jeudi 6 janvier 2011

Le rêve chez Aloysius Bertrand



Les rêves de Gaspard
Un rêve

Il était nuit. Ce furent d'abord, – ainsi j'ai vu, ainsi je raconte, – une abbaye aux murailles lézardées par la lune, une forêt percée de sentiers tortueux, – et le morimont grouillant de capes et de chapeaux.
Ce furent ensuite, – ainsi j'ai entendu, ainsi je raconte, – le glas funèbre d'une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d'une cellule, – des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque feuille le long d'une ramée, – et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui accompagnaient un criminel au supplice. Ce furent enfin, – ainsi s'acheva le rêve, ainsi je raconte, – un moine qui expirait couché dans la cendre des agonisants, – une jeune fille qui se débattait pendue aux branches d'un chêne, – et moi que le bourreau liait échevelé sur les rayons de la roue. Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier, les honneurs de la chapelle ardente; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie dans sa blanche robe d'innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s'était, au premier coup, brisée comme un verre, les torches des pénitents noirs s'étaient éteintes sous des torrents de pluie, la foule s'était écoulée avec les ruisseaux débordés et rapides, – et je poursuivais d'autres songes vers le réveil.

 Aloysius Bertrand
Gaspard de la nuit
France   1841 Genre de texte
prose
Contexte
Le rêve de Gaspard se situe au milieu du recueil formé de six livres, dans le troisième livre intitulé La nuit et ses prestiges.
Texte témoin
Gaspard de la nuit : fantaisies à la manière de Callot et Rembrandt. Éd. J. Palou, Paris, La Colombe, 1962, p. 129-130. [Texte sous droits]

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire