jeudi 6 janvier 2011

Le rêve chez Beaujeu



Rêve de Guinglain
Tourments d’amour

Après le départ de la dame, il maudit le sort : il vient d’être affreusement trahi. Amour le tourmente et le torture, mais il est si fatigué qu’il s’endort. Pendant son sommeil, il a vu celle qui fait battre son cœur à en mourir : il tenait la belle dans ses bras. Toute la nuit, il rêva qu’il la voyait et qu’il la tenait dans ses bras et cela dura jusqu’au point du jour.
Vite, il se leva alors sans perdre de temps.

Beaujeu
Le Bel Inconnu
France   1200 Genre de texte
Roman en vers
Contexte
Giglain, ou Le Bel Inconnu, de Renaut de Beaujeu, est un roman de 6 266 octosyllabes dont on ne possède qu’un seul manuscrit. Le thème central du récit est la délivrance de Blonde Esmérée, la fille d’un roi de Galles, changée en serpent par deux enchanteurs. Blonde Esmérée reconquiert sa forme humaine en donnant au Bel Inconnu un baiser sur la bouche, le «fier baisé». Après la délivrance de Blonde Esmérée, le Bel Inconnu rejoint la fée aux Blanches Mains, qu’il avait aussi délivrée. Après, il part vers la cour du roi Arthur, et y épouse Blonde Esmérée.
Le blason du Bel Inconnu décrit par deux fois dans le roman, assimile le héros à un membre de la noble famille de Bâgé. La coutume de s’attribuer une origine fabuleuse n’était pas rare à l’époque dans les grandes lignées. Renaut de Beaujeu pourrait donc être Renaut de Bâgé, seigneur de Saint-Trivier (1165-1230).

Texte témoin
Le Bel Inconnu ou Giglain fils de Messire Gauvain et de la fée aux Blanches Mains. Édition de C. Hippeau, Genève : Slatkine Reprints, «Collection des poètes français du Moyen Âge III», 1969 (réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877), vers 2439-2450. Traduction : Le Bel Inconnu. Roman d’aventures du XIII° siècle, par Michèle Perret et Isabelle Weill, Paris : Librairie Honoré Champion, «Traduction des classiques français du Moyen Âge», 1991, p. 53.
Bibliographie
Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge. Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zinc, Paris : Fayard, 1992, pages 1254-1255.
Texte original
Quant la dame s’en fu alée,
Maudit sa male destinée.
Que trop a fait greveuse faille.
Amors le destraint et travaille.
Mais lasés ert, si s’endormi.
En dormant a véu celi
Por cui ses cuers muert et cancele;
Entre ses bras tenoit la bele.
Tote nuit songe qu’il le voit
Et qu’entre ses bras le tenoit,
Dus qu’al main que l’aube creva.
Isnelement et tost leva.


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Guinglain au perchoir

Une crise de somnambulisme

Dans son lit, il n'arrêtait pas de se plaindre, il n’arrêtait pas de dire : «Maintenant, j'y vais! Non, vraiment, je n'y vais pas!» Ainsi le torturait l'Amour, son maître, qui le menait et le gouvernait.
Mais voici qu'il décida d'y aller : l'Amour le pressait et l'aiguillonnait! Il se leva donc de son lit, passa un manteau et se dirigea sans bruit vers la chambre. Il était déjà près de minuit.
Mais à l'instant où il essaye d'entrer dans la chambre, il n'arrive pas à en atteindre la porte : il lui semble qu'il se trouve sur une planche sous laquelle coule une grande rivière, impétueuse et bruyante comme le tonnerre. Guinglain s'arrête sur place, puisqu'il ne peut plus ni avancer, ni reculer, tant la planche était étroite. Il désire de toutes ses forces avoir franchi le torrent, il regarde en bas l'eau qui imprime à la passerelle un tel tremblement qu'il ne peut se tenir sur ses pieds : il lui semble qu'il tombe dans l'eau. Il se retient par les mains, le reste du corps suspendu dans le vide. Il n'est pas étonnant qu'il ait peur : sous lui, il voit l'eau qui gronde. Ses bras faiblissent de plus en plus, il pense qu'il va mourir. De toute ses forces, il hurle : «Mes amis, au secours! Au secours, pour l'amour de Dieu! Je vais me noyer! Nobles amis, bonnes gens, venez à mon secours! Je suis suspendu ici à une planche et je ne peux plus me retenir. Mes amis, ne me laissez pas mourir ici!»
Dans la salle, tous les serviteurs qui ont entendu ce bruit s'éveillent et allument bougies et chandelles : ils découvrent alors Guinglain, accroché au perchoir d'un épervier et, là, mort de peur de se noyer. Il se tenait au perchoir des deux mains, le reste du corps dans le vide. Dès qu'il vit les serviteurs, l'enchantement cessa et Guinglain s'en retourna, tout penaud et décontenancé, dans son lit où il se recoucha, exténué, honteux et mécontent. Il voyait les serviteurs plaisanter et se moquer du spectacle qu'il leur avait donné et comme il se rendait bien compte qu'il avait été ensorcelé, de honte, il ne souffla mot et retourna se coucher tranquillement dans son lit.

