotypiques) des comportements. Cette fonction de programmation s'effectuerait également, par division des neurones, chez les mammifères nouveau-nés au cours du sommeil sismique. A partir du moment où les neurones cessent de se diviser, quelques jours après la naissance chez les mammiferes, il faut supposer qu'un nouveau système de programmation génétique apparaisse. Cette fonction serait alors assurée par le sommeil paradoxal, qui jouerait le rôle de programmation génétique itérative de l'individualité psychologique .
    L'arbre phylogénique du sommeil et du rêve est encore bien incomplet. Il faut espérer que le développement des techniques d'enregistrement par télémétrie, "sur le terrain", puissent permettre d'obtenir plus de données indispensables pour mieux comprendre comment l'enchaînement des différentes acquisitions de l'évolution a ouvert les portes du rêve chez l'homme.

    Résumé

    Le sommeil humain est le résultat d'une très longue évolution au cours de laquelle les mécanismes suivants ont été intégrés: une horloge circadienne respon sable d'une homéostasie prédictive, des mécanismes d'homéostasie réactive adaptant la durée et/ou l'intensité du sommeil à la durée de l'éveil précédent. Enfin, depuis l'apparition de l'homéothermie, un pace maker ou oscillateur ultradien responsable du sommeil paradoxal est apparu au cours du sommeil. Il est respon sable chez l'homme de l'activité onirique.