mercredi 23 mars 2011

Choix ( - d'objet )


Dans la théorie psychanalytique l'objet est un concept polysémique qui est envisagé de manière très différente dans les théories de Sigmund Freud, celles de Mélanie Klein, de Donald Winnicott, de Wilfred Bion et chez les théoriciens de la relation d'objet.

Objet total

C'est ce que Freud considérait comme l'aboutissement de l'évolution psychosexuelle où l'enfant passe de la "relation" d'objet primaire, à la relation d'objet partielle (prégénitale). L'objet total implique la reconnaissance et l'intégration de la double différence des sexes et des générations. Notons que jusqu'en 1914 la théorie du narcissisme n'était pas encore élaborée et que c'est dès lors qu'il a distingué la "libido d'objet" de la "libido narcissique". Pour les kleiniens, l'objet total est associé a la position dépressive. Il est l'objet d'amour appréhendé comme totalité, par opposition avec l'objet partiel, également théorisé par Klein. L'objet total est composé et peut revêtir simultanément des caractéristiques différentes voire opposées; par définition il diffère de l'objet partiel en cela que ce dernier est profondément clivé : soit bon, soit mauvais.

Objet partiel

L'objet partiel n'a pas été désigné par Freud en tant que tel mais ressort de ses écrits comme une relation avec un objet quasi identifié à une partie du corps, pénis, fèces, regard, etc. C'est comme si une personne était identifiée à l'une de ses parties (pars pro toto) ou encore à l'objet d'une pulsion partielle. Dans les théories sexuelles infantiles, Freud présume que le pénis et les fèces sont investis libidinalement par l'enfant et symboliquement liés au désir d'enfant, même s'il n'utilise pas le terme d'objet partiel.

Le terme a été introduit dans la théorie psychanalytique par les kleiniens, suivant une voie ouverte par Freud et Karl Abraham, et désigne donc l'objet investi par le bébé, le prototype en est le sein (nourricier ou privateur). Le bébé de la position schizo-paranoïde perçoit un monde morcelé, où la frontière dedans/dehors n'est pas délimitée : le sein, premier objet d'amour, est alors vécu (par la dynamique projection/introjection) tour à tour comme bon ou mauvais, selon qu'il satisfait ou frustre les désirs du nourrisson. Le sein est fantasmatiquement investi par le bébé, qui lui attribue des qualités semblables à celles de l'objet total : gratifiant, persécuteur, etc. Le passage de l'objet partiel à l'objet total se réalise lors de la position dépressive. Toutefois, l'objet partiel n'est jamais abandonné avec la maturation psychique, mais plutôt recouvert par l'objet total, tout en continuant à être investi : une personne peut s'identifier ou en identifier une autre à un objet partiel, tel que le phallus par exemple.

Choix d'objet

L'expression de choix d'objet implique que la libido investisse un objet ; mais il ne s'agit pas d'un choix au sens de libre-arbitre. Le sujet ne choisit pas d'investir un objet.
Il s'agit donc d'un terme équivalent de celui d' investissement libidinal. Le sujet se tourne vers un objet qui deviendra caractéristique de la pulsion.
Freud décrit deux types de choix d'objets :
  • le choix d'objet par étayage et
  • le choix d'objet narcissique
Dans le choix d'objet par étayage, le sujet recherche l'objet qui le comble, sur le mode des soins que donne la mère. C'est l'objet qui comble, qui gratifie.
Le choix d'objet narcissique est l'investissement d'un semblable. Le sujet investit un objet qui lui ressemble, soit ce que je suis, soit ce que je veux devenir (mais alors l'idéal entre en jeu), soit ce que j'ai été.

Dans la métapsychologie freudienne

 Dans la métapsychologie, l'objet et lié à la pulsion: l'objet est ce en quoi et par quoi la pulsion peut atteindre son but. A l'origine il ne lui pas lié, mais lui est adjoint comme moyen particulièrement apte à rendre satisfaction. Le terme évolue à travers toute l'œuvre de Freud, de l'Esquisse à ses dernières écrits. Dans la première topique, c'est l'organisation pulsionnelle qui prime dans les théorisations. Même si Freud a alors parlé d'état objectal ou plus tard de narcissisme primaire, il a toujours évoqué la nécessité de la rencontre entre un besoin (plus tard un désir) et un objet qui puisse le satisfaire, cet "objet" est alors identifié à "la mère ou a son substitut". On ne peut par contre pas confondre la notion d'objet dans la métapsychologie avec celle qu'on trouve plus tard chez les théoriciens de la relation d'objet, Michael Balint , William R D Fairbairn , Donald Winnicott et dans une certaine mesure Anna Freud qui insisteront tous mais chacun à leur manière sur la réalité de l'objet en mettant l'accent sur le lien réel de l'enfant à sa mère

