mardi 24 mai 2011

Etat hypnoïde


PSYCH. Qui a l'apparence du sommeil ou qui présente les caractères d'un état hypnotique. Cet état hypnoïde peut aller d'une désorganisation passagère et légère à un dédoublement apparent de la personnalité, d'une allure d'« absence » à une mise en sommeil complète de l'activité intellectuelle consciente (Amadou, Parapsychol., 1954, p. 195).
Prononc. : [ipnɔid]. Étymol. et Hist. 1954 (Amadou, op. cit., p. 98). Empr. à l'all. hypnoid (1893, Breuer et Freud ds Neurol. Centralblatt, XII, II, 43, cf. NED Suppl.2), formé sur le gr. ύπνος « sommeil » avec suff. correspondant au fr. -oïde.
Etat du sujet dans lequel on observe une diminution de la conscience, de l'activité intellectuelle, des perceptions, et qui correspond à une sorte de sommeil artificiel.
L’état hypnoïde, terme introduit par J. Breuer, est un état analogue à celui crée par l’hypnose et se caractérise par la formation de groupes d’associations séparés de la conscience. 

Se dit d'un état psychique survenant en dehors du sommeil, caractérisé par l'obscurcissement de la conscience, la diminution des perceptions et des contenus de pensée analogues à ceux du rêve. (Pour J. Breuer, cet état de conscience est analogue à celui obtenu par hypnose.)
Analogue au sommeil. Selon Breuer, le collaborateur de Freud dans les Études sur l'hystérie (1895), les états hypnoïdes se produisent fréquemment chez les femmes qui ont des activités telles que les travaux ménagers qui ne requièrent pas leur pleine attention et prédisposent à l'HYSTÉRIE. 

État hypnoïde et État hystéroïde. Lors de la réinstauration de la situation dérivant du traumatisme, phénomène passif, inconscient, comparable à une hystérésis, dû au blocage initial, et à la tendance à achever un  phénomène, l’état hypnoïde et celui hystéroïde  se manifestent  soit ensemble, soit séparément. Le premier est comparable à l’état où se trouve la personne hypnotisée, le second est composé de diverses douleurs organiques.
 

