vendredi 7 janvier 2011

Bizarreries dans les rêves : comment les expliquer?


 
Trois explications à la bizarrerie dans le rêve
À votre réveil, vous vous souvenez avoir rêvé, par exemple, que vous marchiez sur une plage au bord de la mer. Vous êtes arrivé devant un petit monticule de sable que vous avez gravi, puis vous vous êtes retrouvé arpentant le rez-de-chaussée d'un édifice en construction. Vous n'arrivez pas à expliquer le passage abrupt du bord de la mer à l'édifice en construction. Ceci illustre une caractéristique des rêves : l'histoire qu'on y trouve est souvent bizarre. Qu'est-ce qui explique la bizarrerie dans le rêve ?
Selon Freud, la bizarrerie du rêve est due au fait que l'individu refoule la séquence de son rêve qui se trouve entre les deux événements remémorés. Il s'est passé quelque chose, dans votre rêve, entre le bord de la mer et l'édifice en construction, mais un refoulement s'est appliqué à ce contenu de votre rêve vous empêchant d'y accéder.
Selon la théorie de l'activation-synthèse, une impulsion nerveuse, provenant de votre tronc cérébral et dont l'origine est biologique, est venue stimulée, pour une raison encore là biologique, le souvenir d'un édifice en construction ; ce souvenir a fait irruption à votre conscience et vous avez essayé de l'incorporer, sans grand succès, à la trame de l'histoire.
Selon une interprétation inspirée des idées de William James, il ne s'agit que d'une association d' « idées ». Dans votre mémoire, le petit monticule est associé avec un édifice en construction (parce que vous avez expérimenté, dans la réalité, dans une lecture, dans une fantaisie … l'une à la suite de l'autre, ces deux situations). Le souvenir de ce monticule a fait surgir le souvenir de l'édifice en construction qui y était associé.
D'autres interprétations à la bizarrerie dans le rêve pourraient été proposées. Mais des trois mentionnées ici, laquelle vous apparaît la plus vraisemblable ?
François Berthiaume

Y a-t-il toujours présence d'émotions dans les rêves?


 
Est-ce qu'il y a toujours présence d'émotions dans les rêves ? Les émotions présentes dans les rêves sont-elles toujours les mêmes ? Si oui, quelles seraient ces émotions ?
Ces questions vous intéressent ? Pourquoi alors ne pas y apporter un début de réponse en faisant des observations sur vous-mêmes ? Voici donc une suggestion de recherche à effectuer cet été.
Divisez la durée d'une nuit normale de sommeil en vingt parties égales, et indiquez le moment de la fin de chacune de ces parties sur une fiche séparée. Vous obtiendrez 20 fiches. Ajoutez à ces 20 fiches, 40 fiches blanches. Mélangez ensemble toutes les fiches. Trouvez un réveille-matin.
Demandez à une personne de votre famille de regardez la première fiche du paquet. S'il y a une heure d'indiquée, elle doit mettre le réveille-matin à cette heure ; s'il n'y a rien d'indiqué, elle doit faire semblant de mettre le réveille-matin à une certaine heure. Reprenez le paquet de fiches et placez la fiche à la fin du paquet. Reprenez le réveille-matin et, sans regarder s'il est activé (et si oui, à quelle heure il l'est), déposez votre réveille-matin à une distance de votre lit assez grande pour que vous soyez obligé de vous lever la nuit pour le fermer, et sur une table sur laquelle se trouvent une feuille de papier et un crayon.
La nuit, si le réveille-matin sonne, demandez-vous tout de suite « Est-ce que je rêvais ? ». Si oui, essayez de retrouver votre rêve. Tout en vous rendant fermer la sonnerie du réveille-matin, essayez de vous rappeler, dans le cas où vous rêviez, s'il y avait présence d'une émotion. Après avoir fermé la sonnerie, indiquez le résultat de votre observation sur la feuille : rêviez-vous oui ou non ; y avait-il oui ou non une émotion ; et dans le cas où il y avait une émotion, entourez, parmi les émotions primaires (joie, intérêt, tristesse, honte, culpabilité, peur, dégoût, surprise, colère, mépris), déjà indiquées sur votre feuille, celle qui était présente. C'est terminé, allez vous recoucher.
Accumulez ainsi une vingtaine d'observations. Plus si vous le pouvez. Analysez ensuite vos données et portez une conclusion.
Pourquoi ne pas analyser les rêves dont vous vous souvenez le matin au réveil ? Parce qu'il est peut-être rare que vous vous souveniez de vos rêves ; et surtout parce que ces rêves constitueraient vraisemblablement un échantillon biaisé de l'ensemble des rêves que vous faites.
Pourquoi les 40 fiches blanches ? Pour que vous ne sachiez pas si le réveille-matin va sonner. Ainsi, vous serez peut-être dans un état plus semblable à l'état dans lequel vous êtes dans une nuit normale. De plus, cela espace les nuits au cours desquelles votre sommeil sera affecté.
« Oui, mais ce n'est pas intéressant de se faire réveiller en pleine nuit ! », direz-vous. Vrai. Connaissez-vous beaucoup de recherches absentes de désagréments pour leur auteur ? Pensez, par exemple, aux nuits de l'astronome. « Mais y a-t-il compensation pour ses désagréments ? » Oui, il peut y en avoir une. Elle est grande. Le plaisir de la découverte, si petite soit-elle.
Vous aurez acquis avec votre recherche une connaissance. Certes, pas une connaissance qui peut e généraliser à tous les individus ; mais une connaissance qui vaut pour vous et qui est un pas dans la direction d'une réponse générale. Et peut-être aurez-vous, à force de penser à votre recherche, trouvez de nouvelles et intéressantes questions de recherche ; et aurez-vous aussi développé un intérêt pour ce mode d'acquisition des connaissances dans le domaine de la conduite de l'individu humain?
François Berthiaume

Voir clair dans ses rêves



Voir clair dans ses rêves
Le psychologue Antonio Zadra étudie le phénomène des rêves lucides.


«Alors, bien dormi?»
Le sujet no 11 ouvre les yeux dans une petite salle du laboratoire des rêves et cauchemars du Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques de l’Hôpital du Sacré-Cœur. «J’ai rêvé comme c’est pas possible», répond l’homme, encore somnolent, à l’assistant de recherche qui lui enlève les 19 électrodes posées ici et là sur son cuir chevelu, sa mâchoire et ses paupières.

Greg Webb est un habitué de cet endroit. Il lui arrive plusieurs fois par année de participer à des recherches menées sur le rêve dans cette clinique un peu particulière. «C’est un sujet très en demande, dit Antonio Zadra, professeur au Département de psychologie et chercheur associé au laboratoire. Greg parvient à retrouver la conscience alors qu’il rêve et à communiquer avec les expérimentateurs par le mouvement des yeux grâce à un appareil qui capte les signaux oculaires.»

On appelle cet état mental «rêve lucide». À ne pas confondre avec le fait de se souvenir de ses rêves. Au cours d’un «rêve lucide», le rêveur prend conscience qu’il est en train de rêver, explique le psychologue qui étudie le phénomène depuis une quinzaine d’années. «Par exemple, le rêveur lucide qui fait un cauchemar n’a pas besoin de se réveiller pour échapper à son mauvais rêve. Il sait que celui-ci est aussi inoffensif qu’un film d’horreur», indique M. Zadra.

Le rêveur lucide peut parvenir aussi à contrôler ses contenus oniriques. Certains, comme Greg, réussissent même à communiquer avec l’extérieur, un phénomène plusieurs fois observé au laboratoire de l’aile J du centre hospitalier. D’après le professeur, ces habiletés s’acquièrent assez promptement par la seule rédaction d’un journal de ses rêves. La méthode peut d’ailleurs faire l’objet d’un apprentissage pour vaincre les cauchemars.
Impossible de feindre un rêve lucide
Chez l’adulte, une nuit normale compte quatre ou cinq cycles de sommeil lent-sommeil paradoxal. Les rêves lucides surviennent au cours du sommeil paradoxal (SP), aussi appelé en anglais «REM sleep» (pour rapid eye movements). Pendant cette phase de sommeil, caractérisée par une irrégularité cardiovasculaire, une succession de mouvements rapides et saccadés des globes oculaires et une absence de tonus musculaire, l’activité cérébrale est comparable à celle observée en état de veille.

«Si l’on compare les ondes de l’électroencéphalogramme (EEG) aux rythmes des vagues sur une plage, l’activité électrique d’un sujet détendu avec les yeux ouverts est de faible amplitude et de haute fréquence (ondes alpha et bêta), explique Antonio Zadra. Elle ressemble à des petites vagues qui se brisent en écume en roulant sur le sable. Inversement, les ondes lentes delta du sommeil profond, en nombre plus restreint, correspondent à des houles énormes qui déferlent sur la grève.»

En plus de dresser la topographie des zones cérébrales actives à partir des observations électrophysiologiques, M. Zadra tente de quantifier les courants émis par les neurones du cortex avant et pendant le rêve lucide. En collaboration avec Toré Nielsen, professeur au Département de psychiatrie et directeur du laboratoire des rêves et cauchemars, il a déjà démontré qu’un certain degré d’activation corticale est nécessaire à la prise de conscience pendant le rêve.
«Les sujets ne peuvent pas faire semblant de dormir ou de simuler un rêve lucide, puisqu’il est impossible de feindre la paralysie musculaire qui accompagne le sommeil paradoxal», avise le psychologue, dont les travaux comprennent également un volet destiné à décrire les mécanismes neurobiologiques responsables des rêves.
La preuve
L’existence du rêve lucide a été prouvée grâce à une technique faisant appel à des signaux émis par mouvements oculaires. L’expérience en laboratoire se déroule en deux étapes. Dans la première, on fixe des électrodes sur le sujet, une personne apte à faire des rêves lucides. Les signaux électriques transmis par les neurones sont alors mesurés électriquement par l’EEG. Avant de dormir, le sujet reçoit la consigne d’effectuer, toutes les fois où il prendra conscience qu’il rêve, une série de mouvements oculaires prédéterminés, par exemple quatre mouvements extrêmes gauche-droite suivis d’un compte mental de 1 à 10 et de trois mouvements verticaux des yeux.


«Ces mouvements oculaires ne se produisent pas en temps normal pendant le sommeil, soutient M. Zadra, et ils sont facilement repérables grâce à l’électro-oculogramme. Lorsque le premier signal du rêveur lucide est communiqué à l’expérimentateur, ce dernier peut déterminer sur le tracé EEG le moment exact de la prise de conscience. Cela permet de mesurer les ondes associées à un contenu onirique particulier et d’établir des liens psychophysiologiques.» En soi, le fait que le rêveur lucide est capable de se souvenir d’une tâche précise à accomplir et de l’exécuter est déjà surprenant: l’épreuve suppose que le sujet est en pleine possession de ses facultés cognitives, même endormi.

Deuxième étape: le sujet, cette fois éveillé, refait les mêmes mouvements oculaires. Résultat: le patron d’activation cérébrale associé à l’accomplissement d’une tâche dans son rêve lucide correspond à celui de l’état de veille. «On a ainsi pu établir que pendant le rêve lucide en sommeil paradoxal notre cerveau réagit aux actions sensiblement de la même manière que lorsque nous ne dormons pas», allègue Antonio Zadra. Cette idée a été confirmée par des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, à Caen (France): les zones cérébrales activées pendant un rêve sont analogues à celles sollicitées durant l’éveil.