 
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Un type particulier de choix d’objet chez l’homme

Nous avons jusqu'ici laissé aux poètes le soin de nous dépeindre les « conditions déterminant l'amour » d'après lesquelles les hommes font leur choix d'objet et la façon dont ils accordent les exigences de leurs fantasmes avec la réalité. Et de fait les poètes ont des qualités leur permettant de venir à bout d'une telle tache avant tout une fine sensibilité, qui leur fait percevoir les mouvements cachés de l’âme d'autrui, et le courage de laisser parler leur propre inconscient. Mais du point de vue de la connaissance, quelque chose vient diminuer la valeur de ce qu'ils nous communiquent.
Les poètes sont tenus de provoquer un plaisir intellectuel et esthétique ainsi que certains sentiments déterminés ; aussi ne peuvent-ils représenter la réalité telle quelle, sans l'avoir modifiée ; ils doivent en isoler certains fragments, détruire des rapports gênants, tempérer l'ensemble et combler les lacunes. Tels sont les privilèges de ce qu'on appelle la « liberté poétique ». En outre, ils ne peuvent montrer que peu d'intérêt pour l'origine et le développement des états de l’âme qu'ils décrivent sous une forme achevée.
Dès lors, n'est-il pas inévitable que la science, avec sa main plus lourde et pour un plaisir esthétique moindre, s'occupe de ces sujets qui, élaborés par les poètes, enchantent l'humanité depuis des millénaires. Ces remarques peuvent servir à justifier notre intention de soumettre la vie amoureuse elle-même à un traitement rigoureusement scientifique. La science ne constitue-t-elle pas le plus parfait renoncement au principe de plaisir dont notre travail psychique soit capable ?
Au cours des traitements psychanalytiques on a amplement l'occasion de recueillir des données sur la vie amoureuse des névrosés; on peut alors se rappeler avoir observé ou entendu raconter un comportement semblable chez des sujets en gros normaux ou même chez des hommes exceptionnels. Quand un matériel favorable permet d'accumuler de telles données, on voit se dégager plus nettement des types différenciés.
C'est l'un de ces types de choix d'objet chez l'homme que je vais décrire d'abord, parce qu'il se caractérise par une série de conditions déterminant l'amour ,, dont la coexistence n'est pas intelligible, et est même franchement déconcertante, et parce qu'il admet une explication psychanalytique simple.
  1. La première de ces conditions déterminant l'amour doit être désignée comme tout à fait spécifique : aussitôt qu'on la rencontre on peut se mettre en quête des autres caractères du type. Nommons-la condition du tiers lésé; elle exige que le sujet ne choisisse jamais comme objet d'amour une femme qui soit encore libre, autrement dit une jeune fille ou une femme seule, mais exclusivement une femme sur laquelle un autre homme : mari, fiancé ou ami peut faire valoir des droits de propriété. Cette condition se montre en de nombreux cas si inexorable que la même femme peut d'abord passer inaperçue ou même être dédaignée aussi longtemps qu'elle n'appartient à personne, tandis qu'elle devient l'objet d'une passion amoureuse aussitôt qu'elle entre dans l'une des relations désignées avec un autre homme.
  2. La deuxième condition est peut-être moins constante, mais n'en est pas moins surprenante. Le type ne se réalise pleinement que si elle s'ajoute à la première, encore que la première paraisse aussi se présenter très souvent seule. Cette seconde condition s'énonce ainsi : la femme chaste et insoupçonnable n'exerce jamais l'attrait qui l'élèverait au rang d'objet d'amour; seule l'exerce la femme qui d'une façon ou d'une autre a une mauvaise réputation quant à sa vie sexuelle, celle dont on peut douter qu'elle soit fidèle ou digne de confiance. Certes, ce dernier caractère peut varier selon une large gamme - depuis l'ombre légère sur la réputation d'une femme mariée qui ne répugne pas au flirt jusqu'à la conduite notoirement polygame d'une cocotte ou d'une artiste de l'amour; de toute façon les hommes qui appartiennent à notre type ne sauraient se passer de quelque chose de ce genre. On peut en termes assez crus appeler cette condition l'amour de la putain. De même que la