jeudi 13 janvier 2011

Réactions aux traumatismes par le rêve



Guérir :
 

(extraits du travail)
                            

Méthode 2 : EMDR  

5* L'autoguérison des grandes douleurs :
     l'intégration neuro-émotionnelle par
     les mouvements oculaires (EMDR)

La cicatrice de la douleur
    Après un an d'amour idyllique, Pierre, l'homme que Sarah était certaine d'épouser, l'avait abandonnée brutalement.
    Après, Sarah ne fut plus la même. Elle qui avait toujours été solide comme un roc commença à avoir des attaques d'anxiété au moindre rappel de ce qui lui était arrivé.
    Comme le montre l'histoire de Sarah, les événements très douloureux laissent une marque profonde dans notre cerveau. (85)
    Une étude (Université Harvard) permet d'enregistrer les réactions du cerveau au rappel de ces traumatisme par un scanner à émission de positrons (PET scan). L'« état de stress post-traumatique » (ESPT) y est visualisé par scanner : la région de l'amygdale, le noyau reptilien de la peur au coeur du cerveau émotionnel, est clairement activée. Étrangement, le cortex visuel aussi montre une activation marquée, comme si les patients regardaient une photo de la scène. Et, plus fascinant encore, les images montrent une « désactivation » -- une sorte d'anesthésie -- de l'aire de Broca, la région du cerveau responsable de l'expression du langage. C'est comme une « signature » neurologique de ce que les gens souffrant d'ESPT répètent si souvent : « Je ne trouve pas les mots pour décrire ce que j'ai vécu . » (86)
    Les cicatrices laissées dans le cerveau par les accidents les plus difficiles de la vie ne s'effacent pas facilement. Il arrive que les patients continuent d'avoir des symptômes des dizaines d'années après le traumatisme initial. Cela est courant chez les anciens combattants. Mais c'est aussi vrai des traumatismes de la vie civile.
    Le plus intriguant est que la plupart de ces patients savent qu'ils ne sont plus en danger. Ils le savent mais ils ne se ressentent pas. (87)

Une trace indélébile

    Même sans avoir subi ces traumatismes « avec un grand T » auxquels s'applique le diagnostic d'ESPT, nous connaissons tous le phénomène pour avoir vécu de multiples traumatismes « avec un petit t » -- humiliation par un instituteur, largage par un(e) petit(e) ami(e) ? --.
    Ces situations, on y pense et on y repense ; on écoute les conseils de ses amis et de ses parents ; on lit des articles dans les journaux ... Tout cela aide, souvent très bien, à penser à la situation, et l'on sait ce que l'on devrait ressentir à présent qu'elle est derrière nous. Pourtant on reste comme coincé : nos émotions sont à la traîne ; elles s'accrochent au passé bien après que notre vision rationnelle de la situation a évolué.
    Un chercheur, Joseph LeDoux (université de New York), a montré que l'apprentissage de la peur ne passait pas par le néocortex. Il a ainsi découvert que, lorsqu'un animal apprend à avoir peur de quelque chose, la trace se forme directement dans le cerveau émotionnel.
    Or depuis Pavlov, la psychothérapie comportementale est bien connue pour pouvoir induire l' « extinction » des réflexes conditionnés. (88)
    Mais tout n'est pas si simple : il s'avère que ce contrôle de la peur n'est en réalité que ça : un contrôle. Des chercheurs de LeDoux ont découvert que des rats, conditionnés à ne plus avoir peur, avaient encore peur après lésion du cortex préfrontal (cortex cognitif).  Cette recherche a démontré que le cerveau émotionnel ne « désapprend » jamais la peur ; les rats apprennent simplement à la contrôler grâce à leur néocortex. (89)
    En extrapolant ces résultats chez les humains, on comprend comment les cicatrices dans le cerveau émotionnel peuvent rester présentes pendant des années, prêtes à se réactiver. (90)
    En fait, les cicatrices émotionnelles du cerveau limbique semblent toujours prêtes à se manifester dès que la vigilance de notre cerveau cognitif et sa capacité de contrôle fléchissent, même temporairement. L'alcool, par exemple, empêche le cortex préfrontal de fonctionner normalement. C'est pour cette raison que nous nous sentons « désinhibés » dès que nous buvons un peu trop. Lorsque nous avons été meurtris par la vie, nous risquons, sous l'effet de l'alcool, d'interpréter une situation bénigne comme si nous étions agressés une fois de plus et de réagir violemment. Cela peut également se produire lorsque nous sommes simplement fatigués ou trop distraits par d'autres préoccupations pour garder le contrôle sur la peur imprimée dans notre cerveau limbique.  (91)
    