«Si l’on rêve d’une sensation motrice — porter une valise par exemple —, l’aire sensorimotrice associée à la main est activée; la main gauche se projette dans la région centrale droite et la main droite dans la région centrale gauche. Un rêve auditif activera les zones auditives (la zone temporale, située près de la tempe, et associée à l’audition et au langage) et un rêve visuel les zones occipitales et pariétales (situées vers l’arrière du cerveau)», peut-on lire sur le site Web du laboratoire de cartographie EEG.

«Un réveil provoqué durant le sommeil paradoxal est accompagné dans 80 % des cas d’un rappel de rêves, signale le professeur Antonio Zadra. Mais nous rêvons aussi pendant d’autres phases de sommeil. Toutefois, les rêves lucides se produisent seulement durant le sommeil paradoxal, car un certain degré d’activation corticale est nécessaire à la prise de conscience pendant le rêve.»

D’autres travaux ont permis d’observer que les rêves érotiques sont liés à des réactions physiologiques semblables à celles de l’activité sexuelle réelle. Pour le cerveau, rêver d’une nuit torride avec l’être cher équivaudrait à la vivre pour de vrai.
C’est peut-être ce qui expliquerait pourquoi certains ont tendance à prendre leurs rêves pour la réalité…

Dominique Nancy
Un phénomène encore controversé
Un rêve lucide peut-il réellement avoir lieu pendant que le rêveur dort? Oui, répond Mathieu Pilon. Mais un véritable fossé s’est creusé entre ceux «qui y croient» et ceux «qui n’y croient pas». L’étudiant, qui entreprend un doctorat sous la direction du professeur Antonio Zadra, a présenté une conférence sur le sujet en mai dernier au congrès de l’ACFAS. «Pour certains scientifiques, le rêve lucide ne peut pas se produire durant le sommeil, rapporte-t-il. Car si la personne affirme “Je fais présentement un rêve”, c’est certainement qu’elle ne dort pas.»

Le fait que des fragments d’événements de la vie diurne sont fréquemment présents dans les rêves a longtemps induit les spécialistes en erreur. Au début des années 50, le philosophe Norman Malcolm a proposé l’idée que les rêves avaient lieu dans une période transitoire entre le sommeil et l’éveil. Pour lui, les rêves étaient des résidus de l’information absorbée inconsciemment pendant le jour et insérée dans les mécanismes de notre mémoire, soutient le jeune chercheur. Les rêves lucides étaient alors considérés comme des souvenirs diurnes ou associés à des expériences qu’on pense avoir vécues.

Cette hypothèse a été réfutée une trentaine d’années plus tard, lorsqu’on a montré expérimentalement que les rêves lucides surviennent pendant le sommeil paradoxal. Mais pour plusieurs encore, c’est le rêve lucide en soi qui est paradoxal, car le phénomène ne concorde pas avec leur conception du sommeil et du rêve. Pour eux, ces états sont associés à une suspension complète des processus conscients.

«L’observation a pourtant été corroborée par six équipes de chercheurs dans le monde, fait valoir le psychologue Antonio Zadra. Le Centre d’étude du sommeil et des rythmes biologiques de l’Hôpital du Sacré-Cœur est l’un des premiers au Canada à avoir mené des études en laboratoire sur le rêve lucide.»

Histoire du rêve lucide



Le rêve lucide n'est pas une technique découverte par les explorateurs du rêve ou par notre psychologie moderne. Un certain nombre d'ethnies, dénommées dream-cultures, l'utilisent depuis longtemps déjà et la plus célèbre est celle des Sénoï.

1. Les Dream-Cultures
Certaines cultures connaissent le pouvoir du rêve et elles pensent que certains rêves sont une porte ouverte sur d'autres mondes.
Par exemple, les Kpelle du Liberia - étudiés par l'anthropologue B.L. Bellmann - disent que des projets et des entreprises peuvent être conçus au cours d'un rêve pour ensuite parvenir à leur accomplissement concret dans la vie éveillée :

    « Les Kpelle peuvent, par exemple, acquérir dans le rêve un savoir de type médical communiqué par les esprits et se servir de ce savoir dans le monde de la vie quotidienne. »
Beaucoup de sociétés traditionnelles ont valorisé le rêve et l'ENOC du rêve et, en fait, le monde est émaillé de ce que les anthropologues appellent Dream-Cultures. Toutes les cultures chamaniques de la planète sont, peu ou prou, des dream-cultures : les Amérindiens des trois Amériques, les Sibériens, les Australiens, les Polynésiens ; certaines populations en Corée, en Chine et au Japon, en Inde ; en Hongrie même, encore au début de ce siècle, officiaient les taltos, les derniers chamans magyars. Les cultures africaines et leurs extensions dans le vaudou haïtien, la macumba et le candomblé brésiliens ou la santéria cubaine, elles aussi, attachent énormément d'importance au rêve - à ce domaine de l'« autre côté » du jour, quand un des aspects du Moi s'en va voyager dans cet ailleurs du rêve pour y faire des expériences, ou pour en ramener quelque chose, ou pour y rencontrer des aspects du Sacré. Il en est de même pour l'islam mystique (soufi, chiite).
Pour toutes ces cultures, la recherche du sens du rêve est importante : en déchiffrer la signification, pour le rêveur ou pour la collectivité, justifie d'y mettre le temps, l'attention, la disponibilité. Car l'homme et le monde peuvent être enrichis par la compréhension du rêve.

Pour certaines cultures, le rêve est même fondateur du monde tel que nous le connaissons, et reste fondateur encore des changements qui peuvent s'y imprimer ici et maintenant : les Aborigènes d'Australie sont une telle culture.
Pour les Aborigènes, l'homme et le monde sont venus à l'existence dans le Temps du Rêve, Dreamtime, le Commencement - l'époque mythique que l'ethnie Aranda appelle Alcheringa et l'ethnie Warlpiri, Jukurrpa - par l'action des Êtres-Créateurs primordiaux.
Mais Dreamtime n'est pas seulement l'aube des temps : Dreamtime est permanent, il coexiste avec le moment présent. En réalité, Dreamtime est une dimension parallèle au temps et à l'espace concrets des hommes et il est atteignable à tout moment à travers le rêve de l'initié ou du chaman (mais aussi de celui, quel qu'il soit, qui y parvient de façon spontanée). Dreamtime existe, ici et maintenant, sur un autre plan, dans une autre réalité, et il a une action sur le monde et la vie des hommes. En effet, d'une certaine manière, les Êtres-Créateurs primordiaux, après avoir fait de la Terre ce qu'elle est, se sont assoupis. Et c'est par leurs rêves qu'ils continuent à agir sur le monde contemporain, le reconnectant à la mémoire et à la connaissance totales, le transformant, l'informant, le renouvelant. Dreamtime, c'est aussi leur rêve constant auquel les hommes ont accès par leurs propres rêves.
En fait, les Aborigènes préfèrent utiliser en anglais le mot Dreaming (action d'être en train de rêver), pour insister sur l'aspect actif, dynamique, agissant, du Temps du Rêve sur l'ici et le maintenant. Car, sans le rêve continuellement créateur des entités primordiales, aucun enfant humain, animal ou végétal ne pourrait venir à naître - et ce serait alors la fin de toute vie.
Pour les Aborigènes, le rêve est, avec la transe, le moyen privilégié d'entrer en communication avec Dreamtime, avec le Dreaming permanent des Êtres-Créateurs, et d'obtenir alors enseignements, informations, pouvoirs, révélations. Le rêve est ainsi le moyen de voyager dans cet espace-temps à la fois immobile, éternel, permanent, du Temps du Rêve d'où tout est issu - et de recevoir un peu de son potentiel créateur au service de l'être humain, de la communauté humaine et de l'ensemble du créé.
Pour les Aborigènes donc, le rêve de l'homme est une des « portes » d'accès vers cette dimension atemporelle, en perpétuelle transformation, et, paradoxalement, en constant re-souvenir de ce qu'elle est - a été - sera, de tous temps, en toute fidélité à elle-même : Dreaming, Dreamtime.
Le rêve est là également vu comme le lieu de la complétude de l'être humain. En effet, pour certaines ethnies aborigènes, l'homme a deux esprits, le mipi et le ngorntal. Il naît avec ces deux esprits, mais le ngorntal le quitte au moment de la suture de la fontanelle. Pendant toute la vie, ce n'est que dans le rêve que le mipi peut rejoindre le ngorntal et ce n'est que par cette réunion que l'accès à Dreamtime est rendu possible (la réunion définitive des deux esprits s'opère à nouveau à la mort). Ainsi, l'être humain dans son vécu quotidien - son ECO - est, pour les Aborigènes australiens, en état de séparation, il est incomplet.
Dans certaines parties de l'Australie, le rêve est considéré comme le moyen de communiquer avec les âmes des morts. Celles-ci ont la capacité d'emmener le rêveur au ciel pour l'y initier et, au réveil, celui-ci devient Birark, un chaman. Avec cette initiation en rêve, il a reçu l'aptitude à entrer en transe en état de veille pour communiquer avec Dreaming et en rapporter des chants, des danses, des rites.

