Historique
La Suisse est un petit pays; elle n’en a pas moins produit une série de chercheurs et de penseurs importants, qui ont enrichi nos connaissances sur les rêves. J’espère que le modeste aperçu qui suit permettra au lecteur de se faire une idée de leur apport scientifique.
Les premiers habitants du territoire suisse connus par leur nom sont les Helvètes. Ils n’avaient pas de langage écrit ; leur attitude face aux rêves et à leur interprétation nous reste par conséquent inconnue, et on en est réduit à des spéculations. Soumis par Rome, ils ont été intégrés à l’empire romain. On admet communément que durant l'occupation romaine, la pratique dominante était un mélange d’éléments celtiques (druidiques ?) et latins. Après l’effondrement de l’empire romain, durant ce qu’il est convenu d’appeler le haut moyen âge, une époque historiquement mal documentée, le christianisme s’est progressivement imposé en Europe. L’église, nouveau pouvoir spirituel, a eu tôt fait d’y interdire tout travail lié au rêve et à son interprétation. Très vite, les prêtres ont été les seules personnes jugées aptes à comprendre les rêve et à juger s’ils étaient des songes envoyés par le ciel ou des divagations dues à l’activité de démons (voir Morton T. Kelsey, God, Dreams and Revelation, 1991).
Cela n’a pourtant pas empêché la production et la vente d’ouvrages d’interprétation des rêves, notamment durant la phase tardive du moyen âge. Si certains reproduisaient incontestablement d’anciens manuscrits ramenés d’Orient au moment des croisades (il pourrait s’agir des oeuvres d’Artemidor de Daldis et de Synesius de Cyrène); la plupart d’entre eux étaient tout bonnement des faux prétendument originaires de Chaldée, de Perse ou d’Egypte, voire d’Inde, ce qui leur conférait un certain prestige. Les débuts de l’époque moderne ne sont pas très riches non plus en informations, mais dans sa préface à une réédition d’un livre bernois d’interprétation des rêves paru une première fois en 1820 – 1830, Sergius Gollowin écrit que de nombreuses paysannes suisses se constituaient une petite bibliothèque, qu’elles conservaient près du lit afin de pouvoir en consulter les écrits et mieux interpréter leurs rêves, même si, en fin de compte, elles les interprétaient à la lumière de leur propre expérience. Il ajoute que les sages-femmes étaient les personnes les plus versées dans ce domaine : les rêves leur permettaient, paraît-il, de prédire le sexe, voire l’avenir de l’enfant à naître.
Il a bien évidemment existé des pionniers dans le domaine du rêve. A ce titre, Robert Van de Castle cite brièvement 17 auteurs, à commencer par Descartes, dans son livre Our Dreaming Mind ; et il y en a certainement eu bien plus, dont les chercheurs suisses ont probablement eu connaissance. De plus, et comme dans beaucoup d’autres pays, la Suisse devait posséder toute une littérature populaire centrée sur l’interprétation des rêves. Cependant, et malgré les pionniers connus de part et d’autre de l’Atlantique, le livre qui a vraiment bouleversé la pensée scientifique dans le domaine du rêve est L’interprétation des rêves , que Freud publia en 1900.
La psychologie des profondeurs*, dont le rêve et son interprétation sont l’essence même, a sa propre histoire, à laquelle je ne m’arrêterai pas, car il lui a déjà été consacré de nombreux ouvrages très fouillés. Le mieux documenté d’entre eux me paraît être celui d’Henri F. Ellenberger, paru en 1970 et intitulé : The Discovery of the Unconscious . C’est par ce livre que toute personne désireuse de mieux connaître le sujet devrait commencer. Je me bornerai donc ici à rappeler qu’au moment où C.G. Jung entre en scène, il existait déjà en Suisse et dans d’autres pays européens un intérêt marqué pour le rêve et pour les manifestations de l’inconscient.
La conception que l’on se fait du rêve a toutefois encore été marquée dans la première moitié du XXe siècle par un certain nombre d’autres personnalités. Ce sont notamment : Rudolf Steiner, le fondateur de l’anthroposophie, Medard Boss et Ludwig Binswanger, les fondateurs de l’analyse existentielle (Daseinsanalyse) ainsi que Leopold Szondi, le fondateur de l’analyse de destinée (Schicksalsanalyse). Il est évident que ce sont avant tout les centres de formation de la psychanalyse freudienne de le psychologie individuelle (individualpsychologie) qui occupent le devant de la scène en Suisse. Quant à elles, la psychosynthèse (Psychosynthese) d’Assagioli, la Gestalttherapie de Perls et la psychologie systémique (prozessorientierte psychologie) de Mindell poursuivent sur la lancée des idées et des méthodes jungiennes appliquées à la psychothérapie. Toutes ces approches, et bien d’autres encore, sont naturellement aussi pratiquées en Suisse. L’ouvrage de Medard Boss Es träumte mir vergangene Nacht est très souvent cité dans la littérature onirologique.