Les mouvements des yeux lors des rêves

    Les psychiatres savent que le simple fait de raconter le traumatisme encore et encore ne fait souvent qu'aggraver les symptômes. Il savent aussi que les médicaments non plus ne sont pas très efficaces. (92)
    Francine Shapiro, psychologue californienne, avait toutefois mis au point une méthode de traitement où l'on pouvait résoudre les traumatismes émotifs en bougeant rythmiquement les yeux, l'EMDR (« Eye Movement Desensitization and Reprocessing » ie. désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires). (93)
    Un cas présenté en vidéo par le docteur Shapiro captait l'attention. La thérapeute demandait au sujet d'évoquer ses souvenirs les plus douloureux tout en suivant sa main qui se déplaçait de droite à gauche devant ses yeux. Ceci induisait des mouvements oculaires rapides comparables à ceux des yeux pendant les rêves (REM sleep). Après quelques minutes, le visage du sujet se transformait d'un seul coup. Il dit : « C'est parti ! C'est dans le passé et il y a quelque chose d'autre remplace et qu'on regarde maintenant. Comment est-ce que j'ai pu me laisser affecter si longtemps par ça ? ». (94)
    Une étude menée sur le traitement par l'EMDR de quatre-vingts patients présentant des traumatismes émotionnels importants a été publiée. Dans celle-ci 80 % des patients ne montraient quasiment plus de symptômes d'ESPT après trois séances. Aucune étude de quelque traitement que ce soit en psychiatrie, y compris des médicaments les plus puissants, n'a fait état d'une telle efficacité en trois semaines. Lorsqu'on avait interviewé le même groupe de quatre-vingts patients quinze mois plus tard, les résultats étaient encore meilleurs que tout de suite après les trois séances. (96)
   

Un mécanisme d'autoguérison dans le cerveau

    L'idée de départ de l'EMDR, c'est qu'il existe en chacun de nous un mécanisme de digestion des traumatismes émotionnels, le « système adaptatif de traitement de l'information ».
    Le concept est assez simple : nous faisons tous l'expérience de traumatismes « avec un petit t ». Pourtant, nous ne développons, le plus souvent, de syndrome post-traumatique. Le système nerveux extrait l'information utile -- « la leçon » -- et se débarrasse en quelques jours des émotions, des pensées et de l'activation physiologique qui ne sont plus nécessaires une fois l'événement passé.
    Boris Cyrulnik a démontré comment l'adversité menait ainsi souvent à ce qu'il a appelé la « résilience ». (97)
    Selon la théorie de l'EMDR, au lieu d'être digérée, l'information concernant un traumatisme se voit bloquée dans le système nerveux, gravée dans sa forme initiale. Les images, les pensées, les sons, les odeurs, les émotions, les sensations corporelles et les convictions sont alors stockés dans un réseau de neurones qui mène sa propre vie. Ancré dans le cerveau émotionnel, déconnecté des connaissances rationnelles, ce réseau devient un paquet d'information non traitée et dysfonctionnelle que le moindre rappel du traumatisme initial suffit à réactiver. (99)

Les souvenirs du corps

    Un souvenir enregistré dans le cerveau peut être stimulé à partir de n'importe lequel de ses constituants. L'accès à un souvenir dans le cerveau se fait par analogie : n'importe quelle situation qui nous rappelle un aspect de quelque chose que nous avons vécu peut suffire pour évoquer le souvenir complet. On appelle cela « l'accès par le contenu » et « l'accès par les correspondances partielles ».
    Cela a des conséquences importantes pour les souvenirs traumatiques. À cause de ces propriétés, n'importe quelle image, n'importe quel son, odeur, émotion, pensée ou même sensation physique qui ressemble aux circonstances de l'événement traumatique peut déclencher le rappel de la totalité de l'expérience stockée de façon dysfonctionnelle. Souvent, l'accès aux souvenirs douloureux se fait par le corps.
    La force de l'EMDR tient en ce qu'elle évoque d'abord le souvenir traumatique avec toutes ses différentes composantes -- visuelle, émotionnelle, cognitive et physique (les sensations du corps) --, puis stimule le « système adaptatif de traitement de l'information », qui n'a pas réussi, jusque là, à digérer l'empreinte dysfonctionnelle. (100)
    Les mouvements oculaires comparables à ceux qui ont lieu spontanément pendant les  rêves sont censés apporter l'assistance nécessaire au système naturel de guérison du cerveau pour qu'il achève ce qu'il n'a pas pu faire sans aide extérieure.
    Pendant les mouvements oculaires, les patients donnent l'impression de faire spontanément de « l'association libre ». Comme dans les rêves, les patients traversent un vaste réseau de souvenirs reliés les uns aux autres par différentes bribes. Ils commencent souvent à se rappeler d'autres scènes reliées au même événement traumatique, soit parce qu'elles sont de même nature (par exemple, d'autres épisodes d'humiliation en public), soit parce qu'elles sollicitent les mêmes émotions (tel un même sentiment d'impuissance). Il leur arrive souvent d'éprouver de fortes émotions qui remontent rapidement à la surface même si elles avaient été ignorées jusque-là. Tout se passe comme si les mouvements oculaires -- de même qu'au cours des rêves -- facilitaient un accès rapide à tous les canaux d'association connectés au souvenir traumatique ciblé par le traitement. Au fur et à mesure que ces canaux sont activés, ils peuvent se connecter aux réseaux cognitifs qui, eux, contiennent l'information ancrée dans le présent. C'est grâce à cette connexion que la perspective de l'adulte, qui n'est plus aujourd'hui ni impuissant ni soumis aux dangers du passé, finit par prendre pied dans le cerveau émotionnel. Elle peut alors y remplacer l'empreinte neurologique de la peur ou du désespoir. Et lorsqu'elle est remplacée, elle l'est complètement, à tel point qu'on voit souvent une nouvelle personne émerger. (101)
   