a. Le pouvoir de guérir
Le rêveur peut également recevoir un enseignement, transmis par l'esprit d'un parent mort, ou être enseigné en rêve par un guérisseur vivant : il devient alors guérisseur à son tour et se trouve en possession de pouvoirs et d'un prestige magico-religieux que chacun lui reconnaîtra.
Voici le récit d'une telle initiation . Wilu est un guérisseur connu d'une ethnie d'Australie Centrale et son fils, Nemienya, présente de bonnes dispositions pour devenir guérisseur à son tour. Un soir, alors que le père et le fils dorment côte à côte près du feu, Wilu abandonne son corps d'homme et en fait sortir son esprit (c'est là l'ENOC que nous appellerions OBE, décorporation ou transe ecsomatique). Il transforme son esprit en lui donnant la forme d'un faucon-aigle et c'est alors qu'il extrait l'esprit de Nemienya du corps de ce dernier. Le père conduit le fils, toujours en esprit, au sommet d'une haute colonne de roche, dans le pays étrange des Nungari, des guérisseurs. C'est là que l'esprit de Wilu explique à l'esprit de Nemienya les secrets de ce monde extraordinaire et lui montre les merveilles et les pouvoirs qu'il recèle.
Peu avant l'aube, les deux hommes retournent auprès de leurs corps vides et les réintègrent. Au matin, Wilu demande négligemment à son fils : « À quoi as-tu rêvé la nuit dernière ? »
Et Nemienya montre alors qu'il a le souvenir de son équipée nocturne. Or, si le jeune homme n'avait eu aucune mémoire de cette expérience, ou bien s'il avait rêvé d'autres choses, le père en aurait inféré que son fils n'était pas encore prêt à recevoir cet enseignement et il aurait attendu quelque temps pour conduire à nouveau en rêve son parent dans le monde des Nungari.
Il y a là quelque chose d'important : beaucoup d'Aborigènes traditionnels pensent que nombreux sont ceux qui ont fait de tels voyages initiatiques en rêve, mais sans en rapporter de souvenirs dans leur vie éveillée. Ils ont ainsi échoué dans l'apprentissage de l'art d'être chaman - or, être chaman est le grand honneur auquel tous aspirent, mais auquel peu parviennent.
Nemienya, lui, ayant réussi l'épreuve, y a gagné les moyens de guérir, de contrôler les esprits de l'obscurité, de guider les « esprits-enfants » à la recherche d'une incarnation, et d'autres prestigieux pouvoirs magiques.
Lorsqu'un homme aborigène rêve plusieurs fois que, sous une forme animale, il assiste à un rite associé à cet animal, cela lui confère des pouvoirs ou des talents particuliers. Et de même, c'est en rêve que s'acquiert la capacité à se déplacer à l'éveil à une vitesse surhumaine , ou à devenir bunjil, « sorcier »...
Une jeune fille ne devient une vraie femme que si elle acquiert le pouvoir d'entrer en contact avec le Jukurrpa, Dreamtime. Son esprit peut alors se joindre à la très puissante assemblée des femmes ancestrales dans le Dreaming, et apprendre nombre de choses d'elles en rêve.
Ainsi, en Australie, le rêve est le moyen d'accès à la puissance du temps des origines, à la remémoration des savoirs et connaissances conférée par la communication avec Dreamtime, aux pouvoirs magiques et religieux au service de la communauté humaine, à la communication avec le Sacré. Dreaming fonde tout le respect de la nature et toute la spiritualité aborigène. Le rêve est cette « porte dimensionnelle » qui ouvre sur le potentiel créateur, la mémoire collective et la connaissance totale. Sur le Sacré.
L'Australie aborigène est donc une dream-culture. Au matin, on raconte les rêves aux autres membres du clan - et pour les rêves très particuliers, seulement à l'assemblée des anciens ou au chaman. Ces rêves sont interprétés et, si alors le message onirique est considéré comme important, il en est tenu compte dans les décisions, les actes ou les rites (bien sûr, il y a aussi des rêves qui sont jugés banals). Le rêveur peut, comme chez les Senoï que nous verrons plus loin, « ramener » de son rêve un témoignage tel qu'un chant, un dessin, une danse, une peinture, qui lui a été donné par une entité visitée dans son rêve. Si cela est accepté par la communauté, cela rentre dans le patrimoine commun.
Ainsi, on voit bien que le rêve influence tous les aspects matériels et spirituels dans la société aborigène traditionnelle : les déplacements, la communication, les décisions, l'art et la technique, la guérison, la géographie sacrée, la compréhension et les représentations du monde, l'initiation, les rites, la religion, la mort...
Pour l'anthropologue A.P. Elkin, les initiés aborigènes, hommes-médecine et chamans sont des men of high degree, hommes de haut niveau de connaissance et il met leurs pouvoirs parapsychologiques en parallèle avec ceux des yogis de l'Inde et du Tibet, comme le souligne Éliade :

    « Elkin compare les pouvoirs parapsychologiques des hommes-médecine australiens aux exploits des yogis de l'Inde et du Tibet. (...) ååIl se pourrait, écrit Elkin, qu'il y ait un lien historique quelconque entre le yoga et les pratiques occultes de l'Inde et du Tibet, d'une part, et les pratiques et pouvoirs psychiques des åmen of high degree', d'autre part.'' »
2. Les Senoï
Des anthropologues, tels que Herbert Noone et Kilton Stewart, et Patricia Garfield après eux, ont longuement étudié cette ethnie de Malaisie et ses traditions. Une des particularités majeures de cette population est son intérêt fondamental pour les rêves et pour l'entraînement mental au rêve lucide.
Patricia Garfield, qui les connaît bien, dit des Sénoï :

    « Les Sénoï sont parvenus à un niveau d'évolution que nous cherchons vainement à atteindre. Pacifiques, ils ne connaissent que très exceptionnellement la violence (...) Ils préservent cette paix en dépit des tribus guerrières voisines, celles-ci craignant le pouvoir des Sénoï qu'elles considèrent comme magique. (...) Mais la caractéristique la plus étonnante des Sénoï est sans doute leur extraordinaire équilibre psychologique. Les névroses et psychoses, telles que nous les définissons, leur sont inconnues. »
Ce si remarquable équilibre psychologique des Sénoï a même amené K. Stewart à élaborer une thérapie en s'inspirant de l'approche du rêve chez ce peuple. Voici les principes Sénoï touchant au rêve :
- S'entraîner à prendre conscience de ce que l'on rêve.
- Toujours affronter le danger apparu en rêve.
- Toujours vaincre le danger apparu en rêve.
- Les personnages du rêve sont des ennemis seulement aussi longtemps que l'on accepte de les craindre. Pour cesser de les craindre, il faut attaquer et vaincre.
En rêve, lorsqu'un monstre ou un sorcier attaque, plusieurs comportements sont possibles :
- la fuite dans l'éveil - qui laisse un sentiment d'insatisfaction ou d'anxiété parfois intense ;
- ou bien le rêve se poursuit et l'angoisse monte, jusqu'à la défaite ;
- ou bien un de ces « courts-circuits » se produit qui fait sauter ce rêve sur un autre où le danger n'est plus, mais il reste un sentiment diffus de malaise...
Ou alors, avec l'entraînement sénoï, le péril est vaincu en rêve, lucidement, en prenant conscience du fait que l'on rêve, ainsi le rêveur contre-attaque avec vigueur.
Il faut toujours vaincre le danger apparu en rêve : il faut se retourner et agresser le monstre ou tout ennemi. Et alors, peut-être, le « monstre » parlera au rêveur en ami, ou bien se transformera en un animal tutélaire, ou bien disparaîtra tout simplement... Ou toute autre chose qui laisse le rêveur vainqueur, dans la logique analogique et symbolique du rêve.
Du point de vue des Sénoï, on ne doit pas avoir peur de tuer l'agresseur du rêveur. D'abord parce que cela n'enclenche aucun maléfice, à aucun niveau : ni matériel, ni psychologique, ni spirituel. En effet, pour les Sénoï, ce qui attaque en rêve est une figuration de quelque chose de négatif en soi, de toute l'énergie investie par exemple dans un blocage, une peur, une frustration. Il est alors facile de comprendre que tuer délibérément cet ennemi libère cette énergie coincée pour la mettre à nouveau à la disposition du vécu. Donc, la connaissance du rêve des Sénoï conseille de ne pas hésiter à tuer l'agresseur, et l'on peut généralement constater que cela engendre souvent l'arrivée d'un personnage ami, allié ou protecteur, figuration positive cette fois-ci, montrant la mise à disposition de cette énergie débloquée.
Ainsi, les personnages du rêve sont, pour les Sénoï, des ennemis seulement aussi longtemps que l'on accepte de les craindre. Pour cesser de les craindre, il faut attaquer et vaincre. Lorsque le danger onirique est lié, non pas à un être agresseur, mais à un élément (se noyer, tomber d'une falaise, se trouver sous des éboulis ou dans un incendie, par exemple), le rêveur sénoï doit, là aussi, se sortir victorieusement de l'impasse apparente. S'il tombe, il peut diriger sa chute, atterrir - et même décider d'un lieu intéressant pour l'atterrissage, dans lequel il peut découvrir ou apprendre quelque chose, par exemple. Mais en tous cas, ne pas se raidir, s'affoler, ou s'éveiller sans avoir résolu la difficulté à son avantage.
Une des choses les plus significatives qu'enseignent les Sénoï est la suivante : lorsqu'on a affronté et vaincu un adversaire dans le rêve, il faut le forcer à faire un cadeau. Cela pourra être quelque chose touchant à un art : par exemple l'inspiration d'un poème ou d'une peinture ou d'un chant; ou bien une idée, une invention ou la solution d'un problème, d'une difficulté présente dans la vie éveillée. Ce cadeau offert par l'être du rêve devra ensuite être concrétisé dans la vie diurne : le chant devra être chanté, le poème dit et l'invention devra être objectivée de quelque manière; la solution devra être appliquée par le rêveur et l'idée communiquée et cultivée.
Un autre chose a son importance : tout ennemi vaincu (qu'il soit végétal, animal, humain ou autre) est « transmuté » ainsi en rêve en une entité tutélaire, il demeure un ami et peut devenir un guide, un conseiller, un assistant. Il pourra même être ensuite appelé à la rescousse lors d'autres agressions de rêve et combattre alors en allié du rêveur. Ainsi, les Sénoï ont souvent plusieurs « guides », « esprits » tutélaires de rêve, qu'ils ont acquis de haute lutte onirique.
Les grands chamans sénoï, eux, en possèdent un grand nombre, dont certains sont d'essence spéciale : esprit du tigre, ou d'une plante particulière, d'un rocher ou d'une cascade, par exemple. Ces entités, en plus de leur fonction d'aide, ont également un rôle d'informateurs : ils enseignent et conseillent.
Pour les Sénoï, il n'y a pas que les combats, dans le rêve. Tout rêve, quel qu'il soit, doit aboutir à des avantages pour le rêveur : soit la victoire, soit un cadeau, soit du plaisir - y compris sexuel -, soit une information et une connaissance ou une découverte. Le rêve doit toujours être lucidement orienté de manière positive.
« Qu'as-tu rêvé cette nuit? » est la question la plus fondamentale dans la vie de tout Sénoï et, pour lui, le rêve est à la fois source de savoir, de pouvoir, de jouissance et de plénitude. Dans le rêve se trouve la source de la créativité, des réponses, des solutions, des conseils. D'une certaine manière, les Sénoï rêvent la nuit ce que sera demain.
En tous cas, l'éducation donnée aux enfants Sénoï insiste extrêmement sur le rêve et l'apprentissage de sa maîtrise. De toute évidence, cette approche éducative produit des adultes équilibrés, sains et forts - au point même d'être à la fois pacifiques et redoutés de leurs voisins belliqueux, les soupçonnant de détenir de puissants atouts magiques.

