Songe de Girart
De France venait un dragon
Girart est couché dans la salle dans laquelle est couché aussi son frère Gui. Il entend son père parler à ses ennemis.
Sans tarder, il se chausse et s'habille rapidement,
S'approche de son frère Gui, prend celui-ci par les épaules
Parce qu'il dormait, le tire hors du lit.
« Frère », dit Girart, « maintenant vous êtes trahi!
Beuve parle à ceux qui nous haïssent tant. »
Quand Gui l'entend, il sort du lit
Et monte les marches en marbre brun-gris.
Ils s'en vont vers les murs où Beuve fut trahi.
[Celui-ci], la tête inclinée, car il était très fâché,
Parlait au puissant émir.
Girart s'approche de son père, [et] prend celui-ci par les épaules.
« Père », dit Girart, « que dit ce roi détestable? »
– « Mon noble fils, il me supplie de lui accorder
Barbastre, dont je me suis rendu maître.
Il nous laissera partir sains et saufs et vivants
Si on lui rend [aussi] Malatrie, la belle au brillant visage,
Et le roi Libanor, qui est vaillant et hardi. »
– « Père », dit Girart, « vous avez perdu le sens.
Donnez-moi votre main, par ma foi je vous assure
Que, si vous sortez d'ici vers les Arabes
Il est impossible que vous ne soyez pas tué.
Aussitôt, il ne restera pas un seul de nos Francais vivant. »
– « Noble fils », commenta le duc, « qu'est-ce que tu me dis?
L'émir, qui est de grande noblesse, le promit,
Et [aussi], avec lui, à mon avis, sept rois sarrasins,
Que l'accord sera respecté. »
– « Père », dit Girart, « vous êtes outrecuidant.
Cette nuit je fis un songe, à cause duquel je suis très étonné,
Que de France venait un dragon puissant
[Et] qu'il s'asseyait ici, en ce palais voûté.
Il jetait du feu et des flammes, tout brûlait dans ce pays.
Une grande quantité d'oisillons se plaça autour de lui.
Quand j'en pris conscience, il me semble bien
Que tous criaient « Beuve de Commarchis,
Donnez-nous le trésor que vous nous avez promis. »
Le duc Beuve, dont Girart était le fils, dit alors :
«C'est le secours qui vient de France, je vous l'assure loyalement.»*
Et Beuve ajouta : « Tu te trompes, mon noble fils.
Le dragon que tu vis, c'est le roi d'Arabie
Qui nous capturera par force avant que trois jours ne se soient écoulés.
Les oisillons que tu as vus, mon noble fils,
C'étaient les Francais qui seront capturés ici
[Et] qui seront traités outrageusement.
« Noble fils », continua le duc, « ne me contrariez pas!
Laissez-moi résoudre à ma manière notre situation.
Le songe que tu fis ne peut pas beaucoup nous aider.
Au contraire, il pourrait devenir un très grand ennui.
Mon noble fils, approuvez ce que je fais, je vous prie. »
– « Père », dit Girart, « je ne veux pas vous mettre en colère.
Agissez selon la façon que vous croyez être la meilleure. »
1200 | Anonyme | Le siège de Barbastre |
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