Une salive noire
[…] même dans ce cauchemar d’où Marie-Sylvie sortait encore agitée, Celui qui ne dort jamais n’avait-il pas paru trop vivant, dans ses hardes, les bras, les jambes ressortant de la brouette, il y avait autour de sa bouche, de ses yeux, dont l’un était entrouvert sur un regard vitreux, des épaisseurs de mouches, comme Marie-Sylvie en avait vu si souvent sur les visages des enfants de la Cité du Soleil, autour de leurs yeux, de leurs bouches bavant une salive noire, on ne pouvait savoir combien meurtrissaient la peau, ces insectes, ou était-ce encore cette matière sulfureuse adhérant à la peau, dans le rêve de Marie-Sylvie, ces mouches si près des lèvres, de la langue, et qu’on ne pouvait plus cracher, si près du blanc de l’œil que les paupières ne se refermaient plus, le chant des coqs était incessant, pendant que Marie-Sylvie lavait son visage, ses yeux, mon frère, mon misérable frère, où se cache-t-il, qu’a-t-il à me persécuter, je ne puis le voir, les hôpitaux de Port-au-Prince débordaient de ces enfants, oui, pourquoi vient-il me hanter, ce misérable frère, Celui qui ne dort jamais?
Marie-Claire Blais
Augustino et le chœur de la destruction
Québec 2005 Genre de texte Roman
Contexte
Ce passage se situe au milieu du roman. Marie-Sylvie, la gouvernante de Mai, couche dans la même chambre que celle-ci. En rêve Marie-Sylvie se souvient de son frère, qui a été condamné pour pédophilie et emprisonné. Ce rêve-souvenir fait écho aux cauchemars de Mai (p. 134-38, 191-92), dans lesquels elle est kidnappée par un pédophile.
Texte témoin
Montréal: Boréal, 2005, p. 190-191.
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