3. Le yoga du rêve tibétain
Si le rêve lucide peut apparaître spontanément chez un dormeur, quelle que soit sa culture, et si, pour chacun qui le souhaite, il peut aussi être lié à un entraînement volontaire, on ne connaît à ce jour que deux populations qui l'ont cultivé comme un ENOC fondamentalement important : les Sénoï et les bouddhistes tibétains - souvenons-nous d'ailleurs que dans les racines du bouddhisme tantrique il y a un chamanisme : le bon.
Peut-être y a-t-il d'autres peuples ou ethnies qui ont cultivé le rêve lucide, mais comme il est souvent difficile d'étudier et de connaître avec précision toutes les pratiques d'une ethnie, celle du rêve lucide a peut-être bien pu échapper à nombre de chercheurs dont l'intérêt était plutôt porté sur d'autres aspects culturels plus évidents - le rêve lucide est une procédure nocturne totalement indécelable à tout observateur extérieur et dont il ne peut avoir connaissance que si on le lui rapporte - ou s'il pose les bonnes questions. Mircéa Éliade, à cet égard, a écrit :

    « Nul n'ignore que les savants occidentaux ont surtout mis l'accent sur les aspects matériels des civilisations, sur la structure familiale, l'organisation sociale, les lois tribales, etc. ».
Alors, il est bien possible que le rêve lucide ait été beaucoup plus répandu, mais invisible pour le regard de qui ne le cherchait pas, et que l'on soit passé à côté des connaissances en la matière de nombres d'ethnies maintenant disparues ou acculturées.
En ce qui concerne la maîtrise du rêve chez les yogis de l'Inde et les moines du Tibet, il ne faut pas s'en étonner dans la mesure où ils manifestent déjà une maîtrise du corps que nous ne pouvons qu'à peine concevoir. De Alexandra David Neel à Walter Yeeling Evans-Wentz, de Mircéa Eliade aux grands lamas aujourd'hui en exil, tous nous parlent de choses impossibles réalisées par certains moines, comme la production de cette « chaleur psychique » qui permet de sécher sur son corps nu, par vingt degrés en dessous de zéro, quantité de linges trempés dans de l'eau glacée. Bien d'autres prodiges nous ont été rapportés sur les facultés hors norme de certains hommes entraînés : capacité à se déplacer avec une très grande endurance comme les lamas Loung-gom-pa, évoqués plus haut.
La maîtrise des rêves fait partie de la doctrine de l'Eveil visant à la compréhension et à la connaissance absolues de la réalité du monde. L'adepte qui parvient à l'Eveil prend conscience que le monde matériel est illusoire et qu'il n'y est soumis que tant qu'il lui accorde un statut de réalité. Il s'affranchit alors de cette illusion et entre dans le domaine de la vraie réalité, le Nirvana.
Il y a six niveaux successifs dans la démarche vers l'Eveil. La maîtrise des rêves est le troisième niveau, après la maîtrise de la chaleur psychique et la maîtrise du corps. Le quatrième niveau correspond au pouvoir de reconnaître la « lumière » et touche à l'extase. Le cinquième niveau est la compréhension de ce que tout l'univers n'est qu'une partie du rêve de Bouddha, et le dernier niveau, le sixième, est celui de l'Illumination : le yogi saisit pleinement qu'il n'est lui-même qu'une infime partie de ce grand rêve. C'est alors qu'il devient Bouddha à son tour et sort de la roue des renaissances.
Il est probable, en tous cas dans l'état actuel de notre savoir, que c'est le yoga tantrique himalayen qui a poussé le plus loin les techniques de maîtrise du rêve. La doctrine bouddhiste postule que le monde et la vie sont rêve - et qu'il n'y a aucune différence d'essence entre le rêve et ce que nous percevons comme la « réalité ». Rêve et réalité ne sont qu'un seul et même continuum, Pierre Riffard nous l'explique :

    « Le rêve est un des bardo, des états intermédiaires. Le yogi doit réaliser que l'état de rêve, que l'on sait faux, ressemble à l'état conscient, que l'on croit vrai. Là encore, l'enseignement est double. Il est théorique en ce que le sage identifie veille et rêve comme mondes d'images, d'apparences. Il est pratique en ce que l'initié peut voyager en esprit, multiplier ses images, métamorphoser les images du rêve, les maîtriser, pour guérir, pour connaître, pour agir magiquement (en manipulant les images, les pensées). En rêve, le yogi peut être conscient, et, en état de veille il peut rêver, de sorte que s'établit une identité des contraires, un dépassement de la condition normale. Surgit alors la connaissance profonde, celle qui voit dans les pensées de simples formations. »
Rêve et réalité sont donc essentiellement identiques et le contrôle du rêve fait partie de la Voie. Alors le yogi s'entraîne à conserver sa lucidité en état de rêve - corps endormi et esprit vigilant - à transformer le contenu du rêve et à garder une conscience totale et permanente de tout son vécu onirique.
La doctrine tantrique touchant au rêve est la suivante : il faut comprendre la nature de l'état de rêve, contrôler le contenu du rêve, réaliser son caractère illusoire et méditer sur l'état de rêve. Pour cela il faut donc maintenir une continuité de la conscience dans la veille et dans le sommeil. Dans ce but, des techniques particulières de respiration et de visualisation sont utilisées dans les monastères, des postures spéciales sont pratiquées ainsi qu'une ascèse et un entraînement psychique. Cet entraînement cherche également à bannir toute peur, toute angoisse, liées aux images du rêve : la conscience de rêver élimine toute terreur face à des entités terrifiantes pouvant surgir pendant le songe.
Il y a là une analogie avec les conceptions des Sénoï : le moine tibétain doit comprendre, affronter et vaincre les images oniriques terribles. Ou bien les dédaigner : le yogi doit connaître pleinement la nature de ces créatures du rêve - illusoires, et donc sans action sur son être et son mental s'il ne le permet pas.
La maîtrise du rêve chez les Tibétains est une étape vers l'illumination. Evans-Wentz nous donne des détails quant à cette maîtrise :

    « Par ces méthodes, le yogin a une conscience aussi nette dans l'état de rêve que dans celui de la veille et, passant de l'un à l'autre, il n'a pas d'arrêt de continuité de la mémoire. On trouve alors que ces deux états sont semblables, absolument phénoménaux et donc illusoires. Toutes les formes multiples organiques et inorganiques existant dans la nature, y compris les formes des dieux et des hommes, sont purement phénoménales, et les expériences du rêve et de l'état de veille semblent également des mirages comme est l'image de la lune se reflétant dans l'eau. Le but du yogin est d'atteindre l'état causal ou nouménal ou peut seule être atteinte la réalisation de la Réalité. »
L'entraînement du yogin passe donc d'abord par cette continuité de la conscience entre l'état de veille et l'état de rêve, puis, grâce à la maîtrise de la visualisation qui permet de créer des formes et des environnements à volonté dans le rêve conscient et lucide, le yogin s'entraîne à maîtriser ses émotions et ses réactions en créant par
exemple du feu et en marchant dedans. Ainsi, il comprend pleinement l'aspect illusoire de son environnement.
Après ces exercices, il peut voyager dans les autres royaumes des Bouddhas et les vivre pleinement avec tous ses sens en éveil. La suite de l'enseignement consiste à réaliser que l'état de veille est de même nature et donc peut aussi être modifié, puisqu'il est illusion :

    « Le yogin apprend ainsi que la matière ou la forme dans son aspect de dimension, grand ou petit, et son aspect numérique de pluralité ou d'unité, est entièrement soumise à sa volonté quand son pouvoir mental a été suffisamment développé par le yoga. En d'autres termes, le yogin apprend par l'expérience actuelle, résultant de l'expérimentation psychique, que le caractère de tout rêve peut être changé ou transformé en désirant qu'il le soit. Au pas suivant il apprend que la forme, dans l'état de rêve, et le multiple contenu de rêves, ne sont que jeux de l'esprit et aussi instable qu'un mirage. Le pas suivant lui fait connaître que la nature essentielle de la forme et toutes choses perçues par les sens dans l'état de veille sont aussi irréelles que leurs reflets dans l'état de rêve, ces deux états du Samsara. »
Le rite du Chöd - dont les origines plongent dans l'animisme pré-bouddhique - peut être considéré comme le summum de cette pratique. Dans ce rituel, le yogin s'en va dans un endroit isolé de la montagne, de préférence là où l'on a déposé les corps brisés des défunts afin qu'ils soient mangés par les prédateurs (coutume funéraire courante dans ces endroits très rocailleux). Le rituel est complexe : il comporte des danses, des mantras, de la musique (tambour [damaru] et trompette de fémur [kanglig]) et l'on y utilise des objets rituels : le dorje, la cloche, une tente miniature, un sceptre surmonté d'un trident, une petite bannière. Voici le déroulement du rituel :

    « À l'ouverture du rite, l'adepte sous la forme d'une certaine déité féminine danse la danse qui détruit les croyances erronées. Identifiant ses passions et ses désirs à son propre corps, il l'offre en festin aux Dãkinis. Il le visualise ensuite comme un immense ≥cadavre gras et succulent≤ et, s'en retirant mentalement, il regarde la déité Vajra-Yogini lui trancher la tête pour en faire un gigantesque chaudron où elle jette par gros morceaux sa chair et ses os. Puis en prononçant certains ≥mots de pouvoir≤, il transforme l'offrande en pure ≥amrita≤ (nectar) et invite les différents ordres d'êtres surnaturels à venir le dévorer. De peur qu'ils ne s'impatientent, il les prie de ne pas hésiter à consommer l'offrande crue au lieu de perdre du temps à la cuire. Et qui plus est, il dédie le mérite de son sacrifice à ces êtres qui le dévorent, et à tous les êtres en général, où qu'ils soient. (...) Tout ceci doit s'accomplir en un lieu solitaire et impressionnant, et l'adepte doit veiller à bien maîtriser les rites qui le garderont sain et sauf au milieu d'une horde horrible de démons buveurs de sang. S'il est habile à la visualisation, il contemplera effectivement ces créatures et verra son corps taillé en pièces par Vajra-Yogini. »
Le rite du Chöd est extrêmement violent et Evans-Wentz rapporte que nombre de yogin n'y ont pas survécu.

Après les dream-cultures, Stephen LaBerge nous introduit dans la recherche en laboratoire sur le rêve lucide. C'est certainement lui, suivi par une autre psychologue, Patricia Garfield, qui a le plus contribué à la reconnaissance de cet ENOC particulier. LaBerge a permis à de nombreuses personnes de découvrir et d'expérimenter le rêve lucide en explicitant clairement tout un ensemble de techniques d'induction.

4. Le rêve lucide dans la recherche contemporaine
Avant d'aborder le rêve lucide en lui-même, voici comment Alan Worsley définit la lucidité dans le rêve lucide :

    « Il existe plusieurs définitions de la lucidité. La plupart gravitent autour de l'idée que le rêve est lucide si le rêveur sait qu'il est en train de rêver. J'irais plus loin : la lucidité peut être partagée en deux composantes, la connaissance et la pensée claire. Cela ne sert pas à grand chose de savoir qu'on rêve si l'on ne peut pas penser clairement. La ≥connaissance≤, dans ces conditions limitées, sera inévitablement d'une utilité tout aussi limitée si sa signification ne peut être efficacement perçue par toutes les parties concernées. De même, être capable de penser clairement mais, à l'évidence, en plusieurs occasions, pas assez clairement pour réaliser qu'on est en train de rêver, ne suffit pas si l'on veut vraiment explorer le monde onirique en sachant ce que l'on fait. »
Le rêve lucide est un état dans lequel une personne rêve tout en prenant la direction, tout a fait consciemment, de son rêve. Dans certains cas, la personne serait capable de voir son corps endormi. D'après les témoignages de rêveurs lucides expérimentés, les perceptions d'un rêve lucide auraient plutôt le caractère de la réalité. Tous les modes sensoriels de l'état d'éveil seraient activés et, dans certaines situations, des modifications somatiques seraient vécues. Voici ce que nous rapporte Christine Hardy :

