lundi 17 janvier 2011

Rêves de Benjamin Robert



 

La rédemption d’un condamné

C’est la volonté de Dieu qui m’a réveillé, une nuit, quand je dormais dans la cellule confortable de l’aumônier -- ah! la chambre du bon prêtre avec ses rideaux chastes, son crucifix inerte -- c’est la volonté divine qui m’a arraché de mon lit pour me pousser contre le mur, et là, appuyé contre ce mur, j’ai entendu les lamentations d’un condamné à mort, un garçon si jeune que lorsque je l’ai vu le lendemain matin qui marchait en souriant vers le réfectoire, je me mis à trembler de frayeur pour lui. Mais avais-je rêvé? Dans mon insomnie, tout peut arriver... Etait-ce ce garçon au sourire effronté qui avait pleuré toute la nuit?
La nuit suivante, je fis un rêve : c’était l’aube et je me levais pour la messe quand j’observai soudain que mon lit était tout ensanglanté... « Tu n’as rien à craindre, me dit une voix invisible, tu n’es pas blessé, tu dors dans le lit d’un autre qui a versé tout son sang... » Je m’éloignai alors de mon lit pour courir dans le corridor quand on m’ouvrit la porte de la cellule de Philippe. « Venez... me dit-il... » Il était tout vêtu de blanc et si pâle qu’il semblait n’avoir plus que quelques instants à vivre, il m’ouvrit les bras et je m’approchai de lui et le baisai sur la joue. « C’est la première fois que... » Mais il était visiblement trop affaibli pour achever sa phrase, il ferma les yeux. Il y avait sur son visage un sourire vague et cruel qui était pour moi le signe qu’il vivait encore... (p. 170)
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[...] J’ai été bouleversé par un rêve, une étrange vision cette nuit... Ce rêve semble confirmer ce que vous exigez maintenant de moi, une complète métamorphose de tout mon être, une identification au désespoir de la conscience, à votre malheur! Votre intention est perverse, peut-être, mais elle représente pour moi un admirable défi, une audace furieuse, si je n’avais pas fait ce rêve, je ne vous comprendrais pas. Mais dès cette nuit mon âme saignait pour vous. Vous exigez de moi une pitié inhumaine, vous me demandez de porter votre croix, de devenir un réprouvé comme vous, mais vous oubliez combien ma conscience est fragile et apeurée... Ne souriez pas, c’est la vérité. Mais qu’est-ce que la damnation d’un prêtre sur la terre... pour vous, comme pour moi, c’est peut-être le seul acte courageux de rédemption! (p. 174)
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[...] J’avais fait un rêve en prison au sujet de ce détenu qui ne ressemblait pas aux autres : oui, dans ce rêve, le bien avait triomphé du mal, mais ce n’était qu’un rêve, et le bien ou le mal, c’est autre chose maintenant pour moi... C’est la vie et ses souffrances, et le mal, c’est notre injustice devant la vie! [...] (p. 213)

Marie-Claire Blais
Vivre! Vivre!
Québec   1991 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe vers le milieu du deuxième chapitre.Le père Benjamin Robert cherche à convaincre le docteur Germaine Léonard de soigner Philippe L’Heureux, un détenu souffrant d’une infection au genou. Cette dernière, offensée, lui oppose un refus catégorique, prétextant vouer sa médecine au secours des « justes ». Pour sensibiliser Mlle Léonard au sort du prisonnier, il lui raconte le rêve qu’il a fait le lendemain de sa première rencontre avec L’Heureux.
Quelques jours plus tard, Benjamin Robert raconte son rêve à Philippe L’Heureux dans le but de le pousser vers le repentir. L’Heureux, qui ne regrette pas d’avoir assassiné son père, le confronte.
Ce même rêve est évoqué à nouveau dans une dernière conversation entre Germaine Léonard et Benjamin Robert, où ce dernier supplie le docteur de soigner L’Heureux, maintenant cancéreux, qui a décidé de s’abandonner à la mort.

Notes
Je : Benjamin Robert : prêtre et confesseur de criminels détenus.Vous: Philippe L’Heureux : criminel de 18 ans détenu en prison, souffrant d’une infection au genou et, plus tard, d’un cancer.
Texte témoin
Manuscrits de Pauline Archange, suivi de Vivre! Vivre! et de Les apparences, Québec, Boréal, 1991, p. 170, 174, 213
Édition originale
Vivre! Vivre!, Montréal, Editions du Jour, 1969

 

2e rêve de Benjamin Robert
Des gestes équivoques


C’est là que Benjamin Robert avait raconté son rêve :
-- Oui, Philippe, j’ai très peur d’un rêve... Nos rêves ne sont-ils pas toujours des prophéties? C’était par une nuit d’hiver, j’étais encore au monastère, je crois. Je priais à genoux près de mon lit quand un homme vint frapper à la porte de ma cellule. C’était un petit homme au sourire malicieux, il s’approcha de moi et me dit à l’oreille : « Venez chez moi, venez bénir ma fille! » Je le suivis. Il m’entraînait dans la nuit froide, puis dans un taudis sans lumière où mendiaient de maigres enfants à peine vêtus. Au bout d’un long couloir, j’ai vu, par la porte d’une chambre qui était ouverte, une petite fille entourée d’hommes qui posaient sur elle leurs yeux avides, mais elle semblait calme parmi eux. « Dans mon monastère, elle serait à l’abri de la honte », ai-je pensé, en lui ouvrant les bras. Mais elle n’avait pas compris ce geste, car elle m’ouvrait les bras en m’invitant aux gestes de l’amour.

Marie-Claire Blais
Vivre! Vivre!
Québec   1991 Genre de texte
roman
Contexte
Ce rêve se situe vers le milieu du troisième chapitre. Pauline Archange confie à son journal avoir été violée par le père Benjamin Robert qui cherchait à « éveiller chez elle la pitié ». Mlle Léonard, qui soupçonne la conduite de ce père, raconte à Pauline un rêve qu’elle a entendu rapporter par ce dernier dans une conversation avec Philippe L’Heureux.
Notes
Benjamin Robert : prêtre et confesseur de criminels détenus.Philippe L’Heureux : criminel de 18 ans détenu en prison, souffrant d’une infection au genou et, plus tard, d’un cancer.
Texte témoin
Manuscrits de Pauline Archange, suivi de Vivre! Vivre! et de Les apparences, Québec, Boréal, 1991, p. 202
Édition originale
Vivre! Vivre!, Montréal, Editions du Jour, 1969

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