jeudi 28 avril 2011

Elaboration psychique

Terme de psychologie (psychanalyse)
Terme utilisé par Freud pour désigner dans différents contextes, le travail accomplit par l’appareil psychique en vue de maîtriser les excitations qui lui parviennent et dont l’accumulation risque d’être pathologique.
Ce travail consiste à intégrer les excitations dans le psychisme et à établir entre elles des connexions associatives.

En psychanalyse l ' élaboration psychique (allemand psychische verabeitung) désigne le processus de symbolisation, de travail psychique associatif, qui permet de maîtriser les excitations et qui se fait dans une cure psychanalytique.
L'appareil psychique fait face à différentes excitations, potentiellement nocives pour le développement. Il y a un travail psychique spontané, un mode de fonctionnement de l'esprit, qui cherche à lier l'excitation, à la travailler de par l'association de représentations entre elles.
On retrouve une idée similaire dans la théorisation de la compulsion de répétition comme allant au-delà du principe de plaisir.
L'élaboration désigne ici un travail du rêve. Après déplacement de l'affect entre les représentations du rêve et condensation des éléments, le rêve sera remanié par ce que Freud appelle la prise en considération de la figurabilité, ou encore élaboration secondaire.
L'élaboration secondaire du rêve consiste à le scénariser, le transformer en un récit cohérent.

L'élaboration fut d'abord définie par Charcot comme créatrice du symptôme hystérique. Suite à un traumatisme, l'événement est revécu, pensé et repensé, travaillé, symbolisé, jusqu'à ce qu'un symptôme, formation de compromis, survienne en tant que satisfaction pulsionnelle.
Il s'agit là du modèle de l'après-coup : le traumatisme intervient mais le symptôme ne se dégage que plus tard. Ce modèle sera travaillé comme modèle même de la névrose. Selon ce schéma, l'enfant vit sa sexualité infantile et le traumatisme ne crée pas de névrose ; vient ensuite la période de latence ; puis à la puberté survient le symptôme névrotique, conséquence d'un traumatisme infantile.
Selon McDougall, ces deux conceptions de l'élaboration paraissant opposées se complètent, l'élaboration comme formation de symptôme représentant un premier travail psychique, une solution hâtive.

En pratique clinique, le terme de « capacités d'élaboration », concept empirique d'usage, évaluerait, implicitement, la structuration et l'organisation psychique du sujet. Dans la littérature, sont rencontrés des termes similaires (capacités d'élaboration, capacités psychiques d'élaboration, élaboration psychique, élaboration symbolique, mentalisation). Leur signification n'est pas clairement explicitée. Les capacités d'élaboration ont-elles une consistance conceptuelle ? Si oui, s'agit-il d'un concept transdimensionnel ? Le caractère empirique de cette notion émise au terme d'un examen psychiatrique justifie, au préalable, que le rôle du langage, médiateur de la communication verbale, soit envisagé comme l'un des vecteurs de l'activité symbolique du sujet. L'activité de symbolisation permet au sujet d'attribuer subjectivement un sens aux événements qu'il vit, sens s'énonçant principalement par la parole et donc accessible à l'autre. Cette attribution de sens est intrinsèquement variable et relèverait de capacités d'adaptation du sujet. Elle est l'objet de théories explicatives diverses parmi lesquelles la notion de travail d'élaboration psychique (théorie psychanalytique). Sur le plan clinique, le travail d'élaboration psychique aurait une place essentielle dans la psychopathologie du traumatisme psychique, expérience de non-sens ; la restitution du sens participerait à l'obtention d'une résolution de la souffrance ressentie (concept de résilience). Ainsi, les capacités d'élaboration pourraient être considérées comme des outils dynamiques, protéiformes, nécessaires à l'effectivité d'un travail d'élaboration, entre autres, visant à la résolution de conflits intra- ou extrapsychiques et permettant ainsi un ajustement permanent de l'adaptation du sujet à son environnement. Ces caractéristiques justifient leur intérêt clinique dans l'évaluation diagnostique et pronostique (valeur psychopathologique, potentiel de résolution du conflit). En conclusion, les capacités d'élaboration, concept d'usage, auraient donc une existence conceptuelle transdimensionnelle.

Le rêve cadre d’élaboration psychique

 […] Et d’étranges rêves,
Comme des soleils
Couchants sur des grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
A des grands soleils
Couchants sur des grèves.Paul VERLAINE

La théorie freudienne du rêve pose le désir sexuel infantile inconscient comme le moteur du rêve.
 Selon Freud, le rêve est un acte psychique complet. Pour J.B. Pontalis, il a une fonction de liaison en ce qu’il comprend un écran ou espace de rêve, et de la figuration. P. Aulagnier définit l’élaboration psychique comme la liaison entre les images de mots et les images de choses dotées d’une qualité affective particulière. Dans le rêve il y a en effet un espace de figuration (image de chose), des images de mots et des affects. De quelle façon le désir inconscient trouve-t-il sa représentation sur les trois registres de l’originaire (sensoriel), du primaire (figuration) et du secondaire (langage)?

Dans l’œuvre de P. Aulagnier, “l’élaboration psychique”, en ce qu’elle comporte de dynamique de la figurabilité et de la représentation, est un aspect fondamental.
Le numéro 45 de Topique, “Autour du rêve”, était d’une certaine façon un hommage à la fécondité de l’œuvre de P. Aulagnier et aux prolongements qu’elle avait trouvés à travers Micheline Enriquez et quelques autres. “Le rêve cadre d’élaboration psychique” est un texte bref mais dense élaboré par trois participants du IV Groupe au sein d’un groupe de travail pendant l’année 2000. Je me crois autorisé à penser que P. Aulagnier aurait particulièrement apprécié comme hommage que la vitalité de sa pensée perdure dans sa fécondité dans notre travail actuel. C’est à cet hommage que je m’associe autant vis-à-vis de P. Aulagnier que pour l’intérêt que suscite en moi le travail de nos collègues plus récents.
Jean-Paul MOREIGNE
 Ces trois registres constitueraient le cadre d’un travail psychique, d’un processus d’élaboration à l’œuvre dans le rêve.
 L’espace du rêve, c’est l’équivalent psychique interne de l’espace transitionnel, nous dit M. Kahn. C’est la possibilité d’un écart, d’un jeu psychique. Le rêve est à mi-chemin des objets internes et des exigences de la réalité (Pontalis). Il est mis entre l’analyste et l’analysant. Espace de représentation que le rêve, signe d’un écart, d’une différenciation d’où peut surgir la pensée. Permettons-nous une image : la mythologie nous dit que c’est lorsque Gaïa la terre et Ouranos le ciel s’écartent l’un de l’autre que s’ouvre entre les deux un espace de vie pour les humains. L’idée de la séparation, de la différenciation, préside à la possibilité de rêver.
 Le rêve transforme les pensées en images sensorielles, dit Freud. Il y a régression : la représentation retourne à l’image sensorielle d’où elle est sortie un jour.
 Nos rêves de couleurs, d’odeurs (odeurs de l’enfance, goûts oubliés, etc.) nous évoquent l’importance de la dimension corporelle, sensorielle, du registre de l’originaire. Les formules métaphoriques qui illustrent selon Aulagnier le registre de l’originaire (“être en forme”, “se sentir bien dans sa peau”) ne sont-elles pas appropriées pour décrire l’écran du rêve ?
 Lewin fut le premier à évoquer les conditions préalables à l’existence du rêve. L’écran du rêve est la surface sur laquelle un rêve semble être projeté. C’est l’arrière – fond blanc présent dans le rêve. Cet écran serait en rapport avec le sein de la mère. Le sommeil est accompagné d’un mouvement régressif qui pousse à un retour-fusion avec la mère. Pour Lewin, un sommeil sans rêve ne comporte que l’écran blanc. Dans ce sens, nous pourrions dire que le rêve est le premier contact en images de la libido avec le corps maternel. Lewin nous parle d’écran du rêve autour d’un cas. “Une jeune femme me rapporte ce qui suit : j’avais mon rêve tout prêt pour vous, mais tandis que j’étais étendue ici voici qu’il s’est éloigné de moi, qu’il s’est enroulé, roulant et roulant comme un cylindre”.
 L’écran du rêve, avec le rêve projeté sur lui, s’éloigna en arrière d’elle. Or, le fait d’oublier des rêves, nous le savons, n’est pas réductible à une autre forme d’oubli. Oublier ou se rappeler un rêve, cela appartient au contenu du rêve lui-même et peut être analysé au même titre que tout élément du rêve manifeste. En ce qui concerne cette patiente sous la pression de ses résistances, elle était en train d’accomplir son réveil. L’écran du rêve roulant et s’éloignant était l’événement final de réveil complet.
 L’objet du sommeil, c’est le retour aux origines; l’objet du rêve, c’est le désir même, la recherche d’excitation, la pénétration du rêve (Pontalis)

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant …[…]
… Son Nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore
Comme ceux des aimés que la Vie exila …[…]
… Et pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
Paul V ERLAINE

 Selon les kleiniens, l’espace du rêve c’est le contenant interne issu de l’introjection de la mère Pour de nombreux sujets, le processus du rêve est à leur disposition mais non pas l’espace du rêve. “Le processus du rêve est une donnée biologique humaine, mais l’espace du rêve est une conquête du développement de la personnalité, conquête que facilitent les soins donnés au petit enfant”. L’écran sur lequel se déroule le rêve est une métaphore de la mère tout entière en tant que nécessaire à la constitution du sujet. Pontalis souligne : “Freud n’ignorait pas qu’à l’extrême du champ interprétatif, au point asymptotique de ce qu’il appelait le “Livre du rêve ” quelque chose ne saurait être saisi : ce qu’il nomme l’ombilic, ce qui rattache le rêveur à l’inconnu maternel”. Le rêve relie par un scénario ce qui a pu se séparer. La mère des premiers temps remplit un rôle de miroir où le narcissisme de l’enfant trouve une confirmation existentielle et aussi un rôle de pare-excitation. C’est dans ce sens que fonctionne l’écran du rêve. Mais c’est en même temps un écran protection, contre le trop d’excitation, le traumatisme destructeur ? En projetant ses désirs sur l’écran du rêve, représentant la mère, le rêveur cherche à fusionner avec elle, à commettre l’inceste, inceste qui conjugue jouissance et terreur. Mais le rêveur ne commet pas l’inceste même métaphoriquement, puisque l’écran du rêve fait écran à ses désirs. Le rêve viserait le suspens du désir, non la satisfaction accomplie : l’objet du désir serait ici le désir même.
 L’originaire, support sensoriel de la représentation, peut parfois envahir toute la scène psychique. Peuvent survenir alors des moments de fading du moi, la sensation de “tomber hors du monde”. Dans le rêve, si l’originaire nous submerge, n’est-ce pas une des conditions de survenue du cauchemar ? Dans le cauchemar, nous dit Pontalis, “l’enveloppe du rêve a craqué, elle s’est déchirée avant que la lettre qu’elle contenait n’ait pu s’écrire”. L’auteur du cauchemar est “arraché au corps du rêve” (P. Miller). Le passage des représentants inconscients dans préconscient est court-circuité (Anzieu). De même, dans le rêve traumatique dont le scénario répète le trauma, le support projectif (écran, enveloppe ) est là aussi détruit; il faut attendre de la perlaboration un scénario de rêve qui ne soit plus une catastrophe. Un temps préalable est nécessaire dans ce cas, dit Freud, jusqu’à ce que le principe de plaisir reprenne sa domination.
 Le rêve serait la voie royale de l’élaboration, aux trois niveaux de la représentation : emprunts faits par la psyché au fonctionnement du corps, mise en scène fantasmatique, mise en sens idéïque.
 Enveloppe sensorielle du rêve… Figuration… Le rêve puise dans le langage pictural (Aulagnier). Le rêve est une des conditions dans lesquelles on peut retrouver le langage pictural des scénarios infantiles refoulés. Freud : “la pensée du rêve, inutilisable sous sa forme abstraite, doit être transformée en langage pictural”. La régression formelle propre à l’état de sommeil redonne la primauté aux motions pulsionnelles et aux modes d’expression de l’enfance. L’image de chose précède la représentation par image de mot. Le visuel précède l’acoustique, l’image sensorielle est le premier référent de la représentation qu’elle rend possible. Le rêve réalise une mise en scène qui va relier ce qui a pu se séparer. Ce théâtre intérieur relie deux objets et le regard d’un troisième. Les pensées sont figurées car le souvenir visuel exerce une attraction, il y a osmose entre l’inconscient et le visuel.
 Comme le dit Freud : “Le rêve est en somme une régression au plus ancien passé du rêveur, comme une reviviscence de son enfance, des motions pulsionnelles qui ont dominé celles ci, des modes d’expression dont elle a disposé”.
 Mais tous les rêves utilisent-ils la figuration ? Freud parle de rêves idéïques (rêves Autodidasker). Ces rêves, dit-il “jouent avec les noms et les syllabes” qu’ils condensent. C’est l’abaissement de la censure entre cst et incst qui explique ce type de rêve. Il précisera en 1915 : “des pensées de nature très abstraite qui ont dû présenter de grandes difficultés à la figuration dans le rêve… Le travail du rêve doit tout d’abord remplacer le texte abstrait des pensées par un texte plus concret qui lui est lié – par comparaison, par symbolisme, par allusion allégorique ou de façon génétique – et qui devient le matériel du rêve”. Ramener les mots aux représentations de choses.
 Le rêve est un rébus. Le rébus est un déguisement porteur d’une intention. Rébus signifie : “des choses”. Le rêve comme rébus des choses qui ont eu lieu sur la scène psychique infantile ? Ce qui a eu lieu et qui doit être “pris au piège de l’élaboration secondaire”, selon l’expression de P. Miller, pour en affaiblir la trace. La tâche de l’analyste serait donc non pas tant de mettre au passé que de rendre inactuel. Comment l’activité psychique vient à l’homme, au prix de quelle lutte, de combien de compromis arrive-t-elle à se maintenir ? Ce qui est en question c’est la réalité du temps, la réalité psychique, la réalité du monde.

Hier j’ai rêvé que je voyais
Dieu et que je parlais à Dieu
Et j’ai rêvé que Dieu m’écoutait…
Après, j’ai rêvé que je rêvais.
A. MACHADO

 Avant d’atteindre la conscience le processus du rêve suit une marche dans le temps, travail du rêve qui, précise Freud, peut durer plus d’un jour et une nuit : transfert du désir, déformation par la censure, changement de direction régressif, élaboration secondaire. Tout à coup, un événement psychique se produit qui rassemble ce qui était épars qui laisse de côté une partie de ce qui a été élaboré. Un choix s’est effectué. Cette décision qui constitue le rêve en tant qu’objet perceptif pour la conscience, est une scansion, i.e. une temporalisation d’un processus psychique inconscient. La séance d’analyse est conçue sur le modèle du rêve. “Il aura fallu tout ce temps pour comprendre” (Lacan), mais ce n’est pas une raison pour conclure… Par une interruption de la séance.
 Le rêve en analyse a un avenir parce qu’il est pris dans la dynamique transférocontretransférentielle, parce qu’il s’adresse à cet autre silencieux qui sait attendre. L’interprétation du rêve, loin de conclure, ne fait que relancer la capacité de continuer à rêver.
 A côté de la fonction symbolisante du rêve (cf. Ferenczi, Kahn, Meltzer) dont on privilégie l’émergence en psychothérapie, en analyse c’est le désir inconscient infantile qui va se révéler et qui sera l’objet du travail de mise en mots, de mise en sens.
 Les associations se poursuivent bien après les séances d’analyse, repoussant toujours le point d’ombilic. L. Bataille : “De nouvelles associations défilent… Qui m’entraînent loin … Comment n’y avais-je pas pensé auparavant ?”
Le rêve est bref mais il dure (P. Miller).
 Rêve porteur de sens et de l’histoire de notre accès à la symbolisation.


Le sujet endeuillé du suicide : du traumatisme à l’élaboration psychique de la perte (Marc-Elie Huon)

Celles et ceux qui s’engagent dans l’aide psychologique aux sujets endoloris par la mort d’un proche après suicide sont fortement concernés par les failles et le relâchement du lien social que concrétisent généralement les suicides aboutis.
 Aucune forme de cette aide, aussi individualisée soit-elle, ne peut être envisagée sans solliciter d’une certaine manière la communauté humaine dans son histoire et dans son actualité. Plus encore, il se peut même qu’aucune de ces pratiques (professionnelles ou bénévoles) ne se réalise sans que la société ne la commande, ne la mandate et/ou ne la finance. Qui aurait pensé il y a quelques décennies encore à s’intéresser de manière spécifique aux endeuillés après suicide et à la nature même de l’accompagnement ?
 Ma réflexion se centrera sur les aspects suivants :
 – En premier lieu, j’évoquerai la question du traumatisme, la figure qu’il revêt dans le deuil après suicide et les voies de son traitement.
 J’y formulerai quelques propositions sur le cadre à offrir à ces endeuillés.
 – Le deuxième point sera consacré aux sentiments de culpabilité et à leur fonction dans l’économie psychique du sujet endeuillé.
 – Parallèlement, je discuterai des manifestations contre-transférentielles qui guettent certains accompagnants professionnels ou bénévoles et de leurs incidences néfastes sur l’élaboration psychique de la perte.
– Pour conclure, j’énumèrerai quelques conditions pour essayer de rendre le deuil après suicide possible.

L’effet traumatique du suicide

 Il est convenu d’affirmer que chaque deuil possède une charge traumatique. Le deuil par suicide n’échappe guère à cette constance en raison de plusieurs propriétés. Tout d’abord, le suicide partage avec le trauma la violence de l’expérience traversée. Chaque suicide est un acte violent doublement infligé à soi et aux autres.
 D’autre part, c’est une violence subie par l’entourage, imposée du dehors par le geste même du suicide. Comme pour tout trauma, c’est un événement soudain et brutal, provoquant un effet de surprise, un choc qui n’a souvent pas permis la prédictibilité de la mort. Même lorsque le suicidé avait présenté des antécédents suicidaires, la radicalité de son acte imprime toujours une onde de choc.
 Ce traumatisme aigu résulte également de la nature même de la mort, une mort non naturelle, agie par le sujet lui-même. L’auto-imposition de sa mort confronte l’entourage affectif à l’innommable et le social à ses failles. Le suicidé signe, par et dans son acte, son renoncement définitif d’appartenir au collectif social ; il marque sa rupture radicale avec tout lien social dont il semble avoir fait le « deuil ».
De plus, l’incompréhension totale ou partielle de la mort devient pour les proches un véritable non-sens, renforçant de surcroît le caractère traumatique.
 Celui ou celle, parmi les proches, qui découvre le corps du suicidé est confronté(e) à une vision traumatique, celle du réel de la mort. Comme le décrit très bien F. Lebigot « il n’a pas seulement éprouvé dans l’angoisse l’imminence de sa mort, celle-ci s’est imposée à lui comme un réel qui l’a laissé, pendant une fraction de seconde, pétrifié, sidéré, … (il ajoute) cet instant le distingue désormais des autres hommes car il est porteur d’une révélation bouleversante qui s’est installée en lui de manière fulgurante, sous la forme d’une image, celle de l’événement traumatique ». Lebigot F. , Gautier E. , Morand D. , Reges J. L. , Lassagne...

