vendredi 31 décembre 2010

Insaisissables rêves

Qu'un seul rêve nous vienne et la nuit s'illumine, de tous les éclairages possibles sur la scène intérieure.
Rien ne reste plus obscur, cependant, que le phénomène lui-même : comme chacun sait aujourd'hui, nous rêvons tous beaucoup (entre cent et cinq cent mille fois dans une vie), mais 80 % d'entre nous ne s'en souviennent "presque jamais".
Quant à dire à quoi le rêve sert !
Chaque civilisation cultive à son propos des idées qui reflètent en tous points sa conception du monde, et la nôtre ne fait pas exception. En français, rêver signifia d'abord rôder de-ci de-là, s'amuser, délirer. Le mot a la même origine que dévier. Les rêveurs étaient, au Moyen-Age, les chenapans masqués qui taquinaient les filles au défilé de Carnaval. Rêve commença à remplacer songe au XVIIè siècle, alors que Descartes recevait sa vision du grand dictionnaire qui inspira sa célèbre méthode ("le rêve qui mit fin au rêve", écrivit l'un de ses biographes).
Ecartelée, depuis, entre matière et esprit, la science moderne a partagé l'étude du rêve entre médecine et psychologie. La première l'observe comme un état de sommeil (plus ou moins utile selon les théories), la seconde le considère comme un discours, un défoulement de l'inconscient (plus ou moins collectif). Le débat fait rage aujourd'hui autour de la neuropsychanalyse, qui tente de relier les mécanismes physiologiques du rêve aux processus freudiens. Saluons l'entreprise, au moins pour rendre hommage au maître et aux cent ans passés de son premier grand ouvrage, "L'interprétation des rêves" (1900), qui réhabilita le sujet en Occident.
Mais le rêve est ailleurs aussi, et autre chose encore.
Et qu'est-il donc vraiment chez nous, non dans la culture officielle mais dans l'opinion des gens ? Qu'en pensent-ils, que font-ils de leurs nuits ? En font-ils quelque chose ? Le sujet devient vaste, il fourmille de détails importants.
La démarche pluridisciplinaire offre un bel avantage : témoigner de la diversité du rêve tout en montrant son unité.
Pour ceux qui, jadis, lisaient dans la nature la trace des esprits, le rêve était magique, un voyage efficace en quête de bienfaits.
Au temps des premiers dieux, imparfaits et dangereux, il transmettait leurs menaces, offrait leur protection.
Aux adeptes du Dieu unique, éternel, tout-puissant, il annonçait le pacte, désignait les prophètes, avant d'être écarté lorsque les prophètes furent devenus silencieux.
Il est aujourd'hui un objet d'étude, médicale ou psychologique.
Voilà pour la diversité.
L'unité, elle, réside dans ce fait troublant : à la différence de nombreuses autres "connaissances", ces modèles apparemment inconciliables se sont additionnés plutôt que remplacés.
Nous vivons tous plus ou moins consciemment cette contradiction : pour la plupart, nous ne prêtons guère attention à nos rêves, alors que nous savons qu'ils signifient beaucoup et que certains d'entre eux furent presque initiatiques, influençant nos vies au point de nous faire penser parfois à une révélation.
Enrichie de tous ces apports culturels, une nouvelle synthèse se dessine. Néo-chamanisme, rêve lucide, thérapies par le rêve, partage des rêves, rêve collectif sur Internet, d'originales utilisations s'implantent. Le rêve, une fois de plus, échappe à tout modèle. C'est peut-être qu'il demande à être entendu ?

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