lundi 3 janvier 2011

Rêve de la reine Élissent Un rêve-subterfuge Le lendemain fut samedi, veille de Pâques ; le roi était baigné, tondu et rasé, vêtu d’habits de soie tels qu’oncques n’en vît meilleurs, rouges ou foncés. La reine vint à côté du roi et lui dit d’une voix suave: — Oh! Sire, écoutez le songe incroyable que j’ai eu. Cette nuit, avant qu’il fît jour, il m’a semblé voir le comte Girart par un val, entrer ici dedans par cette porte, et jurer sur les saints, en homme loyal, que jamais, de son vivant, il ne vous viendrait par lui ni dam ni mal. Votre salle était toute tendue de tentures, d'étoffes de soie, de tapis, de housses, et il était le puissant sénéchal de votre cour. — Hé Dieu! dit hypocritement le roi, qui le croyait bien mort, que ne l’est-il! Je voudrais qu’il fût vivant et sauf, bien qu’il m’ait fait une guerre mortelle et m’ait causé, à moi et aux miens, mille douleurs cuisantes. — Sire, dit la reine, accordez-moi un don : permettez que j’envoie savoir s’il vit ou non. Car, l’autre jour, j’ai entendu dire au vieux chasseur Drogon, qu’il était encore vivant, au royaume d’Oton. Roi, laissez-le venir en votre maison. Pour Dieu et pour moi, pardonnez-lui, et il vous fera bon service, car il est votre homme, et le meilleur de votre royaume.



Rêve de la reine Élissent
Un rêve-subterfuge
Le lendemain fut samedi, veille de Pâques ; le roi était baigné, tondu et rasé, vêtu d’habits de soie tels qu’oncques n’en vît meilleurs, rouges ou foncés. La reine vint à côté du roi et lui dit d’une voix suave:
— Oh! Sire, écoutez le songe incroyable que j’ai eu. Cette nuit, avant qu’il fît jour, il m’a semblé voir le comte Girart par un val, entrer ici dedans par cette porte, et jurer sur les saints, en homme loyal, que jamais, de son vivant, il ne vous viendrait par lui ni dam ni mal. Votre salle était toute tendue de tentures, d'étoffes de soie, de tapis, de housses, et il était le puissant sénéchal de votre cour.
— Hé Dieu! dit hypocritement le roi, qui le croyait bien mort, que ne l’est-il! Je voudrais qu’il fût vivant et sauf, bien qu’il m’ait fait une guerre mortelle et m’ait causé, à moi et aux miens, mille douleurs cuisantes.
— Sire, dit la reine, accordez-moi un don : permettez que j’envoie savoir s’il vit ou non. Car, l’autre jour, j’ai entendu dire au vieux chasseur Drogon, qu’il était encore vivant, au royaume d’Oton. Roi, laissez-le venir en votre maison. Pour Dieu et pour moi, pardonnez-lui, et il vous fera bon service, car il est votre homme, et le meilleur de votre royaume.

Anonyme
Girart de Roussillon
France   1100 Genre de texte
Chanson de geste
Contexte
La reine Élissent veut réconcilier le comte Girart – qu’elle sait vivant – avec son mari Charles (dit Martel). Pour ce faire, elle lui raconte un rêve qu’elle a fait dans lequel Girart promet d’être fidèle au roi. Ce dernier, croyant Girart mort, accepte hypocritement de laisser Élissent vérifier s’il est toujours vivant et si oui, de le mener à sa cour.
Notes
Le roi-empereur Charles avait épousé Elissent, la fiancée de Girart. Girart, ayant perdu toutes ses terres, est obligé de s’exiler. Lui et sa femme Berte, sœur de la reine, passent vingt ans dans la forêt d’Ardenne, où Girart travaille comme charbonnier. Puis celui-ci retourne en France, déguisé. Réconcilié par l’intermédiaire de la reine, qui n’avait cessé de l’aimer, il rentre en ses terres, et, après quelques démêlés avec ses anciens ennemis, il fait sa soumission définitive.

Texte original
L’endemain fu dissades, dies pascaus,
Que lo reis fu baignaz, tonduz et raus,
La reïne vestie de pailes taus
Con no v(e)istes meillors, vermels e blaus.
E vent devant lo rei, dis li soaus :
« Seiner, aujaz un songe qui toz ert faus :
Enuit m’er[e] avis aus anzjornaus
Que cons Girarz venie per uns carraus,
E entrau ca dedinz per is portaus
E jurauve sor sains, com om leiaus,
Ja mais tan com el fust vis om carnaus
Ne vos venges per lui aise ni maus.
Portendie ca saule de nos dossaus,
De pailes, de tapiz e de bancaus,
Et ere de ta cort ris senescaus.
– Ai Deus! » co dis lo reis, « car fus itaus!
E vourie ke fus vis, sains e saus.
E per hoc si me fu gerrers mortaus
E fes mei e les meus mil dols coraus.
– Seiner », dis la reïne, « donaz me un don ;
Qu’eu tramete saver s’es vis o non ;
Que l’autr’er aui dire conte Drogon
Qu’enquere es el toz vis el reine Oton.
Reis, laise lo venir en ta maison,
E per Deu e per mei li fai pardon,
E il te servira a esperon,
Car te[s] om est, li meldres de ta reon. »

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