Beaujeu
Le Bel Inconnu
France   1200 Genre de texte
Roman en vers
Contexte

«Une rivière impétueuse comme le tonnerre» Giglain, ou Le Bel Inconnu, de Renaut de Beaujeu, est un roman de 6 266 octosyllabes dont on ne possède qu’un seul manuscrit. Le thème central du récit est la délivrance de Blonde Esmérée, la fille d’un roi de Galles, changée en serpent par deux enchanteurs. Blonde Esmérée reconquiert sa forme humaine en donnant au Bel Inconnu un baiser sur la bouche, le «fier baisé». Après la délivrance de Blonde Esmérée, le Bel Inconnu rejoint la fée aux Blanches Mains, qu’il avait aussi délivrée. Après, il part vers la cour du roi Arthur, et y épouse Blonde Esmérée.
Le blason du Bel Inconnu décrit par deux fois dans le roman, assimile le héros à un membre de la noble famille de Bâgé. La coutume de s’attribuer une origine fabuleuse était, à l’époque, pas rare chez les grandes lignées. Renaut de Beaujeu pourrait être donc Renaut de Bâgé, seigneur de Saint-Trivier (1165-1230.

Texte témoin
Le Bel Inconnu ou Giglain fils de Messire Gauvain et de la fée aux Blanches Mains. Édition de C. Hippeau, Genève : Slatkine Reprints, «Collection des poètes français du Moyen Âge III», 1969 (réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877), vers 4454-4512. Traduction : Le Bel Inconnu. Roman d’aventures du XIII° siècle, par Michèle Perret et Isabelle Weill, Paris : Librairie Honoré Champion, «Traduction des classiques français du Moyen Âge», 1991, p. 80.
Bibliographie
Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge. Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zinc, Paris : Fayard, 1992, pages 1254-1255.
Texte original
Ens en son lit souvent se plaint,
Souvent disoit : «Or i irai;
«Non ferai, voir –voir, si ferai!»
Ensi le destraint et justise.
Amors qui le maine en justise.
Mais or ne laira qu'il n'i aut.
Amors le destraint et asaut.
Atant s'est de son lit levés,
Et d'un mantel est afublés;
Vers la cambre se vait sans bruit.
Là estoit près de mienuit.
Quant il quide en la cambre entrer,
A 1'uis ne pooit asener;
Sur une plance est vis qu'il soit;
Une grant iaugue sos avoit,
Rude et bruiant plus que tempeste.
Giglains à le plance s'areste,
Quant il ne pot avant aler,
N'arière ne puet retorner,
Tant par estoit la plance estroite.
Moult desire et moult le convoite,
Qu'il éust la plance passée,
Aval a l'iaue regardée,
Qui si fait la plance croler,
Qu'il ne se puet sor piés ester,
Ço li est vis qu'il caie jus :
Il se tient à deus mains desus.
Et l'autre cors aval pendelle.
S'il a paor, ne m'en mervelle :
Desous lui voit l'iaue bruiant!
Les bras li vont afebloiant,
Perdre cuide tantost la vie.
Au plus haut que il puet s'escrie :
«Signor, fait il, aidiés! aidiés!
«Por Diu, car je serai noiés;
«Secorés moi, bone gens France!
«Car je pent ci à une plance,
«Ne je me puis mais retenir.
«Signor, ne m'i laissiés morir!»
Par le palais se lievent tuit,
Li sergant, qui orent le bruit,
Candoiles, cierges, ont espris;
Trovent Giglan qui si fu pris
A la perce d'un esprevier;
Si avoit paor de noier.
A la perce as mains se tenoit
Li autres cors aval pendoit.
Dès qu'il ot véus les sergans,
S'en lu alés l'encantemans.
Giglains s'est d'ilueques partis,
Tos vergondés et esbahis.
En son lit s'i est retornés,
Si s'est couciés trestos lassés.
Moult en ot grant honte et grant ire;
Les sergans voit juer et rire
De ço que il orent véu;
Bien sot qu'il enfaumantés fu.
De vergoigne mot ne lor dist;
En son lit nient en pais se gist. 