 Il me semble que ce qui est traumatique dans cette vision d’horreur, c’est à la fois de voir le mort, son corps, mais tout autant de voir La Mort à travers lui. Trauma qui marque respectivement la fin de l’illusion d’immortalité et la fin du mythe personnel d’invulnérabilité.
 L’angoisse émane de cette impossibilité de symboliser cette scène dans laquelle le sujet s’imagine mort. En effet, nul n’a en soi une représentation de soi comme mort, un souvenir préalable à l’intérieur du psychisme auquel pourrait se raccrocher cette expérience.
 Ce traumatisme de la perte brutale se vit à plusieurs niveaux : d’une part comme blessure narcissique (ils se vivent souvent comme de mauvais proches) et aussi comme une perte objectale sur le plan imaginaire et fantasmatique.
 L’aspect traumatique est assez souvent majoré par les circonstances de l’annonce de la mort, mais également par l’enquête de police ou de gendarmerie parfois vécue comme accusatrice et par certains propos maladroits tels que « ne t’inquiète pas ; tu verras, ça passera avec le temps » qui résonnent chez l’endeuillé comme des appels à l’oubli voire comme une seconde mort. A ce titre, il convient de développer en France des actions de formation encore trop minoritaires à destination des professionnels du champ judiciaire chargés de recueillir des informations sur la nature même de la mort afin d’écouter les proches et non de les interroger.
 Les premiers temps de la perte confrontent l’endeuillé au choc, voire à la sidération et à l’effroi. Dans ce contexte de perte violente, où le narcissisme est soumis à rude épreuve, la qualité de l’accueil à chaud, les possibilités d’offrir un premier contenant à l’état d’angoisse constituent une première étape importante. Il est important que les endeuillés après suicide sachent que la société peut les accueillir et qu’ils peuvent recevoir une aide psychologique ultérieure. Bien des endeuillés après suicide ne demandent pas d’aide psychologique. Or, il me semble tout à fait clair que l’offre doit anticiper la demande et lui permettre ainsi d’émerger. En effet, le sujet ne connaît pas toujours les possibilités qui lui sont offertes. Dans le domaine de l’effraction psychique, il est probablement illusoire d’attendre l’énonciation d’une demande d’aide et encore moins une demande construite de la part du sujet qui en est l’objet, du moins dans les premiers instants.
 Qui plus est, il convient d’accorder et d’aménager à la souffrance une place principale au sein du soutien psychologique puisqu’elle assure d’une certaine manière la permanence de l’autre absent à l’intérieur du sujet en deuil. Elle peut constituer pour le sujet le dernier rempart contre le néant. J. D. Nasio écrit que la douleur du deuil est aussi une douleur de liaison. « Penser que ce qui fait mal, ce n’est pas de se séparer mais de s’attacher plus fort que jamais à l’objet perdu… (Il ajoute) si avec cette thèse à l’esprit vous écoutez un sujet endeuillé qui vous parle de la douleur qui l’étreint depuis la perte d’un être cher, vous serez sans doute étonné. Etonné de sentir que sa douleur n’est pas tant de ne plus avoir près de soi l’être aimé, mais de l’avoir présent, plus présent que jamais ». J. D. Nasio, Le livre de la douleur et de l’amour, Paris,...
 

 L’expression de la souffrance n’est pas à entraver dans la mesure où le vécu de cette souffrance tient lieu aussi d’hommage au mort, de preuve d’amour. Indiquons que la neutralisation de cette souffrance par le biais d’une médication excessive porte atteinte à l’élaboration psychique de la perte. Une surmédicalisation de la souffrance, comme l’a montré M. F. Bacqué, objecte au travail indispensable de la remémoration en instaurant des clivages durables et fait naître ponctuellement chez l’endeuillé des sentiments d’usurpation. Même si aujourd’hui, beaucoup d’omnipraticiens l’ont compris, d’autres continuent allègrement à faire taire la souffrance du sujet avec la promesse du médicament et du même coup le sujet tout simplement.
 Michel Hanus a souligné clairement dans ses publications que le travail d’intériorisation psychique de la perte peut être gelé par le déni et le clivage psychique. Je laisse de côté le déni car selon mon expérience, le clivage apparaît être un procédé défensif plus tenace dans la clinique du deuil après suicide.
 Le clivage psychique, mécanisme de protection lui aussi inévitable à la découverte de cet événement – qu’on ait été témoin ou qu’on ait reçu le récit des circonstances – s’il n’a pu être désamorcé en raison de moments d’anesthésie affective, peut persister durablement et donner lieu à une complication de deuil. Cliniquement, cela se traduira, soit par l’absence d’affects liés à la scène, soit par l’absence prolongée d’images mentales, ou enfin par la sur-présence d’images traumatiques qui vient court-circuiter tout travail associatif.
 Dans ces conditions, il me semble absolument nécessaire de solliciter le sujet pour qu’il réévoque l’événement à travers les premières images mentales liées à l’annonce de la mort ou à la découverte du corps du défunt, ainsi que les premiers éprouvés sensoriels et émotionnels, ou encore les premières expériences de ritualisation. Ceci pour tenter d’amorcer une nouvelle liaison entre l’affect douloureux et une représentation de l’image concernée et rendre possible le travail d’intériorisation de la perte.
 Parler de l’événement, parler de soi dans l’événement, vise à essayer d’épuiser le trauma, de fractionner l’image traumatique, de construire des liens morceau par morceau, avec des représentations.
 Fréquemment, à la question du ressenti de l’événement, les sujets répondent par des métaphores qui vont aider à l’insertion de l’événement dans leur histoire pour qu’il acquière progressivement un statut de représentation et non plus de pur réel effroyable.
 Cette revisite de la scène traumatique nécessite la mise en place d’un cadre solide qui peut accueillir les affects violents et les angoisses les plus primitives. Dans cet espace, l’accompagnant se doit d’être actif et capable d’empathie rapide, notamment en soutenant par des relances actives. En effet, au cours des premiers entretiens, le silence de l’accompagnant ne pourrait renvoyer l’endeuillé qu’à la répétition d’une situation de détresse. Au niveau de la neutralité de l’accompagnant, il est impératif d’en conserver le non jugement, de ne rien vouloir pour l’endeuillé et de ne pas prendre position par rapport à l’auteur de l’acte suicidaire en se plaçant d’emblée du côté du bon objet.
 En fait, les capacités d’empathie de l’accompagnant, ses qualités de rentrer en résonance émotionnelle avec la douleur de l’intéressé tout en conservant une identification maîtrisée à son endroit, constituent selon moi, les pivots techniques de l’aide psychologique.

La force dynamique des sentiments de culpabilité

 La plupart des auteurs s’accordent à dire que le deuil après un suicide se signale par l’inflation des sentiments de culpabilité ou dit d’une autre manière par la férocité de leur Surmoi. L’endeuillé semble « condamné » pendant un temps non objectivable à expier le droit d’être et de demeurer en vie.
 Face à des sujets ayant perdu un proche par suicide, le premier mouvement intuitif est de « déculpabiliser ». Pourtant si nous le faisons, alors tout le saillant, la substance même de l’événement, toute l’originalité de l’expérience vécue et fantasmée avec le suicidé seront annulées et l’endeuillé ne parlera que d’une place de pure victime que nous lui aurons d’emblée attribué. La culpabilité est structurante pour l’individu qui, objectalisé par l’événement subi du suicide, peut ainsi redevenir sujet. Sa présence est plutôt de bon augure car ce sentiment témoigne du fait que l’endeuillé n’est pas devenu un objet manipulable à volonté. De ce fait, elle peut être un moyen de résister au risque de néantisation. L’endeuillé par suicide en s’appuyant sur la culpabilité peut redevenir sujet de ce qui arrive. Paradoxalement, elle sert de moteur à la reconstruction du sujet.
 La culpabilité consciente correspondant aux auto-reproches, erreurs affichées par l’endeuillé, est particulièrement renforcée dans le deuil après suicide en raison de l’impuissance où le sujet s’est finalement trouvé à pouvoir aider efficacement l’être aimé qui s’est finalement tué.
 Cette culpabilité paraît différer selon les conditions de la perte. La première est celle où le suicide fut précédé de signes pré-suicidaires voire de tentatives de suicide. Michel Hanus M. Hanus, B. M. Sourkes, Les enfants en deuil, Paris, Frison-Roche,...
 
souligne que ces antécédents permettent la mise en place préalable du processus de pré-deuil, position que notre pratique nous invite à nuancer au regard des attitudes de déni, de banalisation des actes suicidaires, même répétés, ayant barré l’accès à un pré-deuil du côté de l’entourage.
 L’autre situation est celle du raptus suicidaire. Le sentiment conscient de culpabilité est majoré dans la mesure où l’acte brutal vient signifier subitement à l’endeuillé que sa connaissance de l’être aimé n’était que partielle, qu’il y avait des dimensions inconscientes qui lui échappaient dans la relation à l’autre. Perte brutale de sa toute-puissance sur l’autre mais aussi de l’illusion de détenir un pouvoir sur sa vie et enfin de disposer d’un savoir absolu à son égard, ce qui ouvre à la problématique du sens.
 En effet, parmi les réactions particulièrement présentes dans un deuil après suicide, il faut citer la recherche effrénée, compulsive de sens, que l’on peut comprendre comme une tentative de maîtrise de l’endeuillé pour échapper à la désorganisation. Pourtant, la progression dans son deuil sera en partie déterminée par ses capacités à renoncer à tout savoir, à tout comprendre de cet acte si étrange, c’est-à-dire à occuper indéfiniment cette place d’interprète en quête de sens. L’évolution de son deuil sera étroitement liée à sa capacité de reconnaître et d’accepter la part d’insondable, de mystère, inhérente au suicide de l’autre. La recherche « pulsionnelle » du sens s’apaisera au moment où l’endeuillé attribuera, paradoxalement, à cette mort qui est en soi pur réel, hostile et étrangère, une valeur symbolique. Celle, à minima, que le suicide, à défaut de le comprendre, est toujours le signe tangible d’une souffrance insupportable.
 Le suicide de l’être cher contraint l’endeuillé à penser. Poussé à penser, il élabore une version explicative du suicide, un « roman personnel du suicide » qui s’apparente à ce que R. Gori et M. J. Del Volgo Del Vogo M. J. , Gori R. , Poinso Y. , « Roman de la...
 
(1994) ont nommé « roman de la maladie ». Cette théorie profane rencontre souvent des obstacles dans sa création lorsque l’endeuillé, happé par la pulsion épistémophilique, recense l’abondance des théories explicatives disponibles et désormais consultables sur internet. Ainsi, j’ai le souvenir d’un homme dont l’épouse s’était pendue quelques mois avant qu’il ne consulte et qui procéda à l’examen attentif de toutes les données relatives au phénomène suicidaire répertoriées sur le web. La finalité était claire : « trouver la cause » selon ses propres termes. Il traversa des moments de désarroi et de découragement devant la somme des approches proposées et surtout au regard des inéluctables dissonances inhérentes aux nombreux modèles de compréhension du suicide. Plus il se documentait, moins il savait. Son amélioration psychique est survenue quand il mit un terme à cette recherche compulsive et surtout créatrice de confusion.
 Il est probable que les personnalités au narcissisme très exigeant ressentiront les pires difficultés à interrompre cette quête compulsive de sens, refusant d’accéder à un savoir, lequel nécessite la reconnaissance d’un manque.
 Lorsqu’ils énoncent leur culpabilité, certains font référence à une image idéale d’eux-mêmes remise en cause par leur attitude : « je n’ai pas voulu voir et je n’ai pensé qu’à moi ».
 Ainsi, leur propos concernant leur culpabilité, à certains moments, se teintent de honte et se confondent avec elle. Ils représentent plutôt une attaque de l’estime de soi, une blessure narcissique de n’avoir pas tenu le coup, de n’avoir pas été à la hauteur de ses ambitions, d’avoir été passif, d’avoir laissé faire. Là encore, il ne s’agit pas d’évacuer hâtivement la honte, mais de lui donner toute sa valeur dans la restauration et l’affirmation de l’identité du sujet, et de favoriser ainsi une relance de l’estime de soi.
 Pourtant, les manifestations de la culpabilité consciente ne sont pas suffisantes pour que s’opère convenablement le travail de deuil. Elles font même souvent obstacle à l’émergence nécessaire de la culpabilité inconsciente.
 Les sentiments inconscients de culpabilité sont directement liés à l’ambivalence des liens qui unissaient le défunt et le survivant.
 Cette ambivalence des liens est difficile à reconnaître, à mobiliser (et ne sera rendue possible que par la présence d’un tiers) car elle attaque l’autre dans sa propre image. Le dévoilement de l’ambivalence empêche en réalité que ne s’installe l’idéalisation prolongée à l’autre disparu, l’amour cristallisé autour de son image idéalisée qui risqueraient d’aboutir à un passage à l’acte suicidaire ou à une mélancolisation. L’actualisation consciente de l’ambivalence est très progressive et réclame souvent du temps.
 L’exemple d’une jeune agricultrice endeuillée par le suicide de son mari le montre bien : après des mois de souffrance dépressive majeure où elle ne parle de son mari qu’en termes idéalisés, elle évoque les reproches faits à son mari relatifs aux circonstances de sa mort. Ces reproches ciblés feront répétition pendant plusieurs séances, jusqu’à ce qu’elle s’autorise à évoquer l’intense conflictualité de la relation avec son mari, décrite comme étant « un enfer depuis quelques mois », tout en ajoutant de manière laconique « je venais de demander le divorce ». Les rencontres suivantes révélèrent l’amorce d’un réinvestissement, jusque-là impossible, du monde extérieur (invitations, sorties).
 C’est dire que la traversée d’un deuil dépend étroitement de la possibilité pour l’individu d’intégrer les culpabilités et agressivités vis-à-vis de la personne absente, c’est-à-dire de réactualiser l’ambivalence. Nous rejoignons là la conception du travail de deuil de D.W. Winnicott.
 Freud, en son temps, avait déjà repéré que la mélancolie était évitée par le vécu conscient de la lutte dialectique entre l’idéalisation à l’objet perdu et la haine qui permet d’y mettre un terme.
 L’aspect fondamental de l’accompagnement porte, de ce fait, sur le destin des affects agressifs. L’agressivité est double, celle qui est infligée par l’acte même du suicide aux autres qui restent et celle que ces derniers éprouvent souvent secrètement vis-à-vis du défunt.
 L’extériorisation de l’agressivité à l’égard de l’objet perdu évite qu’elle ne se décharge sur le Moi du sujet endeuillé et ne produise sa dissolution, voire son extinction. Ainsi, examiné sous cet angle, le deuil après suicide augmente le risque de mortalité par suicide.
46 Cette agressivité trouvera peut-être sa résolution par le pardon. Pardonner, c’est admettre que l’autre nous a offensé, violenté par son geste, mais aussi reconnaître qu’on ne lui tient plus rigueur. Julia Kristeva a proposé en 1998 une réflexion sur la notion de pardon qui a retenu mon attention pour la compréhension psychodynamique du deuil par suicide. Elle rappelait que « le pardon n’est pas un effacement, il opère une coupure de la chaîne persécutrice des causes et des effets, une suspension du temps à partir de laquelle il est possible de commencer une autre histoire ». « Commencer une autre histoire » Kristeva J. , « Mémoire et santé mentale »,...
suite
, ouvrir la possibilité de renouvellement sont, me semble-t-il, les voies offertes par le pardon à celles et ceux qui, au cours de leur deuil, y accèdent. Par le pardon, la violence persécutrice du suicide se transforme en recommencement.
 Par ailleurs, le mot rémission habituellement employé dans l’évolution de certaines pathologies (les cancers en particulier), m’apparaît traduire la même idée que le pardon tout du moins dans son acception religieuse c’est-à-dire l’absolution, la remise de peine après la reconnaissance du « pêché ». En effet, c’est bien de remise de peine, de chagrin dont bénéficie et éprouve un certain nombre de sujets endeuillés après un suicide au fil de leur itinéraire psychique en vivant le pardon ou la rémission. Ainsi, tout se passe comme si la sanction incarnée par le suicide de l’autre arrivait à sa terminaison.

Les manifestations contre-transférentielles

 Elles ne manquent jamais. Généralement le transfert est massif et immédiat, parce que le sujet endeuillé est désorganisé voire morcelé par l’événement violent. Il a perdu transitoirement ses contenants psychiques et s’étaye provisoirement sur ceux de l’aidant. Ce dernier se doit d’éviter plusieurs écueils :
 – Le deuil par suicide fait parfois résonance avec les deuils personnels mal symbolisés, d’où la nécessité pour l’écoutant d’avoir cicatrisé les blessures narcissiques consécutives à des pertes personnelles.
 – La volonté de comprendre le suicide, d’en reconnaître les raisons intimes. Le danger tient alors à la tentation de s’identifier au suicidé en rendant secondaire la parole et la place du sujet en deuil.
 – Une attitude intellectuelle vis-à-vis de l’endeuillé ayant valeur de défense contre la douleur et la peur occasionnées par le suicide. Cette posture empêche un partage émotionnel et barre l’accès au transfert.
 – L’idéalisation inconsciente, voire consciente, du suicide de la part de certains adultes même soignants. Il me semble pernicieux pour ces endeuillés de rencontrer de tels adultes adoptant des positions idéologiques par risque de leur transférer ce type d’idéalisation. Aussi, l’éthique est fondamentalement convoquée lorsqu’on œuvre pour une prévention du suicide ou lorsque nous sommes engagés dans l’accompagnement d’endeuillés par suicide. Ne l’oublions pas car sans elle (l’éthique), une politique de la permissivité totale ou de son contraire autrement dit l’hygiénisme est à craindre.
 En tout cas, tous ces risques contre-transférentiels imposent que chaque accompagnant fasse sa « toilette contre-transférentielle » selon l’expression de Barrois pour se protéger de ses propres projections.

Les conditions de résolution du deuil par suicide

 – La possibilité de se désidentifier de la cause de la mort, tout en admettant l’ambivalence inévitable du lien au disparu. Le sujet parvient à se sevrer de la toute-puissance de ses pensées et désirs.
 – Le deuil par suicide implique un renoncement à posséder les coordonnées logiques de l’acte suicidaire. Le sujet se résigne à connaître la vérité de l’auteur de l’acte et se limite au scénario explicatif qu’il a lui-même élaboré.
 – Le deuil par suicide passe probablement par la voie du pardon. Le sujet se pardonne ses fautes imaginaires et/ou réelles et pardonne à l’être aimé son acte de désespoir.
 – L’issue sera fonction de l’offense narcissique consécutive à la perte ; elle-même dépendante de la vulnérabilité des assises narcissiques antérieures de l’endeuillé tout comme de la place de cet événement dans l’histoire du sujet.
 – Il faut aussi, tout particulièrement pour le deuil par suicide, que les générations psychiques soient suffisamment différenciées, que les imagos familiales ne soient pas brouillées, pour rendre possible le nouage de la chaîne généalogique et empêcher les répétitions transgénérationnelles de certains actes suicidaires.
 – Le deuil par suicide doit être fortement ritualisé, symbolisé et vécu en commun. Il a besoin d’une cicatrice généalogique. Dans les morts par suicide, l’héritage psychique qui vise symboliquement à assurer une continuité entre les générations est en péril. Le traumatisme, la honte, l’incertitude relative aux véritables motifs de l’agir suicidaire constituent autant de facteurs qui augmentent considérablement après coup la formation de secrets de famille ayant pour effet de rendre périlleux le travail pourtant impérieux de la transmission. La question de savoir ce dont l’endeuillé hérite à travers les âges, ce qu’il partage avec ses descendants et ce qu’il leur transmet se pose avec acuité au cours du deuil après suicide.

Conclusion

 Traumatisme, sentiments de culpabilité, honte, non sens, offense narcissique : ces éprouvés s’activent inéluctablement lorsqu’un sujet est exposé à la mort d’un objet élu à la suite d’un suicide. L’élaboration de cette perte si particulière implique un étayage externe qui ne peut être suffisamment mené par les proches, eux-mêmes affectés par la tourmente du deuil. Entre l’aide familiale et la réponse psychiatrique, il manque encore dans notre pays un espace intermédiaire. Les associations d’aide et d’écoute sont les représentantes de ces espaces interlopes mais elles demeurent mal réparties géographiquement en France et encore méconnues du plus grand nombre. Or, il est important que l’offre d’aide soit identifiable socialement pour qu’une demande émerge.
 Globalement, les soignants sont peu à l’aise avec la question de la prévention dans la mesure où, lorsqu’ils ont une formation psychanalytique, cela va à l’encontre de la sacro sainte question de la demande dont on peut toujours attendre qu’elle se manifeste. Avec les endeuillés, en particulier suite à un suicide, il est nécessaire, me semble-t-il, d’être actif, d’aller vers eux, de leur proposer socialement une aide.
 Pour l’aidant, trouver la bonne distance est toujours délicat, d’où l’utilité de travailler en équipe pour repérer ses propres limites et éviter l’épuisement. En effet, les aidants auront à traiter l’importance des fantasmes corrélés au trauma du suicide, ainsi qu’à garantir une certaine réalité. Le danger qui les guette est de projeter un univers de malheur sur l’avenir de la personne qui a vécu un événement traumatique comme peut l’être le suicide. L’essentiel réside, de mon point de vue, au niveau de la prise en considération de la singularité de l’histoire qu’on nous laisse entendre, afin d’éviter une modélisation de l’accompagnement. Depuis peu, dans le cadre des programmes de prévention du phénomène suicidaire, un intérêt particulier est porté aux endeuillés du suicide, espérons que cette mobilisation toute récente ne retombera pas comme un soufflet.

dimanche 17 avril 2011

Egoïsme


Egoïsme (terme de psychologie et de morale). - L'égoïsme est une habitude de la volonté individuelle qui dans toutes ses démarches ne se propose plus d'autre fin que ses propres intérêts. L'égoïsme ne doit pas se confondre avec l'amour-propre. L'amour-propre, très bien analysé par Jouffroy (Premiers Mélanges), n'est autre chose que l'inclination par laquelle l'homme est porté à s'aimer lui-même. En soi une telle inclination n'a rien de blâmable, pourvu qu'elle soit contenue dans de justes bornes. Chaque individu, en effet, a sa raison d'existence, et il n'y a rien que de raisonnable à ce que l'individu lui-même adhère à la raison qui légitime son être. Mais l'amour-propre est subtil et envahissant de sa nature. La Rochefoucauld (Maximes) et la plupart des moralistes ont très bien montré comment il poussait l'homme à sortir de la raison, à se voir en toutes choses et à se chercher partout, c.-à-d. à devenir égoïste. Ainsi l'amour-propre est la tendance naturelle dont l'égoïsme est une exagération. L'amour-propre peut être contenu dans des limites raisonnables; l'égoïsme est toujours déraisonnable et vicieux. Et comment pourrait-il en être autrement puisque la raison consiste à agir conformément à la loi, c. -à-d. selon des fins impersonnelles et universelles, et que l'égoïste au contraire n'agit qu'en vue de ses fins personnelles et singulières ?
Il ne serait pas juste de confondre l'égoïsme avec ce que quelques philosophes ont appellé l'égotisme (Maurice Barrès, Un Homme libre; Paris, 1889, in-18) et qui consiste dans la culture attentive des diverses facultés du moi et dans la jouissance des sentiments raffinés qui résultent de cette culture. La première partie ou la culture du moi, loin d'être égoïste, est au contraire le résultat d'un noble souci de la perfection; mais la seconde partie, qui n'est qu'une sorte de dilettantisme psychologique et moral, ne peut guère se défendre du reproche d'égoïsme. (G. Fonsegrive).
Importance de l'intérêt que le moi d'un sujet se porte à lui-même.
Si, dans le narcissisme, c'est le moi qui est prit pour objet par les pulsions sexuelles, dans l'égoïsme le moi aura une place prédominante et une fonction d'emprise, notamment sur l'entourage.
Précisons qu'égoïsme et narcissisme sont complémentaires, Freud disant du narcissisme qu'il est le "complément libidinal de l'égoïsme". L'égoïsme est un facteur important de désocialisation.

