mardi 4 janvier 2011

Rêve de la reine des Amazones



Rêve de la reine des Amazones
L’aigle et les paons

Cette même nuit — c’est la vérité pure —, la reine des Amazones eut une vision.
La reine fit un rêve merveilleux : dans la salle de pierre du palais, il y avait une paonne suivie de ses petits paons. D’une friche du côté de Babylone, elle voyait un aigle fougueux arriver en volant, cherchant à lui enlever ses petits. Elle s’enfuyait avec eux dans la cuisine, mais tombait à la renverse au moment d’y pénétrer. Le lendemain matin, la reine fait mander une devineresse, l’emmène dans un jardin, sous une aubépine. Elles s’assoient et se penchent l’une vers l’autre. La reine dit à la jeune fille : «À minuit, dans mon lit, j’ai fait un songe très étrange. Je ne sais pas ce qu’il présage.»
Elle lui raconte son songe, que l’autre écoute attentivement. Quant elle l’a entendu, elle pousse un soupir et répond en versant des larmes, qu’elle ne peut retenir : «Dame, il faut interpréter correctement tous les songes. Vous serez la paonne, cela ne pourra pas être autrement. L’aigle, c’est un roi — je ne veux pas vous mentir —, qui voudra vous arracher votre royaume. Si vous le combattez, vous ne pourrez pas résister; que vous le vouliez ou non, il vous faudra fuir. Il vous faut chercher le moyen de vous tirer d’affaire. Je vous conseille de placer votre royaume sous son autorité et de lui verser tous les ans un tribut selon son bon plaisir. Il vaut mieux agir ainsi que de mourir au combat, car il est trop tard pour se repentir une fois la chose faite.»

Alexandre de Paris
Roman d’Alexandre
France   1180 Genre de texte
Roman courtois
Contexte
La reine des Amazones fait un rêve troublant dont elle se fait expliquer la signification par une devineresse. Cette dernière lui annonce qu’Alexandre le Grand veut assujettir le royaume des Amazones. Selon le conseil de la devineresse, la reine promet d’offrir un tribut annuel à Alexandre afin qu’il épargne le royaume des Amazones qu’il comptait piller.
Texte témoin
E.C. Armstrong et al., The Medieval French «Roman d’Alexandre», vol. 2: Version of Alexandre de Paris, texts edited by E.C. Armstrong, D.L. Buffum, Bateman Edwards, L.F.H. Lowe, Princeton, 1937, Elliott Monographs 37, reed. New Yord Kraus Reprints, 1965, branche III, laisses 429 (fin)-431, vers 7305-7334. Traduction: Y. Lepage.
Bibliographie
Alexandre de Paris, Le Roman d’Alexandre, traduction, présentation et notes de Laurence Harf-Lancner (avec le texte édité par E.C. Armstrong et al.), Paris, Le Livre de Poche, «Lettres gothiques», no 4542, 1994. (p. 708-711).
Article de L.-F. Flutre et C. Ruby, in Georges Grente (dir.), ‹i›Dictionnaire des Lettres françaises. Le Moyen âge. ‹/i› Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zink, Paris : Fayard, 1992, p. 1306-1307.
Texte original
[…] 429. Icele nuit meïsmes, n’en dirai se voir non,
La dame d’Amazoine vint une avision.
430. Un songe mervellous a songié la roïne
Qu’il avoit une peue en la sale perrine
Et avoit paonciaus que aprés soi traïne.
Par devers Babilone en mi une gastine
Vint une aigle volant par molt grant aatine
Qui li voloit tolir ses paons par rapine,
Mais o ses paonciaus s’en fuit en la cuisine ;
Qant ele i dut entrer, si chaï jus sovine.
L’endemain par matin manda une devine,
En un gardin l’en maine desous une aubespine,
Iluec se sont assises, l’une a l’autre s’acline.
La roïne parole et dist a la meschine :
«A mie nuit songai dedesous ma cortine
Un songe molt estrange, ne sai que il destine.»

431. Le songe li conta, cele le vaut oïr ;
Et qant ele ot oï, si jeta un souspir,
En plorant li respont, ne se pot astenir :
«Dame, trestous les songes doit on a bien vertir.
Vos esterés la peue, n’i pöés pas faillir ;
Uns rois ce iert li aigles, ne vos en quier mentir,
Par force vous vaura cest roiaume tolir ;
Se vos i combatés, nel porrés pas soufrir,
Ou vous veulliés ou non, vos convenra fuïr.
Conseil vos estuet querre comment porrés garir ;
Je vos lo cest roiaume de lui a retenir
Et par an treü rendre trestout a son plaisir ;
Mieus vos vaut ice faire qu’en bataille morir,
Puis que la chose est faite tart est au repentir.»

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