« En 1975, Keith Hearne, psychologue, entreprit une étude physiologique à l'Université Hull, en Angleterre, avec un sujet qui avait très souvent des rêves lucides de façon spontanée. Ayant eu ≥l'idée qu'il était peut-être possible que le rêveur puisse, pendant un rêve lucide, communiquer avec le monde extérieur≤, Hearne avait demandé au sujet d'exécuter une série de 7 à 8 signaux oculaires (en tournant ses yeux à gauche, puis à droite) et d'essayer d'appuyer sur un bouton, lorsqu'il serait conscient pendant un rêve. Vers le matin, alors que le sujet était en stade REM du sommeil depuis déjà une demi-heure, les mouvements codés apparurent soudain sur le graphe (Hearne enregistrait l'EEG, l'EOG [électro-oculogramme] et l'EMG [électromyogramme]). (...) Puis il eut un autre rêve et fit de nouvelles séquences de signaux, certaines lentes et d'autres rapides. Hearne remarqua que les séquences de signaux que le rêveur dit avoir fait correspondaient ≥presque exactement≤ à celles qu'il avait observées sur le graphe, ce qui prouvait un réel passage d'information entre l'état de rêve et le conscient du sujet qui se rappelle son rêve. (...) Un jeune psychologue très brillant de l'Université de Stanford, Stephen LaBerge, a fait faire un nouveau bond à l'étude du rêve lucide. (...) ≥...les rêveurs peuvent envoyer intentionnellement des signaux au monde extérieur tout en continuant à rêver≤. Enfin, il apparaissait aussi de façon éclatante que ≥la connaissance présente dans le rêve pendant la phase REM peut être beaucoup plus rationnelle et réfléchie que ce qui a été assumé communément≤. Cette possibilité de marquer le moment exact d'événements se passant dans le rêve provoqua un grand enthousiasme pour les diverses avenues de recherche que cela ouvrait. »

Le sujet se réveilla vingt secondes à peu près après le signal et rapporta qu'il avait eu un rêve lucide et qu'il avait exécuté le signal convenu, c'est-à-dire en levant les yeux (U sur l'EOG), puis en faisant une séquence de serrements du poing gauche (L) et du poing droit (R), donnant le code en morse des initiales du sujet : SL. Les trois critères de la phase REM du sommeil sont présents : basse amplitude sur l'EMG du menton, des REM épisodiques, et un EEG de basse amplitude et de fréquences mélangées. Les initiales SL donnent donc, en morse : LLL LRLL, ce qui est reconnaissable sur la figure. (LaBerge, 1980)
Figure IV-1 : Tracés EEG, EOG, EMG d'un sujet rêvant


Stephen LaBerge, psychologue à l'Université de Stanford aux États Unis, démontre donc ensuite que des rêveurs peuvent continuer à rêver et être en même temps conscient de leur état de rêveur. Patricia Garfield, docteur en psychologie et anthropologue, a consacré une grande partie de sa vie à expérimenter et à explorer ce domaine vierge.
Pour notre culture occidentale issue du judéo-christianisme, le rêve nocturne n'est qu'un épiphénomène généré par le sommeil. Il est nébuleux, illogique, irréaliste, hors du « réel » - et donc, finalement, peu digne d'intérêt. N'étaient les approches psychanalytiques, le rêve ne serait vraiment pas grand chose, juste une résurgence anarchique de ce qui a été vécu dans la journée, ou bien le résultat d'une mauvaise digestion. Mais avec ces approches, le rêve, pour nous, est devenu signe de quelque chose : signe d'états psychiques, et à décrypter alors comme tels - et en tous cas subis passivement et non contrôlés .
Mais il n'y a pratiquement rien, dans notre culture, pour nous parler des rêves lucides, pourtant connus et expérimentés par d'autres cultures. Et ce n'est donc que depuis ces quelques deux décades que des recherches sur ce plan ont été entreprises et poursuivies.
Le psychisme humain, quelle que soit la culture, est habité par des archétypes, des symboles, des structures, universaux. Rêver est commun à toute l'humanité et les recherches scientifiques ont démontré qu'à l'âge de soixante ans, un être humain a passé au moins cinq années de sa vie dans cet état de conscience particulier qu'est le rêve : le douzième du temps vécu depuis la naissance. En fait, rêver occupe au moins deux heures de chacune de nos nuits, heures que les Sénoï utilisent volontairement à se créer du plaisir et des pouvoirs au service de la plénitude et du vécu diurnes. Heures que les yogis tibétains utilisent à approcher la réalité ultime de la Connaissance.
Les travaux de Garfield et de LaBerge ont abouti à des constatations surprenantes concernant les personnes qu'ils ont entraînées au rêve lucide. Ils ont observé que cette aptitude pouvait opérer d'étonnantes métamorphoses dans le comportement et les capacités, ainsi qu'au niveau de l'équilibre et de la force de la personnalité lors de l'état de veille. Ainsi, des personnes qui ont appris à devenir lucide en rêve ont pu y trouver des avantages considérables.
L'entraînement pour parvenir à acquérir la technique du rêve lucide nécessite de la persévérance et de la patience, mais ce que l'on obtient alors en vaut largement la peine. Ce n'est pas pour rien si Garfield, Stewart et LaBerge ont développé une approche psychothérapeutique par le rêve lucide : en effet, le pouvoir de guérison psychique semble en être énorme. Et cela semble évident puisque dans le rêve (lucide ou non), on serait en prise directe avec les « banques de données » inconscientes et avec l'inconscient lui-même - justement là où se trouvent les blocages.
Dans le rêve lucide, le rêveur peut prendre le contrôle de ce qui se passe. C'est lui qui décide - quand il en a une excellente maîtrise - de ce qu'il veut vivre, expérimenter, trouver, changer, guérir, rencontrer... C'est lui qui imprime ses choix - et non plus ses résistances, ses peurs et ses angoisses ; c'est lui qui s'implique, veut, ordonne et obtient. Pendant que son corps dort et se repose, le mental est conscient et actif, opérationnel et déterminé, il explore et il apprend.
Voici, d'après les conclusions des principaux spécialistes de la question (LaBerge, Garfield, Green), les bienfaits que l'on peut obtenir de l'apprentissage de cet ENOC qu'est le rêve lucide :

- élimination des blocages, des peurs et des angoisses
En utilisant le rêve lucide comme une sorte de simulateur, c'est-à-dire en faisant face à ses peurs et ses angoisses mis en situation pendant le rêve lucide, on peut s'en guérir. Dans des rêves angoissants, des cauchemars, le fait de faire face au danger en devenant lucide permet de réduire considérablement la fréquence de ces mauvais rêves jusqu'à ne plus en faire. Cette action en rêve a ensuite une répercussion bénéfique sur la vie diurne.

- amélioration de la santé et du bien-être psychique et physique
De la même manière que l'on peut se débarrasser de ses peurs et de ses angoisses, il est possible de travailler sur ses problèmes ou manques psychologiques. Par exemple, intégrer consciemment en rêve lucide des aspects de sa personnalité, rejetés lors de vécus traumatiques, est une forme de rééquilibrage possible du psychisme. La résolution d'un conflit en rêve lucide permet souvent de ressentir un bien-être psychologique et, en ce sens, ceci est curatif. LaBerge considère qu'« il n'est peut-être pas nécessaire d'interpréter un rêve pour résoudre des conflits intrapersonnels. Dans bon nombre de cas, il est possible de les résoudre symboliquement au cours du rêve lui-même. »

En ce qui concerne les répercussions sur le plan physique, il est théoriquement possible d'avoir en rêve lucide une action sur le corps. Les recherches sont en cours. La visualisation, utilisée dans de nombreuses techniques psychothérapeutiques (rêve éveillé dirigé, imagination active orientée, sophrologie, techniques de régressions...) et thérapeutiques (Grof et Simonton pour la thérapie anti-cancer, par exemple) a fait ses preuves et, utilisée pendant le rêve lucide, elle pourrait être encore plus efficace. D'après LaBerge, le rêve lucide est la forme d'imagerie mentale la plus vivace, la plus aboutie, la plus parfaite et la force de cette visualisation aurait donc un plus grand impact sur les plans physique et psychique du rêveur. Ces conclusions font suite aux observations en laboratoire où les rêveurs lucides montrent une étroite corrélation entre leur comportement onirique et leurs réactions physiologiques.

- amélioration de ses performances personnelles aux niveaux physique et psychique
Il est possible de travailler sur ses propres performances comme dans un simulateur, c'est-à-dire de répéter les actions qui vont permettre de faire des progrès en tel ou tel domaine. D'autres techniques de visualisation en programmation neuro-linguistique (PNL) ou en caisson d'isolation sensorielle (CIS) sont aujourd'hui utilisées pour entraîner des sportifs de haut niveau. On pourra faire de même avec des personnes entraînées au rêve lucide lorsqu'on aura mis au point un procédé rapide d'induction de la lucidité en rêve - des appareils existent déjà .

- stimulation de la créativité et de l'intuition
Cela pourrait être une des applications les plus intéressantes. Beaucoup de découvertes et d'inspirations ont été faites en rêve. Pour n'en citer que quelques unes : le tableau périodique des éléments pour Dimitri Mendeleïev ; la machine à coudre pour Elias Howe ; la structure du benzène pour Friedrich Auguste Kekule ; la « Sonate du Diable » de Giuseppe Tartini... Le rêve lucide est une voie qui permettrait d'orienter consciemment la recherche.

- modification du comportement par apprentissage de nouveaux comportements
C'est en quelque sorte une reprogrammation de notre psychisme. Cela est déjà mis en pratique par la PNL et par les procédés mis au point par John Lilly pour le caisson d'isolation sensorielle (CIS). Le rêve lucide se prête admirablement bien à cette fonction. LaBerge cite quelques exemples dont celui du joueur de golf Jack Nicklaus qui vit et expérimenta en rêve lucide la solution au swing qu'il n'arrivait pas à résoudre. Une joueuse de hockey sur glace parvint à améliorer notablement sa manière de patiner.

- résolution de problèmes et de questions en suspens
Il s'agit là de développer son intuition et sa capacité à analyser un problème. En rêve, nous avons en principe accès à la totalité de l'information stockée dans notre mémoire, et ce qui est vrai en rêve l'est aussi pour le rêve lucide. En simulant la rencontre avec de grands mathématiciens, de grands philosophes et autres sommités afin qu'ils dialoguent avec notre Moi de rêve, nous pouvons, par leur intermédiaire, créer un interface de communication avec nos « banques de données »-mémoire inconscientes et avoir donc accès à une masse d'informations énorme. Cette simulation de dialogue permet de traiter l'information, de la cataloguer et, avec l'aide de l'intuition, en générer la résolution de problèmes.

- exploration des espaces intérieurs et « extérieurs »

    « Selon William Blake, ≥La philosophie orientale a enseigné les premiers principes de la perception humaine...≤ En ce qui concerne la maîtrise onirique, l'existence d'un ≥guide du monde intérieur≤ tibétain, vieux de 1200 ans, Le yoga de l'état de rêve, atteste l'exactitude du propos de Blake. L'une des pratiques décrites est dénommée la ≥transmutation du contenu onirique≤. Grâce à elle, le yogi est capable de visiter, à son gré, tout royaume de création. Non que les yogis attachent une importante particulière à cette activité, mais elle sert d'épreuve de compétence que l'aspirant doit franchir, avant de poursuivre son chemin vers l'étape suivante, l'illumination. »
Le rêve lucide est aussi un excellent moyen d'évasion, de voyage dans des paysages et / ou des univers oniriques particulièrement attrayants - ils peuvent aussi être effrayants - ; tout à fait comme si l'on partait en voyage en Égypte, par exemple, mais sans les inconvénients du voyage véritable. Une petit odyssée : une nuit en Égypte, une autre en Australie, une autre au Tibet, une autre sur... Mars, ou dans des contrées totalement inconnues, créées en rêve, un peu comme ces univers d'images de synthèse qui régneront dans les ordinateurs du futurs et que l'on dénomme le cybermonde...