L'égoïste est défini comme un individu qui ne tient compte que de ses propres désirs et intérêts pour avancer dans la vie. Cette attitude n'est pourtant pas l'expression d'un amour démesuré pour sa personne. Faisons le point sur ce vilain défaut.


L'égoïsme du latin .égo, moi est une attitude intellectuelle de celui qui ramène tout à soi.
En psychologie, l’égoïsme désigne la tendance  ; légitime d'après l'égoïste ; à se défendre, à se maintenir et se développer. En ce sens ce n'est qu’un aspect de l’instinct de conservation. A ce stade le terme n’est aucunement péjoratif. Il ne le devient que lorsqu’il désigne, au sens étroit, l’attachement excessif porté à soi-même, allant jusqu’au mépris d’autrui.
Il prend alors le caractère d’une anomalie, d’un facteur d’insociabilité, même lorsqu’il s’agit d’un égoïsme à deux (le couple) ou à trois (le couple et l’enfant).
Sur le plan moral, l’égoïsme s’oppose à l’altruisme, il se nomme alors égocentrisme, individualisme et s’oppose à toute forme d’engagement vers l'autre de manière volontaire et désintéressé.
L’égoïsme et son contraire l’altruisme sont, dans une certaine mesure, affaire de culture.Dans certaines cultures et sociétés, l'individualisme est plus développé et même recherché et cultivé .C'est d'ailleurs le cas de bon nombre de société occidentales oû on nous pousse à chouchouter nos petits « moi  », à cultiver nos singularités. Il nous offre un maximum de liberté, mais, en cas de coup dur (chômage, séparation, maladie), il nous rend plus vulnérables que ne le sont les membres des sociétés collectivistes, puisque nous ne pouvons alors compter que sur nous-mêmes.
  • L’égoïsme définit l’attitude de celui qui porte un vif intérêt à son moi, avec souvent pour conséquence un manque de générosité et de considération pour autrui. Il peut mener au repli sur soi et à la désocialisation. C’est le contraire de l’altruisme.
  • L’égocentrisme consiste à se croire le centre du monde – croyance mégalo maniaque – et à tout ramener à soi.
  • Le narcissisme est, selon Freud, le complément de l’égoïsme. C’est une passion obsessionnelle pour son image, qui tend à déboucher sur le culte de l’apparence.
  • L’individualisme incite à privilégier les valeurs individuelles (autonomie, liberté de choix) et à refuser la soumission au groupe (famille, clan, parti). Il favorise les comportements égoïstes, mais les individualistes ne sont pas tous obnubilés par leur moi.



L'égoïsme est le trait de caractère d'une personne dont les agissements et les pensées sont uniquement tournées sur ses propres intérêts sans tenir compte d'autrui. On reconnaît facilement une personne égoïste car elle est centrée seulement sur elle et ne se soucie guère des autres pour organiser sa vie et ses activités.
Les relations d'un égoïste avec son entourage sont toujours placées sous le signe du profit, c'est pourquoi il a peu d'amis et généralement il est célibataire.
Pourtant, ce trait de caractère trouve ses racines dans la petite enfance, quand l'enfant accapare  toute l'affection et l'amour de ses parents et qu'il est uniquement tourné sur ses besoins et la satisfaction de ses désirs immédiats.
À ce stade, l'enfant est choyé et les parents lui transmettent progressivement la confiance dont il a besoin pour s'aimer, s'ouvrir aux autres et donner de l'amour à son tour.
Parfois, l'enfant peut être bloqué et ne franchit pas cette étape où le monde se rapporte uniquement à lui-même ; il développe alors ce trait de façon plus ou moins forte.
L'égoïste souffre d'un manque de confiance en lui et d'une incapacité à transmettre et  donner, il est bloqué dans cette image de l'enfant qu'il était dans le passé.
La première étape pour sortir de cet état est la prise de conscience de votre égoïsme : progressivement, vous allez vous ouvrir aux autres, échanger avec eux, peut être apprendre à donner sans rien recevoir en échange, cela contribuera à vous valoriser et à ce que vous retrouviez une certaine estime de vous-même.


L'égoïsme est un trait de caractère, l'attitude d'une personne dont les actions ou les idées sont uniquement orientées par ses propres intérêts, sans prendre en compte les nécessités d'autrui.
Par exemple :
  • une utilisation abusive d'un pouvoir quelconque.
Le terme est presque toujours utilisé de façon péjorative. Les philosophes Max Stirner et Ayn Rand qui prônent l'égoïsme, font figure d'exception.
L'égoïsme, qui ne considère que ses intérêts personnels, se distingue de l'individualisme, qui considère les droits, les intérêts et la valeur des individus (non le sien uniquement) et privilégie leur autonomie face aux institutions sociales et politiques. L'égoïsme se distingue également de l’égocentrisme, tendance à ramener tout à soi, à se sentir le centre du monde, à ne concevoir le monde que de son seul point de vue. Il est possible mais difficile d'être égocentrique sans être égoïste, la vision du monde égocentrique conduit tout droit aux comportements égoïstes.
L'égoïsme est souvent associé à une absence d'empathie, à un non-respect d'autrui, à de l'insouciance.
L'égoïsme est opposé à l'altruisme.
L'égoïsme peut se baser sur l'idée d'importance de soi et l'instinct de survie, à savoir l'ensemble des tendances ou instincts qui poussent l'individu dans le sens de sa conservation à court terme et de son développement personnel. C'est ignorer qu'à moyen terme et à long terme, notre existence dépend de celle des autres.

 Citations

« Il est aussi ridicule de déplorer l’égoïsme et la perfidie des gens que de regretter que seule la courbure du champ électrique augmente l’intensité du champ magnétique », Von Neumann (célèbre mathématicien du XXe siècle ayant travaillé sur des problèmes mathématiques où l'irrationalité ou la rationalité de l'être humain étaient à prendre en compte, tel le jeu de la vie). Variante : « .. que la terre soit ronde ».
« L'égoïsme n'est pas vivre comme on le désire, mais demander aux autres de vivre comme on veut qu'ils vivent », Oscar Wilde.
« Un égoïste, c'est quelqu'un qui ne pense jamais à moi ! ». Sacha Guitry

Une question de culture

L’égoïsme et son contraire l’altruisme sont, dans une certaine mesure, affaire de culture. L’individualisme de nos sociétés nous pousse à chouchouter nos petits « moi », à cultiver nos singularités. Il nous offre un maximum de liberté, mais, en cas de coup dur (chômage, séparation, maladie), il nous rend plus vulnérables que ne le sont les membres des sociétés collectivistes, puisque nous ne pouvons alors compter que sur nous-mêmes. À l’opposé, certains ont pu découvrir, par exemple lors de vacances dans le Maghreb, l’hospitalité de villageois berbères possédant le strict minimum, mais prêts à offrir le thé, la galette et le couscous, sans rien demander en échange. Dans les sociétés collectivistes, où c’est le « nous » qui compte, l’égoïsme est nettement moins fréquent. Celui qui peut, celui qui a, donne, sans se poser de questions.

Nul ne naît altruiste

Que nous soyons nés dans une société collectiviste ou individualiste, durant nos premières années, nous sommes tous des petits Narcisse ne songeant qu’à leur plaisir immédiat. Aucune gratitude pour ceux qui nous font du bien : ils nous le doivent. Et ils ne nous intéressent qu’en fonction de leur utilité pour notre moi. Cet égocentrisme fait partie du développement normal. D’ailleurs, chez le jeune enfant, il a son utilité : il permet d’accéder à la conscience de soi et c’est un préalable indispensable à l’estime de soi. L’enfant sort de son univers mental égocentrique vers 7-8 ans, avec la reconnaissance de l’autre, la capacité progressive à éprouver de l’empathie et l’aptitude à se montrer curieux d’autrui.

Certains, pourtant, conserveront toute leur vie une forte tendance à ne s’intéresser qu’à eux-mêmes et à se prendre pour le centre du monde. Le futur grand égoïste est généralement enfant unique ou le chouchou – il est rarement issu d’une famille nombreuse. Il est adulé par un entourage béat s’extasiant sur ses moindres faits et gestes, prêt à sacrifi er sa tranquillité et sa liberté pour lui. Il en conclut logiquement que son moi est vraiment le plus intéressant qui soit. Mais s’il est une étape cruciale dans le rapport au don et à l’échange avec autrui, c’est l’apprentissage de la propreté sur le pot. Jusqu’alors, c’est toujours l’enfant qui réclame (de l’aide, de l’attention, à manger…). Là, la situation se renverse : les adultes lui demandent de « faire ». Or, des parents qui exigent trop autoritairement les produits de l’intestin de leur enfant comme s’il s’agissait d’un dû (« Tu resteras ici tant que tu n’auras pas fait ») l’inciteront à se sentir agressé par toute demande. Ils induiront un égoïsme défensif patho logique, par lequel il se protégera des sollicitations d’autrui, presque toujours vécues comme inquiétantes.

Une négociation permanente

À 32 ans, Lætitia est un modèle de dévouement : « Je suis l’aînée d’une famille de sept enfants, j’ai depuis toujours l’habitude d’être à l’écoute, de ne pas la “jouer perso”. Et puis mes parents sont des gens ouverts, dynamiques, qui nous ont transmis l’amour du partage, le plaisir de faire plaisir. Mais attention, je sais aussi dire “stop”, ne pas me laisser envahir et me faire respecter. » Cette petite dose d’égoïsme est effectivement nécessaire à notre survie psychique et même, parfois, à notre survie tout court. Le problème qui se pose à chacun de nous est qu’il n’existe aucun schéma comportemental préétabli susceptible de nous indiquer où placer la limite. Faut-il vraiment que je rende visite samedi à ma vieille tante qui m’adore, alors qu’après une semaine de travail, j’ai besoin de me détendre avec des amis ? Dois-je passer mes vacances à la montagne, bien que je déteste cela, parce que mon partenaire est fan de ski ? Dois-je rester, pour mes enfants, avec un compagnon peu attentionné qui me trompe ? Faut-il vraiment que, malgré mon petit salaire, je dépanne ma copine chômeuse qui promet de me rembourser, alors que la probabilité que je ne revoie jamais mon argent est grande ? Chaque fois, nous devons négocier avec notre sens du devoir, nos intérêts personnels, notre instinct de survie psychique, nos envies de plaisirs… Sans oublier que nos pulsions égoïstes et altruistes dépendent également de notre humeur du moment.

Pour un égoïsme bien tempéré

Selon le philosophe Jeremy Bentham, notre vie durant, nous restons guidés par la quête du plaisir et de notre propre intérêt. Or, cette impulsion à penser d’abord à soi est parfois bénéfi que à l’autre. Plusieurs études (In Altruisme ou égoïsme ? Une différence de genre d’Emmanuelle Aguettaz, Marie Dejardin et Marie Girard - www.psy.univ-bpclermont.fr/~dambrun/TDPIC/PIC6_2005_altruisme_egoisme.pdf)ont montré que les personnes mues par ces motivations égoïstes (se donner bonne conscience, trouver insupportable le malheur d’autrui, etc.) persévèrent davantage dans les associations caritatives que celles ayant des motivations altruistes. À l’inverse, les individus plus tournés vers les autres dépendent tellement du groupe que s’ils n’obtiennent pas suffisamment son approbation, ils sont déçus et renoncent plus facilement que les égoïstes. Se soucier de soi est psychologiquement sain. Ce qui ne l’est pas, c’est de ne se soucier que de soi. Ou de ne pas s’en soucier suffi samment, se sacrifi er en permanence. Finalement, ce qui est nocif, ce n’est pas de vivre selon nos désirs, c’est de les imposer à notre entourage.

Egoïsme, égocentrisme...

Quelques nuances

L’égoïsme définit l’attitude de celui qui porte un vif intérêt à son moi, avec souvent pour conséquence un manque de générosité et de considération pour autrui. Il peut mener au repli sur soi et à la désocialisation. C’est le contraire de l’altruisme.

L’égocentrisme consiste à se croire le centre du monde – croyance mégalomaniaque – et à tout ramener à soi.

Le narcissisme est, selon Freud, le complément de l’égoïsme. C’est une passion obsessionnelle pour son image, qui tend à déboucher sur le culte de l’apparence.

L’individualisme incite à privilégier les valeurs individuelles (autonomie, liberté de choix) et à refuser la soumission au groupe (famille, clan, parti). Il favorise les com

 Sigmund Freud

) "Dans le cours des siècles, la science a infligé à l'égoïsme naïf de l'humanité deux graves démentis. La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine' ait déjà annoncé quelque chose de semblable.
2) Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace' et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains.
3) Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique.
4) Les psychanalystes ne sont ni les premiers ni les seuls qui aient lancé cet appel à la modestie et au recueillement, mais c'est à eux que semble échoir la mission d'étendre cette manière de voir avec le plus d'ardeur et de produire à son appui des matériaux empruntés à l'expérience et accessibles à tous. D'où la levée générale de boucliers contre notre science, l'oubli de toutes les règles de politesse académique, le déchaînement d'une opposition qui secoue toutes les entraves d'une logique impartiale".
Introduction à la psychanalyse (Payot, page 266)


Altruisme comme mécanisme de défense

                          L'altruisme tel qu'il est défini en psychiatrie ou en psychanalyse n'est pas sans relation avec son sens ordinaire, mais, sans entrer ici dans une discussion philosophique sur le fait qu'Egoïsme ne semble pas devoir, à l'inverse, trop attirer le regard de l'institution psychiatrique, ne recouvre pas toutes ses significations. C'est plutôt l'excès d'altruisme et une certaine forme d'altruisme qui attire d'abord l'attention, et lorsque le dévouement à autrui permet surtout au sujet d'échapper à un conflit. Se dévouer, se sacrifier pour un être aimé n'a rien à voir avec cette défense. 
    Pour Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET et Claude LHOTE, le véritable altruisme-défense repose sur quatre fondements, liés chacun à la résolution d'un conflit. Cela peut être :
- un mode particulier de la formation réactionnelle. la culpabilité qui s'attache à l'agressivité ou à l'hostilité refoulée est ici évitée ;
- un exutoire à l'agressivité, source de conflit, comme dans le cas précédent, mais la solution est différente : au lieu d'être refoulée, l'agressivité est déplacée vers des buts "nobles" ;
- une jouissance par procuration où le conflit s'attache alors à un plaisir qu'on se refuse à soi-même, mais qu'on aide les autres à obtenir. Le sujet altruiste en retire une satisfaction, gra^ce à son identification à la personne comblée ;
- une manifestation du masochisme, le conflit étant lié à toute satisfaction que s'accorde la personne. Ce sont, dans ce cas, les sacrifices liés à l'altruisme qui sont recherchés.
 
     De plus Sigmund FREUD évoque un cinquième fondement possible : le fait d'avoir perdu un être aimé provoquerait une "passion de venir en aide". Alfred ADLER, reprenant cette hypothèse, la modifie : l'expérience de la mort serait en cause, non de l'altruisme en général, mais de la vocation médicale. L'hypothèse est repris par HANUS (1994). Sigmund FREUD, comme NIETZSCHE (comme cette considération est réellement de nature philosophique!) récuse l'équivalence altruisme-désintéressement. Le culte de l'altruisme pour le philosophe, est une forme spécifique de l'égoïsme. 
Anna FREUD considère l'altruisme comme un mécanisme de défense à part entière, alors qu'après elle, ce terme disparaît des vocabulaires et des dictionnaires de psychanalyse (On ne le retrouve même pas dans le Vocabulaire de la psychanalyse de PONTALIS et LAPLANCHE). Elle l'appelle aussi "cession altruiste" (Le Moi et les mécanismes de défense, 1946). Lorsqu'elle donne l'exemple de deux types de défense (l'identification à l'agresseur et "une forme d'altruisme"), c'est en lien avec le mécanisme de la projection : "le mécanisme de la projection ne fait pas que troubler (ainsi) nos rapports humains quand nous projetons sur autrui notre propre jalousie et que nous attribuons à d'autres notre propre agressivité. Ce même procédé sert aussi à établir d'importants liens positifs en consolidant par là les relations humaines. Appelons "cession altruiste" des pulsions à autrui, cette forme normale et moins voyante de projection." Pour Anna FREUD, l'altruisme peut concerner aussi bien les pulsions libidinales que les pulsions destructrices, et par ailleurs, il peut porter soit sur la réalisation des désirs, soit sur le renoncement à ceux-ci. (Bernard GOLSE).
 
        Après Anna FREUD, ce sont surtout les sociobiologistes qui étudient de près les comportements altruistes. En contradiction apparente avec les lois de l'évolution (puisque le fait de se sacrifier pour les autres fait courir des risques çà l'individu), ces comportements favorisent la propagation de gènes communs chez les espèces animales ou chez les humains. L'altruisme de parenté serait génétiquement programmé pour que les espèces favorisent leur descendance. Georges GUILLE-ESCURET estime que cette utilisation de la notion d'altruisme repose sur un sophisme. La théorie darwinienne, qui n'est pas sociobiologique, mais écologique permet de comprendre, sans faire appel à une contradiction, le rôle de l'altruisme dans l'évolution.
 
       L'altruisme en tant que mécanisme de défense réapparaît dans les listes de VALENSTEIN et de VAILLANT, de même que dans le DSM-IV, dans la rubrique des défenses les mieux adaptées, avec une définition très positive, très loin de la lecture freudienne : La personne gère son conflit en se dévouant à satisfaire les besoins d'autrui. Contrairement au sacrifice de soi-même qui caractérise parfois la formation réactionnelle, la personne reçoit, soit une satisfaction vicariante, soit une satisfaction tirée des réactions d'autrui.
 
           Pour revenir à Sigmund FREUD, il évoque une dizaine de fois dans son oeuvre le concept d'altruisme, surtout d'une point de vue social et culturel. Dans les Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, de 1915, il écrit : "La culture accentue les tendances altruistes et sociales qui au début ont été acquises sous la contrainte externe. Cette tendance à transformer les pulsions égoïstes en pulsions sociales par des additions érotiques est devenue une disposition en partie héréditaire, mais la vie pulsionnelle étant restée primitive, il ne fait pas surestimer l'aptitude humaine à la vie sociale." Plus tard dans Malaise dans la civilisation de 1930, il y revient : En employant des désignations assez superficielles, on peut dire que l'individu connaît une tendance au bonheur, à l'égoïsme, et une tendance altruiste ; la première domine et la seconde qui a une valeur civilisatrice (...) se contente en règle générale d'un rôle restrictif". Le concept d'altruisme n'accède pas vraiment au statut métapsychologique et il ne s'y attarde pas.(Bernard GOLSE).
 
