mardi 11 janvier 2011

Où, Quand, Comment - Pourquoi rêvons-nous? Pourquoi dormons-nous.



MIchel Jouvet : Pourquoi rêvons-nous, Pourquoi dormons-nous
Michel Jouvet
Où, Quand, Comment - Pourquoi rêvons-nous? Pourquoi dormons-nous. Editions Emile Jacob 2000

Michel Jouvet est né le 16 novembre 1925. Il est Professeur et Directeur du Département de Médecine expérimentale, à la Faculté de Médecine, Université Claude Bernard de Lyon, Ancien Directeur de l'Unité Associée URA 1195 du CNRS, Chargé de recherche à l'Unité 480 de l'INSERM (Neurobiologie des Etats de sommeil et d'éveil).
Ouvrages principaux :
-Neurophysiologie des Etats de Sommeil (CNRS, 1965)
-La Natura del Sogno (Theoria, Roma, 1991)
-Le sommeil et le rêve (Odile Jacob, 1992, réédité en 1998)
-Le château des songes (Odile Jacob, 1992)
-Le Grenier des rêves (Odile Jacob, 1997)
-Où, quand, comment. Pourquoi rêvons-nous, pourquoi dormons-nous ? (Odile Jacob, 2000)







Le dernier livre de Michel Jouvet reprend, sous la forme d'un dialogue de 120 pages avec un adolescent, les principales thèses de son principal ouvrage "Le sommeil et le rêve". Pourquoi s'intéresser à ce livre dans une publication consacrée principalement à la robotique et à la vie artificielle? Ni les robots ni les animats ne dorment ni ne rêvent. Or c'est précisément la question. A partir d'un certain niveau de complexité, les cerveaux artificiels ne vont-ils pas manifester des formes d'activités jouant pour eux le même rôle que le rêve pour nous. Par ailleurs, si l'on peut connecter des artefacts intelligents à des cerveaux humains, ne pourra-t-on réaliser des synthèses intéressantes entre l'intelligence artificielle et l'activité onirique humaine? Michel Jouvet montre que l'on ne sait pas encore grand chose sur le sommeil et le rêve, notamment sur ce qu'il a lui même décrit sous le nom de "sommeil paradoxal". L'existence et la persistance de cette fonction à travers l'évolution des animaux à sang chaud montre qu'elle joue certainement un rôle essentiel à la formation et à l'approfondissement de la conscience individuelle. Pourquoi ne pas imaginer que ce rôle pourrait se poursuivre et s'amplifier grâce à des échanges avec un artefact intelligent, chez les futurs cybiontes? Rien de ce qui intéresse les neuro-sciences ne peut laisser les automaticiens indifférents.
Il en est de même de la physiologie. Michel Jouvet rappelle qu'il est d'abord un physiologiste, discipline dont il déplore d'ailleurs qu'elle soit de moins en moins à la mode chez les chercheurs (Physiologie. science qui étudie les fonctions organiques par lesquelles la vie se manifeste et se maintient sous sa forme individuelle, selon le Larousse). Il s'intéresse donc à l'homme et aux animaux, et pas aux robots. Mais là encore, des ponts de plus en plus étroits vont s'établir entre disciplines. Les processus d'acquisition spontanée de compétences par un automate auto-complexificateur soumis à la compétition darwinienne mériteront certainement d'être comparés à ceux ayant permis aux êtres vivants d'acquérir des compétences voisines au cours de l'évolution. Plus le physiologiste du vivant sera instruit sur ces processus, plus il pourra apporter d'éclairages à son collègue, physiologiste, si l'on peut dire, de l'artificiel.
Le livre de Michel Jouvet  nous rappelle les origines très lointaines du sommeil. Il décrit l'horloge biologique, apparue avec les premières organismes unicellulaires, qui ont appris il y a 3 ou 4 milliards d'année à mettre en marche leurs mécanismes de transformation de l'énergie solaire en sucres plusieurs heures avant l'aube, pour que ces mécanismes soient en plein rendement vers midi. Ces algues ont donc inventé l'horloge circadienne, qui continue à régler nombre de nos rythmes. Cette horloge, commandée par un gène spécifique, marche toute seule (hors lumière solaire, sauf à se recaler sur elle) et de façon relativement indépendante de la température, contrairement à la plupart des processus biologiques. Les centres nerveux responsables de l'horloge ont été progressivement identifiées, ainsi que les stimulus leur permettant de fonctionner. L'auteur rappelle ensuite les conditions d'apparitions du sommeil au cours de l'évolution (phylogénèse du sommeil) ainsi que les différentes formes de sommeil selon les espèces. La façon dont certains mammifères (dauphins) ou certains oiseaux dorment par demi-cerveaux, afin de garder une activité de veille permanente, fait évidemment penser aux méthodes adoptées par les hommes pour garder en activité 24h. sur 24 certains équipements (navires, centrales énergétiques), en répartissant dans le temps les période de repos et maintenance. C'est enfin par la présentation de l'ontogénèse du sommeil, c'est-à-dire la façon dont le sommeil apparaît et se manifeste chez l'animal, depuis la naissance jusqu'à la mort, que nous abordons le fameux sommeil paradoxal, peuplé de rêves dont certains demeurent un certain temps présents dans la conscience de veille.