Les névropsychoses de défense, Sigmund Freud
(1ère partie)
Essai d'une théorie psychologique de l'hystérie acquise, de nombreuses phobies et représentations de contrainte et de certaines psychoses hallucinatoires
Lors de l'étude approfondie de plusieurs nerveux affligés de phobies et de représentations de contrainte s'est imposé à moi un essai d'explication de ces symptômes, qui me permit ensuite de deviner avec bonheur la provenance de telles représentations morbides dans des cas autres, nouveaux, et que pour cela j'estime digne d'être communiqué et soumis plus avant à examen.
Simultanément à cette « théorie psychologique des phobies et représentations de contrainte», se dégagea de l'observation des malades une contribution à la théorie de l'hystérie ou plutôt une modification de celle-ci, qui semble tenir compte d'un important caractère commun à l'hystérie et aux dites névroses.
De plus, j'eus l'occasion d'acquérir une intelligence du mécanisme psychologique d'une forme d'affection indubitablement psychique et, ce faisant, je trouvai que le mode de considération dont je faisais l'essai établit une connexion intelligible entre ces psychoses et les deux névroses mentionnées. Une hypothèse adjuvante dont je me suis servi dans chacun des trois cas sera par moi mise en relief en conclusion de cet article.
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Je commence par cette modification que la théorie de la névrose hystérique me semble requérir:
Que le complexe symptomatique de l'hystérie, pour autant qu'il autorise à ce jour une compréhension, justifie l'hypothèse d'un clivage de la conscience avec formation de groupes psychiques séparés, c'est ce qui, depuis les beaux travaux de P. Janet, J. Breuer et autres, avait déjà bien pu accéder à la reconnaissance générale. Ce qui est moins clarifié, ce sont les opinions sur la provenance de ce clivage de conscience et sur le rôle que ce caractère joue dans la texture de la névrose hystérique.
D'après la doctrine de Janet , le clivage de conscience est un trait primaire de la modification hystérique. Il repose sur une faiblesse innée de la capacité de synthèse psychique, sur l'étroitesse du « champ de conscience » (champ de conscience) , qui en tant que stigmate psychique témoigne de la dégénérescence des individus hystériques.
En opposition avec la vision de Jane t, qui me semble autoriser les objections les plus variées, se trouve celle que J. Breuer a soutenue dans notre Communication commune. D'après Breuer, ce qui est « fondement et condition» de l'hystérie, c'est la survenue d'états de conscience particuliers, de l'espèce du rêve, avec capacité d'association restreinte, pour lesquels il propose le nom d' « états hypnoïdes ». Le clivage de conscience est alors un clivage secondaire, acquis; il se produit du fait que les représentations qui ont émergé dans des états hypnoïdes sont coupées du commerce associatif avec le reste du contenu de conscience.
Je puis maintenant procéder à la mise en évidence de deux autres formes extrêmes d'hystérie, dans lesquelles il est impossible que le clivage de conscience soit interprété comme un clivage primaire, au sens de Janet. Dans la première de ces formes, je réussis de façon répétée à montrer que le clivage du contenu de conscience est la conséquence d'un acte de volonté du malade, c.-à-d. est introduit par une contention de volonté dont on peut indiquer le motif.
Naturellement, je n'affirme pas ici que le malade a l'intention d'amener un clivage de sa conscience; l'intention du malade est autre, mais elle n'atteint pas son but, bien au contraire elle provoque un clivage de la conscience. Dans la troisième forme d'hystérie, dont nous avons prouvé l'existence par l'analyse psychique de malades intelligents, le clivage de conscience joue un rôle très minime, peut-être pas de rôle du tout. Il s'agit de ces cas dans lesquels la réaction aux stimulus traumatiques n'a simplement pas eu lieu, qui peuvent donc être aussi liquidés et guéris par « abréagir » les pures hystéries de rétention.
Concernant le rattachement aux phobies et représentations de contrainte, je n'ai affaire ici qu'à la deuxième forme de l'hystérie que, pour des raisons qu'on discernera bientôt, je vais désigner comme hystérie de défense, et par ce nom départager des hystéries hypnoïde et de rétention. Je puis aussi, provisoirement, donner mes cas d'hystérie de défense comme hystérie « acquise», puisqu'il n'était question dans ces cas ni de lourde charge héréditaire ni d'atrophie dégénérative propre.
Chez les patients analysés par moi une bonne santé psychique avait en effet existé, jusqu'au moment où survint un cas d'inconciliabilité dans leur vie de représentation, c.-à-d. jusqu'à ce qu'une expérience vécue, une représentation, sensation, approcha leur moi, éveillant un affect si pénible que la personne décida d'oublier cela, parce qu'elle ne se croyait pas la force de résoudre par le travail de pensée la contradiction entre cette représentation inconciliable et son moi.
Chez les personnes du sexe féminin, de telles représentations inconciliables croissent le plus souvent sur le terrain de l'expérience de vie et de la sensibilité sexuelles, et celles qui sont tombées malades se souviennent d'ailleurs avec toute la précision souhaitable de leurs efforts de défense, de leur intention d' « écarter» la chose, de ne pas y penser, de la réprimer.
Voici, relatifs à cela, des exemples tirés de mon expérience, et dont je pourrais aisément multiplier le nombre, tels que le cas d'une jeune fille qui, pendant les soins donnés à son père malade, s'en veut de penser à un jeune homme qui lui a fait une légère impression érotique; le cas d'une gouvernante qui était tombée amoureuse de son patron et qui décida de chasser ce penchant de son esprit parce qu'il lui semblait inconciliable avec sa fierté, etc., etc..
