dimanche 20 mars 2011

Cathartique (-méthode)


  • CATHARTIQUE, adj. et subst.
CATHARTIQUE, adj. et subst.
A.− PHARM. Qui est purgatif. Médicament cathartique, poudre cathartique, acide cathartique. De fortes vertus cathartiques (R.-H. Lowie, Manuel d'anthropol. culturelle, 1936, p. 363).
Subst. masc. Un cathartique. Purgatif un peu moins fort qu'un drastique.
B.− PSYCHANAL. et PSYCHOL. Qui provoque une catharsis*. Cure cathartique (Ricœur, Philos. de la volonté, 1949, p. 367). Méthode cathartique (dans le traitement de l'hystérie). Fonction cathartique. Un tel jeu [le psychodrame] possède donc un pouvoir cathartique que ne peut posséder le jeu solitaire (Jeux et sp., 1968, p. 138).
P. ext. Qui produit une action purificatrice, libératrice. Puissance cathartique et évolutive de ces symboles (Divin. 1964).
Prononc. et Orth. Dernière transcr. ds DG : kà-tàr-tĭk'. Ds Ac. 1762-1878. Étymol. et Hist. 1. 1598 subst., méd. « remède qui purifie » (Joubert, Annot. S. La chir. de Guy de Chauliac, p. 93 ds Gdf. Compl.); 1614 adj. (Brantôme, Capit. fr., ch. IX, ibid. : une fièvre catartique); 2. 1949 (Ricœur, Philos. de la volonté, p. 367). Empr. du gr.καθαρτικός « qui purifie », en parlant de la mus., Aristote, Politique, 1342a 15 ds Liddell-Scott, spéc. en méd., Hippocrate, Mul. 1, 74, ibid. Fréq. abs. littér. : 2.
  • CATHARSIS, subst. fém.
CATHARSIS, subst. fém.
A.− THÉÂTRE. [Chez Aristote (Poétique, VI et VIII)] Purification de l'âme du spectateur par le spectacle du châtiment du coupable. Le châtiment du coupable, voilà l'expiation, la purification, la κάθαρσις que le philosophe avait en vue. Pour prendre un exemple, dans la fable d'Oreste, la catharsis consiste dans le châtiment infligé au fils parricide (E. Weil, Ét. sur le drame antique, Paris, 1897, p. 157).
P. ext.
1. Purification de l'âme ou purgation des passions du spectateur par la terreur et la pitié qu'il éprouve devant le spectacle d'une destinée tragique. Ce mode d'expression de soi qu'était le théâtre antique permettait, comme le psychodrame moderne, d'opérer une catharsis, une purification de l'âme, une liquidation des complexes (Divin. 1964, p. 249).
2. Plaisir éprouvé par le spectateur grâce à la dérivation causée par ces sentiments. ,,Le mot s'emploie toutefois pour désigner surtout le ravissement esthétique`` (Bénac Dissert. 1949).
B.− PSYCHANAL. et PSYCHOL. [Chez Freud et Breuer] Moyen thérapeutique (ex. hypnose, suggestion, etc.) par lequel le psychiatre amène le malade à se libérer de ses traumatismes affectifs refoulés. Synon. méthode cathartique, défoulement, abréaction. Le résultat de cette opération. Cf. Hist. de la sc., 1957, p. 1696.
C.− P. ext. (de A et de B), dans d'autres domaines (relig., mor., sociol., etc.). Action purificatrice. Catharsis ascétique (Philos. Relig., 1957, p. 5015) :
La prise de conscience historique réalise une véritable catharsis, une libération de notre inconscient sociologique un peu analogue à celle que sur le plan psychologique cherche à obtenir la psychanalyse.
H.-I. Marrou, De la Connaissance hist., 1954, p. 273.
Prononc. : [kataʀsis]. Étymol. et Hist. 1. 1865 méd. catharsie (Littré-Robin : Catharsie. Toute évacuation naturelle ou artificielle par une voie quelconque). 2. [1874 G. Cottler, Extraits de la Dramaturgie de Lessing, Paris, introd., p. XI : les passions auxquelles s'appliquent la κάθαρσις]; 1897 (H. Weil, loc. cit.). Empr. au gr.κάθαρσις, sens méd., Hippocrate, Aphorismes, 5, 36 ds Liddell-Scott; sens fig. « purification » dep. Platon, Phédon, 67c, ibid., et spéc., Aristote, Poétique, 1449b 28, ibid. « purgation produite chez le spectateur par la tragédie ». Fréq. abs. littér. : 6. Bbg. Giraud (J.), Pamart (P.), Riverain (J.). Mots ds le vent. Vie Lang. 1970, p. 48.

catharsis
nom féminin
(grec katharsis, purification)

Pour Aristote, effet de « purification » produit sur les spectateurs par une représentation dramatique.