première condition offre aux tendances agonistiques et hostiles l'occasion de se satisfaire envers l'homme auquel on ravit la femme aimée, de même la seconde condition, qui veut que la femme ait quelque chose d'une putain, est en rapport avec la participation active de la jalousie, qui, pour les amants de ce type, paraît être un besoin. C'est seulement lorsqu'ils peuvent être jaloux que leur passion culmine, que la femme acquiert sa pleine valeur, et ils ne manquent jamais de saisir une occasion qui leur permette d'éprouver des sensations si intenses. Chose étonnante, ce n'est pas contre le possesseur légitime de la femme aimée qu'est dirigée cette jalousie, mais contre des étrangers, des nouveaux venus qui peuvent attirer les soupçons sur la femme aimée. Dans les cas marqués, l'amant ne montre aucun désir de posséder la femme pour lui seul et semble se trouver tout à fait à son aise dans la relation triangulaire. Un de mes patients, qui avait terriblement souffert des écarts de sa dame n'eut pourtant rien à objecter contre son mariage : au contraire, il le favorisa par tous les moyens; envers le mari il ne manifesta jamais la moindre jalousie tout au long des années qui suivirent. Dans un autre cas typique, le patient avait été assurément très jaloux du mari dans ses premières relations amoureuses; il avait obligé la dame à cesser tout rapport conjugal; mais dans les nombreuses relations qu'il eut par la suite, il se comporta comme les autres et ne considéra plus le mari comme une gêne. Les paragraphes suivants ne décrivent plus les conditions requises de l'objet d'amour, mais le comportement de l'amant envers l'objet de son choix.
  3. Dans la vie amoureuse normale, la valeur de la femme est déterminée par son intégrité sexuelle et rabaissée au fur et à mesure qu'on se rapproche de ce qui caractérise la putain. Or ce sont des femmes ainsi caractérisées que les hommes du type qui nous occupe, traitent comme des objets d'amour de la plus haute valeur: c’est là un comportement qui semble s'écarter de la normale d'une manière surprenante. Les relations amoureuses avec ces femmes s'accompagnent de la dépense psychique la plus considérable : elles sont poussées jusqu'au point où elles consument tous les autres intérêts; ce sont les seules personnes que l'on puisse aimer et l'exigence de fidélité que le sujet s'impose est chaque fois renouvelée aussi souvent qu'elle puisse être battue en brèche dans la réalité. Les traits de relations amoureuses que nous décrivons sont marqués très manifestement d'un caractère compulsif, qui d'ailleurs, dans une certaine mesure, est propre à chaque cas de passion amoureuse. Mais la fidélité et l'intensité de la liaison ne sauraient nous permettre d'inférer qu'un seul rapport amoureux de cette sorte remplisse la vie amoureuse de la personne en question ou ne se produise qu'une fois dans cette vie. Au contraire, au cours de la vie de ceux qui appartiennent à ce type, de telles passions se répètent plusieurs fois, avec les mêmes particularités, l'une étant le décalque exact de l'autre ; et même les objets d'amour peuvent, sous l'influence de conditions extérieures, par exemple un changement de résidence ou d'entourage, se substituer si souvent les uns aux autres qu'ils arrivent à former une longue série.
  4. Le plus étonnant pour l'observateur, chez les amants de ce type, c'est la tendance manifeste à sauver la femme aimée. L'homme est convaincu que la femme aimée a besoin de lui, que sans lui, elle perdrait tout contrôle moral et tomberait rapidement à un niveau déplorable. Il la sauve donc dans la mesure où il ne la quitte pas. L'intention de sauver peut se justifier dans des cas particuliers où l'on invoque que la femme aimée n'est pas du point de vue sexuel digne de confiance et que sa situation sociale est menacée; mais, cette intention n'est pas moins évidente là où elle ne réussit pas à s’étayer sur la réalité. Un homme, relevant du type que nous décrivons, et qui s'y entendait à conquérir ses dames par tout un art de la séduction et une dialectique subtile ne s'épargnait aucun effort dans la liaison amoureuse qui suivait, pour maintenir l'élue du moment sur le chemin de la « vertu » par des traités de sa composition.

