jeudi 6 janvier 2011

Le rêve chez Isaac Bazié





Le premier rêve de Baki

Il voit son fils

— Mais Baki craignait pire. La nuit d’avant, il avait fait un rêve on ne peut plus bizarre. Il avait vu son fils Vourma revenant vers lui, les mains liées dans le dos, les yeux sombres de terreur et d’angoisse, les traits endurcis et terreux. Il ne disait aucun mot, respirait bruyamment de sa bouche si sèche qu’elle se fendillait. Mais, ce n’était pas le Vourma qui l’avait quitté voilà maintenant plus de trente ans. C’était un homme déjà marqué par l’âge et les dures épreuves de la vie. Ses cheveux n’étaient pas ceux d’un être humain, il les avait longs, enroulés comme des cordes, mais image pétrifiante, ils ne retombaient pas sur ses épaules, restaient plutôt tendus en une érection irréductible vers le ciel obscur et menaçant.
L’Ancien combattant, à la vue de son fils avait crié le nom de ce dernier, avec tout le souffle de ses poumons. Il espérait ramener ainsi un peu de vie dans ses yeux de mort ambulant, mais en vain. Il cria si fort qu’Elema vint cogner à sa porte en bois, lui demandant ce qui lui arrivait.
— Baki, qu’est-ce qui te prend ?
— Non, rien. Va te coucher. J’ai seulement fait un mauvais rêve.

Isaac Bazié

La Traversée nocturne
Burkina Faso   2004 Genre de texte
roman
Contexte
L’initiation des jeunes garçons en forêt allait bon train. La femme de Baki sentait en elle un appel de l’ailleurs, une transgression comme cela lui était arrivé il y avait déjà longtemps quand elle avait traversé le fleuve pour épouser Baki. Aujourd’hui les démons semblaient remonter à la surface. Baki, lui-même, à force de se moquer des pratiques ancestrales, se trouve à un point où il ne comprend plus rien. Il semble perdu. Il a peur et craint le pire.
Texte témoin
La Traversée nocturne, Ottawa, Malaïka, 2004, p. 115-16.

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Le deuxième rêve de Baki
Le temps presse
À cette heure de l’indécision, pendant ce deuxième crépuscule de l’initiation, Baki resta allongé sur sa longue chaise. Il sombra dans un léger sommeil. Qu’est-ce qu’un sommeil sans rêve, demande-t-on souvent à Katena? Baki fit un songe. Inquiétant. Dans ce songe, il vit sa défunte femme, la mère de Vourma, entrant dans la concession. Elle tenait leur premier fils par la main. Le grand-frère de Vourma, mort il y avait très longtemps. Les deux êtres avançaient d’un pas très lent vers Baki. Celui-ci attendait. Lorsqu’ils furent assez proches de lui pour se faire entendre, ce fut le bébé marchant qui parla à l’homme, pas la femme. Et, dans un mouvement uniforme de bras tendus vers le vieux Baki, geste ferme, invitation irréfutable, l’enfant dit à son père :
— Nous sommes venus te chercher. Le temps presse.
C’est alors que la mère ouvrit la bouche. Le temps et les mots s’y confondirent:
— Encore une nuit et un jour. Et ce sera fini.
Le vieux Baki sursauta. Quelque chose avait bougé dans les larges feuilles du papayer planté à l’entrée de la concession. Il ne se donna même pas la peine d’aller voir. À quoi bon chercher l’insaisissable? L’Heure du silence s’était écoulée.

Isaac Bazié
La Traversée nocturne
Burkina Faso   2004 Genre de texte
roman
Contexte
Ce soir où l’initiation continue dans la forêt, Baki, devant sa maison et allongé sur sa chaise longue, médite. Surpris par le sommeil, il fait ce rêve.
Texte témoin
La Traversée nocturne, Ottawa, Malaïka, 2004, p. 120-21.

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Le rêve de l’Ancien
Des pas sur le fleuve
L’Ancien qui présidait la séance avait eu un songe où il avait vu ses pas sur le fleuve que nul n’avait traversé jusque-là, au Pays des Incirconcis. Il avait su que la brèche ne se refermerait plus jamais. Elle deviendrait un trou béant, un gouffre par lequel entreraient et sortiraient toutes sortes de pratiques et de mœurs.

Isaac Bazié
La Traversée nocturne
Burkina Faso   2004 Genre de texte
roman
Texte témoin
La Traversée nocturne, Ottawa, Malaïka, 2004, p. 171.

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