Toute méthode thérapeutique qui vise à obtenir une situation de crise émotionnelle telle que cette manifestation critique provoque une solution du problème que la crise met en scène.

LITTÉRATURE

Le terme vient du grec kathairein, « purifier », verbe qui connaît à l'origine des emplois profanes tels que « nettoyer, trier, éliminer les éléments qui altèrent l'homogénéité d'un ensemble ». La catharsis, purification qui constitue la visée du mécanisme tragique tel que le conçoit Aristote dans sa Poétique, s'est élaborée sous une triple influence religieuse, pythagoricienne et médicale.

Une triple influence

Religieuse d'abord : la catharsis tragique est un héritage des rites purificatoires les plus anciens. Parmi eux, certains annoncent plus particulièrement la naissance de la tragédie, en raison de leur forme mimétique et dramatique. Ainsi, les rites « enthousiastes », d'origine thrace, font rejouer la légende du dieu au participant, saisi d'une folie passagère. Les cultes dionysiaques et corybantiques qui prennent leur suite, à partir du VIIe s. av. J.-C., se révèlent comme des manifestations à la fois thérapeutiques et mystiques : on y envoie des hommes atteints de troubles mentaux en vue de les délivrer de leurs maux par l'initiation.
La catharsis tragique entretient aussi des liens étroits avec la philosophie pythagoricienne, répandue dans le monde grec à partir du Ve s. av. J.-C. Selon cette doctrine, les rapports unissant les quatre premiers nombres (ou tetraktys) sont une clef de l'harmonie universelle. La contemplation des nombres ou leur appréhension à travers des écarts musicaux peut, de ce fait, acquérir une valeur cathartique, ramenant l'âme humaine, désaccordée par nature, à un état d'équilibre.
Aristote emprunte enfin à la doctrine médicale d'Hippocrate (460-337 av. J.-C.), pour qui la santé repose sur la bonne répartition des humeurs dans le corps. Toute surabondance de l'une d'elles exige un dégorgement, obtenu par le moyen d'une drogue (pharmakon) qui aggrave le trouble naturel jusqu'à produire une expulsion salutaire, ou catharsis.

La théorie cathartique

Tel est le contexte dans lequel Aristote élabore une théorie cathartique dont la part la plus explicite est développée dans sa Politique (VIII, 1340a), à propos des effets éducatifs de la musique. Il y reprend aux pythagoriciens l'idée d'un pouvoir purificateur de la musique, mais en lui prêtant un tout autre mécanisme : pour lui, la mélodie et le rythme sont des imitations des états d'âme, et elles agissent par sympathie. En créant des émotions fictives, elles épuisent les sources réelles de l'agitation de l'âme, selon un modèle purgatif très hippocratique.
Dans ce même chapitre de la Politique, Aristote renvoie à la Poétique (v. 340-330 av. J.-C.) pour un exposé plus complet de la question. Cependant – lacune ou perte d'une partie de l'ouvrage ? –, on n'y trouve guère mention de la catharsis, que dans une phrase : « Par la pitié et la terreur la représentation tragique accomplit la catharsis de telles émotions » (1449b 27-28). Cette formulation elliptique, pour être comprise, doit être mise en rapport avec la structure de la tragédie prônée par Aristote, et exemplairement accomplie dans l'Œdipe-Roi de Sophocle. Terreur et pitié y apparaissent moins comme des « émotions », au sens purement affectif du terme, que comme des moments de la re-présentation (mimesis) tragique. En effet, c'est par la « pitié » que le héros éprouve vis-à-vis de son propre malheur qu'il parvient à se le re-présenter. Quant à la « terreur », c'est l'épreuve par laquelle le héros ressent son malheur comme le produit d'une forme inéluctable, qu'on peut aussi appeler « destin ». La catharsis a d'abord lieu dans le mouvement dramatique où le personnage tragique reconnaît un sens « terrible » à ses actes confus. Et c'est parce qu'il assume la nécessité de son destin, en se la re-présentant, qu'il parvient à purifier l'horreur de ses effets. Secondairement, la purification s'étend au spectateur qui éprouve lui aussi de la « pitié » pour cet autre lui-même qu'est le héros, et de la « terreur » face à l'incontournable mécanisme tragique – deux sentiments à leur tour sublimés dans la reconnaissance de la nécessité formelle de l'œuvre.