Certes je ne puis affirmer que la contention de volonté, afin de repousser de ses pensées quelque chose de cette sorte, soit un acte pathologique; je ne saurais dire non plus si et de quelle manière réussit l'oubli intentionnel pour ces personnes qui, sous l'effet des mêmes actions psychiques, demeurent en bonne santé.
Je sais seulement que pour les patients analysés par moi un tel oubli n’a pas réussi, mais qu'au contraire il les a conduits à diverses réactions pathologiques qui engendrèrent soit une hystérie, soit une représentation de contrainte, soit une psychose hallucinatoire. Dans la capacité de provoquer, par cette contention de volonté, un de ces états qui tous sont liés à un clivage de conscience, il faut voir l'expression d'une disposition pathologique, qui pourtant n'a pas nécessairement besoin d'être identique à une « dégénérescence» personnelle ou héréditaire.
Suivant la voie qui mène de la contention de volonté du patient jusqu'à l'apparition du symptôme névrotique, je me suis formé une opinion qui, dans les abstractions psychologiques usuelles, se laisse exprimer à peu près ainsi : la tâche que s'assigne le moi opposant une défense, traiter la représentation inconciliable comme « non arrivée » , est pour celui-ci insoluble directement; aussi bien la trace mémorielle que l'affect adhérant à la représentation sont bel et bien là, et inextirpables.
Mais on a l'équivalent d'une solution approximative de cette tâche si l'on réussit à faire de cette représentation forte une faible, à lui arracher l'affect, la somme d'excitation dont elle est grevée. La représentation faible ne pourra alors pour ainsi dire plus émettre de prétentions au travail d'association; mais la somme d'excitation qui a été séparée d'elle doit être amenée à une autre utilisation.
Jusqu'ici, les processus sont les mêmes dans l'hystérie et dans les phobies et représentations de contrainte; à partir de là les voies bifurquent. Dans l'hystérie, l'action de rendre inoffensive la représentation inconciliable se produit du fait que sa somme d'excitation est transposée dans le corporel, ce pour quoi j'aimerais proposer le nom de conversion.
La conversion peut être totale ou partielle, et se produit en suivant cette innervation motrice ou sensorielle qui se trouve dans une corrélation intime, ou davantage relâchée, avec l'expérience vécue traumatique. Le moi a ainsi obtenu d'être devenu exempt de contradiction, mais en revanche il s'est obéré d'un symbole mnésique qui, en tant qu'innervation motrice insoluble ou en tant que sensation hallucinatoire faisant constamment retour, loge dans la conscience à la façon d'un parasite, et qui subsiste jusqu'à ce qu'une conversion ait lieu dans une direction inversée.
La trace mémorielle de la représentation refoulée n'a donc pas disparu pour autant, mais forme à partir de maintenant le noyau d'un second groupe psychique.
Je ne vais plus développer qu'en peu de mots cette vision des processus psychophysiques dans l'hystérie une fois qu'un tel noyau pour une séparation par clivage hystérique a été formé dans un «moment traumatique», son agrandissement se produit dans d'autres moments que l'on pourrait nommer « traumatiques auxiliaires », dès qu'une impression de même espèce, arrivant de nouveau, réussit à percer la barrière instaurée par la volonté, à apporter à la représentation affaiblie un nouvel affect, et à provoquer par contrainte, pour un laps de temps, la connexion des deux groupes psychiques, jusqu'à ce qu'une nouvelle conversion crée une défense.
L'état ainsi atteint dans l'hystérie, quant à la répartition de l'excitation, se révèle alors, la plupart du temps, être un état labile; l'excitation poussée sur une fausse voie (l'innervation corporelle) rétrograde parfois vers la représentation dont elle a été détachée et astreint alors la personne à l'élaboration associative ou à la liquidation en accès hystériques, comme le prouve l'opposition connue des accès et des symptômes durables.
L'action de la méthode cathartique de Breuer consiste à engendrer, avec conscience du but, une telle rétroconduction de l'excitation hors du corporel dans le psychique, afin d'obtenir ensuite par contrainte l'aplanissement de la contradiction par le travail de pensée, et l'éconduction de l'excitation par le parler.
Si le clivage de conscience de l'hystérie acquise repose sur un acte de volonté, alors s'explique avec une facilité surprenante le fait remarquable que l'hypnose élargit régulièrement la conscience rétrécie des hystériques et rend accessible le groupe psychique séparé par clivage. Nous connaissons, bien sûr, comme particularité de tous les états semblables au sommeil, le fait de supprimer cette répartition de l'excitation sur laquelle repose la « volonté» de la personnalité consciente.
Partant, nous reconnaissons le facteur caractéristique de l'hystérie non pas dans le clivage de conscience mais dans la capacité de conversion, et nous sommes en droit de mentionner comme étant une part importante de la disposition, par ailleurs encore inconnue, à l'hystérie, l'aptitude psychophysique au report de si grandes sommes d'excitation dans l'innervation corporelle.
Cette aptitude n'exclut pas, en soi et pour soi, la santé psychique et elle ne conduit à l'hystérie que dans le cas d'une inconciliabilité psychique ou d'un emmagasinage de l'excitation. En prenant ce tournant nous nous rapprochons, Breuer et moi, des définitions connues de l'hystérie, celles de Oppenheim et Strümpell, et nous nous sommes écartés de Janet qui assigne au clivage de conscience un rôle démesuré dans la caractérisation de l’hystérie. La présentation donnée ici est en droit de prétendre qu’elle fait comprendre la corrélation de la conversion avec le clivage de conscience hystérique.

