lundi 3 janvier 2011

Songe de la belle Elioxe



Elle voit en rêve sept pommes
14
Sept jours dura la fête qui fut si bien commencée,
Mais le huitième jour marqua le début du départ,
[Et] Vers leurs demeures retournèrent les nobles invités.
Le roi Lothaire resta avec sa suite,
Soixante chevaliers de très haute lignée.
Alors il vint à Elioxe, sa douce et chère amie :
«Belle amie», dit le roi, «la fête est terminée
Pour ceux qui vinrent ici et qui nous donnèrent tellement de joie.
Maintenant commence la nôtre, [et] que Dieu nous aide.
Désormais, ensemble, nous serons tous les deux heureux toute notre vie.»
Ils se couchent ensemble quand la nuit fut arrivée,
La chair de l'un connut celle de l'autre, la Nature a ses droits;
L'un rend à l'autre son droit et ils font leur gracieux service,
Car l'amour est né entre l'ami et l'amie.
Quand ils ont fait ce qu'ils voulaient et accompli leur joie,
Elle n'est plus pucelle, elle est maintenant une dame heureuse,
Elioxe la belle, à qui Dieu donne noblesse.
Les deux sont dans les bras l'un de l'autre, [et] elle s'est endormie.
Alors elle fit un songe qui la troubla fort:
Elle gisait, couverte de fourrures de Russie,
Dans un lit ciselé et de grand prix.
Une partie du lit était couverte de roses;
Dans sa partie supérieure le lit était rouge,
[Et] Dans sa partie inférieure, couvert de fleurs de lis.
Dans les roses, vers les pieds, il y avait sept pommes cachées,
Des pommes du Paradis que Dieu a sous sa garde;
Personne n’en vit d’aussi belles en sa vie.
Sa mère aperçut ce prodige parmi les roses;
Envieuse, elle lui enleva et lui vola les sept pommes.
À six d’entre elles, elle coupa la queue, mais elle oublia la septième.
Elle ne les jeta pas dehors devant la porte, elle s’en garda bien,
Mais plutôt dans un lieu désert.
À ce mot, Elioxe se réveille et crie :
«Aïe! Aïe! Lève-toi, roi Lothaire, pour l’amour de Dieu!»
Le roi Lothaire se lève, la prend dans ses bras :
«Faites le signe de la croix, belle amie, et que Dieu vous bénisse,
Recommandez votre âme à tous ceux
Qui donnent le corps de Dieu pendant la sainte messe.
Pourquoi êtes-vous, mon amie, si effrayée?»
Elle a mal à la tête, elle est tout étourdie,
Elle serait incapable de prononcer un mot même si on lui donnait Pavie,
Elle reste dans les bras du roi comme une femme évanouie.
Celui-ci l’embrasse et lui donne un baiser sur la bouche,
Elle récupère ses sens, retrouve sa mémoire.
«Douce amie», dit le roi, «je vous ai embrassée.
Qu’est-ce qui vous est arrivé? Ne me cachez rien,
N’ayez pas honte avec moi, ma douce amie».
«Un songe, sire, et des fantômes m’ont donné des maux de tête,
Mais à Dieu je recommande mon corps et ma vie.
Au bon Dieu et à Sainte Marie je demande,
Et [aussi] à tous les saints qui sont au Ciel :
Transformez cela en bien, [et] vous ferez alors un geste gracieux.
Mon lit était tout couvert de fleurs de couleur brillante,
Et, en ces roses, j'ai vu, cachées, sept petites choses;
C’était sept petites pommes dont l’arbre était fleuri
À l’endroit où Adam passa la première partie de sa vie,
Et dont il fut expulsé à cause de sa grande trahison.
Elles me furent volées par grande vilenie,
Et celui qui les emporta garda en sa possession
Les queues et jeta les pommes en terre inculte
Afin qu’on ne les vît plus ou que d’elles on n’entendît plus parler.
Il en jeta six dehors et oublia la septième.
Dieu! qu’est-ce que cela veut dire?»
«Madame», dit le roi, «ne vous inquiétez pas,
Dieu vous apportera du réconfort, lui qui a pouvoir sur tout.
Les sept pommes sont les sept enfants que Dieu vous donnera.
Si l’un d’eux est méchant envers vous,
Que cela ne vous empêche d’être bonne.
Aimez faire des aumônes et soyez toujours généreuse
Et honorez la sainte Église et ses fidèles serviteurs.
Si vous rencontrez un être humain dont la chair est souffrante,
Faites tant, pour l’amour de Dieu, qu’elle soit guérie;
Et si vous rencontrez quelqu’un qui a faim,
Donnez-lui de la nourriture afin de le rassasier.
Aidez, afin d’être agréable au Seigneur, ceux qui vous demandent de l’aide au nom de Dieu,
Et ainsi vous serez aimée dans ce monde et vous trouverez gloire et bonheur dans le Ciel.
15
Doucement Lothaire calma [ainsi] son épouse
Qui était très effrayée à cause de son pénible songe.
Il lui donne des baisers, il l’embrasse, et il fait tout ce qu’il peut,
Afin de la délivrer de l’émoi que lui avait causé le songe.

1200AnonymeLa Naissance du Chevalier au Cygne

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