La moralisation de la catharsis

La redécouverte de la Poétique, à la Renaissance, va de pair avec une moralisation de la catharsis, sur laquelle s'accordent tous les commentateurs d'Aristote ; les émotions tragiques agissent dans l'âme du spectateur et elles ont pour but de le conduire à la vertu. Cependant, cette conception moralisante s'infléchit en deux courants, le premier d'inspiration stoïcienne, le second plus franchement chrétien.
Historiquement, la version stoïcienne a la préférence des premiers érudits qui font connaître la Poétique : Robortello, Castelvetro, Heinsius. Le spectacle tragique est censé aguerrir le spectateur, l'accoutumer à maîtriser le cours de ses émotions par la comparaison de son sort avec le destin douloureux des héros légendaires. En France, cette conception « sympathique » influence les Réflexions sur la poétique de ce temps (1674) de René Rapin. Et, au siècle suivant, c'est encore elle que Marmontel attribue aux Anciens, dans ses Éléments de littérature (1787), tout en estimant que les Modernes cherchent plutôt dans la tragédie la défiance des passions mauvaises et le progrès moral.
La christianisation de la catharsis remonte au commentaire de la Poétique de Paolo Beni (1613), mais c'est La Mesnardière qui la vulgarise en France dans sa Poëtique (1640). Il y explique que « la juste terreur excitée dans les esprits par les peines des criminels produit un effet profitable par le repentir qu'elle inspire aux vicieux qui la ressentent ». Corneille, dans le Discours de la tragédie (1660), se rallie, non sans circonspection, à cette thèse qui a l'intérêt de réunir les deux « passions » tragiques dans une même logique : « La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos semblables nous porte à la crainte d'un pareil pour nous ; cette crainte au désir de l'éviter, et ce désir à purger, modérer, rectifier, et même déraciner en nous la passion... » Mais Corneille avoue ne pas saisir, chez Aristote, la nature de cette « passion », ni d'ailleurs le sens de la « faute » tragique. Par ce constat d'une belle humilité, il est le premier à rendre compte d'une irréductible distance entre les enjeux du tragique antique et du tragique moderne.

La catharsis moderne introuvable

De fait, après lui, la catharsis n'est plus discutée comme une notion directement applicable au théâtre contemporain. Et cela même si la question des effets affectifs et moraux de la tragédie continue d'occuper la réflexion dramatique, ainsi qu'en témoigne, par exemple, la Lettre sur les spectacles (1758). Rousseau, sans se soucier de l'acception aristotélicienne de ces termes, y récuse la moralité des deux « émotions » tragiques, la « pitié » parce qu'elle est pervertie par le caractère illusoire de ses motifs, et la « terreur » parce qu'elle accoutume les spectateurs « à des horreurs qu'ils ne devraient même pas connaître ». Lessing (qui conviera le spectateur à trouver un « juste milieu » entre les extrêmes de la pitié et de la terreur), Goethe qui en fera dans sa Relecture de la Poétique d'Aristote un moyen de réconciliation de passions contraires, Nietzsche surtout (Naissance de la tragédie, XXII) verront dans la catharsis le ferment de la cohérence esthétique.
Romantiques et postromantiques se mettront en quête d'une forme moderne de catharsis par l'invention d'une esthétique théâtrale ouverte à l'informe et au monstrueux : des thèses d'Hugo sur le grotesque et le sublime dans la Préface de Cromwell (1827) au « théâtre de la cruauté » d'Artaud... Mais, cette esthétique de la rupture, à mesure qu'elle remet en question la notion même de langage dramatique, se coupe de la possibilité d'un ressaisissement cathartique de l'horreur en une forme nécessaire et admise pour tous (Brecht y voit même l'expression de l'aliénation idéologique du spectateur). L'absence de consensus langagier rend ainsi la catharsis moderne introuvable (même si, avec D. Barrucand, on la découvre dans l'oscillation permanente entre le « compris » et l'« éprouvé », la distance et l'identification) et condamne l'expression à vivre dans le temps d'une insoluble terreur. Encore faut-il remarquer que, de nos jours, la catharsis a retrouvé son lieu dans le champ thérapeutique. Car, en proposant au patient, pour dénouer sa douleur, de remonter aux fondements qui ordonnent son histoire, la psychanalyse renoue pour partie avec un grand projet tragique, peut-être indissociable de tout monde de culture.