Cinq leçons sur la psychanalyse

Sigmund Freud Traduction par Yves Le Lay compilation de Gemma Paquet

Deuxième leçon

Conception nouvelle de l'hystérie. Refoulement et résistance. Le conflit psychique. Le symptôme est le substitut d'une idée refoulée. La méthode psychanalytique.

A peu près à l'époque où Breuer appliquait sa « talking cure », Charcot poursuivait, à la Salpêtrière, ses recherches sur l'hystérie, qui devaient aboutir à une nouvelle conception de cette névrose. La conclusion à laquelle il par­venait n'était alors pas connue à Vienne. Mais lorsque, dix ans plus tard, nous publiâmes, Breuer et moi, notre communication préliminaire sur le mécanis­me psychique des phénomènes hystériques, inspirée par les résultats du traite­ment cathartique de la première malade de Breuer, nous étions en plein sous l'influence des travaux de Charcot. Nous fîmes alors de nos traumatismes psychiques les équivalents des traumatismes physiques dont Charcot avait établi le rôle dans le déterminisme des paralysies hystériques. Et l'hypothèse des états hypnoïdes de Breuer n'est qu'un écho des expériences du professeur français relatives à la production, sous hypnose, de paralysies en tous points semblables aux paralysies traumatiques.

L'illustre clinicien, dont je fus l'élève en 1885-86, était peu enclin aux con­ceptions psychologiques. Ce fut son disciple Pierre Janet qui tenta d'analyser de près les processus psychiques de l'hystérie, et nous suivîmes son exemple, en faisant du dédoublement mental et de la dissociation de la personnalité le pivot de notre théorie. La théorie de Janet repose sur les doctrines admises en France relatives au rôle de l'hérédité et de la dégénérescence dans l'origine des maladies. D'après cet auteur, l'hystérie est une forme d'altération dégénérative du système nerveux, qui se manifeste par une faiblesse congénitale de la syn­thèse psychique. Voici ce qu'il entend par là : les hystériques seraient incapa­bles de maintenir en un seul faisceau les multiples phénomènes psychiques, et il en résulterait la tendance à la dissociation mentale. Si vous me permettez une comparaison un peu grossière, mais claire, l'hystérique de Janet fait pen­ser à une femme qui est sortie pour faire des emplettes et revient chargée de boites et de paquets. Mais ses deux bras et ses dix doigts ne lui suffisent pas pour embrasser convenablement tout son bagage, et voilà un paquet qui glisse à terre. Elle se baisse pour le ramasser, mais c'est un autre qui dégrin­gole. Et ainsi de suite.

Cependant, il est des faits qui ne cadrent pas très bien avec cette théorie de la faiblesse mentale. Ainsi, on constate chez les hystériques certaines capa­cités qui diminuent, d'autres qui augmentent, comme s'ils voulaient compen­ser d'un côté ce qui est réduit de l'autre. Par exemple, à l'époque où la malade de Breuer avait oublié sa langue maternelle ainsi que toutes les autres, sauf l'anglais, elle parlait celle-ci avec une telle perfection qu'elle était capable, quand on lui mettait dans les mains un livre allemand, de faire à livre ouvert une traduction excellente.