A cela, il faut ajouter que de nombreux artistes suisses ont utilisé le rêve comme source d’inspiration ; Les plus connus d’entre eux sont: Ferdinand Hodler, Johann Heinrich Füssli, Meret Oppenheim et H. R. Giger (le célèbre créateur des monstres du film Alien).
C. G. Jung
Carl Gustav Jung est né en 1875 dans un petit village des bords du lac de Constance et, exception faite de quelques voyages dans divers pays européens, aux USA, en Afrique et en Inde, il a passé l’essentiel de sa vie en Suisse. C’est à Bâle que ce fils d’un pasteur réformé a étudié, au collège puis à l’université. Après avoir débuté en médecine, il a fini par suivre ses penchants naturels et étudier la psychiatrie. Toute sa carrière professionnelle s’est déroulée à Zurich, au Burghölzli, à l’époque une clinique de renommée mondiale dirigée par Eugen Bleuler, à qui l’on doit notamment la notion de schizophrénie. C’est là entre autres que Jung a mis au point son test de libre association et que, travaillant à l’étude de complexes inconscients à forte charge émotionnelle, il a inventé un appareil que l’on connaîtra plus tard sous le nom de détecteur de mensonge. C’est lui aussi qui le premier a introduit les notions d’introversion et d’extraversion. Par la suite, Jung a été nommé chargé de cours de l'école polytechnique fédérale (ETH) de Zurich, puis professeur. Parallèlement, il exerçait dans sa demeure de Küsnacht, au bord du lac de Zurich, où il est mort en 1961.
Encouragé par Bleuler, Jung se rendit à Vienne en 1907 pour y faire la connaissance de Sigmund Freud. Suite à cette rencontre, il devint rapidement un des disciples les plus zélés, puis le dauphin attitré du maître viennois. En 1911 il fut élu président la société psychanalytique internationale, récemment créée. Pourtant, très vite, des dissensions profondes d’ordre personnel autant que philosophique, séparèrent Jung et Freud, qui interrompirent finalement leurs contacts en 1913.
Bleuler, Jung, Binswanger et d’autres (Alphonse Maeder, le pasteur Oskar Pfister et Franz Ricklin) formèrent le noyau de l’école zurichoise de psychanalyse. Zurich fut donc très vite un centre aux activités très diverses, centrées sur la psychologie des profondeurs, et cette ville exerce encore de nos jours un attrait certain sur les spécialistes de la questin. C’est dans cette ville aussi qu’en 1916, Jung a fondé le club de psychologie (Psychologischer Club, qui se réunit de nos jours encore dans son quartier général de la Gemeindestrasse). En 1948, Zurich a aussi vu la création de l’institut C.G. Jung (contre l’avis de Jung lui-même), qui devait devenir un centre de formation à la philosophie et aux méthodes jungiennes.
Publications de psychologie analytique
Les idées de Jung, sur le rêve notamment, sont abondamment décrites dans les livres précités (et dans bien d’autres) ; il n’est donc pas nécessaire de les présenter une nouvelle fois ici. On peut toutefois recommander la lecture la biographie de Jung Erinnerungen, Träume und Gedanken, publiée en collaboration avec Aniela Jaffé, et L’homme et ses symboles, écrit en fin de vie, en collaboration avec d’autres auteurs.
Parmi les livres d’analystes suisses cosacrés au rêve, je citerai surtout Traum und Tod de Marie Louise von Franz, une des proches collaboratrices de Jung. Sous le titre The Way of the Dream, Fraser Boa a produit avec les Films Windrose, Toronto, une entrevue filmée avec M.L. von Franz. Cette même entrevue a été éditée avec le même titre sous forme de livre en 1987. On peut citer d’autres auteurs renommés d’obédience jungienne: C. A. Meier, Mario Jacoby, Verena Kast, Peter Schellenbaum, Barbara Hannah, Katrin Asper, Helmut Barz et Adolf Guggenbühl-Craig.
De nombreux livres sur le rêve ont été écrits par des disciples non suisses de Jung, par exemple Jungian Dream Interpretation (James A. Hall, 1983), Understanding Dreams (Mary Ann Matoon, 1978), Durch Traumarbeit zum eigenen Selbst (Strephon Kaplan-Williams, 1981), Dreams, A Portal to the Source (E. G. Whitmont and S. B. Perera, 1989) et How Dreams Help (Harry Wilmer, 1999), pour n’en citer que quelques-uns.
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