PSYCHANALYSE

J. Breuer et S. Freud désignent par catharsis dans leur première méthode psychothérapique : la reviviscence d'une situation traumatique libérerait l'affect « oublié » et celui-ci restituerait le sujet à la mobilité de ses passions. Étroitement liée à la pratique de l'hypnose par S. Freud, la notion de catharsis fut abandonnée par lui en même temps que l'hypnose au profit de la règle d'associations libres et de la notion de transfert. Elle connaît à l'heure actuelle un regain d'intérêt en raison du développement de techniques comme le psychodrame, le cri primal et la Gestalttherapie. L'efficacité de la méthode cathartique résiderait dans un travail de deuil que le sujet s'autorise à accomplir en acceptant le retour de son souvenir inaccepté.

Cathartique (méthode)


terme de psychologie
Du grec katharsis, « purification, purgation ». Pour Aristote, c’est l’effet produit chez le spectateur par la tragédie. En psychiatrie, le mot recouvre toute forme de psychothérapie qui recherche la décharge des affects pathogènes et cherche à faire revivre au sujet les traumatismes. Freud, dans ses Etudes sur l’hystérie, a montré que les affects qui n’ont pas réussi à trouver la voie vers la décharge restent « coincés », entraînant des symptômes. La méthode cathartique a donc pour objet de libérer ces affects. Cette « libération » et « l ’ l’abréaction ». les affects cathartiques se retrouvent non seulement dans la psychanalyse, mais aussi dans la plupart des psychothérapies comme le psychodrame, dans lequel le jeu permet une délivrance des conflits intérieurs.
Définition Laplanche J. Vocabulaire de la psychanalyse, 1967 (PUF)
Allemand : kathartisches Heilverfahren ou kathartische Methode
Anglais : cathartictherapy ou cathartic method
Espagnol : terapia catártica ou método catártico.
Italien : metodo catartico
Portugais : terapêtica ou terapia catártica