Lorsque, plus tard, j'entrepris de continuer seul les recherches commen­cées par Breuer, je me formai bientôt une opinion différente sur l'origine de la dissociation hystérique (dédoublement de la conscience). Une telle divergence devait se produire, puisque je n'étais pas parti, comme Janet, d'expériences de laboratoire, mais de nécessités thérapeutiques.

Ce qui m'importait avant tout, c'était la pratique. Le traitement cathartique, appliqué par Breuer, exigeait qu'on plongeât le malade dans une hypnose profonde puisque seuls les états hypnotiques lui permettaient de se rappeler les événements pathogènes qui lui échappaient à l'état normal. Or, je n'aimais pas l'hypnose ; c'est un procédé incertain et qui a quelque chose de mystique. Mais lorsque j'eus constaté que, malgré tous mes efforts, je ne pouvais mettre en état d'hypnose qu'une petite partie de mes malades, je décidai d'abandonner ce procédé et d'appliquer le traitement cathartique. J'essayai donc d'opérer en laissant les malades dans leur état normal. Cela semblait au premier abord une entreprise insensée et sans chance de succès. Il s'agissait d'apprendre du mala­de quelque chose qu'on ne savait pas et que lui-même ignorait. Comment pouvait-on espérer y parvenir? Je me souvins alors d'une expérience étrange et instructive que j'avais vue chez Bernheim, à Nancy; Bernheim nous avait montré que les sujets qu'il avait mis en somnambulisme hypnotique et aux­quels il avait fait accomplir divers actes, n'avaient perdu qu'apparemment le souvenir de ce qu'ils avaient vu et vécu sous l'hypnose, et qu'il était possible de réveiller en eux ces souvenirs à l'état normal. Si on les interroge, une fois réveillés, sur ce qui s'est passé, ces sujets prétendent d'abord ne rien savoir ; mais si on ne cède pas, si on les presse, si on leur assure qu'ils le peuvent, alors les souvenirs oubliés reparaissent sans manquer.

J'agis de même avec mes malades. Lorsqu'ils prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu'ils savaient, qu'ils n'avaient qu'à parler et j'assurais même que le souvenir qui leur reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le bon. De cette manière, je réussis, sans employer l'hyp­nose, à apprendre des malades tout ce qui était nécessaire pour établir le rapport entre les scènes pathogènes oubliées et les symptômes qui en étaient les résidus. Mais c'était un procédé pénible et épuisant à la longue, qui ne pouvait s'imposer comme une technique définitive.

Je ne l'abandonnai pourtant pas sans en avoir tiré des conclusions décisi­ves : la preuve était faite que les souvenirs oubliés ne sont pas perdus, qu'ils restent en la possession du malade, prêts à surgir, associés à ce qu'il sait enco­re. Mais il existe une force qui les empêche de devenir conscients. L'exis­tence de cette force peut être considérée comme certaine, car on sent un effort quand on essaie de ramener à la conscience les souvenirs inconscients. Cette force, qui maintient l'état morbide, on l'éprouve comme une résistance oppo­sée par le malade.

C'est sur cette idée de résistance que j'ai fondé ma conception des proces­sus psychiques dans l'hystérie. La suppression de cette résistance s'est mon­trée indispensable au rétablissement du malade. D'après le mécanisme de la guérison, on peut déjà se faire une idée très précise de la marche de la mala­die. Les mêmes forces qui, aujourd'hui, s'opposent à la réintégration de l'oublié dans le conscient sont assurément celles qui ont, au moment du trau­matisme, provoqué cet oubli et qui ont refoulé dans l'inconscient les incidents pathogènes. J'ai appelé refoulement ce processus supposé par moi et je l'ai considéré comme prouvé par l'existence indéniable de la résistance. Mais on pouvait encore se demander ce qu'étaient ces forces, et quelles étaient les conditions de ce refoulement où nous voyons aujourd'hui le mécanisme pathogène de l'hys­térie. Ce que le traitement cathartique nous avait appris nous permet de répon­dre à cette question. Dans tous les cas observés on constate qu'un désir violent a été ressenti, qui s'est trouvé en complète oppo­sition avec les autres désirs de l'individu, inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref conflit s'en est suivi; à l'issue de ce combat intérieur, le désir inconciliable est devenu l'objet du refoule­ment, il a été chassé hors de la conscience et oublié. Puisque la représentation en question est inconciliable avec « le moi » du malade, le refoulement se produit sous forme d'exigences morales ou autres de la part de l'individu. L'acceptation du désir inconciliable ou la prolongation du conflit auraient provoqué un malaise intense ; le refoule­ment épargne ce malaise, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger la personne psychique.

