lundi 3 janvier 2011

Rêve de la belle Mélior


Rêve de la belle Mélior
Des malheurs imminents
La demoiselle s’est réveillée; elle était très fatiguée et tourmentée, car elle avait fait un rêve étrange, qui lui remue et perturbe le cœur et fait trembler et frémir le corps. Elle réveille Guillaume et lui dit : «Seigneur, pour Dieu, que pourrons-nous faire? Un songe m’a beaucoup contrariée, tout le corps m’en tremble et se ramollit.
— N’ayez pas peur, belle, lui répond-il. Ne soyez pas dans une telle crainte.
— Je le suis.
— Pourquoi?
— Je crains et redoute un malheur, beau doux ami, car en dormant il m’a semblé que des ours, des léopards et des sangliers venaient nous manger. Un lion, qui n’avait qu’un seul lionceau, leur servait de chef. Ils venaient nous prendre ici même. Nous ne pouvions pas nous défendre contre eux. En regardant à ma droite, il me semblait que je voyais surgir et venir de ce côté notre bête (que Jésus la protège!) Fendant la foule, elle venait, gueule ouverte, directement au lionceau; elle l’emportait dans sa gueule, malgré la présence des autres bêtes, dont pas une seule n’aurait osé la poursuivre. Quand elle vit les gens arriver, elle pressa le pas.»
Il n’y eut alors que colère. Ils entendirent le fracas des chevaux et virent les vassaux armés qui s’apprêtaient à pénétrer à l’intérieur. Peu s’en fallut qu’ils ne perdissent la raison : ils pleuraient tous deux très fort, car ils avaient très peur de mourir. [Informé sur l’identité de Guillaume et de Melior par des ouvriers de la carrière où les deux amants se sont cachés, le prévôt de Bonivent [Bénévent] arrive avec ses gens pour les arrêter. Voici ce qui se passe à leur arrivée :] Pendant qu’ils [le prévôt et ses gens] étaient ainsi, et qu’ils se préparaient à entrer dedans pour obéir à la Justice qui leur ordonne d’arrêter les amants, et qui les incite et presse à s’emparer d’eux, voici qu’apparaît parmi les rochers le loup-garou avec sa gueule ouverte. À travers la masse de gens, il s’en va saisir le fils du prévôt, car il préfère mourir que de ne pas apporter de l’aide aux amants. Il entraîne l’enfant dans sa gueule, rapidement s’en va, rien ne peut l’arrêter. Et quand le prévôt voit le fauve qui emporte son jeune fils, il s’empresse de crier à ses hommes : « À vos chevaux, à vos chevaux, fils de barons! Maintenant on verra ce que vous êtes capables de faire! En ma présence et en la vôtre le loup a volé mon fils! Regardez-le là-bas, cherchez du secours! » Ceux qui étaient à cheval et les gens de pied se sont lancés à la poursuite du fauve en fuite. Personne n’y resta, tout le monde se mit en route, tous sortirent de la carrière Afin de chasser la bête fauve qui emporte le petit enfant qui meurt de peur et qui à tout moment hurle et crie. Cependant aucune souffrance ne vient de ce que le loup est en train de lui faire. On poursuit avec ardeur le fauve. Le loup se met en fuite, et les gens vont après lui. Quelquefois il les laisse s’approcher, quelquefois il s’éloigne. Il connaît bien l’art d’être rusé, Et quelquefois il se laisse approcher par les gens de pied, Mais ceux-ci n’osent pas lui donner des coups de lance ou de tirer à l’arc sur lui, Car ils ont peur de blesser l’enfant. Ainsi, à fin d’éloigner les gens des deux amants, agit le fauve, et assez souvent, il s’arrête près d’eux. Les deux amants entendent le bruit, les cris et le vacarme. Ce bruit-là, ils l’entendent, et aussi les hurlements. Du loup qui ravit l’enfant et que tout le monde poursuit. Ils remercient Dieu et lui adressent des prières À cause de l’aide qu’ils venaient de recevoir de lui.