La méthode cathartique est une méthode thérapeutique qui vise à créer une situation de crise émotionnelle en poussant le patient à évoquer à travers la parole des événements traumatiques et permettant la production de phénomènes d’abréaction.
En 1881-1882,  Joseph Breuer a mis au point une méthode thérapeutique avec la malade Anna O. qui consistait à pousser cette patiente à retrouver, sous hypnose, le souvenir d’une scène traumatisante considérée à l’origine du symptôme. Dès 1882, Breuer évoque ce cas avec son collègue S. Freud (1). Ensemble, ils développent une conception théorique sur le fonctionnement de l’appareil psychique et sur leur procédé thérapeutique qu'ils nomment « méthode cathartique » en s’appuyant sur le concept de « catharsis » d’Aristote. Cette méthode, est étroitement liée à l’emploi de la suggestion et de l’hypnose. Freud abandonne cette méthode pour la remplacer par la méthode psychanalytique caractérisée par les associations libres. Il y a des formes de psychothérapie, comme la narcoanalyse ou le psychodrame (2), qui continuent à employer cette méthode. 
La méthode particulière de psychothérapie que Freud pratique et à laquelle il a donné le nom de psychanalyse est issue du procédé dit cathartique qu'il a exposé, en collaboration avec J. Breuer, dans les Studien über Hystérie publiées en 1895. Cette thérapie cathartique avait été inventée par Breuer et d'abord utilisée par lui dix ans auparavant dans le traitement, couronné de succès, d'une hystérique. L'emploi de ce procédé lui avait permis de se faire une idée de la pathogénie des symptômes de cette malade. Sur la suggestion personnelle de Breuer, Freud reprit ce procédé et l'essaya sur un grand nombre de patients. 
Le procédé cathartique reposait sur l'élargissement du conscient qui se produit dans l'hypnose et présupposait l'aptitude du malade à être hypnotisé. Son but était de supprimer les symptômes morbides et il y parvenait en replaçant le patient dans l'état psychique où le symptôme était apparu pour la première fois. Des souvenirs, des pensées et des impulsions qui ne se trouvaient plus dans le conscient resurgissaient alors et une fois que les malades les avaient révélés, avec d'intenses manifestations émotives, à leur médecin, le symptôme se trouvait vaincu et son retour, empêché. Dans leur travail commun, les deux auteurs conclurent de la régulière répétition de cette expérience que le symptôme remplaçait les processus psychiques supprimés et non parvenus jusqu'au conscient, qu'il représentait une transformation (une « conversion ») de ces derniers. Ils expliquaient l'efficacité thérapeutique de leur traitement par la décharge de l'affect jusqu'à ce moment « étouffé » et qui était lié à l'acte psychique repoussé (« abréaction »). Toutefois le schéma simple de cette opération thérapeutique se compliquait presque toujours, du fait que ce n'était pas un unique émoi « traumatisant », mais la plupart du temps une série d'émois, difficiles à saisir d'un seul coup, qui avaient participé à la formation du symptôme. 
Le trait le plus caractéristique de la méthode cathartique, celui qui la distingue de tous les autres procédés, se découvre dans le fait que son efficacité thérapeutique ne repose pas sur un ordre suggéré par le médecin. On s'attend plutôt à voir les symptômes disparaître d'eux-mêmes, dès que l'opération qui s'appuie sur diverses hypothèses relatives au mécanisme psychique, a réussi à modifier le cours du processus psychique ayant abouti à la formation du symptôme. 
Les changements apportés par Freud au procédé cathartique établi par Breuer consistèrent tout d'abord en modifications de la technique. Elles donnèrent néanmoins des résultats nouveaux pour, en fin de compte, nécessairement aboutir à une conception modifiée, bien que non contradictoire, de la tâche thérapeutique. 
La méthode cathartique avait déjà renoncé à la suggestion. Freud fit un pas de plus en rejetant également l'hypnose. Il traite actuellement ses malades de la façon suivante : sans chercher à les influencer d'autre manière, il les fait s'étendre commodément sur un divan, tandis que lui-même, soustrait à leur regard, s'assied derrière eux. Il ne leur demande pas de fermer les yeux, et évite de les toucher comme d'employer tout autre procédé capable de rappeler l'hypnose. Cette sorte de séance se passe à la manière d'un entretien entre deux personnes en état de veille dont l'une se voit épargner tout effort musculaire, toute impression sensorielle, capables de détourner son attention de sa propre activité psychique. 
Quelle que soit l'habileté du médecin, le fait d'être hypnotisé, on le sait, dépend du bon vouloir du patient, et beaucoup de névrosés sont inaccessibles à l'hypnotisme, il s'ensuit donc qu'après l'abandon de l'hypnose, le procédé devenait applicable à un nombre illimité de personnes. D'autre part, cependant, cet élargissement du domaine conscient qui permettait justement au médecin d'entrer en possession de tous les matériaux psychiques : souvenirs et représentations, favorisant la transformation des symptômes et la libération des affects, ne se réalisait plus. Il s'agissait donc de remplacer l'élément manquant par quelque autre, sans quoi aucune action thérapeutique n'eût été possible. 
