lundi 17 janvier 2011

« Faux » rêve de Jean Le Maigre


 
La prétendue noyade

-- Tu peux me le demander à genoux, dit Jean Le Maigre, je ne te réchaufferai pas. D’ailleurs je suis profondément endormi. Je rêve que je traverse la rivière en patins. La rivière est gelée, mais j’ai peur qu’elle s’ouvre tout à coup. J’ai de plus en plus peur. Je crie au secours! Mais toi, tu ne m’entends pas, petite brute, va!
-- Ce n’est pas ma faute, dit le Septième, je suis de l’autre côté de la rivière, et puis, ce n’est pas ma faute si tu rêves...
--Tais-toi, dit Jean Le Maigre, qu’est-ce que je racontais donc? Tu m’as interrompu au meilleur moment. Ah! Oui, je tombe dans un trou, l’eau est glacée. Je suis triste. Un aigle traverse le ciel. Je me noie! Mais soudain, un vers superbe sort de ma bouche :
O Ciel, d’un sombre adieu
Je...
Oup! Je n’ai pas le temps de finir. Je disparais. Les eaux se referment!
Mains étrangleuses à mon frêle cou,
Oup! c’est fini. Je ne suis plus sur cette terre.

Marie-Claire Blais
Une saison dans la vie d’Emmanuel
Québec   1965 Genre de texte
roman
Contexte
Ce « rêve » se situe vers le milieu du chapitre III.Jean Le Maigre et son frère s’amusent dans la cave de la maison à boire de l’alcool et à réciter des poèmes, à se « confesser mutuellement » et à se « tirer aux cartes ». Grand-Mère Antoinette les surprend et les réprimande. Au lit, Le Septième, qui a froid, demande à son frère aîné de le réchauffer mais ce dernier refuse, prétextant dormir et « rêver ».
Notes
Jean Le Maigre : sixième enfant de la famille. Il s'adresse à Fortuné Mathias, dit le Septième : le septième enfant de la famille.
Édition originale
Une saison dans la vie d’Emmanuel, Montréal, Editions du Jour, 1965, p. 35.

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