Bernard GOLSE, article Altruisme, dans Dictionnaire international de la psychanalyse, Hachette Littératures, Grand Pluriel, 2005 ; George GUILLE-ESCURET, article Altruisme dans Dictionnaire du darwinisme et de l'évolution, PUF, 1996 ; Serban IONESCU, Marie-Madeleine JACQUET, Claude LHOTE, Les mécanismes de défense, Nathan Université, 2003.

samedi 16 avril 2011

Effroi


  • EFFROI, subst. masc.
EFFROI, subst. masc.
A.− Littér. Saisissement provoqué par une très grande peur. Cri, hurlement d'effroi; glacer, pâlir d'effroi; jeter l'effroi. Tout à coup, au tournant d'une allée, Béatrix éprouva le plus horrible saisissement, cet effroi communicatif que cause la vue d'un reptile et qui glaça Calyste avant qu'il en vît la cause (Balzac, Béatrix, 1839-45, p. 229). L'amour lui inspirait toujours de la stupeur, de l'effroi, et même une sorte de répugnance (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 218). Je tremblais d'effroi toutes les fois que, passant par là, mes yeux venaient à rencontrer ceux du sauvage (Éluard, Donner, 1939, p. 38) :
1. On raconte que Shelley, la première fois qu'il entendit réciter le poëme de Christabel, à un certain passage magnifique et terrible, prit effroi et tout d'un coup s'évanouit.
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. 8, 1863-69, p. 118.
2. Déjà la panique se lisait dans ses grandes prunelles noires [de Freddie] et l'idée vint à Wilfred d'aller lui dire n'importe quoi pour l'apaiser. Par exemple, qu'on guérissait facilement des plus graves maladies vénériennes, mais cette expression à elle seule suffirait à porter un nouvel effroi dans le cœur du garçon.
Green, Chaque homme dans sa nuit, 1960, p. 193.
SYNT. Effroi insurmontable, sacré; frisson, geste, sentiment d'effroi; apaiser, calmer, jeter, porter, semer l'effroi; voir avec effroi; causer, inspirer de l'effroi; frémir, mourir, saisir d'effroi; plein d'effroi.
B.− P. ext. Ce qui cause de la frayeur, de la crainte, une certaine appréhension. J'envisage avec effroi les ennuis qu'entraînera pour moi la publication de cette ode (Legouvé, Mort Henri IV, 1806, V, 5, p. 177). Les vacances finirent bientôt, à mon grand effroi (Michelet, Mémor., 1822. p. 208). M. Beauchamp, terrible journaliste, effroi du gouvernement et délices de ses amis (Dumas père, Cte de Morcef, 1851, I, 1, p. 13). « Votre livre est le signal de ralliement de tous les bons citoyens, l'opprobre et l'effroi des méchants; ... » (Guéhenno, Jean-Jacques, 1952, p. 18) :
3. Caussidière a paru à la tribune, avec une énorme liasse de papiers qu'il a annoncé l'intention de lire. Rumeur d'effroi dans l'Assemblée...
Hugo, Choses vues, 1885, p. 199.
C.− Spéc., VÉN. Partir d'effroi. S'enfuir après avoir été surpris et effrayé. Quand les chiens le font lever [le cerf] il part « d'effroi » hors de sa reposée (Vialar, Rendez-vous, 1952, p. 247) :
4. Donc, lorsque les huissiers annoncèrent : Le Roi!
Telle fut la clameur, que corbeaux et corneilles
Des tours et des clochers s'envolèrent d'effroi.
Heredia, Les Trophées, 1893, p. 166.
Prononc. et Orth. : [efʀwɑ] ou [efʀwa]. [ɑ] post. (s'explique par la présence de r vélaire) ds Barbeau-Rodhe 1930; [a] ant. ds Passy 1914, Dub., Pt Lar. 1968 et Lar. Lang. fr.; [ɑ] ou [a] ds Pt Rob. et Warn. 1968. Le mot est transcrit avec [ε] ouvert à l'initiale, sous l'influence des lettres redoublées, ds Littré, Barbeau-Rodhe 1930 et à titre de var. ds Warn. 1968. Enq. : /efʀwa/. Le mot est admis ds Ac. 1694 et 1718, s.v. effroy; ds Ac. 1740-1932 sous la forme mod. Oy est écrit pour oi, à la finale, fidèlement au système de R. Estienne qui choisissait cette orth. parce que la plupart des mots avec la finale oi avaient des dérivés dans lesquels la diphtongue [wa] devant voyelle s'écrivait oy : effroy/effroyable, effroyablement. Étymol. et Hist. 1. Ca 1140 effrei « grande frayeur » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 5525); 2. 1553 « ce qui cause la frayeur » (Bible, éd. J. Gerard ds FEW t. 15, 2, p. 92a). Déverbal (tiré des formes fortes, esfroie etc.) de effrayer*. Fréq. abs. littér. : 2 441. Fréq. rel. littér. : xixe s. : a) 4 759, b) 4 596; xxe s. : a) 3 138, b) 1 969. Bbg. Arickx (1.). Les Orthoépistes sur la sellette. Trav. Ling. Gand. 1972, no 3, p. 126. − Dauzat Ling. fr. 1946, p. 216.
 
Effroi, peur & angoisse
Schreck, Furcht & Angst

Ces trois termes offrent un bel exemple du processus d’élaboration (voir ce terme) tel que Freud a pu le définir.

aEffroi

 Il y a un point commun dans le traumatisme du fait d’une lacune psychique. Freud le définit dès le début dans l’hystérie d’effroi : « des symptômes primaires à la manifestation d’effroi ». Voilà le point crucial à saisir. Il revient un peu plus bas sur ces termes : « On n’a pas besoin de supposer qu’une représentation soit réprimée à chaque répétition, c’est bien d’abord d’une lacune dans le psychique dont il s’agit. »1. Là, le traumatisme est ce qui met en valeur que dans le psychisme il manque quelque chose. Alors que Freud est en train d’élaborer sa théorie de la représentation, à travers la lettre 52*, « l’Esquisse pour une psychologie scientifique »2, voilà qu’il nous dit qu’il y a une lacune. Dans cette théorie de la représentation, il précise qu’il « manque quelque chose », et c’est ça justement la place du trauma.

Retenons ceci : il y a une lacune dont l’affect correspondant est l’effroi.
Je reviendrai sur l’affect de l’effroi qui s’oppose à d’autres affects que Freud analyse avec subtilité. Que veut dire la lacune dans le psychisme ? Comment entendre l’effroi comme affect correspondant à cette lacune ?

Ce n’est pas de la même logique que le refoulement qui n’est pas une lacune. Le refoulement, c’est une représentation qui est refoulée, déplacée ailleurs donc disponible, mais qui revient comme représentation certes déformée, mais comme représentation. Il faut distinguer ce qui est du registre du refoulement et qui peut revenir à la conscience sous la modalité du retour du refoulé, de ce qui est du registre de la lacune dans le psychisme et qui ne revient pas, car la lacune fait fondamentalement défaut. On peut pointer cette différence essentielle à saisir, dans les modalités même d’inscription des traces psychiques.

Le deuxième point de cette époque, que vous trouvez à la page 657*, est la référence au cas clinique d’une des patientes de Freud, Emma2, aux prises avec le symptôme suivant : « Elle ne peut pas aller seule dans un magasin ». Freud va analyser ce symptôme sous l’angle de deux souvenirs :

- A douze ans, dans un magasin, elle vit deux commis qui riaient ensemble et saisie d’une sorte d’effroi, elle prit la fuite. Les deux commis avaient ri de sa robe et l’un deux lui avait plu sexuellement. Vous entendez la double connotation de l’affaire : premier souvenir de caractère sexuel, ce n’est pas ça qui a déclenché le symptôme mais le rappel d’un autre souvenir.

- Enfant, à l’âge de huit ans, elle est allée deux fois, seule, dans le magasin d’un épicier, pour acheter des friandises. Le patron lui agrippa les organes génitaux à travers ses vêtements. Malgré cette première expérience, elle s’y rendit une seconde fois.

Les deux exemples mettent l’accent sur deux choses : d’une part, il faut les deux scènes pour qu’un effet soit produit et d’autre part, à chaque fois que le sujet se présente comme victime, il est aussi participant. Freud met l’accent là-dessus : « Elle y revient ».
D’une part, la causalité n’est nullement remise dans l’Autre comme traumatique, il y a une participation du sujet, et d’autre part il faut une structure à deux temps pour produire cet effet-là.

Ceux qui était à la présentation de malade ce matin ont bien constaté cela : c’était un cas de traumatisme très précis, où l’angoisse et les phénomènes viennent deux ans après, pour des raisons qu’on a essayé d’élucider. Il n’était pas question ce matin de cette sorte de causalité mécaniste de type : événement – conséquences directes.

On peut aussi repérer dans ces événements deux dimensions de la cause traumatique en tant que sexuelle :
- D’une part, la dimension qui se prête au sens sexuel. Tout le monde entend le sens sexuel dans ces petits souvenirs : « ils ont ri ». Dès que l’on parle du sexuel dans la dimension phallique, il y a toujours un petit côté comique.

- Et de l’autre côté cependant, il y a un affect d’effroi, qui indique que dans le sexuel, il y a le sens phallique dont on peut rire mais il y a aussi autre chose dont on rit un peu moins.

Ça nous permet de situer les deux dimensions du rapport du sujet au sexuel, entre ce qui peut revenir dans le sens - comme vous le savez, le « pas tout » du sens sexuel ne manque pas, comme dit Lacan, il flotte toujours - et ce qui n’a pas beaucoup de sens « mais plus de jouissance » et qui se présente comme irruption.

Je vous disais que le premier rapport freudien, en même temps que mettre l’accent sur la causalité sexuelle traumatique, consiste à tenter de construire la question de l’appareil psychique. Ce sera l’effet de la lettre 52*, de l’Esquisse et des textes de cette époque. Il construit le fait que le sujet n’a pas à faire à des faits mais à des traductions, c'est-à-dire à des inscriptions, des traces mnésiques qui sont ensuite soumises à des traductions par le processus primaire. Ces processus obéissent au principe de plaisir. Qu’est ce que c’est le principe de plaisir ? C’est le fait que l’on s’assure que ça reste équilibré, un peu, pas trop. Le plaisir c’est l’homéostasie comme dit Freud. Le traumatisme va faire effraction dans cette logique et c’est ce qui intéresse Freud.

À la fois, Freud établit la logique du principe de plaisir comme principe de constance, d’homéostasie et de ce qui vient se mettre en travers, c'est-à-dire, l’effraction du traumatisme en tant que justement il vient rompre l’équilibre. Dans le traumatisme, l’élaboration par les moyens habituels échoue. L’expérience vécue rentre dans le psychisme comme un corps étranger. Vous voyez bien la logique : il y a quelque chose qui ne s’élabore pas et qui reste comme corps étranger dans le psychisme. Il y a sans arrêt chez Freud, une tentative de penser les rapports entre le champ de l’appareil psychique, ce que nous appellerions avec Lacan la structure du langage, et d’autre part les effractions auxquelles ils sont soumis par les événements, les intrusions, les poussées pulsionnelles etc.

Evidemment, Freud pense les choses dans les deux sens, ce qui vient de l’extérieur, l’événement accidentel, et aussi la poussée de la pulsion en tant qu’elle est toujours excessive.
La pulsion n’obéit pas au principe de plaisir, elle demande toujours plus. Elle se définit justement par le principe de « encore ». Et c’est tout le travail de la psychanalyse, dont on peut d’ailleurs lire toute l’histoire avec cette orientation : comment les auteurs vont-ils penser le lien entre le champ de la parole, des représentations et le champ de la jouissance, de la pulsion ? Il y a un point de rencontre mais aussi d’hétérogénéité et tout le travail théorique c’est cela, d’une certaine façon.

Nous savons combien l’effroi (Schreck) est central dans l’expérience de la découverte de la différence des sexes, pour le garçon. Et combien cet affect aura tout un destin psychique, tel que Freud le montrera au long de ses écrits, notamment dans l’un des derniers : « Le clivage du moi dans les processus de défense ».
Selon la dernière conception de l’angoisse, à partir de 1920, l’effroi (Schreck) est une réaction de détresse psychique (Hilflosigkeit) du moi face à une situation de danger à laquelle il n'était pas préparé. C'est donc un état de surprise, débordant le pare-excitations, surprise que le moi subit, passivement, car sans défenses. Ceci a constitué pour certains la définition du « traumatisme ». Freud a relié cet état à celui de la période d'immaturité du moi, c'est-à-dire, le temps de la détresse psychique que l'effroi répète.
Plusieurs destins psychiques sont possibles à partir de là. Pour exemple :
- la situation d’effroi compose le noyau d’un traumatisme psychique (une des solutions à laquelle le moi peut recourir par la suite consiste en la répétition de la scène d’effroi mais en inversant les places : le moi devient l’acteur de l’effroi – par exemple, dans l’exhibitionnisme) ;
- soit la situation de « surprise » et d’effroi est rejetée (voir ce terme), et fera dès lors retour sous forme, par exemple, d’hallucination : c’est le cas, chez l’ "Homme aux Loups", avec « l’hallucination du doigt coupé » ;
- soit le moi, en se développant, va pouvoir élaborer cet affect d’angoisse selon les phases suivantes : peur, puis angoisse.


Freud va s’attacher à distinguer l’effroi, comme affect spécifique du traumatisme, des autres modalités de l’affect et voilà comment il le dit dans « Au-delà du principe de plaisir » :
« On considère généralement les mots effroi, peur ou angoisse comme des synonymes, en quoi on a tort car, rien n’est plus facile de les différencier quand on considère leur rapport avec un danger. L’angoisse est un état que l’on peut caractériser comme un état d’attente, de préparation au danger connu ou inconnu, la peur suppose un objet déterminé en présence duquel on éprouve ce sentiment, quant à l’effroi, il représente un état que provoque un danger actuel auquel on n’était pas préparé. Ce qui le caractérise, spécialement, c’est la surprise. Je ne crois pas que l’angoisse soit susceptible de provoquer une névrose traumatique. Il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre l’effroi et contre la névrose qu’il provoque »8.
Il y a même une opposition entre effroi et angoisse, et il insiste beaucoup sur le fait que l’angoisse est une élaboration, ce n’est pas du tout primaire. C’est déjà quelque chose d’élaboré même dans la défense, il y a quelque chose dans l’angoisse qui protège de l’effroi. C’est une construction protectrice, c’est pourquoi Freud l'a reliée au signal. Et surtout, dans l’angoisse, il n’y a pas l’élément de surprise. Il y a au contraire le côté préparation, attente. La question de l’attente, du temps, est très importante dans l’angoisse.

C’est là qu’intervient l’affect spécifique du traumatisme, c’est l’effroi en tant qu’il est toujours connoté au « soudainement, sans préparation ».
Il n’y a aucune peur qui vient encadrer l’effroi, l’angoisse au contraire encadre quelque chose.
Je trouve que cette tentative de Freud de distinguer effroi et angoisse est extrêmement importante puisque l’on voit bien ici que l’effroi note une modalité essentielle du réel qui est liée à : « ça me tombe dessus. » Alors que l’angoisse, au contraire, c’est une construction temporelle, qui a affaire à une tentative d’apprivoiser le danger, « de préparation au danger », dit Freud, « connu ou inconnu ».

En 1926, dans Inhibition, symptôme et angoisse, Freud dit ceci : « L’angoisse est d’une part attente du traumatisme et d’autre part répétition atténuée de celui-ci. »9 On voit comment l’angoisse vient secondairement dans le registre de l’attente, et non pas dans le registre de l’effroi qui suppose la surprise, c’est un traitement par l’atténuation. La répétition vient atténuer, c’est un travail d’amortissement du surcroît de jouissance inclus dans le traumatisme.
L’angoisse n’est donc pas si primaire que ça, même si elle a un statut particulier dans les affects, de connoter le réel. Cependant, elle n’a rien de primaire, c’est une élaboration déjà construite à la fois dans l’encadrement et dans l’attente, dans la structuration du temps.
Cliniquement c’est important de distinguer les deux, d’ailleurs ce matin, on pouvait le faire à écouter ce jeune homme. L’élaboration freudienne est très solide pour nous guider dans notre pratique !


Notre clinique tient les deux bouts. Nous devons sans arrêt nous attacher à essayer de nouer les deux, car si on n’a pas les deux, nous ne saisissons pas la logique du symptôme. Par exemple, dans le cas du petit Hans*, vous avez la parole de la mère, menace sur la masturbation : « Si tu continues on va te la couper ». Ça ne lui fait pas le moindre effet. Il y a d’un côté le champ de l’Autre apparent et de l’autre, le petit Hans qui continue tranquillement à se masturber sans être inquiété par le discours maternel. Le point de rencontre, c’est le jour où cette activité met en jeu une érection soudaine de l’enfant et fait conjonction avec la parole de la mère. L’accident ici, fait soudain nouage entre deux dimensions qui étaient restées hétérogènes auparavant. Le sujet répond par l’élaboration de la phobie.
Quand il y a une conjonction entre l’événement de corps et la parole de l’Autre, quelque chose se cristallise. L’angoisse apparaît et la phobie vient répondre de l’angoisse.

C’est pourquoi il est très important pour nous de savoir ce que c’est qu’un événement qui ne se réduit pas à un fait. Un événement procède toujours d’un dire, comme le dit Lacan. Nous aurons à le développer au cours de l’année, car c’est très important dans notre clinique.
Freud dit cela, à sa façon, dans « Analyse avec fin et analyse sans fin », «  Dans l’étiologie des névroses, il faut qu’au constitutionnel s’adjoigne l’accidentel. »10 Le constitutionnel pour lui c’est la pulsion, ce qui vient de l’intérieur, si vous voulez. Il faut donc une conjonction entre le pulsionnel et l’accidentel pour déterminer l’apparition des symptômes. C’est pourquoi Lacan parlera de l’éclosion de la névrose. Il parle de déclenchement de la psychose et de l’éclosion de la névrose, ce n’est pas tout à fait pareil. Même si cela suppose qu’à un moment quelque chose, qui était resté enfermé, se déploie. Cette question importante, nous demandera une étude sur cette conjonction entre le pulsionnel et l’accidentel.

* Freud S. Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, Édition complète, PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 2006
*« Analyse d’une phobie chez un petit garçon de 5 ans (Le petit Hans) » 1909, in Cinq psychanalyses. Freud S. PUF, 1995, p 93-198
*« Extrait de l’histoire d’une névrose infantile (L’homme aux loups) » 1918, in Cinq psychanalyses. Freud S., PUF, 1995, p 323-420
*« Un enfant est battu. Contribution à la connaissance de la genèse des perversions sexuelles » 1919, in Névrose, psychose et perversion, Freud. S., puf, 1973, p 219-243

1. Freud S., Manuscrit K, 1/1/1896, in La naissance de la psychanalyse, Paris, PUF, 1979, p 137 (Lettres à Wilhelm Fliess p 219)
2. Freud S., "Esquisse pour une psychologie scientifique" 1895, 1896 in La Naissance de la psychanalyse, PUF 1979, p 307-396
3. Freud S., « Paralysie motrice, organique et hystérique. » Résultats Idées Problèmes I, PUF, 4ème édition, 1991, p 58
4. Freud S., Lettres à Wilhelm Fliess 1887-1904, « lettre du 21/09/1897 », PUF, Bibliothèque de psychanalyse, 2006, p 334
5. Freud S., « discussion sur le traumatisme sexuel et l’éducation sexuelle » 18/12/1907, Minutes de la société psychanalytique de Vienne, tome 1,
6. Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », 1920, in Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 1981, p 41-115
7. Freud S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, 1926, PUF , 1990, 9ème édition.
8. Freud S., « Au-delà du principe de plaisir », 1920, in Essais de psychanalyse, Petite Bibliothèque Payot, 1981, p 50
9. Freud S., Inhibition, Symptôme et Angoisse, 1926, PUF , 1990, 9ème édition , p 96
10. Freud S., « Analyse avec fin et analyse sans fin » 1937, Résultats, idées, problèmes tome 2, PUF, 1987 2ème édition, p 235 b - Peur
La peur (Furcht) est une première élaboration psychique de l'effroi car elle attribue un objet défini au danger, le figurant ou le représentant : l'effroi est ainsi mis à distance. L'éprouvé est celui d’un danger mais désormais lié à cet objet et sa proximité, ou bien du danger de la perte de cet objet et donc de sa fonction de protection, d’écran.
Avec la peur, le moi est ainsi préparé à la situation de danger. Freud a relié la peur à la phase de dépendance (à l'objet) de la première année, puis à la phase phallique lorsque cet objet est le pénis (et c'est alors le danger de castration). L'objet « pénis » de même que l'objet « loup » sont des exemples d'un objet qui a la particularité de regrouper toutes les angoisses fragmentaires et les menaces, en une forme de synthèse : le gain est qu'il n'y a plus qu'une seule menace et un seul objet de peur.
La situation de peur est ainsi une situation où la détresse et le danger sont reconnus, remémorés ou attendus mais sans déborder le moi puisque contenus dans, ou cadrés par, un objet.

c - Angoisse
L'angoisse (Angst) est une nouvelle élaboration de la peur et donc la préparation au danger : le moi est ici dans une position active, c'est lui qui a la fonction de provoquer l'affect d'angoisse qui est ainsi une alerte et une anticipation du danger, une prévention de la menace. À ce niveau d'élaboration, la situation de détresse psychique est évitée, ainsi que la menace de perte de l'objet, même si l'affect d'angoisse en porte la trace mnésique. De plus, cette détresse originaire est ici reproduite activement par le moi : il n'est plus débordé et traumatisé (disons, en passant, que l'angoisse n'est pas un mal, une maladie ainsi qu'une tendance actuelle l'impose).
Mais le moi peut renforcer cette position par une nouvelle élaboration, par exemple dans la phobie : une conduite supplémentaire d’évitement de la situation d’angoisse. Il est évident que le « souci » du moi sera l’évitement de l’angoisse, soit par des élaborations contra-phobiques, soit par des demandes d’anxiolytiques, etc.
Rappelons avec Freud que la première condition introduite par le moi pour déterminer l'angoisse est le danger de la perte de la perception de l'objet (observable dans l'angoisse dite du huitième mois) : c'est cette dimension, pour le garçon, qui opère dans la perception de la différence des sexes : il ne retrouve pas la perception de son pénis (comme objet protecteur rassemblant toutes les menaces) : c'est alors la condition de l'effroi. Cette perte de la perception sera par la suite assimilée à la perte de l'objet ou sa peur (perte du pénis sous l'effet de la menace de castration) ; l'angoisse est, quant à elle, la réaction au danger que comporterait cette perte, puis à la perte même de l'objet.

