mardi 4 janvier 2011

Le rêve du roi Ban






Le rêve du roi Ban

Une voix et un terrible fracas
Ils se levèrent alors, et allèrent à la première messe, le plus tôt qu’ils purent. En effet ils ne voulaient pas éveiller le roi Arthur ni ses compagnons qui dormaient profondément, car ils avaient beaucoup peiné le jour précédent. Le roi Ban demanda dans ses prières à Notre-Seigneur qu’il lui donne la mort quand il la demanderait ; il était très pieux et très bon chrétien, et il réitéra par la suite maintes fois cette prière jusqu’à ce qu’une nuit, dans son sommeil, il entende une voix qui lui disait que sa prière était exaucée, et qu’il mourrait dès qu’il le demanderait, ajoutant qu’il lui faudrait auparavant commettre le péché mortel d’adultère, une seule fois sans plus, que cela ne tarderait pas, mais qu’il ne devait pas s’en inquiéter car il n’en ferait pas moins sa paix avec Notre-Seigneur.
Dans ce songe que faisait le roi Ban, il lui sembla qu’après le départ de la voix il entendait un fracas si grand que l’on aurait dit le tonnerre le plus fort et le plus prodigieux qu’il ait jamais entendu. Le roi, qui tenait la reine entre ses bras, tressaillit si fort qu’il faillit tomber du lit qui était pourtant grand et large. La reine en fut si effrayée qu’elle resta incapable de dire un mot pendant un long moment, et son seigneur lui-même était si troublé qu’il ne savait plus où il était. Mais, quand il eut retrouvé ses esprits, il se leva, se rendit à l’église, se confessa et entendit le service divin ; et par la suite il ne laissa jamais passer une semaine sans se confesser et recevoir la sainte communion à l’autel. Et le roi Bohort, qui était lui aussi bon chrétien et menait une vie exemplaire, en faisait autant.
[…]
Mais ici le conte se tait à ce sujet. Et il revient à Merlin et au roi Ban, et raconte comment Merlin confirma au roi Ban et à sa femme la vérité des divers songes qu’ils avaient faits.
Le conte dit ici qu’un jour le roi Ban vint trouver Merlin et lui dit : «Seigneur, je suis très troublé par une vision que j’ai eue dans mon sommeil, et ma femme aussi. J’aurais grand besoin de conseils, et vous êtes l’homme le plus sage qui vive : je vous prie donc, s’il vous plaît, de m’expliquer ma vision.
— Certes, répondit Merlin, cette vision recèle une très profonde signification, et cela n’a rien d’étonnant que vous en soyez effrayé.» Là-dessus Merlin leur raconta en détail les visions que le roi Ban et sa femme avaient eues en leur sommeil, et le roi Ban lui-même reconnut qu’il disait vrai. Quand le roi Arthur, Gauvain et le roi Bohort entendirent les paroles incroyables de Merlin, ils se demandèrent avec étonnement ce qu’elles pouvaient signifier, et ils y réfléchirent profondément. Après un moment de réflexion, le roi Arthur dit à Merlin : «Seigneur, vous nous avez décrit les songes. Dites-nous maintenant quelle est leur signification, car je le saurais très volontiers.
— Seigneur, répliqua Merlin, je ne dois pas tout vous révéler, et je ne veux pas le faire. Mais je vous en dirai tout de même une partie dans la mesure où cela dépend de moi.» Et il commença en effet à interpréter le songe de la dame :
«Roi Ban, dit Merlin, il est vrai que le grand lion qui n’est pas couronné représente un prince qui a beaucoup de richesses, et d’alliés, qui conquerra par la force trente royaumes et gardera les trente rois en sa compagnie. Quant à l’autre lion couronné, accompagné de dix-huit lionceaux, il signifie un roi très puissant qui aura dix-huit rois vassaux qui seront tous ses hommes liges. Les quatre cents taureaux signifient quatre cents chevaliers qui se seront mutuellement promis de s’entr’aider jusqu’à la mort. Et ils seront tous vassaux de ce roi. Le prince dont je vous ai parlé marchera contre ce roi pour lui prendre sa terre. Mais il se défendra de son mieux. Et lorsque le prince aura pris le dessus sur lui, il viendra un chevalier inconnu qui aura été longtemps perdu : il viendra au secours du roi si efficacement que le prince ne pourra pas le vaincre ni le chasser du champ de bataille. Et c’est ce chevalier que représente le léopard, car, de même que le léopard est plus féroce que toutes les autres bêtes, de même en ce temps-là le chevalier sera le meilleur du monde. Et c’est par son intermédiaire que sera faite la paix entre ces deux princes qui se seront tant haïs.
Vous venez d’entendre le récit de la vision et son interprétation, et maintenant je m’en vais, car j’ai à faire ailleurs.» En fait, après avoir entendu les révélations merveilleuses de Merlin à propos du songe de la reine, ses auditeurs furent plus songeurs qu’ils ne l’étaient auparavant. Le roi demanda si Merlin leur en dirait davantage. Et il répondit que non.