- le rêve lucide peut être une base pour accéder à l'OBE, c'est-à-dire la sortie hors du corps
À ce propos, LaBerge considère l'OBE comme un rêve partiellement lucide. Il cite l'exemple d'un sujet qui, en sortie hors du corps, va dans sa cuisine, se regarde dans un miroir, ne s'y voit pas, puis retourne dans sa chambre pour contempler son corps physique allongé sur son lit, à la place duquel il voit le corps de sa mère décédée. Le sujet en déduit que l'esprit de sa mère l'accompagnerait dorénavant dans ses pérégrinations. Pour LaBerge, le sujet n'a pas remarqué qu'il rêvait et, en conséquence, il tire des conclusions erronées de son expérience : « C'est le type même de mélange contradictoire et confus d'éléments mentaux et matériels qui caractérise aussi le rêveur naïf ou prélucide. »
Je développerai cette question de la qualité de l'acuité de la conscience en rêve lucide ou en sortie hors du corps plus loin après avoir abordé l'OBE (cf. infra p. 293). Au delà des divergences de vues des différents chercheurs, rêve lucide et
OBE semblent en fait bien plus proches l'un de l'autre et on peut supposer qu'ils sont de nature similaire.

quelques autres caractéristiques du rêve lucide

  • Le temps
Voici la méthode utilisée par LaBerge pour estimer le temps en rêve lucide :

    « On donne pour consigne aux onironautes de signaler l'instant où ils deviennent lucides, puis dévaluer un intervalle, disons de 10 secondes, en comptant jusqu'à 10 dans le rêve. Le rêveur lucide émet à nouveau un signal afin d'indiquer la fin de l'intervalle, ce que l'on peut directement mesurer sur l'enregistrement polygraphique. »
D'après cette technique, LaBerge conclut que le temps, en rêve lucide, se vit au même rythme approximativement que le temps de l'état de veille.

  • Compter et chanter
Pour mettre en évidence l'activation des ondes cérébrales relatives à une activité spécifique à chaque hémisphère cérébral, LaBerge a tenté une série d'expériences sur lui-même et deux autres sujets. Il voulait savoir si le chant - qui active l'hémisphère droit en état de veille - et le calcul mental - qui active l'hémisphère gauche - avaient les mêmes propriétés si elles étaient accomplies par un rêveur lucide. Sa conclusion est positive : le chant du rêveur lucide active l'hémisphère droit et le calcul mental active l'hémisphère gauche comme à l'état de veille.

  • La lecture en rêve lucide
Pour certains, la lecture y est impossible ; pour d'autres, elle est difficile ; d'autres encore lisent avec facilité. Moi-même, dans mes rêves lucides, n'ai aucune difficulté à lire : cela se passe comme dans la réalité. Certains rêveurs, par contre, voient les lettres se transformer en hiéroglyphes ou autres symboles tout en révélant du sens. Il arrive aussi que l'essai de lecture mène au réveil car le rêveur croit qu'en lisant, il va perdre sa lucidité. La lecture absorbe généralement une grande attention chez le lecteur à tel point que la perception de son environnement passe au second plan. Pour le rêveur lucide, la perte de la lucidité est désagréable et frustrant. D'autres « blocages » vis-à-vis de la lecture existent qui font croire au rêveur lucide que le contenu d'un texte ne peut provenir que de son psychisme et donc qu'il est sans grand intérêt.

5. L'induction du rêve lucide
Il existe plusieurs méthodes, dont voici les principales et les plus utilisées.
Les rêves lucides se manifestent plutôt durant la dernière phase REM, c'est-à-dire le matin. C'est juste avant cette phase qu'il est préférable de se « programmer » à faire un rêve lucide. Pour ce faire, il convient de se répéter inlassablement : « je sais que je rêve, je sais que je rêve... ». LaBerge, lui, répète : « 1, c'est un rêve ; 2, c'est un rêve ; 3, c'est un rêve... ».
On peut aussi s'entraîner à maintenir une activité consciente - par exemple faire des additions - pendant l'endormissement et s'observer en train de mener cette activité. Ainsi, on glisse progressivement vers le sommeil en maintenant une attitude mentale distante mais vigilante et on finit par prendre conscience des images qui apparaissent pendant la phase hypnagogique. Ensuite, lorsque le rêve s'installe, on s'observe toujours et on peut alors être conscient de son rêve et y être actif. C'est la technique de la continuité de conscience qu'utilisent les Tibétains.
Pendant la journée, il convient également de se poser plusieurs fois la question : « Est-ce que je rêve ? » ; et de bien analyser, en prenant conscience de chaque détail, ce qu'il y a autour de soi et ce qu'on y fait. Il est préférable de le faire à des moments qui sortent un peu de l'ordinaire, par exemple si l'on aperçoit un chien dans la rue avec une silhouette originale (un caniche violet, par exemple) ou bien une personne un peu spéciale : c'est à ce moment qu'il faut réaliser ce test, nommé « test de réalité ». Une fois cette habitude prise à l'état de veille, il y a toutes les chances que les rêves nocturnes voient surgir cette question à un moment ou à un autre, lors d'un événement ou d'une rencontre plus étrange que les autres et déclenchant en cela la lucidité par la question « Est-ce que je rêve ?.. Mais oui, bien sûr, je suis conscient que je rêve ! ! ! ».

6. Le contrôle des rêves lucides
D'après Celia Green, le rêveur lucide a très peu de contrôle sur l'environnement de rêve. Il est plus spectateur qu'acteur, dans la plupart des cas. Il peut arriver qu'un rêveur lucide ait un but et l'oublie pendant son expérience ou qu'il ait beaucoup de mal à parvenir à réaliser son désir. Avec de la pratique, on peut arriver à avoir plus de contrôle et à modifier de manière lucidement volontaire les données du rêve en cours. Dans ces cas, le rêveur lucide utilise des sortes de codes, des programmes qu'il a lui-même développés. Ainsi, pour certains, fermer les yeux sert à changer le décors dans lequel il évolue ; pour d'autres, fermer les yeux dans le rêve les réveillera. LaBerge tourbillonne sur lui-même pour maintenir la lucidité en rêve ou stabiliser le rêve.
Par contre, allumer ou éteindre la lumière est plus difficile dans la mesure où, en rêve lucide, il n'y a pas de lien direct entre un interrupteur et une source lumineuse. Certains contournent le problème en fermant les yeux lorsqu'ils manipulent un interrupteur et cela a une action sur la lumière. Ce sont des petits « trucs » qui permettent de simuler la réalité de veille dans cet état très particulier qu'est le monde du rêve lucide.
Florence Ghibellini pense

    « qu'on maîtrise ses rêves dans la mesure où on maîtrise sa concience et son mental. Tout travail sur les états de lucidité dans le sommeil qui ne passe pas par un travail sur la conscience est vain. (...) Quand on voit que de ≥grands≤ rêveurs lucides ne parviennent toujours pas à allumer en rêve l'interrupteur de leur cuisine ou restent régulièrement collés par terre quand ils veulent s'envoler, on est en droit de se demander s'il n'existerait pas des voies de progression plus sûres que celles qu'ils nous proposent. »
Ainsi, le contrôle en rêve lucide n'est pas inné, il est le résultat d'un apprentissage, d'une adaptation à un nouveau milieu, inhabituel pour la pensée du monde diurne.

7. Rêve lucide et visualisation
Nous avons déjà vu plus haut l'opinion de LaBerge quant à cette question.
Voici les résultats d'une expérience conduite par Charles McCreery montrant un accroissement de la faculté de visualisation chez les personnes ayant déjà vécu une OBE .
Quarante personnes ont suivi cette procédure qui consistait d'abord en une relaxation guidée d'une vingtaine de minutes suivie d'une dizaine de minutes de bruit rose . Les sujets avaient les yeux recouverts de demi balles de ping-pong pour induire un effet Ganzfeld . Pendant le bruit rose, ils devaient se visualiser flottant vers le plafond du laboratoire et ensuite regarder vers leur corps couché en dessous d'eux. Chaque personne était reliée à un enregistreur EEG. Vingt de ces sujets avaient déjà expérimenté auparavant une sortie hors du corps.
Cette expérience a montré que les personnes qui avaient déjà eu des expériences OBE précédemment montraient une activation nette de l'hémisphère droit de leur cerveau et même plus forte que celle de l'hémisphère gauche. Cela indiquerait un plus fort développement de leurs capacités de visualisation et d'imagination.
Une autre expérience conduite par Jayne Gackenbach montre que les rêveurs lucides ont de meilleures capacités de visualisation. Son test a porté sur les capacités de visualisation de deux groupes féminins : des rêveurs « normaux » et des rêveurs lucides. La tâche consistait à faire d'abord visualiser des objets tridimensionnels en rotation dans un espace à deux dimensions puis dans un espace à trois dimensions. Les rêveurs lucides ont été nettement meilleurs dans la deuxième partie de l'expérience.
En conclusion de ces expériences, il semble que l'hémisphère droit soit impliqué dans le fonctionnement du rêve lucide, comme il l'est d'ailleurs notoirement dans la pratique de la méditation.
Ainsi, les rêveurs lucides développent de meilleures capacités de visualisation. Nous ne savons pas encore si la visualisation en rêve lucide est la plus efficace de toutes les techniques de visualisation. C'est un domaine à suivre. En tous cas, pour les sportifs qui le pratiquent, les résultats sont prometteurs.