Si l'on embrasse d'un regard les différents traits du tableau ainsi dépeint - la condition qui veut que la femme aimée ne soit pas libre, et celle qui l'apparente à une putain, la haute valeur accordée à la femme aimée, le besoin de jalousie, la fidélité qui peut d'ailleurs fort bien se renouveler avec chacun des objets formant la série - on trouvera peu vraisemblable qu'ils puissent être déduits d'une seule source. Et pourtant, si l'on approfondit par la psychanalyse l'histoire des personnes ici en question, on y parvient aisément.
Ce choix d'objet bien particulier et ce comportement amoureux si étrange ont la même origine psychique que ceux que l'on rencontre dans la vie amoureuse du sujet normal leur source est dans la fixation de la tendresse de l'enfant à sa mère et ils représentent l'une des issues de cette fixation. Dans la vie amoureuse normale, il ne reste que peu de traits qui trahissent indubitablement le prototype maternel du choix d'objet - par exemple, la prédilection d'hommes jeunes pour des femmes déjà mûres; la libido s'est détachée relativement vite de la mère.
Dans notre type au contraire, la libido s'est attardée si longtemps chez la mère, même après le début de la puberté, que les objets d'amour ultérieurement choisis conservent l'empreinte des caractères maternels et deviennent tous des substituts matériels facilement reconnaissables. La comparaison avec la conformation du crâne du nouveau-né s'impose ici : après un accouchement prolongé, le crâne de l'enfant doit se présenter comme un moulage du détroit inférieur du bassin maternel.

Il nous incombe maintenant de justifier l'idée selon laquelle les traits caractéristiques de notre type - conditions déterminant l'amour aussi bien que comportement amoureux - ont réellement leur origine dans la constellation maternelle. C'est en ce qui concerne la première condition - non-liberté - de la femme ou condition du tiers lésé que cette tâche devrait être la plus facile.