Avec ces trois affects (effroi, peur, angoisse), nous avons une illustration du travail d'élaboration de la psyché en organisations successives du système de défense du moi, mettant de plus en plus à distance le danger, le premier pas étant la création de l'objet, entre moi et monde, dans une fonction de frontière pare-excitations, et le second pas étant le déplacement du danger vers la menace.



La doctrine choc et effroi (de l’anglais Shock and Awe, ce qui peut aussi être traduit par « Choc et stupeur »), ou de « domination rapide », est une doctrine militaire basée sur l'écrasement de l'adversaire à travers l'emploi d'une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille et des manœuvres, et des démonstrations de force spectaculaires pour paralyser la perception du champ de bataille par l'adversaire et annihiler sa volonté de combattre.
Elle est issue de l'Université de la défense nationale des États-Unis et a été rédigée par Harlan Ullman et James Wade en 1996.
Elle a principalement été mise en œuvre lors de l'invasion de l'Irak en 2003.
 
La domination rapide est définie par ses auteurs, Harlan K. Ullman et James P. Wade, comme les efforts « pour porter atteinte à la volonté, au ressenti et à la capacité de compréhension de l’adversaire qui lui permettent de s’adapter ou de répondre à notre politique stratégique, en imposant un régime de Choc et d’effroi ». De plus, la domination rapide permet « d’imposer un niveau de choc et d’effroi tel que la volonté de l'adversaire de continuer la lutte soit anéantie [..., et de] prendre le contrôle de l’environnement, et paralyser les perceptions de l’adversaire et ses capacités de compréhension ou tant les saturer que l’ennemi se retrouve incapable de résister sur les plans tactique et stratégique. ».
En présentant la doctrine dans un rapport à l’Université de défense nationale des États-Unis en 1996, Ullman et Wade la décrivent comme une tentative d’élaborer une doctrine militaire post-guerre froide. La technique de domination rapide et le choc et l’effroi, selon eux, peut entraîner un changement révolutionnaire dans le domaine militaire aux États-Unis, alors que les effectifs sont réduits et que les techniques de l'information ont un rôle de plus en plus important dans la conduite des opérations militaires. La technique de domination rapide permettrait donc d'exploiter « la supériorité militaire, l’engagement de précision, et la domination dans le domaine de l’information » des États-Unis.
Ullman et Wade listent quatre caractéristiques de la domination rapide :
  • une connaissance et une compréhension de soi-même, de l’adversaire et de l’environnement ;
  • la rapidité et la synchronisation dans l’exécution ;
  • une exécution brillante ;
  • un contrôle total de tout le champ de bataille.
Le choc et l’effroi sont le plus souvent définis par Ullman et Wade comme l’effet obtenu par la domination rapide d’un adversaire. C'est l’état désiré d’un sentiment d’impuissance et de perte de volonté. Selon eux, il peut être obtenu par la destruction des centres de commandement ennemis, une suppression sélective des informations diffusées et la propagation de désinformation, le débordement des forces adverses, et la rapidité d’action.
La doctrine a depuis évolué vers le concept de « force décisive ». Pour Ullman et Wade, les différences entre les deux concepts sont les objectifs, l’usage de la force, la taille de l’armée, la rapidité, les pertes engendrées et la technique.
Bien qu'Ullman et Wade affirment que « la réduction des pertes civiles, des morts, et des dégâts collatéraux a un sens politique qui aurait besoin d'être compris sur le front », leur doctrine requiert pourtant l'interruption de tous les moyens de communication, de transports, de production alimentaire, de distribution d'eau, et toutes les autres infrastructures, et, en pratique, l'usage approprié du Choc et de l'effroi doivent provoquer [...] un sentiment de menace et de peur d'agir, qui peuvent abattre totalement ou en partie la société adverse, ou réduire considérablement ses capacités de combattre par la destruction des moyens matériels.
Les auteurs imaginent l'exemple d'une invasion de l'Irak vingt ans après l'opération Tempête du désert : ils affirment qu’« abattre le pays nécessiterait d'une part la destruction physique d'infrastructures ciblées, et d'autre part l'interruption et le contrôle de tous les flux d'informations et commerciaux importants, et ce de façon si rapide qu'on puisse obtenir un choc comparable à celui obtenu par les bombardements nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki sur les Japonais ».
Ullman reprit le même exemple sur CBS News quelques mois avant l'invasion de l'Irak : « Imaginez que vous êtes un général tranquillement assis à Bagdad, et que soudainement trente de vos QG divisionnaires sont détruits. La ville tombe aussi. Par cela, je veux dire que l'électricité et l'eau sont coupés. En 2, 3, 4, 5 jours, ils seront épuisés, physiquement, émotionnellement et psychologiquement »
Ullman et Wade soutiennent que certaines applications militaires sont des illustrations de certains concepts du « choc et effroi ». Ils citent neuf exemples, dont :
  • Hiroshima et Nagasaki : application du choc et de l’effroi par « des niveaux de destruction massive et instantanée, presque incompréhensibles, ayant une influence directe sur la plus grande part d’une société, à la fois l’opinion publique et les élites dirigeantes, plus que le ciblage d’objectifs militaires ou stratégiques en petit nombre ».
  • Bombardement tapis : le bombardement-tapis est décrit par Ullman et Wade comme « la concentration d’une grande puissance destructrice contre des cibles militaires et la zone alentour ».
  • Guerre éclair : l’intention est de frapper avec une précision chirurgicale et en utilisant une puissance concentrée sur un secteur restreint pour atteindre un niveau de puissance maximale avec le maximum d’économies d’échelle.
  • Sun Zi : la « décapitation instantanée de cibles militaires ou civiles choisies pour obtenir le choc et l’effroi ».
  • exemple haïtien  : « l’exposition spectaculaire de la force provoquent choc et effroi et a comme effets la démoralisation, les fausses nouvelles et la désinformation ».
  • les légions romaines : « elles obtiennent le choc et l’effroi par leur capacité à maîtriser les perceptions et la peur de l’adversaire, basée sur sa propre croyance en sa vulnérabilité et en l’invincibilité romaine ».
  • Déclin : « provoquer une dépression sociale sur une longue période, mais sans l’utilisation de destruction massive ».
  • Police montée : l’utilisation sélective de force soulignant « les capacités d’opposition aux forces adverses en présence pour atteindre des objectifs militaires ».Avant l’invasion de l’Irak en 2003, les officiels de l’armée des États-Unis indiquaient que leurs plans mettaient en œuvre la doctrine « choc et effroi » 
 Avant son application dans les plans d’invasion de l’Irak, la doctrine a suscité de la méfiance dans l’administration Bush : allait-elle être efficace ? Selon un reportage de la CBS, « un officiel l’a qualifiée de bunch of bull », mais confirme que les plans de guerre sont basés sur cette doctrine. Le correspondant de CBS, David Martin, relève que l’année précédente, durant l’opération Anaconda en Afghanistan, les forces américaines ont été désagréablement surprises par « la volonté des membres d’Al-Qaïda de combattre jusqu’à la mort. Si les Irakiens combattent, les Américains devront se renforcer et combattre à l’ancienne, en écrasant la Garde républicaine, et cela entraînera beaucoup plus de pertes des deux côtés »


Une campagne de bombardement limitée commence le 19 mars 2003 par des tentatives infructueuses de tuer Saddam Hussein. Elle se poursuit par le bombardement d’un petit nombre de cibles jusqu’au 21 mars, date à laquelle commencent, à 17 heures, les principaux bombardements des forces de la Coalition rassemblée sous l’égide des États-Unis. Ses forces font environ 1 700 sorties aériennes (dont 504 utilisent des missiles de croisière). Les forces terrestres de la Coalition commencent leur offensive sur Bagdad les jours suivants, avant de prendre la ville le 5 avril, et les États-Unis s’annoncent victorieux le 14 avril.
Dans ce contexte, l’opération « Choc et effroi » fait référence au début de la campagne irakienne, et non à l’insurrection qui a suivi.
Il est difficile de dire dans quelle mesure les États-Unis ont réellement appliqué la doctrine Choc et effroi, d’autant que les déclarations postérieures à la guerre sont contradictoires. Deux semaines après la proclamation de la victoire, le 27 avril, le Washington Post publie un entretien avec des militaires irakiens qui détaillent la démoralisation et les failles du commandement. Selon ces soldats, les bombardements de la coalition ont pris une extension surprenante et ont eu un effet démoralisant extrêmement important. Quand les chars américains ont traversé les lignes de la garde républicaine et de la garde républicaine spéciale des abords de Bagdad jusqu’aux palais présidentiels, les troupes présentes en ville ont subi un choc. D'après eux, aucune structure n’était intacte quand l’armée américaine est entrée à Bagdad, et la résistance s’est écroulée sous l'idée que « ce n’est pas une guerre, mais du suicide ».
Au contraire, dans une présentation d’octobre 2003 au Comité des services armés de la Chambre des représentants, une équipe du Collège de guerre de l’US Army n’attribue pas son succès à la domination rapide. Au contraire, ils font référence à leur supériorité technique et à l’inefficacité des Irakiens : « La vitesse d’action de la coalition n’a pas touché le moral des Irakiens. De plus, les unités irakiennes n’ont cessé le combat qu’après un affrontement avec les troupes de la coalition à proximité d’une ville .
D'après Bijal Trivedi, chercheur du National Geographic, « Même après plusieurs jours de bombardement, les Irakiens ont montré une résilience remarquable. Beaucoup ont continué leurs activités quotidiennes, aller travailler et faire les courses, avec les bombes tombant autour d’eux. Selon certains analystes, l’attaque militaire a peut-être été trop précise. Elle n’a pas provoqué de Choc et d’effroi chez les Irakiens et, au final, la ville n'a été prise qu'après des combats rapprochés dans les banlieues de Bagdad. »
Le principal auteur de Shock and Awe: Achieving Rapid Dominance en anglais : Choc et effroi : la réalisation de la domination rapide, Harlan Ullman, est l’un des critiques les plus virulents de la campagne menée en Irak. Selon lui, « la campagne actuelle ne correspond pas à ce que nous avions envisagé » ; et, en outre, « le bombardement qui a illuminé le ciel nocturne de Bagdad [...] ces jours derniers n’a pas montré la force, la portée et les dimensions de l’éventail de moyens sur lequel était basé le plan Choc et effroi ». À la question « Est-il trop tard pour le Choc et l’effroi ? », Ullman répond « Nous ne l’avons pas vu ; il n’arrive pas ».
Ullman note que le plan prévu aurait requis « une attaque au centre de Bagdad, la prise de contrôle du centre, suivies de prises de contrôle successives à partir du centre-ville ». De plus, « la campagne de bombardement n’a pas visé directement les forces militaire irakiennes sur le champ de bataille, notamment les divisions de la Garde républicaine et les relais du pouvoir politique, mais plutôt les quartier-généraux du parti Baas ». Au lieu de la tactique préconisée, selon Ullman, on a donc plutôt assisté à un siège.
Il semble que l’administration Bush soit revenue sur la campagne de bombardement de l’Irak, et que le plan original a été modifié quelques jours avant sa mise en œuvre, « les pertes civiles ayant joué un rôle dans cette décision politique ».
Selon Brian Whitaker, correspondant du Guardian en 2003, « pour quelques pays arabes ou musulmans, la doctrine « choc et effroi » est un terrorisme sous un autre nom ; pour d’autres, un crime qui n’a rien à envier au 11 septembre ». De même, les opposants à la guerre et le chiite radical Moqtada al-Sadr ont qualifié l’action américaine en Irak de terroriste
L’Iraq Body Count, un projet de l’Oxford Research Group, ONG non-violente et militant pour le désarmement, compte environ 6 616 morts civiles dues à l’action des forces conduites par les États-Unis durant la phase de conquête, y compris lors de la campagne de bombardement Choc et effroi.
Ces résultats sont contestés par l’armée américaine (qui ne compte pas les morts du camp adverse) et le gouvernement irakien pro-américain. Le lieutenant-colonel Steve Boylan, chargé de relations publiques à Bagdad, refuse de discuter des méthodes de l’IBC, qu’il affirme ignorer, et indique que l’US Army « fait tout ce qu’elle peut pour éviter les pertes civiles ». Le chercheur du National Geographic Bijal Trivedi affirme que « Il y a des pertes civiles, mais les frappes restent, la plupart du temps, chirurgicales »Après l’invasion de l’Irak, en 2003, l’expression Choc et effroi a connu plusieurs utilisations commerciales. Le bureau américain d’enregistrement des marques, le United States Patent and Trademark Office, a enregistré au moins 29 demandes d’utilisation exclusives. La première est issue d’une compagnie de lutte contre les incendies, et a été déposée le premier jour du bombardement de Bagdad. Le lendemain du début de l’invasion, Sony a enregistré la marque pour une utilisation dans un jeu vidéo, mais a retiré sa demande plus tard, la qualifiant de mauvaise décision. Le terme est utilisé pour des équipements de golf, un insecticide, des boules de bowling, une course de chevaux, un shampooing, et des préservatifs.
Dans un entretien, Harlan Ullman indique qu’il croit que l’utilisation du terme pour vendre des produits est « probablement une erreur », et « la valeur ajoutée sera comprise entre rien et peu »
Le titre de l’album country Shock'n Y'all de Toby Keith, sorti en 2003, est un jeu de mot sur le nom de la doctrine.
Dans un épisode de Burn Notice intitulé Broken Rules, Michael Weston utilise différentes tactiques qu’il rattache à la domination rapide.
L’album Living with War de Neil Young, sorti en 2006, inclut la chanson Shock and Awe. L’album est tout entier une réponse de Young à la conquête de l’Irak.
Dans le roman de Max Brooks, World War Z, un ancien soldat américain raconte comment les militaires ont essayé de mettre en œuvre la tactique Choc et effroi sur les zombies, en utilisant une technologie et des armes de pointe là où des méthodes plus simples auraient fonctionné. Et les zombies utilisent leur propre tactique de Choc et d’effroi pour battre les américains.
Fin 2007, le premier album de MC Sydney 'The Tongue' est intitulé Shock & Awe.
L’expression est utilisée dans le film Avatar de James Cameron, sorti en 2009 ; celui-ci a reconnu qu’il s’agit d’une référence à la guerre en Irak.


Dans les différentes éditions du jeu Command & Conquer, l’expression Choc et effroi est utilisée (1er et 3e opus).
Dans le jeu vidéo Call of Duty 4: Modern Warfare, un niveau de jeu se déroule durant un conflit au Moyen-Orient et est appelé Choc et effroi. Durant ce niveau de jeu, les Marines attaquent une ville du Moyen-Orient, en utilisant une force écrasante pour capturer le terroriste Khaled Al-Asad. Les moyens utilisés comptent un grand nombre de Marines, des hélicoptères Cobra et des chars M1A1 Abrams. La mission échoue avec l'explosion d’une tête nucléaire.

Dans la série télévisée Lost, l'expression est utilisée dans un épisode. Dans cet épisode, des mercenaires détruisent complètement Dharmaville et demandent à toutes les personnes de se rendre pour qu'ils ne combattent pas.

