lundi 3 janvier 2011

Le premier rêve d’Élie





Le premier rêve d’Élie

Un songe programmatique
– Dame, dit Élie, vous vous alarmez pour rien : vous en éprouverez bientôt de la joie, à mon avis. Cette nuit, j’ai fait un rêve tout ce qu’il y a de plus réjouissant. Au passage de votre noble fils Aiol, bois, buissons et immenses forêts s’inclinaient devant lui; ours, lions, léopards, sangliers et serpents se prosternaient sur son passage; leurs langues léchaient ses pieds et Aiol les prenait par les pattes avant et les plongeait dans un cours d’eau large et profond. Je voyais tous les oiseaux de France courir à sa rencontre à pied, car ils n’avaient plus du tout d’ailes. Aiol leur redonnait sans tarder des plumes, les rendant vite heureux et contents. Alors survenait un aigle fort et puissant, dominant tous les autres oiseaux. Deux faucons blancs l’accompagnaient. Ils partaient sur-le-champ en Espagne, tout droit vers la grande cité de Pampelune. Les murs de la cité qui était devant lui s’inclinaient à sa rencontre. Là, le noble Aiol s’empara d’une statue – nul homme n’en vit de plus belle de son vivant – qu’il ramena précipitamment en France, se hâtant vers le monastère de Sainte-Croix. Là prêtres, moines, chanoines et clercs enseignants la baptisèrent aussitôt : en vérité, elle me paraissait enceinte. Puis, je vis deux colombes blanches sortir d’elle. C’est alors que je me réveillai, je n’en sais pas davantage.
– Seigneur, dit Moïse l’illustre savant, ce sont d’heureux événements que ce songe annonce. Il y a trente-six ans que je suis ermite, je m’y connais en matière d’astronomie. Je vous dévoilerai le sens de votre rêve et n’en cacherai aucun aspect. Là où allait Aiol, votre noble fils, alors que bois, vuissons et grandes forêts allaient à sa rencontre tout en s’inclinant, cela signifie qu’un grand et important royaume sera sous son entière dépendance. Il portera une couronne sur sa tête. Ours, lions, léopards, sangliers et serpents qui allaient devant lui sur le grand chemin et que votre fils plongeait dans un profond cours d’eau, représentent les Sarrasins, les Turcs et les Persans qui, à cause de lui, invoqueront le nom du Dieu tout-puissant et se feront baptiser, en vérité. Tous les oiseaux de France, petits et grands, qui venaient à sa rencontre à pied, dénudés, car ils n’avaient plus du tout d’ailes, et à qui Aiol donnait des plumes sans plus attendre, les rendant en peu de temps joyeux et contents, symbolisent les chevaliers et les hommes d’armes de qualité de la terre de France qui ont perdu leurs terres et leurs fiefs. Grâce à Aiol, ils les recouvreront pleinement. Ils deviendront les compagnons de votre fils, ainsi que l’annoncent les deux faucons blancs de votre songe : ils iront tout droit en Espagne, jusqu’à la grande cité de Pampelune. La statue que vous avez vue, noble et vaillant duc, représente une très belle pucelle. Aiol, votre noble fils, la prendra pour femme. Elle sera enceinte de deux enfants qui seront maîtres de toute l’Espagne. Si le songe dit vrai, qui n’a pas l’habitude de mentir, les deux enfants seront même rois, chacun étant appelé à porter une couronne.

Anonyme
Aiol
France   1150 Genre de texte
chanson de geste
Contexte
Élie est le beau-frère de Louis, fils et successeur de Charlemagne. Tombé en disgrâce par les intrigues du traître Macaire, il doit quitter la cour. Son fils Aiol gagnera la faveur du roi. Envoyé en ambassade à Pampelune auprès du roi sarrasin Mibrien, il enlève la fille de celui-ci. De retour à la cour de Louis, avec sa belle et obéissante captive, il avoue au roi sa naissance. Élie est rappelé. Mirabel est baptisée et Aiol l’épouse. Le traître Macaire reparaît. Il fait prisonniers Aiol et Mirabel. Il les livre au roi Mibrien et jette dans le Rhône leurs enfants. Ceux-ci, sauvés miraculeusement par un pêcheur, sont conduits à la cour du roi de Venise. Cependant Aiol s’échappe de Pampelune et retrouve ses enfants. Les rois de France et de Venise sont entraînés par lui à la guerre contre Mibrien, guerre que le succès couronne. Pampelune est prise. Mirabel est délivrée. Macaire est écartelé.
Aiol projette d’aller justifier son père, Élie, auprès de son oncle le roi. Sa mère, Avisse, a peur de laisser partir son fils, mais Élie la console en lui racontant le rêve qu’il a fait durant la nuit. L’ermite Moïse interprète le rêve prémonitoire d’Élie.
 