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On l’étouffe

Amour et troubles du sommeil

Les serviteurs, eux aussi, retournèrent se coucher et Guinglain recommença à veiller, tourmenté par l'Amour, incapable de se reposer et dans un état d'épuisement qui, vous pouvez vous en douter, l'inquiétait fort. Son esprit était à nouveau obsédé par son amour pour la dame, à nouveau, il tourna ses regards vers la chambre: «Ah, mon Dieu, qu'ai-je vu? Qu'est-ce qui m'est arrivé? Je crois que c'est un sortilège. Je sais bien que là, dans cette chambre, se trouve celle que j'aime, celle à qui je dois cette souffrance. Que ne vais-je lui parler? Même si je devais en perdre la vie, ne devrais-je pas, étant donné l'anxieux désir que j'éprouve, décider fermement d'aller où je sais qu'elle se trouve. Pourquoi n'y vais-je pas, malheureux que je suis? — Oui, certes, cela m'a si bien réussi d'y aller, tout à l'heure! Je m'en suis retourné tout penaud; — mais je me trompe en disant cela : ce n'était qu'un songe, cela ne doit pas m'empêcher de faire une nouvelle tentative pour lui parler. Cet état m'est insupportable!»
Tenaillé par le désir, il ne quitte pas la chambre des yeux. L'Amour le met dans un tel état qu'il s'autorise enfin à y aller. Aussi, dès qu'il voit que les serviteurs se sont rendormis, vite, il se lève de son lit et se dirige vers la chambre : il lui semble qu'il soutient toutes les voûtes de la salle. Comme celle qu'il aime est cruelle envers lui! Elle lui inflige tant de souffrances et le torture si bien qu'il croit que le grand fardeau qui pèse sur lui lui brise les os: pour un peu, il se serait évanoui!
De toutes ses forces, il hurle qu'on lui vienne en aide: «Au secours! Au secours! Mes amis, braves gens, qu'êtes vous devenus? Cette salle repose sur ma nuque, je ne peux plus soutenir ce fardeau, je vais mourir d'épuisement si vous ne vous dépêchez pas de venir!» Aussitôt, les serviteurs se relèvent, allument des chandelles de cire et trouvent Guinglain comme un imbécile, son oreiller sur la nuque : c'était là son seul tourment! Quand il les vit, il se sentit tout honteux; bien vite, il jeta par terre l'oreiller, sans sonner mot, sans adresser la parole aux serviteurs, sans leur donner d'explications : il baissa la tête et se recoucha sans attendre, tout déconcerté, penaud et confus.