C'est alors que Freud trouva, dans les associations du malade, ce substitut entièrement approprié, c'est-à-dire dans les idées involontaires généralement considérées comme perturbantes et, de ce fait même, ordinairement chassées lorsqu'elles viennent troubler le cours voulu des pensées. Afin de pouvoir disposer de ces idées, Freud invite les malades à se « laisser aller », comme dans une conversation à bâtons rompus. Avant de leur demander l'historique détaillé de leur cas, il les exhorte à dire tout ce qui leur traverse l'esprit, même s'ils le trouvent inutile, inadéquat, voire même stupide. Mais il exige surtout qu'ils n'omettent pas de révéler une pensée, une idée, sous prétexte qu'ils la trouvent honteuse ou pénible. C'est en s'efforçant de grouper tout ce matériel d'idées négligées que Freud a pu faire les observations devenues les facteurs déterminants de tout l'ensemble de sa théorie. Dans le récit même de la maladie se découvrent dans la mémoire certaines lacunes : des faits réels ont été oubliés, l'ordre chronologique est brouillé, les rapports de cause à effets sont brisés, d'où des résultats inintelligibles. Il n'existe pas d'histoire de névrose sans quelque amnésie. Quand on demande au patient de combler ses lacunes de mémoire en appliquant toute son attention à cette tâche, on remarque qu'il fait usage de toutes les critiques possibles pour repousser les idées qui lui viennent à l'esprit et cela jusqu'au moment où surgissent vraiment les souvenirs et où alors il éprouve un sentiment véritablement pénible. Freud conclut de cette expérience que les amnésies résultent d'un processus qu'il a appelé refoulement et dont il attribue la cause à des sentiments de déplaisir. Les forces psychiques qui ont amené le refoulement sont, d'après lui, perceptibles dans la résistance qui s'oppose à la réapparition du souvenir. 
Le facteur de la résistance est devenu l'une des pierres angulaires de sa théorie. Il considère les idées repoussées sous toutes sortes de prétextes — pareils à ceux que nous venons de citer — comme des dérivés de structures psychiques refoulées (pensées et émois instinctuels), comme des déformations de ces dernières par suite de la résistance qui s'oppose à leur reproduction. 
Plus considérable est la résistance, plus grande est la déformation. L'importance pour la technique analytique de ces pensées fortuites repose sur leur relation avec les matériaux psychiques refoulés. En disposant d'un procédé qui permette de passer des associations au refoulé, des déformations aux matériaux déformés, on arrive, même sans le secours de l'hypnose, à rendre accessible au conscient ce qui, dans le psychisme, demeurait inconscient. 
C'est sur cette notion que Freud a fondé un art d'interpréter dont la tâche est, pour ainsi dire, d'extraire du minerai des idées fortuites le pur métal des pensées refoulées. Ce travail d'interprétation ne s'applique pas seulement aux idées du patient, mais aussi à ses rêves, qui nous ouvrent l'accès direct de la connaissance de son inconscient, de ses actes intentionnels ou dénués de but (actes symptomatiques) et des erreurs commises dans la vie de tous les jours (lapsus linguae, actes manqués, etc.). Freud n'a pas encore publié les détails de sa technique d'interprétation ou de traduction. Mais d'après ce qu'il en a déjà dit, il s'agit d'une série de règles, empiriquement établies, relatives à la manière dont il convient de reconstituer, d'après les associations, les matériaux inconscients. Freud donne aussi des indications sur la façon dont il faut interpréter les silences du patient quand les associations lui font défaut et relate les résistances typiques les plus importantes qui se manifestent au cours du traitement. Le volumineux travail intitulé La science des rêves, que Freud a publié en 1900, peut être considéré comme une initiation à la technique. 
On pourrait conclure de ces remarques à propos de la technique psychanalytique que son créateur s'est donné beaucoup de mal pour rien et qu'il a eu tort d'abandonner le procédé bien moins compliqué de l'hypnotisme. Mais, d'une part, la technique psychanalytique, quand on la possède bien, est d'une pratique bien plus facile que sa description pourrait le faire croire et, d'autre part, aucune autre voie ne nous mènerait au but visé, de sorte que ce chemin difficile reste, malgré tout, le plus court. Nous reprochons à l'hypnotisme de dissimuler les résistances et, par là, d'interdire au médecin tout aperçu du jeu des forces psychiques. L'hypnose ne détruit pas les résistances et ne fournit ainsi que des renseignements incomplets et des succès passagers. 