On comprend immédiatement que pour l'enfant qui grandit dans sa famille, le fait que la mère appartienne au père devient un élément inséparable de l'essence maternelle, et que le tiers lésé n'est personne d'autre que le père lui-même. Un autre trait, la surestimation qui fait que la femme aimée est l'unique, l'irremplaçable, s'intègre tout aussi naturellement au contexte de l'enfance, car on ne possède jamais qu'une seule mère et la relation à la mère a pour fondement un événement qui ne prête à aucun doute et qui ne saurait être répété.
Si les objets d'amour, dans le type que nous décrivons, doivent être avant tout des substituts de la mère, il devient par là compréhensible qu'ils constituent une série, ce qui semble contredire directement la condition de fidélité. La psychanalyse nous apprend par d'autres exemples encore que souvent l'irremplaçable qui agit dans l'inconscient se manifeste dans chacun des objets qui forment une série infinie, infinie parce que chaque substitut fait regretter l'absence de la satisfaction vers laquelle on tend.
Ainsi l'insatiable plaisir à poser des questions qui caractérise un certain âge de l'enfance, s'explique par le fait qu'ils ont à poser une unique question, qui ne franchit pas leurs lèvres; ainsi la loquacité de beaucoup de névrosés s'explique par la pression d'un secret qui pousse vers la communication et qu'ils ne trahissent pourtant pas en dépit de toutes les tentations.
Par contre, la seconde condition déterminant l'amour, celle qui apparente l'objet choisi à une putain parait s'opposer énergiquement à toute déduction à partir du complexe maternel. La mère apparaît volontiers à la pensée consciente des adultes comme une personnalité d'une pureté morale inattaquable, et rien peut-être n'offense autant venant de l'extérieur, ou n'est ressenti aussi péniblement, surgissant de l'intérieur, qu'un doute sur ce caractère de la mère. Mais c'est justement ce caractère d'opposition tranchée entre la mère et la putain qui va nous inciter à étudier l'histoire du développement et le rapport inconscient de ces deux complexes, dans la mesure où nous avons appris depuis longtemps que ce qui, le conscient, se présente clivé en deux termes opposés, bien souvent ne fait qu'un dans l'inconscient.
Notre recherche nous fait alors remonter à l'époque où le garçon acquiert pour la première fois une connaissance assez complète des rapports sexuels entre les adultes - ceci aux alentours de la puberté. Des informations brutales qui tendent sans déguisement à provoquer mépris et révolte, le mettent alors au fait du secret de la vie sexuelle, détruisent l'autorité des adultes, qui s'avère incompatible avec le dévoilement de leur activité sexuelle. Ce qui, dans ces révélations fait la plus grande impression sur le nouvel initié, c'est le rapport à ses propres parents. Un tel rapport est souvent écarté de façon catégorique, en des termes de ce genre : « Peut-être que tes parents et d'autres gens font des choses de ce genre ensemble, mais, mes parents c'est tout à fait impossible. »
Il est un corollaire qui manque rarement aux « explications sexuelles » : c'est la connaissance de l'existence de certaines femmes qui font un métier de l'acte sexuel et sont de ce fait l'objet du mépris général. Ce mépris ne peut qu'être étranger à la pensée du garçon; il n'éprouve à l'égard de ces malheureuses qu'un mélange d'attirance et d'horreur, dès qu'il sait qu'elles peuvent l'introduire lui aussi à la vie sexuelle que jusque-là, il se représentait comme l'apanage exclusif des « grandes personnes ».
Par la suite, lorsqu'il ne peut plus douter de ce qu'on lui dit, lorsqu'il ne peut plus s'en tenir à l'idée que ses parents font exception aux normes de cette vilaine activité, il se dit, raisonnant en parfait cynique, qu'après tout la différence entre la mère et la putain n'est pas si grande que cela, puisqu'en définitive elles font la même chose. Les explications qu'il a reçues ont en effet réveillé en lui les traces mnésiques des impressions et des désirs datant du début de son enfance et ont réactivé à partir de ces traces certaines motions psychiques.
Il commence à désirer la mère elle-même, au sens qui vient de s'ouvrir pour lui et à haïr de nouveau le père, comme un rival qui se met en travers de son désir; il tombe, comme nous disons, sous la domination d’œdipe. Il ne pardonne pas à sa mère et tient pour une infidélité le fait que ce ne soit pas à lui, mais au père, qu'elle ait accordé la faveur du commerce sexuel.
Ces motions n'ont pas d'autre issue quand elles ne passent pas vite, que d'achever leur cours dans des fantasmes; ceux-ci ont pour contenu, sous les formes les plus variées, l'activité sexuelle de la mère, et la tension qui les accompagne trouve avec une particulière facilité, sa résolution dans la masturbation. En vertu de l'action combinée qu'exercent de façon persistante ces deux forces motivantes, la concupiscence et la soif de vengeance, les fantasmes de l'infidélité de la mère sont de loin les préférés ; l'amant avec lequel la mère commet l'infidélité revêt presque toujours les traits du moi propre, plus exactement les traits de la personnalité propre idéalisée devenue adulte et élevée au niveau du père.
Ce que j'ai d'ailleurs décrit sous le nom de « roman familial » comprend les multiples variantes formées à partir de cette activité fantasmatique, ainsi que leur entrelacement avec divers intérêts égoïstes de cet âge. Mais maintenant que nous avons examiné cette partie du développement psychique, nous ne pouvons plus trouver contradictoire et incompréhensible le fait que la condition qui apparente la femme aimée à une putain se déduise directement du complexe maternel.