8. Les applications psychothérapeutiques du rêve lucide
Lorsque l'on observe l'enthousiasme et la passion qu'expriment les rêveurs lucides, on comprend très vite que cet ENOC peut jouer un rôle extrêmement positif en psychothérapie.
Une des premières applications qui se présente de manière évidente est le traitement des cauchemars. En effet, en prenant le contrôle de ses rêves, on peut changer de stratégie face aux menaces des événements se déroulant dans ces rêves particulièrement déplaisants. On peut ainsi décider de faire face à ses poursuivants et entamer un dialogue avec eux. Souvent, lors de cette action, il se trouve que les poursuivants - généralement très dangereux, monstrueux et voraces - deviennent plus humains et acceptent le dialogue ; ils se transforment ensuite souvent en interlocuteurs conciliants avec qui on peut conclure un « pacte de non agression ». Ce procédé est très efficace pour résoudre des problèmes inconscients s'exprimant par les cauchemars. En général, après avoir conclu ce « pacte de non agression », les cauchemars disparaissent. En fait, le rêveur lucide semble dialoguer avec son inconscient avec lequel il refusait précédemment tout contact : que ce soit au niveau conscient ou lors des rêves normaux.
Une autre tactique est de faire face à ses agresseurs de rêve et de les combattre. C'est une manière moins élégante, certes, mais tout aussi efficace. Là aussi, après le combat de rêve, le dialogue peut à nouveau s'établir sur de nouvelles bases.
Hervey de Saint-Denys rapporte que, lors d'un de ses cauchemars où il était poursuivi par d'horribles monstres ressemblant aux gargouilles de nos cathédrales, il a fait face et s'est vu nez à nez avec l'un d'eux, sifflant et sautillant sans arrêt sur place. Après avoir maîtrisé sa peur, il le détaillait et remarquait ses sept doigts griffus ; toute sa perception du monstre était claire et réaliste. Sa concentration sur ce monstre a provoqué la disparition des autres poursuivants - non moins effroyables. Petit à petit, le dernier monstre a commencé à se dissoudre et à ressembler à une sorte de forme vaporeuse sans danger.
Souvent, le simple fait de devenir lucide dans un cauchemar suffit déjà à le « désactiver ». Le rêve lucide représente donc un excellent moyen thérapeutique pour se débarrasser de ses cauchemars. Et l'on peut en inférer que des personnes en état de stress intense - comme ceux ayant vécu un accident violent, un attentat ou une catastrophe naturelle - et qui ont des cauchemars à répétition en revivant sans arrêt le même scénario traumatisant, puissent bénéficier de l'apport thérapeutique extrêmement
bénéfique du rêve lucide.
Bien que l'application du rêve lucide en psychothérapie en soit encore à une phase embryonnaire, il est clair que l'on peut entrevoir des applications particulièrement attrayantes, surtout dans le domaine des psychothérapies brèves. La difficulté majeure de l'application thérapeutique est l'apprentissage par les patients, dans un premier temps, de la lucidité onirique.
Une fois cette difficulté résolue, la mise au point de scénarios thérapeutiques spécialisés et personnalisés est tout a fait possible. Ainsi des jeux de rôles très réalistes en rêve lucide pourront être élaborés, correspondant à de véritables simulations corrigeant les défauts de comportement, les erreurs de jugement et d'interprétations, les phobies, les névroses, les problèmes liés aux frustrations, les croyances négatives, etc. Cette technique est aussi tout à fait utilisable dans le domaine du développement personnel (amélioration des performances intellectuelles et physiques), celui de l'entraînement des sportifs et également pour améliorer le bien-être des handicapés. Cette liste n'est pas exhaustive, elle permet de se faire une idée des possibilités potentielles du rêve lucide. Il est à noter que ce ne pourra en aucun cas être une panacée universelle car il est fort probable que l'apprentissage du rêve lucide se révèle très difficile pour certaines personnes. Il conviendra donc d'intégrer cette technique dans un ensemble d'outils thérapeutiques diversifiés.
En ce qui concerne le contact avec l'inconscient, certains auteurs, dont LaBerge, pensent qu'il serait plus direct en rêve lucide qu'il ne l'est par l'analyse classique des rêves - LaBerge est d'ailleurs un adversaire de la psychanalyse - et qu'il serait même possible d'influencer l'inconscient ou de le « reprogrammer ». Rien n'est encore démontré dans ce domaine, tout reste à faire ; on ne sait pas encore si l'on a vraiment un contact privilégié avec l'inconscient en rêve lucide. En tous cas, il est probable que l'utilisation de symboles forts et d'archétypes - dans le sens de la psychologie des profondeurs de Carl Gustav Jung - puisse avoir une action sur le bon équilibre psychique. C'est un domaine encore quasiment vierge, mais riche de potentialités.

9. Rêve lucide et santé physique
Que l'état psychologique ait une action sur la santé physique, cela ne fait plus aucun doute aujourd'hui. La psychosomatique et la neuro-psycho-immunologie ont montré que l'esprit a une action sur les processus d'autoguérison et sur le système immunitaire. L'inverse est vrai également : on peut se rendre très malade avec des attitudes mentales négatives.
Certains thérapeutes utilisent la visualisation pour soutenir les traitements médicaux, et cela dans des pathologies graves, comme le cancer par exemple. Je citerai Simonton et Grof pour mémoire, qui ont permis à de nombreux patients, sinon de tous guérir de leur cancer, du moins de mourir avec dignité en paix avec eux-mêmes et surtout sans souffrances inutiles.
Grof affirme :

    « Il est un fait que les états non ordinaires de conscience modifient dans une mesure spectaculaire la relation entre les dynamiques consciente et inconsciente de la psyché. Ils tendent à abaisser les défenses et à réduire les résistances psychologiques. »
Le rêve lucide pourrait jouer un rôle d'amplificateur dans ce domaine de l'influence du psychisme sur le corps. En effet, si la visualisation a un effet sur le corps, et si en hypnose, également, on obtient des résultats en ce qui concerne des modifications de facteurs physiologiques, alors il est possible que le rêve lucide puisse, lui aussi, jouer un rôle en ce domaine. Rien n'est encore prouvé à l'heure actuelle. Cependant, si le rêve lucide se révélait être un vecteur plus puissant que la visualisation simple, alors cela ouvrirait des perspectives fort intéressantes et pourrait mener à une forme de médecine qui ne se cantonnerait plus uniquement aux traitements chimiques, mais engloberait la personne entière dans le processus de guérison.
Nous n'en sommes pas encore là. De nombreuses expérimentations sont encore nécessaires pour se faire une meilleure idée sur cette question. Et il ne faut surtout pas oublier que le rêve lucide demande un apprentissage somme toute assez long, un effort mental non négligeable et une persévérance soutenue. Cet outil thérapeutique, je le rappelle, ne pourra donc pas être à la portée de tout un chacun.
Cependant, certaines expériences relativisent ce point de vue.
Ainsi, pour Florence Ghibellini, le rêve lucide n'a que peu d'action sur le corps physique. Ses multiples expériences en ce domaine lui font conclure à l'impossibilité d'une telle application du rêve lucide en matière de guérison. Voici un de ses rêves lucides datant du 11 octobre 1992, et qui relate une tentative de se soigner suite à un mal d'épaule.
« Je vole au-dessus d'une ville ou plutôt d'une immense banlieue avec tout un tas de petites maisons éparses, en position assise et ça va très vite. Au loin, de hautes montagnes. Mais le temps d'y arriver, je me dis que je vais me réveiller. Heureusement, je parviens à remplacer une portion de la ville par ces montagnes. Elles sont de toutes les couleurs, froides, scintillantes et coupantes, comme certaines pierres précieuses. Je me colle à une paroi pour sentir cette froideur. Ensuite, (...) j'essaie de me guérir l'épaule, de façon peu orthodoxe d'ailleurs. Je découpe le dessus au cutter, je passe le dessous au chalumeau pour le nettoyer, je cherche dans un tiroir des composants organiques d'épaule et comme je ne les trouve pas, je me remets la partie que j'avais découpée. »
Voici son commentaire :

    « Inutile de préciser que ce rêve ne m'a absolument pas guéri l'épaule, bien que j'aie laissé faire le moi de rêve. En fait, je n'ai jamais rien guéri en rêve lucide. Alors, je veux bien croire que le rêve lucide nous permette de nous guérir, mais j'ai de bien meilleurs résultats avec le rêve éveillé . En fait, la ≥guérison≤ est devenue l'un des ponts-aux-ânes du rêve lucide, mais je n'ai pas lu beaucoup de rêves où quoi que ce soit ait été guéri. Là encore, tout le monde prétend quelque chose sans se soucier de fournir la moindre preuve. » Comme on le voit, nous sommes encore loin de l'unanimité quant aux pouvoirs de guérison du rêve lucide.
10. Les recherches de Florence Ghibellini
Dans son compte rendu personnel de recherches, Conscience et rêve lucide - 200 récits de rêves commentés - 1991-1998, Florence Ghibellini analyse en détail ses rêves et expérimente avec méthode toutes les caractéristiques du rêve lucide.
Elle se rend très vite compte que les personnages de rêve ne sont pas dociles et qu'ils semblent mener une vie propre, comme s'ils avaient une personnalité bien à eux. Suite à son rêve du 30 octobre 1991, elle relève

    « la revendication des personnages de rêve à la reconnaissance d'une conscience autonome. (...) Ce n'est pas parce qu'un personnage de rêve ne semble exister que le temps d'un rêve qu'il n'a pas une conscience et des buts propres. (...) Ce que je veux dire, en insistant sur cela, ce n'est pas que les personnages de rêve seraient des gens extérieurs. C'est qu'il existe en nous des consciences autonomes. Et je mets au défi quiconque d'obtenir de l'un de ses personnages de rêve l'aveu qu'il n'est qu'un personnage de rêve et qu'une partie de lui-même. »
Donc, les personnages de rêve se revendiquent comme personnes autonomes. Intéressée par ce sujet, elle recherche, à partir de 1993, des personnages de rêve avec des « existences » stables, c'est-à-dire qui se retrouvent de rêve en rêve. Cela n'est pas chose facile et semble lui échapper. Cependant, en cours de route, elle découvre une autre caractéristique des personnages de rêve : certains sont d'accord pour se laisser
maltraiter, mais ils refusent de coopérer si on leur demande de l'aide pour en maltraiter un autre.
Et puis, en mai 1994, elle décide d'interviewer systématiquement ses personnages de rêve afin de savoir à qui elle a affaire. Elle en conclut qu'ils possèdent une conscience bien à eux. Après une série de tests et d'interviews des personnages de rêve, elle étudie la conscience en rêve lucide. Voici ce qu'elle en dit :

    « ... Je voudrais aborder un point très important : de nombreux rêveurs lucides se plaignent de ce que, au bout d'un certain temps, leurs rêves lucides leurs semblent plus pauvres que leurs rêves normaux. Cela est une des conséquences de l'importation du moi de veille dans le rêve. (...) Le moi de rêve lucide n'est pas le moi de veille : il est un mixte plus ou moins réussi du moi de veille et du moi de rêve, et contrairement à ce que pourraient croire certains, la partie ≥moi de veille≤ n'est pas forcément la meilleure ! En fait elle contient énormément de limitations, la première étant que n'acceptant pas le non-sens, elle ne permet pas l'émergence d'un scénario de rêve aussi riche que ceux des rêves non-lucides. Par ailleurs, le moi de veille étant assez peu imaginatif, il limite les possibilités du rêveur en terme de manipulation du rêve, rendant assez difficiles des opérations telles que la téléportation, la psychokinèse, la création immédiate par télépathie, le bouclage dans le temps, la perception de rêves ou d'espaces simultanés, etc... qui ne sont pas courantes à l'état de veille. Le secret, (...) c'est de séparer ou de décoller la conscience du moi de veille auquel elle n'a été que trop attachée par l'habitude et l'éducation, en sorte que conscience est devenue synonyme de logique, mémoire, volonté. » Donc, la conscience doit prendre une nouvelle forme, différente de celle du moi de veille, trop limitée par nos habitudes, nos croyances et nos représentations. C'est une nouvelle conscience qu'il faut acquérir, plus souple, plus créative, plus détachée des contingences matérielles.
Finalement, Florence Ghibellini découvre un nouvel espace ENOC qu'elle appelle l'état intermédiaire et qui, pour elle, revêt une importance tout à fait fondamentale dans la compréhension de nos états de conscience.

