jeudi 6 janvier 2011

Le rêve chez François Béroalde de Verville

Besoins physiques
Dur réveil

Vous ne changerez jamais, encore que notre bon ami Pythagore vous ait fait passer par son alambic; si est-ce que vous êtes toujours de même; et je crois que c’est vous qui en êtes la vraie farine de diable; d’autant que Dieu vous fit bon comme farine, et vous êtes méchant comme bran. Et afin que vous le sachiez, je vous dirai d’où vient ce dicton, et je me dépêcherai afin que le bon homme ait son sac.
Il y avait un pauvre paysan qui avait quantité d’enfants, et n’avait point de pain pour leur donner, pour lors que la famine pressait. Une nuit, s’étant endormi de tristesse, il songea qu’il trouva le diable qui le consola, et lui dit que, s’il voulait, il lui donnerait de quoi bailler à dîner à son menu peuple; et là-dessus le mena en une forêt obscure où il lui montra de grands sacs pleins de farine. Le paysan, ébahi et aise, dit : «Mais comment trouverai-je ce lieu, si j’en pars ?» Le diable lui dit : «Eh ! Chie auprès pour le remarquer.» Le triste pauvre homme s’efforça, et fienta dans le lit plus que six ladres constipés ne feraient par un clystère renforcé de quadruple dose de fine bénédicte. À son réveil, il trouva le bran, en quoi s’était réduite toute cette diabolique farine.

François Béroalde de Verville
Le moyen de parvenir
France   1610 Genre de texte
Roman
Contexte
Le rêve se trouve au chapitre 45, intitulé « Texte », du livre qui en compte 111. Selon Bernard de La Monnoye qui a écrit une dissertation accompagnant l’œuvre, Le Moyen de Parvenir est un recueil de conversations portant sur des sujets divers menées par des personnages d’époques différentes et de classes sociales variées. Le songe du paysan, raconté par l’Autre à Lucien, fait partie d’un conte emprunté à Pogge et sert ici à illustrer un dicton.

Texte témoin
Paris : Garnier Freres, 1879, p. 151.
Texte original
Vous ne changerez jamais, encore que nostre bon amy Pythagoras vous ait fait passer par son alambic; si est-ce que vous estes tousjours de mesme; et je croys que c’est vous qui en estes la vraye farine de diable; d’autant que Dieu vous fit bon comme farine, et vous estes meschant comme bran. Et afin que vous le sçachiez, je vous diray d’où vient ce dictaire, et je me depescheray afin que le bon homme ait son sac. Il y avoit un pauvre païsan qui avoit quantité d’enfans, et n’avoit point de pain pour leur donner, pour lors que la famine pressoit. Une nuict, s’estant endormy de tristesse, il songea qu’il trouva le diable qui le consola, et luy dit que, s’il vouloit, il luy donneroit de quoy bailler à disner à son menu peuple; et là-dessus le mena en une forest obscure où il luy monstra de grands sacs pleins de farine. Le païsan, esbahy et aise, dit : «mais comment trouveray-je ce lieu, si j’en pars?» le diable lui dit : «eh! Chie auprés pour le remarquer.» le triste pauvre homme s’efforça, et fianta dans le lict plus que six ladres constipez ne feroient par un clistaire enforcé de quadruple dose de fine benedicte. à son resveil, il trouva le bran, en quoy s’estoit reduite toute ceste diabolique farine.

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