Anonyme
Le livre du Graal
France   1230 Genre de texte
roman en prose
Contexte
Peu de temps après que la reine Hélène eut rêvé des deux lions guerroyants, le roi Ban, endormi près de sa femme, fait lui aussi un songe, dans lequel une voix lui dit qu’il mourra lorsqu’il demandera la mort, mais qu’avant cela il devait commettre une fois le péché d’adultère. Le roi Ban est si troublé par les révélations de la voix qu’il tressaille violement et réveille la reine Hélène. Les époux ébranlés se lèvent et vont entendre la messe. Quelque temps plus tard, le roi Ban demande à l’enchanteur Merlin de lui expliquer la signification de son rêve ainsi que de celui qu’a fait son épouse. L’enchanteur explique comment les lions du rêve de la reine Hélène représentent des rois qui se feront la guerre jusqu’à ce qu’ils soient réconciliés par le meilleur chevalier au monde.
Texte original
Lors se leverent et s’en alerent a la premiere messe entre le roi Ban et sa feme au plus matin qu’il porent. Car il ne vaurent mie eveiller le roi Artu ne ses compaignons qui se dormoient volentiers, car mot avoient traveillié le jour devant. Si proia li rois Bans a Nostre Signour qu’il li donnast la mort quant il le demanderoit. Et il estoit molt prodom en foi et en creance. Et cele proiiere fist il puis par maintes fois tant qu’il y avint une nuit en son dormant que une vois li dist que sa proiiere estoit oïe, car il averoit la mort au premier jour qu’il le demanderoit. Mais ains li couvenra pechier mortelement en adultere, une fois sans plus, ains qu’il morust. Et ne demoureroit pas longement, et ne s’esmaiast pas car bien s’acorderoit a Nostre Signour. En cel songe ou li rois Bans estoit si li fu avis que quant la vois qui ce li ot dit s’em parti si jeta un escrois si trés grant que ce sambloit tonnoiles, li plus grans et li plus merveillous qu’il onques eüst oï. Si tressailli li rois si durement que, la ou il tenoit la roïne entre ses bras, que pour un poi qu’il ne chaï jus de la couce qui grande et large estoit. Si en fu la roïne si esfreé qu’ele ne pot mot dire en grant piece. Et se sires meïmes en estoit atournés si qu’il ne sot ou il estoit. Et quant il fu venus en sa memeoir si se leva et s’en ala au moustier et se confessa et oï le service Nostre Signour. Et ne fu onques puis qu’il ne fust confessé chascun .VIII. jors et acumeniés del saint sacrement de l’autel. Et autretel faisoit li rois Boors qui molt estoit prodom et de bone vie.
[…]Mais ici endroit se taist li contes de ce. Et retourne a parler de Merlin et del roi Ban conment il certefia le roi Ban et sa feme les divers songes qu’il avoit songié.
Or dit li contes c’un jor vint li rois Bans a Merlin et li dist : «Sire, je sui molt esfreés d’une avision qu’il m,avint en mon dormant et a ma feme aussi. Si auroie mot grant mestier de conseil et vous estes li plus sages hom qui ore vive. Si vous proi que vous me conseilliés, s’il vous plaist, que l’avision senefie.
– Certes, dist Merlins, en cele avision a molt grant senefiance, et il n’est mie de merveille se vous en estes espaouris.» Et Merlins lor devise tout ensi com li rois Bans et sa feme les avoient veües en lor dormant, si que li rois Bans meïsmes connoist qu’il dist voir. Quant li rois Artus et mesire Gavains et li rois Boors entendent les fieres paroles que Merlins lor avoit dites, si s’esmerveillent molt qu’eles pueent senefier et molt i penserent. Et quant il orent une piece pense si dist li rois Artus a Merlin : «Sire, vous nous avés dit quel li songe furent. Ore nous dites la senefiance, par le vostre mercis, car trop volentiers le sauroie. – Sire, dist Merlins, del tout nel vous doi je mie esclairier, car ne le voel pas faire. Mais toutesvoies vous en dirai-je une partie tant que a moi afiert.» Lors conmence a dire le songe a la dame. «Rois Bans, dist Merlins, il est voirs que li grans lyons qui n’est mie couronés senefie un prince qui molt est riches hom d’avoir et d’amis qui conquerra par force .XXX. roiaumes au mains et fera venir tous les .XXX. en sa compaingnie. Et l’autre lyon couroné qui vint atout .XVIII. lyonciaus senefie un roi molt poissant qui aura .XVIII. rois desous lui qui tout seront si home lige. Et li .IIII.C. torel senefie .IIII.C. chevaliers qui tout seront entrefianciés a aus entr’aïdier jusques a la mort. Et tout seront home a celui roi. Et cil princes de qui je vous ai parlé ci devant verra sor cel roi pour lui tolir sa terre. Mais il se desfendera tant com il porra. Et quant il avenra que cil princes aura mis au desous celui si venra uns chevaliers mesconneüs qui longement aura esté perdus, ci aïdera cet roi tant que cil princes ne le porra del champ chacier ne desconfire. Et li lupars senefie cel chevaliers car, autresi com li lupars est orgueillous sor toutes autres bestes, autresi sera il li miudres qui a ces tans sera. Et par cel chevalier sera faite la pais de ces .II. princes qui tant se seront entre haï. Ore avés oï, dist Merlins, l’avision et la senefiance, si m’en irait atant, car molt ai aillours a faire.» Et quant il ont oï la merveille del songe que Merlins a dit, si en sont plus pensif qu’il n’avoient esté devant. Et lors li demanda li rois s’il lor esclarra autrement. Et il dist que nenil.

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