Beaujeu
Le Bel Inconnu
France   1200 Genre de texte
Roman en vers
Contexte
Giglain, ou Le Bel Inconnu, de Renaut de Beaujeu, est un roman de 6 266 octosyllabes dont on ne possède qu’un seul manuscrit. Le thème central du récit est la délivrance de Blonde Esmérée, la fille d’un roi de Galles, changée en serpent par deux enchanteurs. Blonde Esmérée reconquiert sa forme humaine en donnant au Bel Inconnu un baiser sur la bouche, le «fier baisé». Après la délivrance de Blonde Esmérée, le Bel Inconnu rejoint la fée aux Blanches Mains, qu’il avait aussi délivrée. Après, il part vers la cour du roi Arthur, et y épouse Blonde Esmérée. Le blason du Bel Inconnu décrit par deux fois dans le roman, assimile le héros à un membre de la noble famille de Bâgé. La coutume de s’attribuer une origine fabuleuse était, à l’époque, pas rare chez les grandes lignées. Renaut de Beaujeu pourrait être donc Renaut de Bâgé, seigneur de Saint-Trivier (1165-1230).
Notes
Ce rêve présente un trouble du sommeil paradoxal, parce que, normalement, la paralysie musculaire propre à l'état de rêve empêche le rêveur d’actualiser son rêve. 

Texte témoin
Le Bel Inconnu ou Giglain fils de Messire Gauvain et de la fée aux Blanches Mains. Édition de C. Hippeau, Genève : Slatkine Reprints, «Collection des poètes français du Moyen Âge III», 1969 (réimpression des éditions de Caen et de Paris, 1852-1877), vers 4513-4576. Traduction : Le Bel Inconnu. Roman d’aventures du XIII° siècle, par Michèle Perret et Isabelle Weill, Paris : Librairie Honoré Champion, «Traduction des classiques français du Moyen Âge», 1991, p. 80-81.
Bibliographie
Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge. Édition entièrement revue et mise à jour sous la direction de Geneviève Hasenohr et Michel Zinc, Paris: Fayard, 1992, pages 1254-1255.
Texte original
Li sergant se vont recoucier
Giglains si a pris à villier,
Qui d'amors fu en grant torment;
Il ne se repose de nient
Saciés que moult est esmaiés
De ce que tant est travilliés.
De l'amor la dame li mambre,
Et puis regarde vers sa cambre :
«Ha Dius! fait-il, qu’ai je véu?
«Quels cose est ce que j'ai éu?
«Je cuic que c'est fantomerie.
«Bien sai que caiens est m’amie,
«Qui cest mal me fait endurer,
«Ke ne vais je à li parler?
«Se devoie perdre la vie,
«Ne l'deveroie laissier mie,
«A l’angoisse que je en ai,
«Que la revoïsse ù je sai.
«Que n'i vais je dont, las caitis!
«Voire! car moult me est bien pris
«De ço c'orendroit i alai!
«Tot vergondés m'en retornai.
«Mult sui or fols, quant iço di
«Que ço fu songes que je vi.
«Por ço ne doi je pas laissier
«Qu’encore n’i voisse asaier.
«Se je poroie à li parler;
«Ausi ne puis je adurer.»
De l'aler a moult grant talant;
Moult va la cambre regardant.
Amors del corage li donne
Que il d'aler s'en abandonne.
Quant les sergans endormi vit
Moult tost se lieve de son lit,
Vers la canbre s’en vait tot droit.
Dont li est vis qu’il soustenoit
Totes les vautes de la sale.
Moult li est ceste amie male,
Tel mal li fait et tel angoisse,
Ce li est vis les os li froisse
Li grans fais qui sor li estoit;
A poi li cuers ne li partoit.
En si haut com il pot hucier
Cria qu'on li venist aidier :
«Signor, fait il, aiue! aiue!
«Bone gens, qu’estes devenue?
«Sor lo col me gist cis palais;
«Ne puis plus soustenir cest fais :
«A mort je cuic serrai grevés,
«Se de venir ne vos hastés!»
Lors se relievent maintenant;
Cierges ont espris li sergant :
Giglain ont trové, com fol,
Son orillier de seur son col;
Et si n'avoit autre besoingne.
Quant il les vit, si ot vergoigne.
Jus jete le plus tost qu'il pot
L'orillier, si ne sonna mot,
Ne les sergans pas n'araisonne;
De nule rien mot ne lor sonne,
Son cief a enbrucié en bas,
Puis s’est couciés en eslés pas
Ens en son lit tos esmaris,
Et de honte tot esbahis.

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