6* L'EMDR en action
Les enfants de Kosovo

  Le travail du système adaptatif de traitement de l'information est encore plus rapide chez les enfants. Tout se passe comme si des structures cognitives plus simples et des canaux associatifs plus épars permettaient de brûler les étapes. (107)
    Deux enfants vivaient dans un état d'anxiété permanente. Ils dormaient très mal, mangeaient peu et refusaient de quitter leur maison.
    Le soir même après leur première séance d'EMDR, ils avaient dîné normalement et avaient ensuite dormi toute la nuit sans difficulté.
    Une semaine plus tard, quelque chose avait vraiment changé. Il souriaient. Ils riaient même, comme des enfants, alors qu'auparavant ils étaient abattus et tristes. Ils avaient aussi l'air bien plus reposés. (108)
    Depuis cette expérience au Kosovo, une des toutes premières études contrôlées sur le traitement de l'ESPT chez l'enfant a montré effectivement que l'EMDR est efficace dès le plus jeune âge. (109)

La bataille de l'EMDR

    Une des choses les plus curieuses dans l'histoire du développement de l'EMDR est la résistance que lui opposent la psychiatrie et la psychanalyse. Toutefois des études publiées ont conclu que l'EMDR était au moins aussi efficace que les meilleurs traitements existants, mais qu'elle semblait aussi être la méthode la mieux tolérée et la plus rapide.
    Pourtant, à ce jour, l'EMDR continue d'être décrite comme une méthode « controversée » dans la plupart des cercles universitaires américains, même si elle l'est moins en Hollande, en Allemagne, en Angleterre ou en Italie.
    Quand de grandes percées ont été accomplies avant qu'une théorie ne puisse les expliquer, elles ont systématiquement rencontré une résistance violente de la part des institution. Surtout si le traitement était « naturel » ou semblait « trop simple ». (110)

L'EMDR et le sommeil des rêves

    Le fait est que nous ne comprenons toujours pas comment l'EMDR produit ces résultats qui impressionnent ceux qui l'utilisent.
    Stickgold, en neurophysiologie sur le sommeil et les rêves (Harvard), a émis l'hypothèse que les mouvements des yeux ou d'autres formes de stimulation qui évoquent une orientation de l'attention jouent un rôle important dans la réorganisation des souvenirs dans le cerveau. La physiologie des rêves active et transforme les liens associatifs entre des souvenirs qui sont connectés les uns aux autres par des émotions.
Stickgold pense que des mécanismes similaires sont peut-être mis en jeu par la stimulation sensorielle en cours de l'EMDR. (112)
    D'autres chercheurs ont montré que les mouvements des yeux induisent aussi une « réponse de relaxation obligatoire » dès les premières séries, ce qui se traduit par une réduction immédiate de la fréquence cardiaque et une augmentation de la température corporelle. Cela laisse penser que la stimulation de l'EMDR renforce l'activité du système nerveux parasympathique, comme le fait la pratique de la cohérence cardiaque.
    La théorie de Stickgold expliquerait pourquoi il est possible d'obtenir des résultats en EMDR avec d'autre formes de stimulation de l'attention que les mouvements des yeux. En effet, le système auditif est lui aussi stimulé pendant le sommeil des rêves, et on observe également des contractions musculaires involontaires au niveau superficiel de la peau.
    Il est évident qu'il reste bien des choses à découvrir sur le système adaptatif de traitement de l'information et sur les différentes manières de l'aider à faire son travail de digestion. (113)


David Servan-Schreiber

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