Le type de vie amoureuse de l'homme que nous avons ici, porte les traces de l'histoire de ce développement et peut être compris simplement comme fixation du garçon aux fantasmes pubertaires, fantasmes qui n'en ont pas moins trouvé finalement par la suite une issue dans la réalité de la vie. Il n'y a aucune difficulté à admettre que la masturbation pubertaire pratiquée assidûment a contribué à fixer ces fantasmes.
Entre ces fantasmes qui sont parvenus à dominer la vie amoureuse réelle, et la tendance à sauver la femme aimée, la liaison semble n'être que lâche, superficielle et réductible à un fondement conscient. La femme aimée, par son penchant à l'inconstance et à l'infidélité, s'expose à des dangers : il est donc compréhensible que l'amant s'efforce de la préserver de ces dangers en veillant sur sa vertu et en s'opposant à ses mauvais penchants. Cependant, l'étude des souvenirs-écrans, des fantasmes et des rêves nocturnes montre que l'on se trouve ici devant une « rationalisation », particulièrement bien venue, d'un motif inconscient, rationalisation assimilable à ce qu'est dans le rêve une élaboration secondaire réussie. En réalité, le motif de sauver a sa signification et son histoire propres, il est un rejeton autonome du complexe maternel, ou, plus exactement, du complexe parental.
Quand l'enfant entend dire qu'il doit la vie à ses parents, que sa mère lui a donné la vie, des motions tendres s’unissent en lui à des motions qui luttent pour faire de lui un grand homme, un homme indépendant, et font naître le désir de restituer ce cadeau aux parents, de leur en rendre un en échange, d'égale valeur.
Tout se passe comme si le dépit du garçon signifiait je n'ai besoin de rien venant de mon père, je veux lui rendre tout ce que je lui ai coûté. Il forme alors le fantasme de sauver le père d'un danger menaçant sa vie, s'acquittant ainsi envers lui. Ce fantasme se déplace assez souvent sur l'empereur, le roi ou quelque grand homme; cette déformation le rend capable de devenir conscient et même utilisable pour le poète.
Quand le fantasme de sauver s'applique au père, c'est de loin le sens du défi qui l'emporte; quand il s'applique à la mère, c'est la plupart du temps la signification tendre. La mère a donné la vie à l'enfant et il n'est pas facile de remplacer ce cadeau unique en son genre par quelque chose d'équivalent. Par un de ces petits changements de signification qui sont facilités dans l'inconscient - processus qu'on pourrait comparer dans le conscient, au glissement d'un concept à un autre - sauver la mère acquiert la signification, lui donner ou lui faire un enfant, naturellement un enfant tel qu'on est soi-même.
L'écart n'est pas trop grand avec le sens originel de sauver, le changement de signification n'est pas arbitraire. La mère vous a donné une vie, sa propre vie, et vous lui donnez en échange une autre vie, celle d'un enfant, qui a la plus grande ressemblance avec votre propre soi. Le fils montre sa reconnaissance en formant le désir d'avoir de la mère un fils, semblable à lui-même ainsi dans le fantasme de sauver, il s'identifie complètement avec le père.
Toutes les pulsions, de tendresse, de reconnaissance, de concupiscence, de défi, d'autonomie sont satisfaites par l'unique désir d’être son propre père. Le facteur du danger n'a pas non plus disparu au cours du changement de signification; l'acte de la naissance est précisément le danger dont on a été sauvé par les efforts de la mère. La naissance est aussi bien le premier danger qui menace la vie que le prototype de tous ceux qui suivront, devant lesquels nous éprouvons de l'angoisse, et c'est l'expérience de la naissance, vraisemblablement qui a laissé en nous cette manifestation d'affect que nous appelons angoisse. Le Macduff de la légende écossaise, que sa mère n'avait pas mis au monde, qui avait été extirpé de son propre corps n'a pas, de ce fait, connu l'angoisse.
Artemidoros qui était, dans l'Antiquité, interprète des rêves, avait certainement raison en soutenant que le rêve change de sens selon la personne du rêveur. Conformément aux lois qui régissent l'expression des pensées inconscientes, « sauver peut voir son sens varier selon qu'il est fantasmé par une femme ou par un homme.
Cela peut signifier aussi bien : faire un enfant être cause de sa naissance (pour l'homme), que mettre au monde un enfant (pour la femme). C'est, en particulier, en liaison avec l'eau que ces diverses significations de « sauver » se laissent clairement reconnaître dans les rêves et les fantasmes. Lorsqu'un homme rêve qu'il sauve une femme de l'eau, cela signifie : il la rend mère, ce qui, d'après les réflexions précédentes a le sens de : il en fait sa mère. Lorsqu'une femme sauve quelqu'un (un enfant) de l'eau, elle s'avère par là, telle la fille du roi dans la légende de Moïse, être sa mère, celle qui l'a mis au monde.
Il arrive aussi que le fantasme de sauver, quand il concerne le père, contienne une signification tendre. Il exprime alors le désir d'avoir le père comme fils, c'est-à-dire d'avoir un fils qui soit comme le père. C'est à cause de toutes ces relations entre le motif de sauver et le complexe parental que la tendance à sauver la femme aimée constitue un trait essentiel du type d'amour ici décrit.
Il ne me semble pas nécessaire de justifier ma démarche qui vise ici, comme lors de ma présentation de l’érotisme anal, à dégager d'abord du matériel des observations des types extrêmes et nettement circonscrits. Dans les deux cas, il existe un bien plus grand nombre d'individus chez lesquels les traits du type de description ne se retrouvent qu'en nombre restreint ou sous une forme moins nette; il est évident que c'est seulement un exposant la totalité du contexte dans lequel ces types s'insèrent qu'il sera possible de les apprécier exactement.

 



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