La tâche que s'efforce de réaliser la méthode psychanalytique peut se formuler de manières différentes quoique équivalentes dans le fond. On dit par exemple que le traitement doit tendre à supprimer les amnésies. Quand toutes les lacunes de la mémoire ont été comblées, toutes les mystérieuses réactions du psychisme expliquées, la continuation comme la récidive d'une névrose deviennent impossibles. On peut dire également que tous les refoulements doivent être levés ; l'état psychique devient alors le même que lorsque toutes les amnésies ont été supprimées. Suivant une autre formule à plus grande portée, le problème consiste à rendre l'inconscient accessible au conscient, ce qui se réalise en surmontant les résistances. Mais il faut se rappeler que cet état idéal ne s'observe même pas chez les normaux et, ensuite, qu'on se trouve rarement en mesure de pousser le traitement jusqu'à un point approchant cet état. De même que la santé et la maladie ne diffèrent pas qualitativement, mais se délimitent progressivement d'une façon empiriquement déterminée, de même le but à atteindre dans le traitement sera toujours la guérison pratique du malade, la récupération de ses facultés d'agir et de jouir de l'existence. Dans un traitement inachevé, ou n'ayant donné qu'un succès incomplet, l'on obtient, malgré tout, une amélioration notable de l'état psychique général, alors que les symptômes, moins graves maintenant pour le patient, peuvent continuer à exister sans pour autant marquer ce dernier du sceau de la maladie. 
Le procédé thérapeutique reste le même, à quelques insignifiantes modifications près, pour toutes les diverses formations symptomatiques de l'hystérie et toutes les formes de la névrose obsessionnelle. Toutefois il ne saurait être question d'une application illimitée de cette méthode. La nature même de celle-ci implique des indications et des contre-indications suivant les personnes à traiter et le tableau clinique. Les cas chroniques de psychonévroses avec symptômes peu violents et peu dangereux, sont les plus accessibles à la psychanalyse, et d'abord toutes les formes de névrose obsessionnelle, de pensées et d'actes obsédants et les cas d'hystérie dans lesquels les phobies et les aboulies jouent le rôle principal, ensuite les manifestations somatiques de l'hystérie, à l'exception des cas où, comme dans l'anorexie, une rapide intervention s'impose pour supprimer le symptôme. Dans les cas aigus d'hystérie, il faut attendre que s'instaure une période plus calme. Là où prédomine un épuisement nerveux, il est bon d'écarter un procédé qui exige lui-même des efforts, dont les progrès sont lents et qui, pendant un certain temps, ne peut tenir compte de la persistance des symptômes. 
Certaines conditions règlent le choix des personnes susceptibles de tirer grand profit de la psychanalyse. En premier lieu, le sujet doit être capable de redevenir psychiquement normal ; dans les périodes de confusion ou de dépression mélancolique, rien ne peut être entrepris, même lorsqu'il s'agit de cas d'hystérie. En outre, une certaine dose d'intelligence naturelle, un certain développement moral sont exigibles. S'il avait affaire à des personnes peu intéressantes, le médecin ne tarderait pas à se détacher du patient et, de ce fait, ne parviendrait plus à pénétrer profondément dans le psychisme de celui-ci. Des malformations du caractère très enracinées, les marques d'une constitution vraiment dégénérée, se traduisent dans l'analyse par des résistances presque insurmontables. À cet égard, la constitution du patient impose des limites à la curabilité par la psychothérapie. Les conditions sont défavorables aussi quand le malade approche de la cinquantaine, car alors la masse des matériaux psychiques ne peut plus être étudiée à fond, la durée de la cure est trop prolongée et la capacité de faire rétrograder le processus psychique est en voie d'affaiblissement. 
En dépit de toutes ces limitations, le nombre des personnes capables de profiter d'un traitement psychanalytique est immense et l'extension, grâce à ce procédé, de nos possi­bilités thérapeutiques est devenue, de l'avis de Freud, fort considérable. Pour que le traitement puisse être efficace, Freud exige que sa durée soit de six mois à trois ans ; il nous apprend pourtant que, par suite de diverses circonstances faciles à deviner, il n'a généralement pu, jusqu'à ce jour, essayer son traitement que sur des gens très gravement atteints, malades depuis de longues années, devenus tout à fait incapables de s'adapter à la vie et qui, déçus par tous les genres de traitements, avaient recours, en désespoir de cause, à ce procédé nouveau et très discuté. Dans les cas plus légers, il est possible que la durée du traitement puisse être raccourcie et qu'un avantage extraordinaire en puisse être acquis pour l'avenir, dans le domaine de la prophylaxie.

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