Texte original « - Dame, » che dist Elies, « c‘est por nient, ‹br› Encore en arés joie, mien ensient : ‹br› Anuit songai .I. songe molt esbaudissant. ‹br› La u Aiols aloit, vos fiex li frans, ‹br› Li bos et les gaudines, les forès grans‹br› Aloient contre lui tout aclinant;‹br› Ors, lion(s) et lupart, sengler, serpent,‹br› Devant lui se coucoient en chemin grant; ‹br› A lor langues aloient ses piés lechant, ‹br› Et Aiols les prendoit as mains devant, ‹br› Ses ploncoit en un(e) aigue et lee et grant; ‹br› Tout li oisel de France, mes iex v(o)iant, ‹br› Venoient contre lui a piet esrant‹br› Que il n’avoient eles ne tant ne quant; ‹br› Aiols lor rendoit plumes de maintenant, ‹br› En peu d’eure les fist lié(s) et joians. ‹br› Dont revenoit (uns) aigle(s) fors et poissans‹br› Qui les autres oiseus va justichant; ‹br› A lui se compaingoient .II. ostoir blanc, ‹br› S’aloient en Espainge leus maintenant, ‹br› Tout droit a Pampelune la chité grant : ‹br› Li mur de la chité de la avant‹br› Aloient contre lui tout aclinant; ‹br› La conquist une ymaige Aiols li frans, ‹br› Nus hon ne vit plus bele en son vivant, ‹br› Qu’il amena en France le cemin grant : ‹br› Al moustier Sainte Crois (s’en) vi(e)nt esrant. ‹br› Prestre, moigne, canoine (et) clerc lissant‹br› L’ymage baptisierent de maintenant : ‹br› Ençainte me sambla veraiement, ‹br› Puis vi de li issir .II. colons blans. ‹br› Dont m’esvellai del songe, n’en sai avant. » ‹br› « - Sire, » dist Moysès, li clers sachans, ‹br› « C’est (uns) boins qui vous vient si aprochant : ‹br› J’ai hermites esté .XXXVI. ans : ‹br› Si sai d’astrenomie le covenant; ‹br› Je vos dirai del songe par avenant, ‹br› Si que (jou) n’i faurai ne tant ne quant. ‹br› La u Aiols aloit, vos fiex li frans, ‹br› Li gaus et les gaudines, les forès grans‹br› Qui contre lui aloient tout enclinant, ‹br› Che sera un(s) roiaumes plenier(s) et grans‹br› Qui sous Aiol sera tous apendans; ‹br› Si avera corone el cief portans. ‹br› Ors, lion et (lupart), saingler, (et) serpent‹br› Qui devant lui aloient le cemin grant‹br› Et vos fieus les plongoit en l’aigue grant, ‹br› Che seront Sarrasin, Turc et Persant‹br› Qui por lui querront Dieu omnipotent‹br› Et prendront baptestire veraiement. ‹br› Tout li oisel de France petit et grant‹br› Qui contre lui venoient a pié esrant‹br› Que il n’avoient eles ne tant ne quant, ‹br› Aiols lor donoit plumes de maintenant, ‹br› En peu d’eure les fist liés et joians, ‹br› Che seront chevalier et boin sergant‹br› De la tere de France la de devant‹br› Qui perdu ont lor tere, lor casement : ‹br› Par Aiol les raront delivrement. ‹br› Ce senefient, sire, li ostoir blanc‹br› Que prendront compaingie a vostre enfant : ‹br› S’en iront en Espaigne tout droitement, ‹br› Dessi a Panpelune le chité grant. ‹br› L’ymage que veistes, frans dus vaillans, ‹br› Che ert une pucele molt avenant : ‹br› Aiols l’ara a feme, vos fiex li frans; ‹br› Ele si ert ençainte de .II. enfans‹br› Qui d’Espaigne feront tout leur talent. ‹br› Si li songes est voirs, qui pas ne ment, ‹br› Encore seront (il) roi li doi enfant, ‹br› Cascun(s) ara corone el cief portans. »

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