Anonyme
Guillaume de Palerne
France   1240 Genre de texte
Roman courtois
Contexte
L’empereur de Grèce envoie demander la main de Mélior pour son fils Parténidon. Le jour du mariage, Guillaume et Mélior, amants désespérés, prennent la fuite, déguisés au moyen de peaux d’ours. On se met à la poursuite des fugitifs, dont un Grec a indiqué le déguisement. Mélior rêve qu’elle et Guillaume seront attaqués, mais le loup-garou qui les suit ( « notre bête »), veille à leur subsistance et les sauve au moment où ils allaient être pris, en enlevant la fille du prévôt et en détournant ainsi les poursuivants.
Texte original
La damoisele ert esveillie,
Molt fu lassee et traveillie
C’un songe avoir songié estrange
Dont tos li cuers li mue et cange
Et li cors li tramble et fremist.
Guilliaume esveillë et li dist :
« Sire, por Dieu, que porrons faire?
Si ai d’un songe grant contraire
Que tos li cors me tramble et font.
- Ne doutés, bele, cil respont,
Si ne soiés en tel doutance.
- Si sui. – Pour coi? - Car mescheance
Crien et redout, biax dous amis,
Car en dormant m’ert ore avis
Que ci nos venoient mengier
Ors et lupart et sengler fier
Que uns lyons i amenoit
Qui .I. seul lyoncel avoit.
Chaiens venoient por nos prendre,
Ne nos poiens vers aus deffendre.
Quant sor destre me regardoie,
Si me sambloit que je veoie
Venir et traire ceste part
Nostre beste que Jhesus gart.
Tres par mi toute l’assamblee
Venoit fendant, goule baee,
Desci au lyoncel sans faille.
Maugré toute l’autre bestaille
L’emportoit en travers sa goule;
Puis n’i avoit beste une soule
Qui lui osast aconsuïr.
Et quant il vit la gent venir.
Son pas fait croistre et efforcier. »
Adont n’i ot que courocier :
Oient les fraintes des chevax
Et voient armés les vassax
Qui s’aprestent d’entrer laiens.
A poi n’issoient de lor sens,
Des ex plorent andui molt fort,
Car grant paor ont de la mort.
4075 Endementiers qu’ensi estoient
4076 Et que laiens entrer voloient
Par le commant a la justice
Qui por eus prendre les atise
Et semont forment et efforce,
4080 Atant es vos par mi la roche
Le garoul la gole baee.
Tres par mi outre l’assamblee
Va le fil au prevost aerdre,
4084 Mix velt l’ame de son cors perdre
C’ as .II. amans secors ne face.
L’enfant travers sa gueule en harce,
A tot s’en vait, plus n’i arreste,
4088 Et quant il prevos voit la beste
Qui son petit fil emportoit,
Sa gent escrie a grant esploit :
« Fil a baron, montés, montés!
4092 Or i parra quel le ferés;
Voiant vos tos et voiant mi
En a cis leus mon fil ravi.
Veés le la, or del secorre! »
4096 Dont laissent tuit aprés lui corre.
Cil a cheval furent monté
Et cil a pié sont arrouté
Aprés la beste qui s’enfuit.
4100 Nus n’i remaint n’i voisent tuit.
Tuit ont gerpie la quarriere
Por enchaucier la beste fiere
Qui le petit enfant emporte
4104 Qui de paor se desconforte
Et brait et crie molt souvent;
Et neporquant nul mal ne sent
De riens que la beste est grans la chace;
Li lieus s’en va auques fuiant
Et cil le vont après sivant.
Quant d’eus est pres, puis les eslonge,
4112 Molt set bien faire sa besoigne,
Et puis vers ceus a pié repaire,
Mais n’i voelent lancier ne traire,
Car l’enfant doutent a blecier.
4116 Ensi por la gent eslongier
Des .II. amans le fait la beste,
Sovente fois vers eus s’arreste.
Li dui amant ont entendu
4120 La noise, le cri et le hu.
La noise entendent et le cri
Del leu qui a l’enfant ravi
Et que les gens totes i courent,
4124 Dieu en grassient et aourent
Qui a cel besoing lor aïe.

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