Je me limiterai à l'exposé d'un seul cas, dans lequel les conditions et l'utilité du refoulement sont clairement révélées. Néanmoins, je dois encore écourter ce cas et laisser de côté d'importantes hypothèses. - Une jeune fille avait récemment perdu un père tendrement aimé, après avoir aidé à le soigner - situation analogue à celle de la malade de Breuer. Sa sœur aînée s'étant mariée, elle se prit d'une vive affection pour son beau-frère, affection qui pas­sa, du reste, pour une simple intimité comme on en rencontre entre les mem­bres d'une même famille. Mais bientôt cette sœur tomba malade et mourut pendant une absence de notre jeune fille et de sa mère. Celles-ci furent rappelées en hâte, sans être entièrement instruites du douloureux événement. Lorsque la jeune fille arriva au chevet de sa sœur morte, en elle émergea, pour une seconde, une idée qui pouvait s'exprimer à peu près ainsi: maintenant il est libre et il peut m'épouser. Il est certain que cette idée, qui trahissait à la conscience de la jeune fille l'amour intense qu'elle éprouvait sans le savoir pour son beau-frère, la révolta et fut immédiatement refoulée. La jeune fille tomba malade à son tour, présenta de graves symptômes hystériques, et lorsque je la pris en traitement, il apparut qu'elle avait radicalement oublié cette scène devant le lit mortuaire de sa sœur et le mouvement de haine et d'égoïsme qui s'était emparé d'elle. Elle s'en souvint au cours du traitement, reproduisit cet incident avec les signes de la plus violente émotion, et le traitement la guérit.

J'illustrerai le processus du refoulement et sa relation nécessaire avec la résistance par une comparaison grossière. Supposez que dans la salle de con­férences, dans mon auditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un indi­vidu qui se conduise de façon à me déranger et qui me trouble par des rires inconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi ; sur ce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le personnage à la porte. Il sera « refoulé » et je pourrai continuer ma conférence. Mais, pour que le trouble ne se reproduise plus, au cas où l'expulsé essayerait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venues à mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une « résistance ». Si maintenant l'on transporte sur le plan psychique les événements de notre exemple, si l'on fait de la salle de conférences le conscient, et du vestibule l'inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement.

C'est en cela que notre conception diffère de celle de Janet. Pour nous, la dissociation psychique ne vient pas d'une inaptitude innée de l'appareil mental à la synthèse ; nous l'expliquons dynamiquement par le conflit de deux forces psychiques, nous voyons en elle le résultat d'une révolte active de; deux cons­tellations psychiques, le conscient et l'inconscient, l'une contre l'autre. Cette conception nouvelle soulève beaucoup de nouveaux problèmes. Ainsi le conflit psychique est certes très fréquent et le « moi » cherche à se défendre contre les souvenirs pénibles, sans provoquer pour autant une dissociation psychique. Force est donc d'admettre que d'autres conditions sont encore requises pour amener une dissociation. J'accorde volontiers que l'hypothèse du refoulement constitue non pas le terme mais bien le début d'une théorie psy­chologique ; mais nous ne pouvons progresser que pas à pas, et il faut nous laisser le temps d'approfondir notre idée.

Qu'on se garde aussi d'essayer d'interpréter le cas de la jeune fille de Breuer à l'aide de la théorie du refoulement. L'histoire de cette malade ne s'y prête pas, car les données en ont été obtenues par l'influence hypnotique. Ce n'est qu'en écartant l'hypnose que l'on peut constater les résistances et les refoulements et se former une représentation exacte de l'évolution pathogène réelle. Dans l'hypnose, la résistance se voit mal, parce que la porte est ouverte sur l'arrière-fonds psychique ; néanmoins, l'hypnose accentue la résistance aux frontières de ce domaine, elle en fait un mur de fortification qui rend tout le reste inabordable.