banner_Reik.gif (4228 octets)
Effroi
Névroses traumatiques
"Le problème des névroses traumatiques avait déjà fait l’objet de communications fort intéressantes d’Abraham, Ferenczi, Jones et Simmel lors du ve Congrès International de psychanalyse, lorsque Freud le reprit en 1920 dans un contexte plus vaste. Celui-ci voit dans les névroses traumatiques la conséquence d’une explosion pulsionnelle brisant sur une large étendue le pare-excitations qui constitue la fonction principale de notre appareil psychique.
Il souligne que le déclenchement des névroses traumatiques ne dépend pas seulement de l’intensité de l’excitation venant frapper cette barrière, car la tolérance relative du moi joue également un rôle déterminant à cet égard. Si celle-ci est très faible, l’appareil psychique éprouvera davantage de difficulté à faire face à un afflux soudain d’énergie. L’ébranlement provoqué par l’effraction du pare-excitations sera alors plus violent que lorsque l’énergie et le pouvoir de liaison du moi sont plus grands.
La prise en considération de ce second facteur constitue une mise en garde implicite contre la surestimation de la force pathogène du choc ou du facteur traumatique externe. Le développement éventuel d’un état pathologique dépend des effets combinés de ces deux facteurs. Ici aussi nous avons affaire à une série complémentaire, analogue à celle postulée par Freud pour définir l’association des facteurs constitutionnels et accidentels dans l’étiologie des névroses.
Par comparaison avec les interprétations de la névrose traumatique qui attribuent une importance étiologique capitale à l’effroi et à la conscience du danger qui menace la vie, la conception de Freud paraît à première vue remettre à l’honneur l’ancienne théorie sur les effets du choc. Mais à la différence de celle-ci, elle considère que le choc consiste par essence dans l’effraction de la barrière qui protège contre les excitations la couche réceptrice du cortex.
L’effroi garde également toute sa signification dans le contexte de la théorie freudienne car il est le fruit d’un manque de préparation à l’angoisse, manque de préparation qui implique une diminution de la résistance des systèmes recevant les premiers l’excitation. En raison de la faiblesse de Cet investissement qui n’est pas en mesure de lier les quantités d’énergie affluentes, l’effraction du pare-excitations a beaucoup plus facilement un effet pathogène.
Le point de vue freudien demande à mon avis à être élargi et approfondi. Freud lui-même avait indiqué dans d’autres ouvrages l’orientation générale d’une telle recherche, qui toutefois n’a été entreprise jusqu’ici ni par lui ni par aucun autre analyste. L’exposé qui va suivre se situera nécessairement dans le domaine des hypothèses, et ce d’autant plus que notre expérience en la matière est des plus réduites.
Mes conceptions reposent essentiellement sur l’observation attentive de cas de névrose traumatique à laquelle j’ai pu me livrer durant la guerre. J’ai eu maintes fois l’occasion d’étudier, aussi bien au front qu’à l’arrière, des personnes atteintes de ce genre de troubles, mais je n’ai jamais eu la possibilité de les analyser.
Les conclusions qui vont suivre se fondent par conséquent sur un examen comparatif des cas de névrose traumatique que j’ai été à même d’observer et des exemples de névrose non traumatique dont je possède une expérience clinique directe. Le fait que des circonstances défavorables m’aient empêché de mener à bien l’investigation analytique de cas de névrose d’accident ne devrait pas faire préjuger de l’intérêt scientifique de mon interprétation. Il est après tout dans la nature d’une hypothèse qu’elle ne puisse être vérifiée et démontrée que lorsqu’elle constitue l’aboutissement de plusieurs démarches différentes.
Il vaut, en outre, la peine de remarquer que les résultats des études menées dans une optique non analytique ne sont guère en rapport, contrairement à ce que l’on aurait pu espérer, avec la richesse du matériel clinique dont ces chercheurs disposaient et qu’elles n’ont guère contribué à faire progresser sur le plan psychologique notre intelligence des névroses traumatiques. Nous constatons donc qu’il s’instaure entre l’ampleur des connaissances et l’utilisation qui en est faite sur le plan intellectuel un rapport complémentaire analogue à celui existant entre l’intensité des excitations et la force relative du moi dans les névroses traumatiques elles-mêmes.
Si j’insiste sur le caractère hypothétique des remarques qui vont suivre, c’est pour bien montrer qu’il s’agit de concepts conjecturaux qui demandent à être vérifiés à l’aide d’investigations spécifiques. Tout en étant parfaitement convaincu du caractère provisoire de tous les concepts scientifiques, on peut néanmoins estimer que des travaux donnés se rapprochent plus que d’autres de la réalité cachée.
J’estime en outre être fondé à publier cet article, en dépit du caractère hypothétique de mes affirmations, car il jette les bases d’une interprétation nouvelle, dont la vérification analytique est souhaitable aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique. La nature des excitations qui jouent un rôle dans le déclenchement des névroses traumatiques a été analysée sous tant d’angles différents que ce n’est pas en concentrant nos efforts sur cet aspect du problème que nous pouvons espérer parvenir à mieux comprendre ce type de maladie.
Pour Freud, le facteur le plus important sur le plan étiologique c’est l’intensité de l’excitation. D’un autre côté, le fait que la théorie analytique attribue également un rôle considérable au second facteur, c’est-à-dire aux variations individuelles de la force du moi, nous permet de concevoir que des excitations relativement faibles puissent avoir dans de nombreux cas des effets traumatiques et partant qu’elles soient susceptibles de rompre la barrière protectrice de l’appareil psychique. Parmi tous les facteurs qui sont à l’origine des névroses traumatiques, ce sont les excitations objectives qui ont été cernées et définies avec le plus de précision.
Non seulement les profanes les considèrent comme la cause exclusive de la maladie, mais les chercheurs scientifiques eux-mêmes en ont à maintes reprises signalé l’importance. Il existe un rapport de cause à effet indubitable entre un certain type d’excitations et la névrose traumatique mais, ainsi que le montre la théorie de Freud, ce rapport est loin d’être aussi univoque et exclusif qu’on a pu le prétendre. Les chercheurs devront se demander pourquoi une même excitation peut avoir des conséquences si différentes et pourquoi un cas donné se caractérise par tel effet plutôt que par tel autre.
Lorsque nous étudions les situations qui sont à l’origine des névroses traumatiques et que nous nous efforçons d’évaluer le rôle de certaines excitations objectives dans le déclenchement d’une névrose spécifique nous ne pouvons manquer, tout en restant parfaitement conscients des différences mises en jeu, de songer immédiatement à un autre problème sur lequel la psychanalyse a été amenée à se pencher dès ses débuts.
Je veux parler du rapport existant entre les sources objectives de stimulation d’un rêve et le rêve lui-même. Des observations approfondies ont permis de déterminer le rôle des stimuli sensoriels objectifs dans la psychologie des rêves, rôle qui a même fait l’objet de vérifications expérimentales. La psychanalyse n’a jamais mis en doute l’exactitude des théories selon lesquelles les excitations des organes sensoriels stimulent la formation des rêves. Le problème restait toutefois d’établir un rapport entre les stimuli externes et accidentels qui sont à la source d’un rêve et le contenu de ce dernier.
Freud a montré que la théorie des stimuli était inadéquate dans la mesure où elle laissait deux questions dans l’ombre, « d’abord pourquoi, dans le rêve, le stimulus externe n’apparaît pas sous sa forme propre, mais est toujours méconnu (cf. les rêves liés à la sonnerie du réveil, p. 33); ensuite pourquoi la réaction de l’esprit à ce stimulus méconnu est tellement variable ».
J’aurai recours à un exemple, devenu fameux, de rêve dans lequel il existe un lien causal manifeste entre contenu et stimulus externe, le rêve du psychologue français Maury. Le rêveur se voit transporté à l’époque de la Terreur sous la Révolution, traverse de macabres scènes de meurtre, est lui-même emprisonné et conduit devant le Tribunal, où siègent Robespierre, Marat, Fouquier-Tinville et autres personnages célèbres de l’époque, qui le soumettent à un interrogatoire.
Après divers incidents il est condamné à mort et emmené ensuite au lieu de l’exécution, accompagné d’une foule innombrable. Il monte sur l’échafaud, le bourreau l’attache sur la planche, elle bascule, le couperet tombe. Il sent sa tète se séparer de son corps, se réveille dans un état d’angoisse épouvantable et s’aperçoit que la tète du lit vient de tomber et qu’elle l’a frappé sur la nuque, comme le couperet d’une guillotine.
Ce rêve présente deux traits qui nous intéressent ici dans la mesure où ils semblent pouvoir nous aider à y voir plus clair dans la psychogénèse de la névrose traumatique. Le premier, c’est le rapport existant entre le stimulus somatique externe qui joue un rôle dans la formation du rêve et le rêve auquel il donne lieu en réalité. Le deuxième a trait plus particulièrement au rapport temporel entre les deux phénomènes et il fit à l’époque l’objet d’un débat passionné dans la Revue philosophique.
Maury est frappé à l’arrière du cou par un morceau de bois et durant l’intervalle de temps extrêmement bref qui sépare la chute de la planchette de son réveil, il vit en rêve un roman mouvementé dont l’action se situe à l’époque de la Révolution, rêve qui donne lieu à un affect d’angoisse d’une grande vivacité. L’accélération remarquable de l’enchaînement des idées semble être l’une des caractéristiques du travail du rêve, comme le prouvent également d’autres exemples cités par Freud dans l’Interprétation des rêves.
Il ne faut toutefois pas oublier que ce trait n’est pas le privilège du rêve les gens en train de se noyer ou de tomber dans le vide voient défiler devant leurs yeux en l’espace de quelques secondes de nombreux épisodes de leur vie, comme des films qui se succéderaient à toute vitesse.
Freud a donné du rêve de Maury une explication qui nous permet, à mon avis, de saisir le mécanisme de la modification du stimulus extérieur. Il estime que le rêve du psychologue français représente en fait un fantasme qui s’était conservé intact dans sa mémoire des années durant et qui a été éveillé (évoqué par allusion, pourrait-on dire) à l’instant même où le dormeur a été atteint par le stimulus d’éveil. Cette interprétation aurait aussi l’avantage de résoudre la première difficulté, celle de l’abrègement du temps.
Ce fantasme a été, pour employer les termes de Freud, «effleuré», de même que quelques mesures d’un air familier suffisent à éveiller en nous le souvenir du morceau tout entier. Quelque chose est donc déclenché dans son ensemble à partir d’un point d’impact, «le choc extérieur détermine le choc psychique qui conduit à l’ensemble du fantasme révolutionnaire. Ce dernier n’est pas vécu dans le sommeil, ruais seulement dans le souvenir après le réveil. Une fois éveillé, l’on se rappelle dans ses détails le fantasme qui au cours du rêve a été aperçu en bloc ».
Qu’y a-t-il de commun entre les processus psychiques caractéristiques de ces rêves-réveils et les situations qui sont selon nous au principe des névroses traumatiques? Le lien semble être à première vue des plus lâches. Nous avons affaire dans un cas comme dans l’autre à un stimulus externe qui donne le branle à toute une série de sensations physiques et de processus psychiques. Le laps de temps fort bref qui s’écoule entre la perception inconsciente de la sensation et le réveil peut facilement se comparer à l’espace de temps qui sépare la perception d’un stimulus, lors d’un accident ferroviaire par exemple, de la première réaction de la victime.
L’obscurcissement temporaire de la conscience qui suit immédiatement le choc dans le cas d’un accident et qui constitue en quelque sorte un black-out de quelques secondes ne peut manquer de nous rappeler l’état de sommeil. Un autre élément commun aux deux situations est la surprise. Le rêveur subit le choc d’un stimulus auquel il ne s’attendait pas. Il en va de même pour l’individu atteint d’une névrose à la suite d’un accident. La théorie freudienne tient compte du rôle de l’élément surprise dans la psychogénèse de la névrose d’accident.
Si nous considérons des rêves du type de celui de Maury, rêves qui n’ont rien d’exceptionnel, nous voyons surgir un autre élément de ressemblance entre les deux situations, à savoir la décharge d’affects d’angoisse fort intenses. Cette comparaison présente pour nous un intérêt pour les raisons suivantes que se passe-t-il dans notre vie affective lors de rêves de ce genre et lors d’un accident, durant le laps de temps extrêmement bref qui sépare la réception de la compréhension pré-consciente du stimulus? En d’autres termes quels sont les processus psychologiques qui se déroulent entre l’arrivée du stimulus à la substance corticale et la première réaction du sujet à ce stimulus?
Freud a montré que dans le cas du rêve révolutionnaire de Maury, comme dans tous les autres rêves de ce genre, le stimulus extérieur déclenche l’ensemble d’un fantasme qui était déjà tout prêt dans la mémoire. Le stimulus somatique est-il responsable en tant que tel de la violente angoisse que le rêveur éprouve à son réveil? Il faut répondre bien sûr à cette question par la négative. L’intensité de l’affect s’explique par la signification que le stimulus acquiert à la suite de sa transposition dans la vie affective.
Si nous le percevions en état de veille, le même stimulus ne provoquerait sans doute en nous aucune angoisse. Mais en sommes-nous si sûrs? Il suffirait de modifier certains traits de cette situation pour que soient remplies les conditions du déclenchement éventuel d’une névrose traumatique. Supposons que Maury se réveille et qu’un jour en se promenant il soit brusquement frappé par un morceau de bois tombé d’un échafaudage. Cette situation ne présente que des différences de détail par rapport à la première, mais au lieu d’une personne saine qui se réveille en sursaut, épouvantée, après un rêve effrayant et qui retrouve bien vite son calme, nous avons l’image d’une personne qui présente tous les symptômes classiques d’une névrose d’accident.
On pourrait aisément m’objecter que la névrose d’accident est tout simplement due à un afflux excessif d’excitations, qu’elle est la conséquence d’une collision, d’un choc violent, d’une décharge électrique lors d’un orage. Mais les rapports cliniques font sans cesse état de névroses traumatiques occasionnées par des stimuli de faible intensité. D’un autre côté ils signalent aussi de nombreux exemples de stimuli n’ayant causé aucun dommage en dépit de leur violence.
Tout en admettant bien volontiers que dès que le stimulus dépasse un certain seuil d’intensité, personne n’est à l’abri d’une névrose traumatique, je m’intéresserai ici, je tiens à le préciser, exclusivement aux cas où des troubles de ce genre se déclarent en liaison avec des stimuli relativement peu importants. Il n’est pas difficile de mettre en relief à cet égard le rôle de certains facteurs constitutionnels d’ordre psychique et physique (dont nous ne sous-estimons certes pas la portée), mais cela ne dispense pas pour autant le chercheur d’étudier les processus psychiques qui font la spécificité des névroses d’accident.
Diverses autres objections méritent également notre attention. Le rêveur est en mesure de nous décrire ce qui s’est passé dans son esprit pendant le bref intervalle de temps qu’a duré son rêve. Mais la personne souffrant de névrose traumatique est pratiquement dans l’ignorance des sensations physiques qu’elle a éprouvées pendant les quelques secondes de l’accident.
Cette contradiction apparente n’est pas aussi difficile à résoudre qu’elle peut le sembler à première vue. Pour commencer il n’est pas vrai que le rêveur soit toujours au courant de son rêve. Il n’est pas rare que des stimuli sensoriels objectifs provoquent chez la personne endormie un affect d’angoisse que l’observateur peut déceler grâce à des signes révélateurs typiques, alors que le rêve qui traduit la modification affective du stimulus est oublié. D’un autre côté il est possible que l’analyse de l’expérience traumatique ramène au grand jour un matériel inconscient auquel nous ne nous attendions pas.
Comme nous l’avons dit, ce n’était pas le stimulus somatique en tant que tel qui était à l’origine de l’angoisse de Maury, mais bien le fantasme éveillé par ce stimulus. Celui-ci tient indiscutablement le rôle d’un facteur déclenchant, dont la portée est comparable toutefois à celle de l’étincelle qui tombe dans un baril de poudre.
Nous sommes convaincus que le fantasme ancien de Maury, «éveillé » par le stimulus sensoriel, présente des traits tout à fait typiques dans lesquels toute personne un tant soit peu au fait de la théorie psychanalytique reconnaîtra aisément les caractéristiques d’un fantasme de castration.
C’est cette signification latente du fantasme qui rend compte de l’intensité de l’angoisse ressentie. La perception du stimulus a fait resurgir un fantasme ancien qui, tout en plongeant ses racines dans les complexes infantiles, a pris sa forme définitive au contact des lectures de l’adulte.
Néanmoins, seul le fantasme de la guillotine a pu accéder à la conscience alors que le fantasme de castration qui se cachait derrière lui explique la profondeur de l’effroi ressenti. Nous pouvons dire que l’idée d’être guillotiné est un jour momentanément entrée en contact, pendant que Maury était réveillé, avec l’idée inconsciente de castration qui est un résidu de l’enfance et avec l’angoisse qui s’y rattache. C’est cette angoisse qui réapparaît dans le rêve.
La sensation physique éprouvée au moment de la chute de la tête du lit a joué le rôle d’un stimulus qui a libéré cette ancienne angoisse inconsciente. La modification psychique entraînée par le stimulus a provoqué la remontée jusqu’à la conscience de pensées qui traduisent, sous un déguisement que l’analyse peut aisément percer à jour, l’influence indélébile de cette angoisse infantile sur la vie affective de l’adulte. L’effroi ne s’explique qu’en partie par l’afflux soudain des excitations. Il s’agit en fait d’un «effroi en pensée » ainsi que Freud l’a défini dans l’Interprétation des rêves. L’intensité de cette angoisse tient au fait que le rêveur voit resurgir un matériel refoulé depuis longtemps. Tout se passe comme si en le frappant à la nuque la tête du lit lui rappelait ce fantasme inconscient, comme si celui-ci se matérialisait soudain.
Le rôle de ce fantasme inconscient dans la détermination de l’intensité de l’affect ne fait aucun doute. Plutôt que de l’illustrer à l’aide de nombreux exemples, j’aurai recours à la description qu’un médecin anglais, le docteur Brunton, donne de l’un des cas qu’il a étudiés. Le choc et l’effroi provoqués par un stimulus somatique relativement faible prennent dans cette affaire des proportions saisissantes du fait de l’existence d’un pressentiment. Les étudiants d’un collège anglais en étaient venus à détester profondément l’un des maîtres-assistants.
Ils décidèrent de l’effrayer et préparèrent un billot et une hache dans une pièce sombre. Puis ils s’emparèrent de lui et le traînèrent devant un groupe d’étudiants revêtus de robes noires qui firent office de juges. Face à cette mise en scène la victime pensa qu’il s’agissait d’une blague, mais les étudiants lui assurèrent qu’ils ne plaisantaient pas et ils lui annoncèrent qu’ils allaient la décapiter sur le champ. Ils lui bandèrent les yeux, l’obligèrent à s’agenouiller et à poser la tête sur le billot. L’un d’eux imita le sifflement de la hache, pendant qu’un autre lui faisait tomber une serviette mouillée sur le cou. Lorsqu’ils détachèrent le bandeau, l’assistant était mort.
Pour en revenir à notre exemple initial et poursuivre l’étude des séquelles de ce rêve, nous retrouvons M. A. Maury, étudiant en droit et en médecine âgé de vingt-trois ans, en train de se promener par un beau jour de 1840 dans la rue de Rivoli; il se sentait d’excellente humeur et n’avait aucune raison de craindre une attaque surprise ou un accident lorsque soudain un morceau de bois tomba d’un échafaudage et l’atteignit à la nuque en le précipitant au sol.
Bien qu’il n’eût que des contusions superficielles, il présenta bientôt tous les symptômes d’une névrose traumatique. Les médecins des Hôpitaux constatèrent sans ambiguïté possible une accélération du pouls, une excitabilité anormale du système des nerfs cardiaques, une augmentation de la tension artérielle, de l’hypnalgésie, des troubles de sécrétion, des différences entre les pupilles, des troubles moteurs et visuels, etc. Nous n’avons aucune raison de mettre en doute le fait que nous nous trouvons devant un cas classique de myotonoclonica tropidans et d’akinesia amnestica telle qu’elle a été définie par Oppenheim.
Il est aisé d’établir dans cet exemple le rôle capital de la surprise en tant que facteur d’effroi. Il me semble toutefois que cette simple constatation ne suffit pas à expliquer dans ce cas précis l’effraction du pare-excitations. Cet effroi doit posséder une propriété spécifique, susceptible de rendre compte de la réaction pathologique. Reprenons encore une fois le parallèle psychologique entre les deux circonstances où Maury reçut un choc extérieur, le rêve-réveil et l’accident. Le stimulus eut pour effet de rappeler à l’homme endormi l’ensemble d’un scénario imaginaire. Comme nous l’avons vu il s’agissait en fait d’un véritable roman - on ne peut guère le définir autrement - centré pour l’essentiel autour du thème de la castration.
Dans le rêve-réveil de Napoléon cité par Freud et dans les rêves du même type bien connus de tous les analystes, nous retrouvons le phénomène particulier qu’Egger définissait, dans son étude sur le rêve de Maury, comme « l’effet rétrospectif et rétroactif de la sensation ». Nous avons découvert que le trait le plus effrayant du stimulus d’éveil consistait en l’actualisation d’une angoisse ancienne. Il s’agissait dans ce cas d’une angoisse de castration qui fut déclenchée par un stimulus extérieur inattendu.
Nous estimons qu’un phénomène analogue se produit dans le cas du groupe de névroses traumatiques qui nous intéresse ici. Le caractère spécifique de l’effroi réside dans le fait que le sujet revit tout à coup comme actuelle une ancienne angoisse inconsciente, même si par la suite il s’avère parfois que ce caractère s’insère dans une attitude psychique plus générale. Il n’y a pas matérialisation explicite d’une situation redoutée, mais survenue d’une impression réelle et inattendue qui a le pouvoir de réveiller par le biais du souvenir toute l’angoisse inconsciente de l’individu. Il suffit d’un stimulus matériel insignifiant (comme dans tous les rêves du type de celui de Maury) pour redonner vie à un ancien contenu représentatif et pour faire réapparaître dans toute leur violence les affects qui s’y attachent.
Il est important de souligner que l’ancien fantasme inconscient n’acquiert pas une réalité concrète mais uniquement une de type imaginaire, car cela a pour effet de le renforcer sur le plan psychique. De même il n est pas rare qu’une illusion ait des conséquences affectives plus profondes qu’une représentation exacte et directe. Les situations traumatiques se fondent pour l’essentiel sur une illusion et elles se présentent par conséquent de la manière suivante : tout se passe comme si (je dis bien, comme si) quelque chose que nous redoutions autrefois et que nous avons par la suite rejeté et banni de nos pensées se matérialisait soudain, de façon inattendue. La catastrophe que nous prévoyions inconsciemment devient brusquement toute proche.
Prenez le cas d’une collision ferroviaire imprévisible. Si le voyageur pris au dépourvu est saisi par l’effroi - c’est qu’il voit se réaliser le désastre que dans sa propre vie il attendait inconsciemment depuis longtemps. L’impression violente produite par la secousse consécutive à la collision a subi pendant quelques secondes seulement un remaniement inconscient. Elle a ainsi redonné vie à des appréhensions anciennes qui couvaient dans l’ombre. Un danger mystérieux qui fait soudain planer une menace sur la vie de l’individu était connu au niveau inconscient depuis longtemps, mais l’idée en avait été écartée. Un événement auquel le sujet s’attendait inconsciemment semble être devenu réalité au moment même où ses pensées étaient ailleurs.
Pour nous cela revient à dire qu’une réalité psychique lourde d’angoisse enfouie dans l’inconscient prend brusquement un caractère actuel, par un processus comparable à la levée soudaine d’une résistance due au refoulement. Les causes et les conditions du déclenchement de ce processus psychique se trouvent réunies grâce à un événement matériel, à savoir l’accident traumatique.
Cette donnée objective fournit un caractère de réalité à toute l’expérience. Un processus inconscient est réapparu de façon inattendue. Ce retour n’est pas lié à un processus pulsionnel, mais à un événement extérieur. L’événement traumatique apparaît comme une confirmation inconsciente du bien-fondé de cette angoisse ancienne. Quelle est l’origine de ce pressentiment, dont l’événement traumatique semble constituer une confirmation inconsciente? Il s’est développé dans chacun de nous en tant que réaction affective provoquée par des motions inconscientes. L’attente du désastre est la conséquence du refoulement de ces tendances toutes-puissantes.
Elle a par la suite sombré dans l’inconscient, au même titre que la réalité psychique qui l’avait motivée. Le fait que cette intuition obscure, apparemment irrationnelle, d’un désastre imminent n ‘était pas compatible avec les lois de l’intelligence humaine, avec le bon sens quotidien qui a depuis longtemps répudié au niveau conscient la croyance en une puissance mystérieuse et vengeresse, peut avoir contribué à ce résultat.
Tout se passe maintenant comme si la punition que nous redoutions inconsciemment pendait soudain sur nos têtes. Elle s’abat sur nous à un moment où nous n’y étions pas préparés : un jour pareil à tous les autres s’est transformé tout à coup en un dies irae, dies illa. Mais d’où vient le désastre redouté?
Pour répondre à cette question il nous suffira de rappeler que notre vie psychique retombe au moment du choc dans des formes de pensée obsolètes, de type animiste. Nous avons pris l’habitude de nous croire maîtres de notre volonté. Nos actions ont toujours été conformes à nos intentions mais nous nous sentons à l’improviste à la merci d’une force inconnue dont l’origine nous échappe. Tout se passe brusquement comme si un bras tout-puissant nous soulevait, nous secouait, nous tirait ou nous jetait à terre au gré de ses caprices.
Une réaction psychique de type primitif, que nous ne réussissons jamais à maîtriser tout à fait, nous pousse à attribuer à des puissances supérieures, c’est-à-dire à l’origine aux parents, la responsabilité de tout ce que nous vivons passivement. Une réaction analogue nous oblige à considérer inconsciemment comme un châtiment infligé par ces puissances tout ce qui nous menace et nous terrifie. Comme vous le savez nous admettons par la suite que nous sommes le jouet des forces de la nature ou du destin, mais à l’arrière-plan de notre inconscient se dresse toujours le père ou la mère dont la volonté a marqué nos premières années. Nous nous étions crus les maîtres de notre moi et soudain nous sentons peser sur nous l’emprise d’une force qui nous oblige à reconnaître avec la rapidité d’un éclair notre détresse et notre totale impuissance.
Nous saisissons maintenant la corrélation intime existant entre l’effroi d’un côté et la confiance en soi ainsi que la libido narcissique de l’autre. Au moment du choc, le moi pourtant bien assis sur ses bases s’est brusquement représenté le pouvoir menaçant du destin comme un substitut paternel il a été écrasé par le surmoi reprojeté dans le monde extérieur. Le choc est vécu comme une démonstration de force, ou plutôt de volonté, de la part de cette puissance mystérieuse à caractère paternel. L’adulte qui dans toute autre circonstance regarderait sans doute d’un œil mi-attendri, mi-méprisant ses croyances enfantines a devant cette débâcle soudaine la même réaction qu’un enfant surpris et intimidé qui, conscient de sa faute, s’attend à voir apparaître à tout instant son père dont il redoute la sévérité.
Nous sommes convaincus que dans de nombreux cas le sujet est saisi par l’effroi lorsque son pressentiment ancien d’un désastre, pressentiment qu’il avait refoulé, semble se matérialiser. L’élément surprise garde également toute sa valeur dans notre hypothèse. Il subit néanmoins un déplacement et il a trait maintenant à une éventualité que le sujet redoutait autrefois et qui semble brusquement prendre corps sous une forme ou dans des circonstances différentes. Telle est peut-être, de façon générale, la substance psychologique de l’effroi.
La thèse freudienne nous semble également nécessiter une autre correction de détail. Freud souligne que l’effroi est l’état qui s’empare de nous lorsque nous nous trouvons face à un danger auquel nous ne sommes pas préparés. Le manque de préparation à l’angoisse est le trait caractéristique de l’effroi. Nous sommes prêts à ajouter foi à cette affirmation, mais il ressort de ce que nous avons dit plus haut que la préparation à l’angoisse n’est jamais complètement absente. Comment peut-on concilier ce résultat avec la thèse de Freud?
Son explication de l’effroi par le manque de préparation à l’angoisse semble contenir une part de vérité; toutefois nous avons constaté que l’effroi présente toutes les caractéristiques d’une résurgence d’une ancienne angoisse inconsciente. Si notre hypothèse rend compte fidèlement du déroulement véritable des processus psychiques mis en jeu, il y a dans la plupart des cas résurrection soudaine d’une angoisse écrasante qui n’est absolument pas justifiée par le choc réel de l’accident. L’impression externe est soumise à un remaniement inconscient.
La divergence de nos points de vue n’est certainement pas insurmontable. La définition de Freud a trait à la préparation consciente à l’angoisse, préparation qui fait évidemment défaut dans une situation traumatique. Mais il n’est pas impossible que chacun de nous, ou presque, porte en lui une angoisse inconsciente, flottante pour ainsi dire, qui n’a rien à voir avec la crainte d’un danger réel et imminent.
Il me semble que nous pouvons mettre ici à profit une distinction que j’ai eu l’occasion de formuler dans un autre ouvrage. J’avais abouti à la conclusion que de façon générale il est bon de faire le départ entre l’angoisse préliminaire et l’angoisse finale, expressions forgées par analogie avec le plaisir préliminaire et le plaisir final dont parle Freud. L’angoisse préliminaire est la préparation psychique à un danger imminent, externe ou interne, il ne s’agit pas simplement d’un signal d’alarme, mais d’une tentative rudimentaire pour établir un premier contrôle sur ce danger. L’angoisse préliminaire pourrait également être définie comme une évocation de la situation redoutée, évocation qui doit permettre de maîtriser celle-ci, alors que l’angoisse finale est la réaction éprouvée face au danger lui-même.
L’effroi relève, me semble-t-il, de l’angoisse finale et en raison de l’absence de toute angoisse préliminaire il acquiert une intensité et une puissance affective toutes particulières. La préparation à l’angoisse est effectivement inexistante dans le cas de l’effroi, pour ce qui a trait tout du moins au danger réel qui menace l’individu à 1’improviste. A sa place nous trouvons l’ancienne préparation à l’angoisse qui s’est brusquement actualisée et qui ne constitue pas seulement une réaction psychique face à des motions d’hostilité bien réelles.
Cette angoisse flottante voit d’emblée dans le choc soudain les prémisses de la punition imminente. Nous constatons ici que l’angoisse préliminaire a une fonction spécifique qui est, semble-t-il, d’alléger l’angoisse finale et de protéger l’individu contre le retour brutal de la préparation à l’angoisse d’antan, en l’obligeant à se concentrer sur le danger actuel.
Elle aurait donc pour double fonction d’éliminer et de maîtriser au niveau psychique, de façon aussi complète que possible, l’ancienne préparation à l’angoisse et d’un autre côté de la limiter ou de la réduire à une angoisse actuelle. Cantonner l’angoisse dans les limites de la situation présente équivaut donc à en réduire l’intensité. Cela revient pour ainsi dire à la priver de sa caisse de résonance.
La régression à l’ancienne angoisse flottante peut être assimilée, pour ce qui est de ses conséquences, à une augmentation de l’intensité de cette angoisse. Dans les névroses traumatiques nous n’avons donc pas affaire à une effraction provoquée par une angoisse moins forte mais bien au contraire par une angoisse amplifiée. Ce débordement d’angoisse n’est pas motivé uniquement par la violence du choc extérieur, mais aussi par la régression, sous l’influence de ce choc, à une angoisse fort ancienne, l’angoisse engendrée par la peur de la castration ou de la mort dont le père serait l’agent.
Ce facteur, additionné à d’autres, a une importance décisive pour l’intensité et la nature de la réaction de l’individu face à la situation traumatique. L’absence d’angoisse préliminaire provoque, pour ainsi dire, un court-circuit psychique, si bien que le stimulus externe est d’emblée connecté aux couches affectives les plus profondes. Tout se passe en fait comme si chacun de nous disposait d’une réserve plus ou moins grande d’angoisse flottante liée à son sentiment de culpabilité inconscient, comme si la peur du danger pouvait, dans certains cas, faire appel à l’angoisse morale dont l’angoisse de castration constitue, nous le savons, le noyau. Une certaine partie de cette angoisse est libérée à l’approche du danger et elle se présente sous la forme d’une angoisse préliminaire qui précède l’angoisse finale.
L’angoisse préliminaire constitue en quelque sorte une garantie contre une intensification excessive de l’angoisse finale ou, si vous préférez, contre la réapparition impétueuse de l’angoisse inconsciente de l’enfance, réapparition qui aurait pour effet d’accabler le moi. Dans l’expérience traumatique c’est l’action du facteur temporel qui fait dévier l’angoisse de son cours normal, intensité du stimulus mise à part. L’excitation se produit si brusquement qu’elle rend l’angoisse préliminaire impossible et qu’elle empêche par conséquent la formation d’une protection contre tout empiétement éventuel sur le domaine de l’angoisse inconsciente. Ce phénomène est aussi cause de ce que l’individu interprète ou plutôt comprend en un éclair, comme par instinct, le stimulus envahisseur comme une confirmation de son pressentiment ancien d’un désastre.
La théorie psychanalytique a déjà montré que la formation des symptômes a pour fonction d’établir un contrôle sur l’angoisse, de la convertir, pour ainsi dire, en petite monnaie. La conclusion inévitable de notre investigation c’est que l’angoisse sous-jacente aux symptômes des névroses traumatiques est par nature une angoisse préliminaire.
Nous constatons donc que nous sommes arrivés à apporter, par ce chemin détourné, des modifications à la théorie freudienne des névroses traumatiques, modifications qui la complètent sans pour autant toucher à ses prémisses fondamentales. Le concept de pare-excitations reste intact, mais nous avons l’impression que dans bien des cas cette barrière protectrice présente des caractéristiques particulières, dans la mesure où elle assure une protection contre l’angoisse originaire.
L’appareil du pare-excitations, qui vient à être rompu dans le cas des névroses traumatiques, est alors constitué par le mécanisme de l’angoisse. La plupart du temps le moi entrevoit en quelque sorte derrière le danger extérieur une autre menace, comme si ce danger avait pour effet de réactiver la peur que le moi éprouve en secret à l’encontre du surmoi. Dans une situation traumatique l’individu est saisi au plus profond de lui-même par la peur de la mort, que sa vie soit ou non réellement en danger. Dans bien des cas cette réaction de peur prend corps même si rien ne la justifie vraiment dans la réalité. Selon Freud, la peur de la mort se déroule entre le moi et le surmoi.
Pendant un instant le moi se sent abandonné par le surmoi. La certitude d’être aimé et protégé, que nous portons inconsciemment en nous depuis l’enfance, a disparu. Le sol s’est dérobé sous nos pas, au sens métaphorique et souvent au sens propre du terme, et pendant quelques instants nous avons sombré dans le vide.
Il ressort de cette analyse que l’événement traumatique bouleverse brusquement la situation libidinale narcissique. Le choc a tout à coup ébranlé la position d’indépendance relative que le moi avait réussi à acquérir face au surmoi. Tout se passe comme si le moi se voyait rappeler, à l’improviste et dans les termes les plus violents, la puissance du surmoi projeté dans le monde extérieur sous la forme du destin. Ce rappel prend toutefois l’aspect bien particulier d’un châtiment. Abraham a mis tout particulièrement en relief cet ébranlement soudain de la position narcissique du moi.
Il existe toute une série de similitudes et de divergences entre les rêves qui se terminent par un réveil angoissé et les situations qui sont à l’origine de névroses traumatiques. Dans un cas comme dans l’autre nous assistons à la résurgence d’impressions lointaines devenues inconscientes. Cette résurgence traduit le retour d’affects anciens et elle est désignée par les psychologues français sous le nom de « régression renforcée ».
Dans les rêves-réveils le stimulus somatique subit une transformation onirique et il redonne vie à certaines situations anciennes et imaginaires, lourdes d’angoisse. De même dans les situations propices au déclenchement d’une névrose traumatique, c’est également le stimulus extérieur qui provoque la réapparition d’une angoisse inconsciente.
Les divergences sont dues principalement au rôle décisif des circonstances extérieures.
Le désir de dormir contribue indubitablement à renforcer le pare-excitations aussi longtemps que le stimulus ne dépasse pas un certain seuil d’intensité, auquel cas l’individu se réveille. Dans le cas contraire le désir de dormir peut à tout le moins retarder l’apparition de l’angoisse. Ce retard coïncide avec l’irruption d’une angoisse préliminaire, aussi brève soit-elle. En outre il semble vraisemblable que l’incertitude du dormeur quant à la réalité matérielle du stimulus agisse sur lui d’une façon qui l’amènerait à se demander, s’il était conscient « Est-ce que je dors ou est-ce que je suis réveillé? Est-ce que je rêve ou est-ce que j’ai affaire à quelque chose de réel? Dois-je me réveiller ou puis-je continuer à dormir ? »
Il faut maintenant que nous nous penchions sur une objection qui semble soulever de sérieux doutes quant à la solidité de notre hypothèse. La plupart des études consacrées aux névroses traumatiques signalent que les victimes d’un accident ont presque tout de suite une réaction conforme à la situation. Il nous est impossible d’esquiver cette objection en faisant remarquer que dans certains cas cette réaction rapide et adéquate fait défaut, que parfois l’individu semble paralysé par une horreur qui lui interdit toute forme d’action.
Il a été établi sans l’ombre d’un doute que dans la grande majorité des cas la réaction demandée par la situation se produit très rapidement. Il est évidemment possible que l’individu ait recours à la fuite ou à toute autre mesure appropriée en vertu d’un réflexe comme font les animaux exposés à un danger soudain. Ce réflexe n’exclut pas forcément l’existence d’un affect d’angoisse très intense.
Il faut bien voir que cette objection ne porte pas sur l’essence même de la question. Pour s’en convaincre il suffira de se rappeler l’importance du facteur temporel. Il peut n’y avoir qu’un décalage de quelques secondes entre la perception du stimulus et la réaction de l’individu, mais ce laps de temps est suffisant pour que celui-ci se rende compte, au niveau préconscient, de la vraie nature de l’excitation, pour qu’il en localise par une première approximation l’origine exacte en se basant sur son expérience personnelle et peut-être même pour qu’il prenne d’instinct les mesures appropriées. Il n’y a rien là qui puisse exclure la persistance de l’angoisse en profondeur.
Celle-ci est vécue, pourrait-on dire, à un niveau psychique différent. Il se pourrait que le système préconscient se charge d’interpréter et d’évaluer la situation réelle ou de la comparer à des situations analogues déjà connues de l’individu, alors que l’inconscient s’obstine à envisager la situation à la lumière des affects propres à l’enfance. Le jugement de réalité n’influerait donc en rien sur les affects déterminés par des causes plus profondes. Dans ces conditions l’affect d’angoisse ne serait éliminé que pour ce qui a trait aux couches supérieures de la vie affective.
Ce processus pourrait se comparer à la mise en place d’un mécanisme de défense face à des besoins vitaux. Dans le cas qui nous occupe, l’affect est véritablement coincé, pour reprendre la terminologie employée par Breuer et Freud dans leur vieille théorie de l’hystérie. Toute décharge de l’affect est impossible, mais celui-ci ne manque pas d’avoir des conséquences à longue échéance.
Je vais revenir une fois de plus sur le rôle du facteur de l’effroi dans l’étiologie des névroses traumatiques, pour définir à l’aide de quelques remarques supplémentaires, les lignes directrices d’une analyse plus approfondie des divers aspects de cette maladie. En essayant de comprendre la nature spécifique de l’effroi dans les situations propices au déclenchement de ce type de névroses, nous avons découvert que cet effroi se rattache à un autre, à une frayeur ressentie face à des impressions que nous qualifions de lugubres ou d’inquiétantes. En d’autres termes, un événement traumatique qui débouche sur une névrose d’accident produit dans l’esprit de celui qui le vit une impression qui a quelque chose de sinistre.
Selon Freud, une expérience est ressentie comme inquiétante lorsque des complexes infantiles refoulés sont ranimés par quelque impression extérieure, ou bien lorsque des convictions primitives, depuis longtemps surmontées, semblent recevoir derechef une confirmation. Freud souligne qu’il n’est pas toujours possible de départager de façon rigoureuse ces deux types d’inquiétude car les convictions primitives prennent racine dans les complexes infantiles.
Il me semble que nous commençons ici à entrevoir le lien, au premier abord assez confus, qui conduit de l’explication analytique de l’inquiétante étrangeté à l’investigation de l’effroi, cet élément décisif de la genèse de la névrose traumatique. Nous avons retrouvé la signification cachée de la régression à l’angoisse inconsciente dans la réactivation de complexes infantiles refoulés et dans la confirmation apparente de conceptions surmontées. Ce sont là des caractéristiques communes, semble-t-il, aux deux types d’expérience en question.
Nous savons cependant qu’il existe des différences essentielles entre la sensation de l’inquiétante étrangeté et l’expérience qui conduit à la névrose traumatique. Il est clair que même si l’expérience traumatique peut avoir quelque chose d’inquiétant, ce n’est pas là sa caractéristique fondamentale. De même la sensation de l’inquiétante étrangeté peut souvent provoquer le déclenchement d’une névrose traumatique, mais cela n’est pas forcément le cas. Par conséquent le contenu représentatif de l’élément inquiétant et celui des sensations qui conduisent à la névrose traumatique sont, en tant que tels, indépendants l’un de l’autre. Ils coïncident toutefois sur un point précis.
J’ai déjà montré qu’en raison de leur diversité les impressions issues de l’extérieur donnent lieu à différents types de réactions affectives. Cette explication est trop générale pour nous satisfaire entièrement. Pour saisir la spécificité des névroses traumatiques nous nous sommes limités à mettre l’accent sur deux facteurs qui jouent un rôle essentiel dans le développement de cette maladie, mais qui ne rendent pas compte pour autant de la présence de l’élément inquiétant. Je veux parler de l’impression qu’un danger imminent menace notre vie et de l’aspect surprenant de l’expérience traumatique, de sa soudaineté qui exclut toute forme de préparation à l’angoisse et d’angoisse préliminaire.
Il est fort rare qu’un risque imminent ou qu’un danger de mort soient associés à ces impressions que nous qualifions de sinistres ou d’inquiétantes. Lorsqu’au crépuscule nous croyons voir un portrait s’animer et sortir de son cadre pour s’avancer vers nous> cela n’implique certes pas que notre vie est en danger. Même si ce personnage mystérieux semble faire peser sur nous une menace, celle-ci ne se concrétise pas sous la forme d’une attaque, d’une gifle ou d’un coup et l’épreuve de réalité nous aide à surmonter notre angoisse.
Lorsque nous vivons une expérience inquiétante, notre incertitude quant à la réalité matérielle de l’événement en question nous protège contre un traumatisme éventuel. Mais une personne qui lors d’un accident est étourdie par une commotion mécanique d’une extrême violence ne peut mettre en doute la réalité de son expérience, de sa sensation.
Lorsque l’individu se trouve brusquement face à un phénomène inquiétant dont il ne peut contester l’objectivité et qui semble mettre réellement sa vie en danger, lorsque par surcroît ce phénomène est lié à un choc mécanique très violent, toutes les conditions sont réunies pour qu’une névrose traumatique se déclare, avec toutes ses caractéristiques cliniques. Dans pareille situation, le sentiment d’étrangeté a acquis un caractère traumatique, comme l’attestent les nombreux exemples de névroses de ce type cités par la littérature neurologique.
La commotion mécanique semble jouer un rôle essentiel lors d’un accident à conséquences traumatiques. Freud a montré qu’il faut l’interpréter comme l’une des sources de l’excitation sexuelle. La violence de cette commotion a probablement pour effet de libérer un quantum d’excitation sexuelle qui en vient à exercer une action traumatique en raison de l’absence de toute préparation à l’angoisse. Comme je l’ai dit plus haut, l’objectivité immédiate de l’expérience est ressentie d’autant plus nettement qu’elle est confirmée par le choc mécanique.
L’autre facteur qui distingue l’événement traumatique de la sensation de l’inquiétante étrangeté c’est la soudaineté, la surprise. Un étranger qui passe la nuit dans un château qu’il sait hanté est psychologiquement préparé à assister à des phénomènes inquiétants. Si au cours de la nuit il entend ou croit entendre frapper des coups bizarres sur le mur, il est protégé sans doute par son angoisse préliminaire contre un traumatisme éventuel. Dans d’autres cas le pouvoir diffus d’une atmosphère lugubre constitue une préparation psychique suffisante pour que l’individu éprouve des sensations particulièrement macabres ou pour qu’il ressente un profond malaise. Ces remarques ne s’appliquent bien entendu qu’aux personnes qui n’ont aucune prédisposition psychique particulière à être sensibles à l’épouvante.
Il n’est pas dans mes intentions d’exposer par le menu toutes les différences existant entre ces deux ordres d’expérience. Ce que nous avons déjà dit jusqu’ici doit suffire à notre propos. Nous constatons que lorsque certaines conditions exceptionnelles (soudaineté, commotion mécanique et approche d’un danger de mort) sont réunies, la sensation d’une inquiétante étrangeté peut conduire à la névrose traumatique.
Toutefois, il est beaucoup plus intéressant de bien discerner que les expériences qui sont sources de traumatisme dans le cas des névroses d’accident n’auraient pas sur nous un tel empire si, au niveau inconscient, nous ne percevions en elles quelque chose d’inquiétant. Je crois avoir défini avec suffisamment de précision la nature de cette inquiétante étrangeté lorsque j’ai étudié les caractéristiques spécifiques de l’angoisse propre aux névroses traumatiques.
Il me semble douteux qu’il puisse y avoir déclenchement d’une névrose traumatique en l’absence de cet élément d’étrangeté. Au premier abord il peut paraître étonnant ou même absurde de supposer que des accidents banals soient susceptibles de provoquer des impressions inquiétantes dans une civilisation aussi avancée que la nôtre et dans un monde aussi dominé par les conquêtes de la technique. Toutefois, nous prétendons que s’ils sont vécus ainsi par les personnes intéressées c’est dans le seul but de déclencher dans l’inconscient la réaction bien connue face à quelque chose de lugubre ou d’inquiétant.
Le progrès technique a une importance dérisoire pour l’inconscient de l’être humain. L’individu peut être conduit à admettre l’existence de puissances obscures aussi bien lors d’un accident provoqué par une machine ou d’un déraillement que lors d’un désastre consécutif à un tremblement de terre ou à toute autre catastrophe naturelle. Notre thèse c’est que les expériences traumatiques présentent des caractéristiques particulières que nous qualifierons au niveau conscient d’inquiétantes.
Ce sentiment d’inquiétante étrangeté est ressenti aussi bien par le soldat enterré vivant par une grenade ou par le voyageur éjecté de son siège lors d’une collision ferroviaire que par le promeneur qui voit de but en blanc la foudre tomber à côté de lui. Vu l’époque où nous vivons, peut-être n’est-il pas superflu de souligner ici que le mot « lugubre » dénote uniquement la réaction affective de la personne concernée par la situation traumatique, et qu’il ne constitue en aucun cas un tribut payé à l’hypothèse de l’existence de puissances supérieures.
Lorsque nous cherchons à préciser les causes premières de la névrose traumatique, nous sommes conduits à tout instant à reconnaître le rôle du facteur de la soudaineté et de la surprise. Au point où nous en sommes arrivés, nous pouvons nous risquer sans trop de difficultés à esquisser une interprétation globale du phénomène de la surprise. L’effroi ne représente, évidemment, qu’un cas particulier de surprise. Mais sans doute avons-nous raison de parler de surprise à propos d’une prévision devenue inconsciente, prévision que nous voyons soudain se réaliser dans une occasion inattendue, dans des circonstances imprévues ou sous une forme difficilement reconnaissable.
Dans ces conditions, la surprise serait l’expression de la difficulté éprouvée à reconnaître une donnée autrefois familière mais devenue inconsciente. Elle pourrait même traduire l’intensité de la dépense d’énergie affective requise pour l’identification de cette donnée inconsciente. A proprement parler, la surprise devrait être définie comme la réaction de défense opposée par l’individu à l’exhortation à oublier ce qu’il sait depuis longtemps et à redécouvrir dans la nouveauté des certitudes de toujours.
Il est évident que, dans cette perspective, la psychologie de la réceptivité à des impressions nouvelles se présente sous un jour différent. Peut-être n’existe-t-il en fait, selon les paroles du sage, rien de nouveau sous le soleil - dans le sens psychologique du terme bien entendu - si bien que nous serions incapables de discerner et de comprendre tout ce qui est totalement nouveau. Pour nous la seule façon d’assimiler la nouveauté et de nous en rendre maîtres, c’est effectivement d’établir un lien avec quelque chose que nous connaissons depuis longtemps, quoique pas forcément au niveau conscient.
Ce bagage de connaissances depuis longtemps familières peut déborder le cadre de l’ontogénèse. Il se dégage de l’analyse de certains traits du comportement de l’enfant la très nette impression que certaines bribes de connaissances sont acquises à un âge très précoce ou même innées. Au terme de l’analyse d’un cas de névrose infantile, Freud aboutit à la conclusion qu’une sorte de savoir difficile à définir agit chez l’enfant, que «quelque chose comme une prescience » détermine le remaniement des expériences primitives.
Ainsi nous ne pouvons nous défendre de l’impression que, d’une certaine façon, les explications prodiguées aux enfants sur tout ce qui a trait à la vie sexuelle viennent toujours trop tard. Cela nous rappelle la sortie d’une dame viennoise, bien connue pour ses incongruités, qui après avoir assisté à la générale d’une nouvelle pièce déclara: «C’est une œuvre merveilleuse, mais elle ne convient pas pour une première. » La résistance à laquelle la théorie psychanalytique s’est heurtée dans l’esprit du public est due principalement au refus d’admettre l’existence des connaissances refoulées, réaction dont nous connaissons bien les motivations affectives.
L’ahurissement que nous éprouvons en face de découvertes nouvelles est une réaction affective due au fait que nous y reconnaissons à grand-peine quelque chose que nous savions depuis longtemps, mais que nous avions éliminé du champ de notre conscience. Cette remarque s’applique aussi bien aux erreurs qu’aux vérités scientifiques. Toute acquisition de connaissances nouvelles est, d’une certaine façon, une anagnorisis de type inconscient. La phrase de Goethe, «Toute personne n’apprend que ce qu’elle peut », a l’air d’un paradoxe, mais en réalité elle n’en est pas un. Une pédagogie attentive aux problèmes psychologiques pourrait sans doute tirer un grand avantage pratique de ces découvertes analytiques si elle en faisait un usage lucide et réfléchi.
Je me suis efforcé d’interpréter dans une optique analogue les réactions affectives des hommes face aux divinités, aux cultes et aux rites étrangers dans mon article «Der eigene und der fremde Gott », publié en 1925. L’étude de la nature psychologique de la surprise devrait également porter ses fruits dans le domaine de l’esthétique, en enrichissant notre intelligence des phénomènes de la création et du plaisir artistique. Un récit nous tient en haleine s’il sait éveiller inconsciemment en nous des sentiments d’attente passionnée et s’il les exauce de manière inattendue ou dans des circonstances imprévues. :C’est un fait bien connu que dans une pièce de théâtre les rebondissements de l’action donnent l’impression d’être artificiels et gratuits si le spectateur n’y a pas été préparé inconsciemment d’une façon ou de l’autre.
Imaginons que dans un drame réaliste l’un des personnages principaux soit brusquement terrassé par une crise cardiaque au cours d’une partie de bridge chez des amis, mais que dans le courant de la pièce aucune allusion à cette maladie ou à une éventualité de ce genre n’ait mis par avance le public en condition. Si tant est que cette situation produise un effet dramatique, celui-ci ne pourra être que superficiel, analogue à celui provoqué par un tableau se décrochant du mur. L’effet aurait été plus profond si le public avait eu la possibilité de deviner par un biais subtil que le personnage en question avait déjà été sujet à des malaises ou à des évanouissements. Cette technique de l’allusion donne des résultats plus saisissants que d’autres formes plus grossières et voyantes de préparation à l’éventualité d’un événement dramatique.
Nous disons généralement que la mort d’un parent ou d’un ami nous frappe moins si nous y avons été préparés, par exemple par le fait qu’une maladie le consumait depuis longtemps. Cela est exact. Mais le choc est encore plus profond et plus durable si nous avons déjà envisagé à un moment ou l’autre cette possibilité, puis en avons refoulé la prévision (ou le désir) et si un beau jour nous apprenons brusquement la mort de la personne qui nous était chère, mort qui nous prend alors « au dépourvu ». Ces remarques jettent elles aussi une lumière nouvelle sur le problème psychologique du choc et de l’effroi.
Pour en revenir au vif de notre sujet, nous aimerions souligner une fois de plus que l’effroi qui est à l’origine des névroses traumatiques est de nature bien particulière. C’est l’effroi qui nous saisit lorsqu’un danger, qu’autrefois nous redoutions inconsciemment et auquel nous pensions avoir échappé, se concrétise soudain. Nous sommes convaincus que dans bien des cas cet effroi serait loin d’avoir sur nous un tel empire, n’était la profonde résonance que lui assure le sentiment de culpabilité inconscient.
Pour étayer cette thèse, je citerai divers facteurs mis en lumière par les savants qui se sont penchés sur le problème des névroses traumatiques et des névroses de guerre. Ceux-ci soulignent que si le choc traumatique s’accompagne d’une blessure ou d’une lésion organique, celles-ci ont le plus souvent pour effet d’empêcher le développement d’une névrose. Tout se passe en fait comme si la blessure, prenant valeur d’un châtiment, d’un équivalent de la castration, se substituait à l’effroi, qui ne subit que dans un second temps un remaniement psychique, et comme si elle gratifiait le sentiment de culpabilité inconscient ou le masochisme de l’individu. Cette situation est analogue à celle des gens qui échappent à la névrose en devenant victimes de troubles organiques ou en contractant un mariage malheureux, etc.
Telle est sans doute également l’explication de l’état d’esprit euphorique, quasi maniaque, qui s’empare après leur commotion de tant de combattants blessés à la guerre, bien qu’il ne faille pas oublier pour autant le rôle de divers autres facteurs tels que le plaisir de rentrer chez soi, la certitude d’avoir échappé à la mort, etc.
Ces gens ont payé leur tribut. Il ne peut plus rien leur arriver. Ils s’en sont tirés, pour ainsi dire, avec un œil au beurre noir. En outre, cette interprétation rendrait en partie compte d’un phénomène surprenant qui contredit la théorie analytique du rêve, à savoir que la victime d’une névrose d’accident ressasse sans cesse dans ses rêves la situation traumatique. Freud affirme que ces rêves ont pour but de permettre au sujet d’échapper à l’emprise de l’excitation qu’il a subie et qu’ils font naître en lui un état d’angoisse dont l’absence a été la cause de la névrose traumatique.
Ces rêves recherchent donc un résultat dont l’obtention est indispensable pour que le principe de plaisir puisse s’affirmer. Cette interprétation reste valable même si nous ajoutons pour plus de précision qu’ils représentent une réaction à la réactivation du sentiment de culpabilité. Ils sont en fait des accomplissements de désir portant sur des sentiments de culpabilité inconscients nés par réaction face à des motions pulsionnelles de type sadique qui ont été repoussées. Nous serions donc conduits à assimiler les rêves des victimes d’une névrose d’accident aux rêves de punition qui gratifient les tendances masochistes de l’individu.
Nous nous sommes contentés d’examiner ici dans une perspective analytique l’un des aspects du choc et de l’effroi. Toutefois nous ne saurions perdre de vue le rôle tenu par certains autres facteurs affectifs que nous n’avons pas abordés dans le cadre de cet article et dont l’importance est pourtant loin d’être négligeable. Je veux espérer que la présente tentative pour isoler un fil unique dans un tissu bariolé ne soulèvera aucune objection. On se gardera d’oublier qu’il en existe également une multitude d’autres et que l’impression générale n’est que la résultante de leurs effets simultanés."