Alors que Freud voyait le rêve comme le gardien du sommeil, Michel Jouvet suggère plutôt d'inverser le rapport. L'homme dispose d'un cycle de 110 minutes au cours duquel il rêve pendant 20 minutes après un sommeil profond de 90 minutes, ce qui fait un rapport de un sur cinq. Ce même rapport, variant autour de un sur quatre, a été observé chez la majorité des espèces animales, quelle que soit la durée du sommeil paradoxal. On peut donc considérer le sommeil comme une phase où l'organisme fait le plein d'énergie en préparation du rêve. Le sommeil sans le rêve serait ainsi le gardien du rêve.
Par ailleurs, il considère le rêve comme une fonction de programmation génétique responsable de l'individuation ou de "l'hérédité psychologique". "Le sommeil paradoxal est le propre des animaux à sang chaud, soit les oiseaux et les mammifères. Or, il ne survient que lorsque cesse la neurogenèse, c'est-à-dire l'organisation génétiquement programmée du système nerveux central. Chez les humains, cette construction est achevée au plus tard trois mois après la naissance. A partir de cet âge, les cellules nerveuses ne se divisent plus. Par contre, leurs ramifications synaptiques peuvent se poursuivre la vie entière. Chez les animaux à sang froid, par contre, la division des cellules nerveuses se maintient tout au long de leur vie, ce qui assure l'entretien du système nerveux et la conservation des données héréditaires de ces cellules.
Le sommeil paradoxal aurait  donc pour fonction de relayer la neurogenèse chez les espèces où la division des cellules nerveuses ne s'effectue plus. Il faut quelque chose pour continuer la programmation par complexification synaptique, et c'est le rêve qui s'en charge. Cette programmation n'intéresserait pas celle des comportements instinctifs propres à l'espèce, mais celle des comportements spécifiques d'un individu, confronté aux événements de son histoire personnelle. La programmation onirique vient renforcer ou effacer les traces de nos apprentissages selon que ces traces sont en conformité ou non avec notre programmation génétique de base. Le rêve permettrait ainsi de maintenir fonctionnels les circuits synaptiques responsables de l'hérédité psychologique, c'est-à-dire de l'individuation.  Il consoliderait l'individualité psychologique, tout en préparant le cerveau aux tâches qui l'attendent dans les périodes d'éveil subséquentes au rêve. C'est le rêve qui ferait que chacun de nous est différent, y compris dans les détails de la vie quotidienne. C'est la mémoire génétique de chaque individu qui s'exprime par le rêve, selon l'hypothèse de l'auteur. Mais il existe d'autres hypothèses, qu'il nous rappelle, expliquant le rôle du sommeil et du rêve..
Michel Jouvet a présenté, dans d'autres publications, une hypothèse intéressante relative à la genèse du dualisme esprit-corps, et plus généralement à l'origine des croyances chamaniques, mystiques ou religieuses. Ce sont les rêves qui auraient donné aux premiers hommes capables de réfléchir à ce phénomène l'impression que pendant la nuit, l'âme pouvait s'envoler du corps et rencontrer d'autres esprits.
Répétons le, on peut penser que, contrairement aux regrets de Michel Jouvet concernant la désaffection à l'égard des études de physiologie du sommeil et du rêve, tous ces travaux intéressent déjà et intéresseront nécessairement de plus en plus les recherches dans le domaine des automates intelligents. L'on pourrait très bien envisager, par exemple, que ceux-ci soient dotés (ou se dotent eux-mêmes) de mécanismes d'invention d'événements sur le mode symbolique,  comparables aux rêves, afin de préparer  lors de temps de repos spécifiques, leurs dispositifs capteurs-effecteurs et leurs systèmes centraux à réagir efficacement à des événements non encore rencontrés. Les futurs systèmes intelligents  et conscients seront, n'en doutons pas, tout aussi capables d'individuation que les animaux et les hommes. Peut-être même le seront-ils davantage.
Une autre observation mérite d'être faite, concernant la connaissance que nous avons des mécanismes du rêve, de la mémoire et de la conscience. Nous n'avons conscience que d'une infîme partie des rêves générés pendant le sommeil paradoxal. Par ailleurs, sauf exception, nous les oublions très vite. Il est donc difficile d'étudier leur rôle effectif, et plus encore de les intégrer dans d'éventuels processus cognitifs ou curatifs. Michel Jouvet regrette, comme tous les neurologues, l'insuffisance actuelle des moyens d'exploration fonctionnelle du cerveau. Malgré leurs progrès rapides,  il reste encore impossible d'accéder aux couches profondes. Lorsque la visibilité s'améliorera, ce ne sera pas seulement la physiologie du rêve qui en tirera profit, ou la connaissance du cerveau en général, mais l'ensemble des sciences travaillant sur l'intelligence et la conscience artificielle. Il y a donc encore un bel avenir pour les explorateurs du rêve et du sommeil.

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