Le résultat le plus précieux auquel nous avait conduit l'observation de Breuer était la découverte de la relation des symptômes avec les événements pathogènes ou traumatismes psychiques. Comment allons-nous interpréter tout cela du point de vue de la théorie du refoulement? Au premier abord, on ne voit vraiment pas comment. Mais au lieu de me livrer à une déduction théorique compliquée, je vais reprendre ici notre comparaison de tout à l'heure. Il est certain qu'en éloignant le mauvais sujet qui dérangeait la leçon et en plaçant des sentinelles devant la porte, tout n'est pas fini. Il peut très bien arriver que l'expulsé, amer et résolu, provoque encore du désordre. Il n'est plus dans la salle, c'est vrai ; on est débarrassé de sa présence, de son rire moqueur, de ses remarques à haute voix ; mais à certains égards, le refoule­ment est pourtant resté inefficace, car voilà qu'au-dehors l'expulsé fait un vacarme insupportable ; il crie, donne des coups de poings contre la porte et trouble ainsi la conférence plus que par son attitude précédente. Dans ces conditions, il serait heureux que le président de la réunion veuille bien assu­mer le rôle de médiateur et de pacificateur. Il parlementerait avec le person­nage récalcitrant, puis il s'adresserait aux auditeurs et leur proposerait de le laisser rentrer, prenant sur lui de garantir une meilleure conduite. On décide­rait de supprimer le refoulement et le calme et la paix renaîtraient. Voilà une image assez juste de la tâche qui incombe au médecin dans le traitement psychanalytique des névroses.

Exprimons-nous maintenant sans images l'examen d'autres malades hysté­riques et d'autres névrosés nous conduit à la conviction qu'ils n'ont pas réussi à refouler l'idée à laquelle est lié leur désir insupportable. Ils l'ont bien chassée de leur conscience et de leur mémoire, et se sont épargné, apparemment, une grande somme de souffrances, mais le désir refoulé continue à subsister dans l'inconscient; il guette une occasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière, mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable; en d'autres termes, l'idée refoulée est remplacée dans la conscience par une autre qui lui sert de substitut, d'ersatz, et à laquelle viennent s'attacher toutes les impres­sions de malaise que l'on croyait avoir écartées par le refoulement. Ce subs­titut de l'idée refoulée - le symptôme - est protégé contre de nouvelles attaques de la part du « moi » ; et, au lieu d'un court conflit, intervient mainte­nant une souffrance continuelle. A côté des signes de défiguration, le symp­tôme offre un reste de ressemblance avec l'idée refoulée. Les procédés de formations substitutives se trahissent pendant le traitement psychanalytique du malade, et il est nécessaire pour la guérison que le symptôme soit ramené par ces mêmes moyens à l'idée refoulée. Si l'on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour - cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées -, alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, une meil­leure solution que celle du refoulement. Une telle méthode parvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le malade convient qu'il a eu tort de refouler le désir pathogène et il accepte totalement ou partiellement ce désir; tantôt le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison, moins sujet à critique (c'est ce que je nomme la sublimation du désir); tantôt on reconnaît qu'il était juste de rejeter le désir, niais ou remplace le méca­nisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale rendu avec l'aide des plus hautes instances spirituelles de l'homme ; c'est en pleine lumière que l'on triomphe du désir.

Je m'excuse de n'avoir pas décrit de façon plus claire et plus compré­hensible les principaux points de vue de la méthode de traitement appelée maintenant psychanalyse. Les difficultés ne tiennent pas seulement à la nouveauté du sujet. De quelle nature sont les désirs insupportables qui, malgré le refoulement, savent encore se faire entendre du fond de l'inconscient? Dans quelles conditions le refoulement échoue-t-il et se forme-t-il un substitut ou symptôme? Nous allons le voir.

Sigmund Freud
(Cinq leçons prononcées en 1904 à la Clark University, Worcester (Mass.) publiées originalement dans l’American Journal of Psychology en 1908. Cet essai a été précédemment publié dans la « Bibliothèque Scientifique des Éditions Payot, Paris ». « Cinq leçons sur la Psychanalyse » a été traduit par Yves LE LAY.