11. L'état intermédiaire
11 septembre 1993 :

    « C'est le début de mes incursions dans l'état intermédiaire. (...) Il se manifeste rarement au début de la pratique [du rêve lucide], et d'ailleurs, les ouvrages sur le rêve lucide n'en parlent pas. On en trouve surtout mention dans la littérature sur le dédoublement [OBE], accompagnée des assertions les plus fantaisistes. Cependant, il ne s'agit pas du monde astral, mais plutôt du lieu pivot entre tous les mondes psychiques : monde des défunts, contrepartie psychique de la réalité, monde gris, mondes phosphéniques ..., par-dessus lesquels se greffent les rêves. En fait, l'espace intermédiaire est vide : dans l'immeuble des états de conscience, c'est la cage d'ascenseur. »
18 mars 1994, première rencontre avec le monde gris :

    « [Florence se déplace dans un univers malsain] (...) Bref, je quitte cet endroit malsain en continuant à ramer et à mon grand étonnement, il me semble bien me retrouver dans mon corps physique qui est en train d'ouvrir les yeux. Je repense à S.L. qui parlait de sensations visuelles en rêve, je me dis ≥alors on peut ouvrir les yeux en rêve !≤. En plus, le décor est réel avec la petite lumière du matin et tout le reste. Mais j'ai vraiment une sensation bizarre, et je me vois, moi qui suis en train de ramer, comme un corps gris argent avec des rayures noires en train de quitter mon corps physique. Il y a une espèce de bruit bizarre qui m'accompagne, de haute fréquence. Quand je m'en sépare, j'entends un claquement sec comme un arc électrique et là je me dis ≥Mince, je me suis dédoublée !≤ Vite, je replonge dans mon corps physique. Je me réveille avec un pré-mal de tête et pas bien du tout. »
Qu'est le monde gris ? :

    « Première rencontre avec le monde gris. Ce que j'appelle le monde gris est une modalité de l'état intermédiaire où le rêveur croit voir sa chambre, dans une sorte de lumière grisâtre, se retrouve affublé d'un corps aux couleurs bizarres et inquiétantes, difficile à mouvoir, le tout assorti d'un très fort sentiment d'insécurité. Il est habité par de créatures indistinctes souvent hostiles, qui parfois tirent le rêveur par le pieds, et les bruits aussi sont étranges. Monroe, Lefébure, et d'autres, l'ont décrit, il semble correspondre à ce que les occultistes appellent bas-astral. Quoiqu'il en soit, je n'avais aucune envie d'y retourner, mais ce n'était pas cela qui allait calmer mes velléités d'expérimentation. »
Poursuivons la démarche de Florence.

    1997 : « Jusqu'à présent, je n'avais jamais pensé que l'espace intermédiaire put être quelque chose de ååréel''. Pour moi, ce n'était qu'une forme de rêve, ou d'espace astral, malléable, sans stabilité. C'était pour cette raison que j'avais effectué avec entrain tant de plongeons dans le noir. Puisque tout ceci n'était pas réel, il ne pouvait pas y avoir de risque. Pourtant, invariablement, je rencontrais vers le bas une énergie dissolvante, non seulement énergétiquement mais conscientiellement, et d'autres petits problèmes, comme le démon du matelas. Je commençais à soupçonner que cet espace possédait un certain degré de réalité, même si cela heurtait ma conviction que le domaine psychique n'a pas de topographie fixe. Quoi qu'il en fut, il fallait continuer d'explorer. » « ... si vous rêvez d'un ange ou d'un démon, il est possible qu'il y ait quelque chose là-dessous, mais ≥l'habillage≤ de l'expérience sera plus probablement votre fait que le sien. Tout le problème est de différencier le tissu du motif qui est peint dessus. »

Voici donc les caractéristiques principales du rêve lucide.
Je vais maintenant aborder un autre ENOC dont les propriétés sont assez proches de celles du rêve lucide : l'OBE ou transe ecsomatique - appelée par les occultistes voyage astral, par les chamans voyage chamanique et par les psychologues autoscopie.

Le rêve lucide



Pour Patricia Garfield, docteur en psychologie et spécialiste de l'étude des rêves, un rêve lucide est « tout simplement un rêve où l'on a conscience de rêver -- conscience allant de la simple réflexion : " ce n'est qu'un rêve ", à l'affranchissement de toutes les contraintes corporelles, spatiales et temporelles ». Elle ajoute encore que le rêveur peut interférer volontairement sur le déroulement de son rêve et utiliser pleinement ses ressources psychiques. Le rêve lucide laisse entrevoir la possibilité d'un contrôle du rêve par le rêveur lui-même.
En 1913, le chercheur néerlandais Frederick Van Ecden, rêveur lucide prolifique, appelle «rêve lucide» celui ou nous restons parfaitement conscients. Si nous apprenons comment reconnaître que nous rêvons, nous pouvons maîtriser nos rêves, créer l'environnement de notre choix et, dans certains cas, «visiter» des lieux effectifs pour nous y acquitter d'une mission convenue.
Le rêve lucide est une des phases incontournables pour permettre à la conscience de quitter le corps dans les expériences de «sortie du corps». Dans un rêve lucide, la conscience peut se déplacer à son gré dans des lieux de l'astral, univers créés par la pensée et l'imagination. En revanche, dans le cadre des expériences de sortie du corps, la conscience demeure au plan terrestre en contact avec la réalité physique, incluant le plus souvent l'enveloppe corporelle de son propriétaire. Entre ces expériences et le rêve lucide le partage est souvent difficile.

Les bouddhistes tibétains enseignent que le rêve lucide est une pratique qui permet de se préparer à la maîtrise de notre vie dans l'au-delà, où l'environnement serait comparable au monde des rêves. Ainsi, il serait possible de se libérer du cycle illusoire de la vie et de la mort.
Evans-Wentz, " découvreur" du Bardo Thödol, publia une traduction dans laquelle étaient exposés les principes du yoga de l'état de rêve. Celui-ci est destiné à contrôler la substance du rêve et à l'orienter vers le thème choisi ; généralement le Nirvana. Le disciple entrevoit alors la " Claire Lumière " de " Cela qui est ", la réalité ultime dont la nature est la vacuité.

Le psychologue américain Charles Tart nous suggère d'utiliser le sentiment de liberté du rêve lucide pour rechercher ou créer un homme, ou une femme, d'une grande sagesse, susceptible de nous donner des conseils sur notre développement psychologique ou spirituel. Cette création peut être l'incarnation de notre propre sagesse inconsciente, mais elle doit être porteuse d'informations d'une authenticité et d'une profondeur inaccessibles à la conscience.
Les thérapeutes occidentaux affirment depuis longtemps que le rêve lucide est une étape essentielle au développement intérieur. L'aptitude à maîtriser le contenu d'un rêve, nécessaire à l'exploration de la véritable nature de la conscience, constitue également une excellente discipline mentale qui renforce notre perception d'un aspect de nous-mêmes qui échappe encore aux sciences modernes.

Le rêve du Chaman
Les traditions chamaniqucs ont leur propre forme, très prisée, de rêves lucides qui donnent l'occasion aux chamanes de visiter le monde de l'esprit, d'y rencontrer les ancêtres tribaux, d'y apprenre des chants invoquant la puissance et d'y trouver un compagnon qui guidera le rêveur dans la vie éveillée.
Pour les chamanes, le rêve et l'art de rêver sont très importants. Le rêve est une réalité aussi déterminante que notre vie éveillée, et en contrôlant les rêves ils agissent sur la réalité. En fait ils ne font pas de distinction, considérant notre vie comme un rêve que l'on peut modifier. Dans le livre de Carlos Castaneda, L'Art de rêver, Don Juan définit "rêver" comme un passage à l'infinité. Rêver est pour les sorciers une manière pratique de se servir des rêves ordinaires. "Rêver ne peut être qu'une expérience. Rêver ne signifie pas seulement avoir des rêves. Par l'acte de rêver, nous pouvons percevoir d'autres mondes, que nous pouvons assurément décrire. Mais nous ne pouvons pas décrire ce qui nous les rend perceptibles. Néanmoins nous pouvons sentir comment rêver ouvre ces autres royaumes. " Ainsi les chamanes, qui cumulaient plusieurs fonctions, pouvaient utiliser l'état de rêve pour guérir une personne, ou l'exorciser. D'après Jeremy Taylor, il s'agit de ce qu'on appelle le rêve lucide, et le pouvoir de guérison des ces rêves est très puissant. Voici un exemple de rêve chamanique raconté par Jeremy Taylor (cf. Where people fly and water runs uphill, Warner Books). Il fit ce rêve alors qu'il travaillait comme thérapeute auprès de jeunes autistes et schizophrènes :
"Je me retrouve flottant dans un espace flou et gris. Eric, un des jeunes les plus perturbés et les plus violents, apparaît devant moi, riant en roulant les yeux comme quelqu'un de fou. Je le regarde pendant un long moment, puis je commence à voir son aura. Il est d'une drôle de couleur rose et il s'étend autour de lui jusqu'à une distance d'environ 20 pouces. L'aura ondule lentement et change de forme, comme un nuage de gaz. Je remarque qu'il y a d'étranges piquants noirs tout autour de lui. Ils ont à peu près un pied de long et un demi pouce d'épaisseur à leur base, là où ils sont attachés à son corps. Je me sens terriblement fatigué, j'ai envie de dormir. Comme je combat ma fatigue, je me dis qu'il serait absurde de dormir puisque je dors déjà. Je réalise alors que je suis en train de rêver.
Maintenant je regarde Eric plus attentivement. S'agit-il d'une projection de moi-même, d'un aspect de moi ? C'est ce que je pense, mais j'ai pourtant le sentiment qu'il y a plus que cela. Mon épuisement augmente, et mon esprit est confus et lent. Pourquoi mon rêve m'offre-t-il cette image d'Éric couvert de piquants ? Quel est le sens thérapeutique de ce rêve ?
Je réalise que peu importe le sens du rêve, ces piquants ne devraient pas être là. Alors je me dis que quoiqu'ils représentent, je devrais les enlever. Je me déplace vers Eric et je lui dis télépathiquement que je vais "déraciner" les piquants de son aura. Je commence donc à arracher, déraciner les piquants avec mes mains, et déraciner est le terme exact car si je ne fais que les casser j'ai le sentiment qu'ils repousseront . Il faut donc les déraciner pour s'en débarasser.
Je viens à bout d'enlever tous les piquants, et je ressens un immense soulagement. Alors je m'éloigne d'Éric et je quitte le rêve."

Le lendemain matin, alors qu'il n'avait raconté ce rêve à personne, J.T croise Eric qui bondit vers lui, très fâché, et lui crie : "Tu m'as volé quelque chose la nuit dernière !" J.T lui répond que la nuit dernière il dormait dans son lit, mais l'autre insiste : "Tu as enlevé quelque chose de moi ! Rends-le moi !"
J.T lui demanda de quoi il s'agissait. Eric ne pouvait répondre. Alors J.T lui demanda comment il se sentait. Surpris, Eric répondit qu'il se sentait bien. Alors J.T lui dit : "Voilà qui est plutôt inhabituel, n'est-ce pas ? Peut-être que tu ne veux pas vraiment ravoir ce que tu as perdu la nuit dernière ?" Ils se regardèrent un long moment, puis Eric acquiesca.
Voilà une expérience de rêve lucide chamanique qui montre bien comment le chamane peut utiliser l'art de rêver pour accéder à une autre énergie afin modifier la réalité. Ainsi plutôt que de considérer les rêves lucides comme des expériences amusantes, on devrait explorer leur potentiel de guérison, dans la même optique que les chamanes guérisseurs, pour notre bien et le bien de la communauté.