banner_Freud.gif (4668 octets)
La tête de Méduse
(1922)
"Nous n'avons pas souvent tenté l'interprétation de figures mythologiques individuelles. Pour la tête coupée de la Méduse, qui provoque l'horreur, cette interprétation est à portée de main.
Décapiter = castrer. L'effroi devant la Méduse est donc effroi de la castration, rattaché à quelque chose qu'on voit. Nous connaissons cette circonstance par de nombreuses analyses, elle se produit lorsque le garçon, qui jusque-là ne voulait pas croire à la menace, aperçoit un organe adulte, entouré d'une chevelure de poils, fondamentalement de la mère.
Si les cheveux de la tête de Méduse sont si souvent figurés par l'art comme des serpents, c'est que ceux-ci proviennent à leur tour du complexe de castration et, chose remarquable, si effroyables qu'ils soient en eux-mêmes, ils servent pourtant en fait à atténuer l'horreur, car ils se substituent au pénis dont l'absence est la cause de l'horreur. Une règle technique - multiplication du symbole du pénis signifie castration - est ici confirmée.
La vue de la tête de Méduse rend rigide d'effroi, change le spectateur en pierre. Même origine tirée du complexe de castration et même changement d'affect. Car devenir rigide signifie érection, donc, dans la situation originelle, consolation apportée au spectateur. Il a encore un pénis, il s'en assure en devenant lui-même rigide.
Ce symbole de l'horreur est porté par la déesse vierge Athena sur son costume. Avec raison, car elle devient par là une femme inapprochable qui repousse toute concupiscence sexuelle. N'exhibe-t-elle pas l'organe génital de la mère, qui provoque l'effroi? Les Grecs, avec leur homosexualité généralement forte, ne pouvaient manquer de posséder une figuration de la femme qui repousse, et provoque l'effroi de par sa castration.
Si la tête de Méduse se substitue à la figuration de l'organe génital féminin, ou plutôt si elle isole son effet excitant l'horreur de son effet excitant le plaisir, on peut se rappeler que l'exhibition des organes génitaux est encore connue par ailleurs comme acte apotropique. Ce qui, pour soi-même, excite l'horreur, produira aussi le même effet sur l'ennemi qu'il faut repousser. Chez Rabelais, encore, le diable prend la fuite après que la femme lui ait montré sa vulve.
Le membre viril érigé sert lui aussi d'apotropaion mais en vertu d'un autre mécanisme. L'exhibition du pénis - et de tous ses succédanés - veut dire : je n'ai pas peur de toi, je te défie, j'ai un pénis. C'est donc une autre voie pour intimider l'esprit malin.
Reste que pour soutenir sérieusement cette interprétation on devrait suivre la genèse de ce symbole d'horreur isolé, dans la mythologie des Grecs, ainsi que ses parallèles dans d'autres mythologies."

 Effroi et inquiétante étrangeté
Freud analyse que l'inquiétante étrangeté vient du vacillement des certitudes liées aux perceptions et aux différenciations habituelles et rassurantes. La défiguration est hors de la figuration attendue, elle attaque la sécurité de l'harmonie visuelle , de l'équilibre esthétique attendu. Cela déstabilise notre narcissisme et cela vient toucher l'inconnu de nous même, notre inconscient. Il y a en chacun d'entre nous une part d'étrangeté. Et lorsque nous rencontrons un être humain" pas comme les autres " étrange, il risque de nous dévoiler, tel un miroir, notre propre étrangeté. Et voici la personne défigurée quasiment en position d'accusé, " Nous les brûlés avec nos cicatrices on est déjà une agression " disait l'un d'eux. Ainsi la personne " défigurée " nous tend un miroir qui met à nu nos imperfections et reflète une image dans laquelle nous répugnons à nous reconnaître, carelle porte atteinte à notre image de l'intégrité humaine et nous conduit aux confins de ce qui serait spécifiquement humain. De plus, les cicatrices sont la marque qu'il s'est passé quelque chose de grave, et un signe extérieur des souffrances qui ont été subies.

C'est ainsi qu'un patient brûlé au visage et dont les mains sont en partie amputées s'entend dire à l'arrêt du bus : " quelqu'un dans cet état ne devrait pas vivre ", ou bien une mère attendant sa fille, brûlée au visage, à la sortie de l'école entend : " Non mais regarde moi cette horreur !". Ou encore un patient, rendant visite à un voisin, s'entend dire : " Bon ben maintenant ça serait mieux que vous partiez parce que mes petits enfants vont arriver "
Chacune de ces 3 personnes a réagi de façon différente.
Bien souvent, sans qu'il y ait des réactions d'une telle agressivité, verbalisées, il y a une sorte d'effroi. Ainsi une patiente non brûlée hospitalisée longuement dans le service, me dit qu'il lui a fallu 6 ou 7 mois pour pouvoir approcher un patient brûlé gravement au visage, alors qu'elle a des contacts si faciles ; Ce qu'elle avait à l'esprit en le voyant c'est : " quest-ce qu'il a pu souffrir ! . Et j'imaginais ce feu dévorant, ce visage et ces mains". 2 ans après, je pouvais lui faire la bise et maintenant j e ne vois plus du tout les brûlés pareil "

Figure de l'inquiétante étrangeté, reprenons le mythe de la Méduse : l'effroi pétrifié

Méduse était l'une des trois Gorgones, trois monstres qui habitaient non loin du royaume des morts. Sa laideur tenait aux serpents grouillants qui entouraient son visage à la place des cheveux. Son regard était si perçant qu'il transformait en pierre quiconque osait affronter cette vision horrible et la regarder dans les yeux. Persée réussit à trancher la tête de Méduse en utilisant une ruse. Pour éviter d'être pétrifié par son regard, il s'approcha d'elle, se servant de son bouclier poli comme d'un miroir. Si bien qu'il parvint à s'emparer de la tête de Méduse qui lui servira de trophée permettant d'éloigner ses ennemis. L'effroi qu'inspire Méduse est lié à l'angoisse de castration comme le souligne Freud. Mais la monstruosité de la Gorgone joue également sur les interférences entre l'humain et le bestial, le masculin et le féminin, le beau et le laid. Ce mélange inquiétant suscite un effroi lié à ce qui est informe ou évoque la mort et l'altérité. Pour la brûlure il est arrivé que des patients nous parlent de leur " peau de serpent " ou encore une patiente me disait à propos du lambeau sur sa main : " ça me fait penser à une grosse limace que j'aurai, posé sur la main ".

Les catégories rationnelles de la pensée s'effondrent et la pensée magique refait surface. Pour parer à cette situation, un clivage s'opère dans le fonctionnement du moi entre la pensée rationnelle et la pensée magique qui co-existent en s'ignorant, le fantastique devient réel. Il y a mise en relation brutale d'une perception interne avec un fantasme refoulé. Cette collusion fait vaciller les différenciations du sens commun, le même et l'autre, la vie et la mort, les frontières entre l'organique et le psychique chancellent dangereusement.
Le regard que l'on porte sur un être " anormal " a une force agressive : Persée décapite méduse en se servant du miroir pour renvoyer au monstre son propre visage fascinant. L'anomalie blesse le regard et dès lors le regard blessé se veut blessant.
C'est ce mécanisme qu'avait très bien compris ce patient dont je parlais plus haut, qui, à l'arrêt du bus s'était vu adresser ces paroles terribles, radicales, témoignant d'un véritable clivage " les gens se font une histoire, ils sont dans l'imaginaire, si je ne dis rien, alors c'est malsain et donc je leur parle, je trouve bien quand ils viennent me demander, ça pose une question, ils s'interrogent et j'aime leur répondre ". La parole humaine vient là ainsi rompre le sortilège maléfique et l'effroi, les repères humains se remettent en place.
Mais pour en arriver là, il faut souvent du temps. Pour ce patient cela faisait 9 ans qu'il avait eu son accident. Il va très bien et a reconstruit sa vie de façon très satisfaisante malgré ses séquelles importantes. Tandis que ce patient dont le voisin lui disait de partir parce que ces petits enfants arrivaient, c'était son premier séj our chez lui, et cela a suscité un mouvement dépressif, d'autant plus important que cela correspondait déjà à une problématique personnelle sous jacente. Le fait qu'il ait été capable d'en parler lui a permis, dans un premier temps, de pouvoir surmonter cette blessure. Mais les soins ne sont pas terminés et il est encore très fragilisé.
Je voudrais insister également sur la difficulté rencontrée par les femmes auxquelles on a été obligé de raser les cheveux : elles sont confrontées, dans les premiers mois, à une difficulté supplémentaire dans le regard des autres qui touche à une problématique identificatoire : quand une jeune fille est prise pour un garçon ou qu'une femme entend qu'on lui dit " Bonj our Monsieur ". Le choc est touj ours important.

D'autres mythes ou Contes nous aident à réfléchir à ces problématiques

en danger les frontières entre l'humain et le bestial. Cela correspond également au témoignage de patients qui avaient, pour des raisons neurologiques, des mouvements incontrôlés, ou des sourds conversant en langue des signes (par le passé cette langue a été interdite) ou une patiente dont le corps est déformé par la polyarthrite rhumatoïde. Ces patients, comme les brûlés, peuvent être confrontés à ce rejet dû au fait qu'à ne voir que l'enveloppe on oublie le vrai visage de l'autre. Dans ces signes trompeurs, l'autre ne sait plus entendre un message humain et reste désemparé. Apparaît alors la crainte de voir en miroir chez cet autre atteint d'une anormalité, les forces obscures qui ne nous sont pas étrangères.

Avec le conte du vilain petit canard d'Andersen nous sommes dans ces maléfices du miroir avec un problème d'identification au même.
En effet le suj et atteint dans les parties visibles de son corps peut-être dans un lien de soumission aliénante au regard de l'autre, le regard de l'autre peut opérer comme un miroir maléfique, dont l'effet est destructeur et mortifère, lorsque le sujet, tel Narcisse, se noie dans un reflet au lieu de le constituer en objet interne. Narcisse n'est pas mort de s'être perdu dans le miroir d'une fontaine en Grèce en prenant son reflet pour son corps réel